Rencontre avec une Sigma... (Kaylee)

Calmement, sans m’agiter, je l’observais toujours, j’attendais de voir ce qu’il pensait de mon point de vue, sur la vie, les surprises, ce que cela nous apporte au final. Cette discussion tournerais presque en débat, qui va dans le même sens pour les deux parties, Aiden et moi donc. Il me rend mon sourire, je ne pense pas que cela soit seulement par politesse, je sentais de la vérité, de la confiance dans cette attitude. Il me répond enfin qu’il est plutôt d’accord avec ce que je lui ai dit, avant de rajouter qu’il pense que quand il nous arrive plus de mauvais que de bien, l’impression de recul est plus forte qu’autre chose, alors que c’est le contraire. Comme pour relancer un peu le débat. Je lui souris doucement, Je suis d’accord avec ce qu’il me dit. Les êtres humains ne sont pas conçus à l’identique, chaque personne apprend de ses erreurs, et c’est avec celles-ci que nous apprenons à ne plus les refaire. Comme avec mes parents, S’ils entendaient cette discussion, cela leur remettrais sans doute les idées en place. Quoi que… ils sont butés comme pas possible.

« Oui… Tout dépend des personnes. Heureusement que nous en avons conscience, nous. »


Parce que c’est l’impression qu’il me donne, qu’il en a conscience, sinon jamais il ne m’aurais dit cela, Je ne connais pas encore les détails croustillants de son passé, mais tout viens à point qui sais attendre non ? Je ne suis pas une fouine, qui essaye de tout savoir, tout, tout de suite. Il y a des choses que l’on ne confie pas à un/une inconnue à la première rencontre, confrérie ou non. Quoi que… Je suis une oreille attentive, s’il décide de m’expliquer un peu son histoire, je me ferais une joie de l’écouter avec attention, sans juger. Sans que je ne m’y attende forcement, un peu perdue dans mes pensées il me demande soudain si je m’attendais à cela aujourd’hui, à cette rencontre, si c’était écrit quelque part. Je crois au hasard comme je crois au destin, donc ma réponse est partagée. Je lève les yeux au plafond pour le fixer un petit moment, réfléchir à ce que je vais lui dire. Et c’est une façon de voir également si nous pensons toujours la même chose. J’aime sa question, elle est pertinente, et complètement adapté dans le contexte.

« Je pense que oui. Et non en même temps, parce qu’il y a toujours une part de hasard dans la vie, simplement si les choses doivent se passer comme tel, c’est que c’était écrit quelque part. Enfin ce n’est que mon point de vue. »

Juste avant je lui avais proposé de sortir d’ici, d’aller prendre l’air, et puis nous pourrons toujours continuer cette discussion dehors, je serais sans doute plus à l’aise, moins oppressée. Il se lève presque aussitôt de son fauteuil et l’écoute me dire que c’est une bonne idée, je lui souris encore une fois, contente qu’il veuille bien de ma compagnie encore un peu. Toujours d’une main je range ma bouteille d’eau dans mon sac, et l’observe sortir son paquet de cigarette, il m’en tend une que j’accepte gentiment. Je la place dans ma bouche, entre mes dents, je lui tends la main pour qu’il m’aide à me relever. Dans le calme, nous sortons du foyer, et traversons le couloir pour rejoindre l’extérieur. Une fois dehors, j’inspire une grande bouffée d’air, cela me fait du bien, je me sens soulagée, libérée, Toujours clope à la bouche, j’attends qu’il me l’allume, parce que j’ai beau me débrouiller toute seule, il y a des choses bien plus simple quand on vous les fait. Je ne fume pas depuis très longtemps, enfin régulièrement je veux dire, c’est quand j’ai rencontré Harley au gymnase que j’ai succombée presque définitivement à la nicotine. J’ai beau savoir que ce n’est pas bon pour moi, je m’en contre fou, parce que je veux vivre comme bon me semble. Les discours moralisateurs j’ai déjà donné, merci bien.

« En tout cas je te remercie, de m’avoir un peu ouvert les yeux, et aussi de me tenir compagnie, c’est ce dont j’avais besoin… alors prévu ou pas, je pense que c’est une bonne rencontre. »

J’ai tendance à dire aux gens ce que je ressentais réellement, ce qui était vrai, et ce garçon, je voulais qu’il le sache, que je lui en étais reconnaissante. Les nuages gris commencent à cacher doucement le soleil, comme souvent ici, le temps est comme le caractère des gens, il change trop vite. J’espère juste que nous n’allons pas nous prendre une averse sur le coin du nez. J'observe les quelques étudiants qui passent devant nous, et qui n'osent pas nous regarder, on dirais que le nom de notre confrérie est écrite en majuscule sur notre front. C'est pathétique de juger les gens sans les connaitre.

Spoiler:

Allait-il me croire, sentir que ce que je disais était la vérité, ou bien, au contraire, peut-être me sermonner un peu, parce que je suis revenue dans cet endroit, et qu’il ne fallait pas, comme ce qu’il venait de m’expliquer en fait. Un peu gênée, je détournais le regard un instant, pour me concentrer sur un petit fil de ma veste qui dépassais, je sortais mon briquet pour le couper, au lieu de tirer dessus encore et encore, jusqu'à ce que cela fasse un trou énorme. Puis il me répond qu’il comprend, très bien, c’est parfait. Je relève la tête, pour lui envoyer un regard de compassion. Je sens que cette rencontre était écrite, dans les moments où l’on en a le plus besoin. J’ai le pressentiment que cela ne sera pas la dernière fois que l’on s’adressera la parole, en dehors des heures de cours je veux dire. Ce jeune homme à l’air d’en avoir dans la tête, et dans le vécu aussi. Il ne se prend pas la tête avec des futilités, et est clair dans ses propos. C’est ce dont j’ai besoin.

Lui aussi change de position, se recroqueville, et s’approche un peu plus de moi. Cette position ne devait pas être la plus confortable, et puis c’était comme si il tentait de se protéger de quelque chose, enfin souvent, quand on ramène ses jambes devant soi, c’est le cas. Mais je ne suis pas ici pour faire une analyse de ses gestes. Je lui avais posée une autre question, alors j’attends patiemment, comme lui, l’avait fait pour moi. Et puis je ne cherche pas les détails de sa vie, juste m’éclairer, en savoir un peu plus sur mon interlocuteur. Sur celui qui m’a donné de bons conseils. Et qui, accessoirement aurais pu m’envoyer chier dès que j’ai ouvert la bouche. Il finit donc par se lancer, et m’informe qu’il est ici depuis 3 ans, arrivé de Californie. Moi je suis arrivée un peu plus tard moi, un an et demi, peut-être deux, je ne me souviens plus vraiment en fait. Et à ma surprise, il m’annonce qu’il fait partie des Sigma Mu. Tout comme moi, je sais maintenant où j’ai dû le croiser. C’était évident. Mais bon, à part Jasper, je ne connais pas grand monde dans cette confrérie. Nous sommes sensé être tous comme frères et sœurs non ? Ou du moins un truc du genre. La nôtre doit être différente c’est tout. Et en même temps cela ne m’étonne qu’à moitié.

« Moi aussi je suis chez les Sigma Mu. C’est bon à savoir du coup.»


Je lui souris, un vrai cette fois, sans me forcer. Comme la fois où j’ai rencontré Jasp’ sur le toit, et où nous avions passé notre fin de journée à bombarder les passants du haut d’un toit. Depuis il est devenu beaucoup pour moi, mon complice, mon colocataire et mon confident à ses heures perdues. Et tout cela s’était passé naturellement. Alors j’ai bon espoir. Et comme pour affirmer mes doutes, il me précise qu’il s’est passé beaucoup de choses qui n’auraient pas due, avant son arrivée. Comme tout le monde. Bien que chacun a pu avoir son lot de galères, plus ou moins graves, les vies des autres ne sont pas comparables entre elles.

« Rien ne se passe jamais comme prévu, parce que sinon la vie serait sans surprise. Et donc ne serait pas intéressante. Tout ce qui se passe, prévu ou non, nous apporte quelque chose, de bon ou de mauvais. Et c’est comme cela qu’on avance. Non ? »

Je pensais ce que je disais, mais je préférais avoir son avis sur ça, j’accepte toute les opinions. Je ne suis pas quelqu’un de buté sur mes idées mais c’était comme cela que je voyais les choses, surtout ces derniers temps, j’ai eu mon lot de surprises personnellement, des choses auxquelles je n’aurais jamais cru vivre, ni même pensé. Des choses géniale, que je n’oublierais certainement jamais, mes dernières rencontres par exemple, et des choses beaucoup moins sympa, cet ouragan, que je suis sensée oublier, l’absence de mon frère qui prend beaucoup plus de temps que prévu. Je veux qu’il revienne, même pour quelques semaines. J’ai besoin de le voir. Je ne lui en demanderais pas plus, je n’ai pas besoin de savoir les détails croustillant de sa vie, le temps, s’il veut bien me l’accorder, nous fera nous connaitre mieux. Et cela se fera dans l’ordre des choses. Si normalité est.

« Ça te dit dis de heu, faire un tour ? Fumer une clope, enfin si tu fume. Et plus tard on pourrait rentrer ensemble au bâtiment, si tu n’as rien d’autre de prévu… »

Comme je l’ai dit, je ne faisais que passer ici. Et je n’ai pas spécialement envie d’y passer mon après-midi. Simplement, comme les choses ne se passent jamais comme prévu, n’est-ce-pas, autant les tourner à notre avantage non ? J’espère simplement qu’il comprendra que j’ai besoin d’un peu d’air frais, mais que sa compagnie est justement la bienvenue.

Spoiler:

Mon interlocuteur écoute attentivement ce que je lui raconte, il a l’air de s’intéresser à mon cas, contrairement à ce que j’ai pu penser quelques instants auparavant. Suis-je un simple cas d’étude psychologique, peut-être lui fais-je pitié, ou encore, et tout simplement que je lui inspire confiance. Je le vois même sourire à ma dernière question. C’est bon signe non ? Signe que l’ambiance commence à se détendre petit à petit. Je le regarde toujours, un sourcil arqué, attendant patiemment sa réponse. Je ne suis pas du genre à raconter ma vie aux inconnus certes, mais quand je le fait, les rares fois en tout cas, j’aime qu’il y ai discussion ensuite, et non pas un silence gênant. Il finit par me sortir un simple « Non. » Quoi ? C’est tout ? Je viens d’expliquer ce que j’ai ressenti, et ressent encore à ce jour, et il ne me répond que cela… Je me dis qu’au final, il m’a quand même répondu, ce n’est pas grave.

Attendant tout de même mieux que cela, je ne dis rien, mais lui fait comprendre d’un petit signe de tête d’argumenter, j’aimerais en savoir plus, avoir son opinion sur la chose. Parce que les miennes je les connais déjà. Il s’exécute donc. Je pose ma tête sur mon poing, accoudée sur le fauteuil, prenant bien le temps d’analyser ce qu’il me dit pour bien comprendre. Cela doit me donner un air plus ou moins sérieux m’enfin… Il a l’air sur de lui dans ce qu’il me raconte. Il sait visiblement de quoi il parle. Lui aussi souffrait-il de quelque chose ? D’un passé douloureux ou de quelque chose dans ce genre-là ? Mais ses dires s’avèrent plutôt rassurant, tout en me mettant la vérité en face, j’ai survécu… C’est vrai. Tout aurait pu être bien pire, et c’est avec ces idées que je torture mon esprit. Du temps… Je savais bien que je n’oublierais pas tout cela en deux semaines. Sa dernière phrase me percute, en effet je n’étais pas obligé de revenir. Et à la base je ne faisais que passer.

« Je ne me suis pas obligée… Je voulais juste... Tu sais, juste pour voir. Je suis passée devant, je voulais juste voir l’état de la pièce. Mais merci, je veux dire, de me donner ton point de vue.»

Ce n’était pas un mensonge. Ce n’était certes pas très malin non plus mais bon. Maintenant c’était fait, et si je n’étais pas venue, je ne l’aurais pas rencontré, je n’aurais jamais eue cette discussion. Au moins j’étais honnête, que ce soit avec moi-même ou avec ce jeune homme. Et je tacherais de ne pas oublier tout ce qu’il m’a dit, cela me sera utile et précieux, pour ma guérison morale. Je lui donne alors un petit sourire. J’aimerais en savoir un peu plus sur lui maintenant, je ne sais quasiment rien au final, à part que nous sommes dans la même classe. Il me semble l’avoir vu autre part, mais où ? Je ne me souviens pas savoir sa confrérie. Je le vois bien en Rho kappa. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Et puis, je n'aime pas être le centre d'un sujet de discussion trop longtemps.

« Sinon… et toi ? Aurais-je l’honneur de te connaitre un peu mieux ? »

Je ne sais pas réellement quoi lui demander, c’est toujours un peu délicat de demander ce genre de choses. Mais comme on dit : ‘qui ne tente rien, n’a rien.’ Alors tentons. Nous verrons bien. Je l’aime bien, sous ses airs de gros dur, il y a quelque chose qui me donne confiance. Son calme peut-être. De mes souvenirs, même en cours je ne l’entend jamais.

Je n’aurais pas dû, je me répète mais c’est vraiment le cas. Il me pose une question banale et tout ce que je trouve à faire c’est d’exploser de rire, nerveusement certes, et de l’agresser verbalement immédiatement après. Rien qu’à voir l’expression de son visage, lui non plus n’a pas du tout comprendre. Les pulsions vous savez, on ne les contrôles pas toutes. Quand il me regarde, j’ai l’impression qu’il essaye de m’analyser, ou tout simplement que la situation l’amuse, en fait je n’en sais strictement rien. J’attends patiemment que quelque chose se passe, qu’il me réponde, ou qu’il se lève pour s’en aller mais qu’il fasse quelque chose, que mes derniers mots arrêtent de résonner. Mais non, il se contente de hausser les épaules, comme si finalement cela lui était égal, bon au moins je n’ai pas l’air de l’avoir vexé, c’est déjà ça. Si j’avais à faire avec quelqu’un qui aurais réagi comme je l’ai fait, je ne saurais pas non plus comment continuer la conversation.

Il me dit finalement que ce n’est pas grave. Sur un ton calme. Je me fais des films, à croire que j’agace la terre entière ces derniers jours, peut-être qu’une partie de moi bien cachée cherche justement à sortir, et à me faire croire tout ceci. Je lui souris doucement comme pour le remercier de sa compréhension. Si rien ne s’était passé, si je l’avais rencontré dans d’autres circonstances, j’aurais certainement été super amicale, enjoué, souriante et curieuse. J’aurais cherché clairement et sans me poser de questions à créer des liens. Mais on ne fait pas tout ce qu’on veut dans la vie, et on ne peut pas revenir en arrière non plus. Le jeune homme est toujours en train de m’observer, bon j’ai réussi à attiser sa curiosité, c’est déjà ça. Il se lève et se dirige vers moi, me rendant la bouteille d’eau que je lui avait tendu quelques minutes plus tôt, il ne s’en ai pas servi je crois. En reprenant presque ma phrase exacte. Je le remercie d’un signe de tête et débouche le bouchon tant bien que mal. Je réussi tout de même, je me suis habitué à n’utiliser qu’une main. Pendant que je bois une petite goulée, il s’installe un peu plus près, et finalement me demande si je veux en parler.

« Je ne pense pas que cela va t’intéresser. »

Je réfléchi un instant. Il me tend une perche, pourquoi ne pas l’attraper ? L’embêter… après tout s’il me demande c’est qu’il veut savoir et que cela l’intéresse forcement un peu. Et puis ce n’est pas une histoire forcement personnelle. Pleins de gens d’ici, de Miami, et du lycée ont été dans le même cas que moi, certains ont été dans des situations bien plus grave. C’était loin d’être un secret d’état. Simplement, j’ai l’impression d’être chez le psychologue, j’en parlais un peu avant. Dans ces fauteuils confortables, avec de quoi se rafraichir, et quelqu’un que l’on connait à peine, devant vous, prêt à l’écoute. Je fronce les sourcils, j’hésite. Arrête de te braquer ma fille.

« Tu sais l’ouragan ? Je l’ai vécu ici, enfermée dans cette pièce avec trois de mes amis. Je crois que je n’ai jamais aussi flipper de ma vie. Quand tu vis ce genre de truc, tu te dis ‘Et si…’. Tu t’imagines le pire et tu ne peux pas laisser ta panique prendre le dessus, parce que d’autres comptent sur toi. »

Voilà, j’ai vidée mon sac. Comme un sentiment de vide en moi se fait sentir, mon sourire s’est un peu effacé. Mais au moins il sait. Je ne sais pas ce qu’il peut me répondre, que répondriez-vous,-vous ? L’ai-je mis mal à l’aise ? Il m’a demandé, je lui ai répondu. Et tant pis s’il juge que ce n’est pas si intéressant que cela. Je penche ma tête en arrière, et soupir longuement. Finalement, c’était peut-être une solution, de venir ici. Parce que sans le vouloir, ce jeune homme me montre cet endroit sous une nouvelle forme. Je ne peux m'empêcher un peu d'ironie, pas bien méchante en soi, plus comme une blague pour détendre l’atmosphère. Vous voyez, cela commence à revenir.

« Alors, c'est grave docteur ? »

Le jeune homme assis non loin de moi semblait un peu perdu, et pas que dans ses pensées, pendant que moi je regardais la salle de long en large. Je dois vraiment être maso pour y retourner, et seule en plus de cela. Bon c’est vrai qu’il n’y avait pas eu mort d’homme mais tout de même, il est compréhensible d’être un peu traumatisé non ? J’espère juste que mon état normal va vite revenir, parce que je me fatigue toute seule. Faire la tronche ce n’est pas mon truc, et encore moins en public. Je ne veux pas qu’on pense de moi que je suis une pseudo dépressive qui passe son temps à se lamenter de ce qui s’est passé. Bien qu’on me l’ait fait remarquer, j’en aurais le droit. Certainement pas. De toute façon dans ce cas présent ce n’est pas très grave, il n’a pas l’air de se souvenir de moi, en général quand quelqu’un vous intéresse, d’un point de vue quelconque, vous vous souvenez de son prénom non ? Je ne lui en veux pas. Je ne suis pas une de ces furies qui pete un câble pour si peu. Surtout que je ne suis quasiment jamais en cours. Ou bien pour seulement faire office de présence.

« Kaylee. Mais c’est pas grave.»

Il me fait remarquer que c’est moi qui l’ai fait flipper. Je lui lance un petit sourire en coin. ‘Pas autant que moi va…’ Pensai-je. Il ne devait pas être au courant. En fait, il n’avait pas l’air de s’intéresser à grand-chose. Enfin je dis ça, mais je ne veux pas juger, je ne le connais pas assez. J’évite de faire aux autres ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse. Et cela vaut aussi bien pour les jugements. Il reprend la parole et me demande si tout va comme je veux. Sans doute les nerfs, mais cette phrase me fait exploser de rire sans le vouloir. Bien sûr que non rien n’allais comme je le voulais. Il aurait dû formuler sa phrase autrement, ce qui m’aurais empêché cette réaction. A mon avis il va me prendre pour une folle. Je passe mes mains sur mon visage, et dégage mes cheveux d’un geste brusque.

« Franchement, j’ai l’air de quelqu’un qui va bien ? »

Je suis vraiment à fleur de peau, il faudrait que je pense à me calmer réellement. En m’écoutant parler j’ai honte de moi. Le pauvre, il disait cela pour être sympa, pour lancer la conversation, et moi je l’agresse comme une abrutie. J’ai honte, franchement c’est le mot. Je lui lance un regard désolé, pourvu que je ne le fasse pas fuir. Moi et mes réactions à la con. J’ai fait la même chose avec mes parents, même si je suis en froid avec eux à la base, ils n’ont pas arrêté de me passer des coups de fils, auxquels je ne prends même pas la peine de répondre. A quoi bon ? Si je me suis enfuie c’est pour ne plus les avoir sur le dos, alors ce n’est pas aujourd’hui, quand j’ai failli y rester qu’il faut se réveiller. Il va falloir faire mieux.

« Bordel… Excuse-moi, ce n’est pas contre toi. Je suis un peu à cran en ce moment. »


J’aurais pu lui expliquer pourquoi mais je ne le ferais pas sans y être invité. Je ne suis pas du genre à exposer mes problèmes à tout le monde comme si je m’attendais à ce qu’on me sorte un diagnostic digne d’un psychologue pour aller mieux. Peut-être même que le simple fait de faire connaissance va me soulager, et me faire penser à autre chose. Il faudrait que je vois cela comme une opportunité plutôt qu’autre chose. Parce qu’au fond j’ai besoin de parler de tout de rien, et si l’occasion se présente, sortir tout ce que j’ai en moi, que je n’ai pas pu exprimer, que je n’ai pas laissé sortir. Parce que je suis du genre à tout intérioriser, jusqu’au jour où j’explose. C’est la chose à ne jamais faire. Tout garder pour soi, je le sais bien. Mais allez changer mon caractère… Bonne chance et félicitation à celui qui réussira.

Les jours passent et se ressemblent en ce moment. Cela faisait maintenant un peu plus d’une semaine que je ne mettais pas rendue en cours, mais cette fois j’avais eu une excuse, et une très bonne. Pendant l’ouragan qui avait frappé Miami il y a quelques semaines, je mettais blessée avec un morceau de verre qui avait volé dans la pièce où nous étions enfermés moi et mes amis. Ne pouvant plus bouger le bras ni l’épaule, et étant encore sous le choc, les médecins m’avaient fait une attestation pour que je puisse me reposer et donc ne pas aller en cours. On m’avait apporté mes devoirs, et les leçons à rattraper mais je n’y avait même pas jeté un coup d’œil. Je ne sais pas ce qui m’arrive en ce moment mais c’est pire qu’avant, je n’ai envie de rien faire, mais il faut être un minimum raisonnable. Certes je suis venue ici pour échapper à toute autorité, mais il ne faut pas que foute ma vie en l’air non plus. J’avais les traits très tirés, j’étais vraiment très fatigué en ce moment, et un peu irritable à vrai dire. Je ne me reconnaissais pas vraiment. Mais ce matin j’y étais retourné, mon bras toujours en écharpe. Les profs qui m’ont toujours eue plus ou moins dans leurs collimateurs à cause de mes séchages de cours estimaient que j’avais été absente assez longtemps et que je devais faire le devoir imposé. J’avais donc rendue copie blanche avant de m’en aller sans débrailler un mot, à personne.

Je ne savais vraiment pas quoi faire, ma classe était l’une des seules à avoir finie la journée, le lycée semblaient vide. Et je n’avais franchement pas envie de rester enfermé dans ma chambre, encore une fois. J’avais passé la plupart de mon temps dans celle-ci la semaine passée. Il était temps de me remettre sur pied. Je trainais donc dans les couloirs avant de m’arrêter devant une porte, celle du foyer. Pendant un instant j’hésite à y entrer. Après tout, c’est ici que tout s’est déroulé. Mais un jour mon frangin m’a dit : « Pour oublier ses peurs, il faut les affronter ». Alors allons-y, même si je pense que ce n’est pas la meilleure des solutions. Je pousse donc doucement la porte et y entre enfin. Tout a été remis en place comme il faut. Les meubles que nous avions déplacés devant les fenêtres, les étagères qui étaient tombés… enfin tout. Même les vitres ont été remplacées. Ils ont fait vite. Je chasse de mon esprit les flash-backs qui reviennent incessamment. Je veux juste oublier. C’est alors qu’un bruit vient me sortir de toutes mes pensées. Instinctivement je sursaute, ce n’était pas franchement le bon plan de me faire peur ici. Je n’étais pas seule, et cela je ne l’avais pas vu. J’observe le jeune homme qui est affalé dans un des fauteuils, on aurait dit qu’il sortait d’un mauvais rêve. Il me semble le connaitre… Mais oui ! Il est d’ailleurs dans ma classe mais je ne le connais pas vraiment. Il est en sueur, et à l’air un peu perdu.

Il m’observe sans rien me dire. Attend-il que je lui adresse la parole ? Parce que, là, tout de suite, je ne vois pas ce que je pourrais lui dire. Je ne sais même pas s’il m’a reconnue en fait. Un silence gênant s’installe dans la salle. Et si je souriais un peu ? Ca me changerait de la tronche que je tire depuis une semaine. Allez voilà, un petit, juste comme çà. Bon ce n’est pas si difficile. Il faut que je me rappelle de son prénom, cela me faciliterais peut-être la chose, je me concentre et rapidement cela me vient comme une évidence. Aiden. Alors pensant bien faire, parce qu’il n’a pas forcement l’air bien, je m’approche de lui et lui tend une bouteille d’eau que je sors difficilement de mon sac, n’ayant qu’une seule main de valide. Vivement qu’on m’enlève ce bandage je commence à réellement en avoir marre.

« Aiden c’est ça ? Je ne t’avais pas vu, tu m’as fait flippée. Prend ca tu à l’air d’en avoir besoin. »

Lui laissant la bouteille sur l’accoudoir je m’assois dans un fauteuil un peu plus loin. J’espère juste qu’il va dédaigner me dire quelque chose parce que je ne me sens pas de rester ici sans rien dire, ni rien faire. Au pire je m’en irais, sinon je ne vois pas l’intérêt de rester dans cet endroit que je déteste maintenant. Ce n’est qu’une question de temps, cela me passera certainement. Parler à quelqu'un que je connais à peine, faire connaissance me fera sans doute le plus grand bien.