Infernale, Bacchanales. [Alisa] - Terminé

Après ce qui devait être une maigre hésitation, la jeune femme flancha. Et bien voilà, il suffisait de demander. Bon, elle n'avait de toute évidence pas l'air entièrement consentante, mais ce n'était jamais qu'un détail. Détail qui ne l'importait pas le moins du monde, bien entendu. Il haussa brièvement les sourcils.

- Ben... à la laverie.

Ton blasé. Genre « quelle question ? ». C'était évident, non ? Il leva les yeux au ciel. Mouais. Évident pour lui. Mais Katina resterait à jamais Katina, donc il ferait un effort de précision (comment ça c'est moi qui dit ça uhuh ?) :

- Puisque je suppose que tu ne veux ni être entendue, ni donner aux autres l'impression qu'on traine ensemble.

Surtout la deuxième option.
Il devança la jeune femme, ouvrit la porte. Personne dans le couloir. Parfait. Il pourrait sortir ni vu, ni connu. Ce qu'il fit. Dans le corridor, il se tourna une dernière fois vers la Mistinguett.

- Et pas de foutage de gueule, hein.

Voilà. Pas un mot de plus.
Sa chambre regagnée, il désinfecta de geste secs et agacés le souvenir qu'avait laissé sur lui le mafieux (merci Princesse...). Bandage mis en place, il enfila en vitesse jeans et t-shirt et autorisa dés lors ses yeux à faire le tour de la pièce. Autre chose ? Ah ! Il attrapa son portable et le glissa dans sa poche. Parfait. Il était fin prêt, et trois minutes plus tard il se retrouva assit sur une chaise de la laverie, yeux clos, la tête calée sur le mur en béton.

- Donc ? avait-il déclaré au bout de quelques temps, sans prendre la peine de lever les yeux vers la nouvelle venue dont il devinait l'identité.

« Doute. Endroit peu adapté. ». Puis ce pas en avant qu’elle avait esquissé… Elle n’était pas en train d’essayer de se débiner, tout de même ? Ha-ha. Si. Bien sûr que si. Le garçon leva les yeux au ciel. Une fille, quoi. Ce n’était pas vraiment étonnant. Toujours la même chanson. Mais il n’était évidemment pas question qu’il lui en laisse l’occasion. Elle l’agaçait déjà assez pour qu’en plus il doive lui courir après. Euh… trente secondes plus tôt, il ne s’était pas dit qu’il la voulait partie, loin, très loin ? Oh. Qu’importe. Elle se retenait toute seule, en fait. Sauf que…

- Hein ?

Oui : « hein ? ».

- Quoi ?

Oui : « quoi ? ».

- Luke ?

Oui : « Luke ? ». C’était quoi son délire, là ? Lui foutre la frousse ? Il ne lui avait pas genre juste… retenu le poignet ? Ces gonzesses, toujours besoin d’en faire des tonnes pour des détails pas possibles. Alors en plus avec une paranoïaque… Il était bien servi.

- Tu disjonctes ma vieille. Mais alors là com-plè-te-ment. J’ai toujours fait ça, même avec toi. J’ai pas eu b’soin d’connaitre Luke pour commencer. D’ailleurs, les manières d’un type que j’ai croisé deux fois à tout casser dans ma vie auraient du mal à avoir eu le temps de déteindre sur moi.

Wow. Merveilleux. Une phrase… longue ! Il retrouvait l’usage de la parole. Pour fêter ça, il alla récupérer ses affaires, fourrant vêtements sales et trousse de toilette dans son sac et chopant son portable à la main. Puis, derechef, il se tourna vers la semi-Russe. Il haussa un sourcil.

- Franchement, si j’voulais t’faire flipper, tu crois pas que j’s’rais un peu plus convainquant ? Enfin…

Il leva les yeux au ciel. Sa main libre se posa sur l’épaule de la jeune femme avec une délicatesse exagérée, un sourire parodique accroché à ses lèvres.

- Si tu préfères comme ça.

Main qu’il retira aussitôt, mâchoire serrée. Il croisa les bras. Elle avait néanmoins raison sur un détail, la petite : habillés, ce serait mieux. Beaucoup mieux. Infiniment mieux.

- Bref. Que j’te crois ou pas n’est pas la question. J’t’ai pas demandé d’être juge de mes opinions, que j’sache. Tout ce que je veux, ce sont des explications.

Ou… ? Ou rien. Strictement rien.
Il haussa les épaules, nonchalant.

- Je t’attends. Dés que tu es plus… décente.

Et lui aussi.

«Attends.»

Il s'emparait de mon bras, me donnant la chair de poule. Je me sentais particulièrement mal à l'aise dans cette position. Cela n'allait pas sans me rappeler le premier instant de retrouvailles avec Luke, me réduisant à l'état de statue, glaciale comme la mort. Je sursautais un peu puis me pétrifiais jusqu'à ce qu'il me lâche. Je me retournais pour lui faire face tout en maintenant un peu plus de distance, méfiante ou prudente. Que me voulait-il encore ce con de Farès?

«Tu me dois des explications. Pour hier.»

Ah. Ça. Le moment auquel j'aurais du bêtement m'attendre. Des explications. Quelque part, il avait raison, je lui en devais, je lui étais même redevable de ma vie, rien que ça. Si tout ça n'était pas un comble, qu'était-ce donc ? Un facho conditionné à base de préjugés, qui me méprisait comme la peste, celui-là même m'avait sauvée d'une mort certaine. Une mort atroce, digne des plus célèbres histoires de serial killers. Ouais, rien que ça, je lui en étais reconnaissante, éternellement. J'avais la poisse, tout simplement.
Comment pouvais-je faire pour ne pas lui dire ?
Et puis, si je lui racontais... Je passerais pour une folle, non ?

«Oui, en effet, Farès. Hmm... Mais je doute que tu me crois si je t'explique tout. Et puis, franchement, tu penses que c'est l'endroit idéal pour parler de ça ? T'as peut-être l'habitude de parler aux gens à moitié nus, ce n'est pas mon cas.»

J'allais repartir, pressée de quitter ces lieux et de fuir Farès...
Lorsqu'une dernière précision me semblait utile à lui faire.

«Ah et, à l'avenir, j'aimerais que tu évites de m'attraper de cette manière. Luke n'est pas un exemple à suivre. Si ton but est de me foutre la frousse, t'as gagné Farès mais, tiens toi en à cette victoire là, ok ?»

La jeune femme passa la serviette de bain atour de sa nuque, couvrant ainsi ses épaules dénudées et la naissance de sa poitrine. Parfait. Seules ses jambes dénotaient désormais. Mais en gardant la tête suffisamment haute, un peu comme ça… il ne le remarquerait pas. Aaah, voilà ! Bon. Le détail « j’ai l’air con », il y prêterait attention plus tard. En attendant… il croisa les bras, toujours aussi crispé. En attendant, il devait juste oublier que Katina était une femme, et que lui était un homme, et que Dieu les avait machiavéliquement fait complémentaires. Puis surtout, se rappeler qu’elle était… bah… Katina, quoi. Ca devrait amplement suffire, comme précision.

Elle parla, l’insolente. Son problème ? Hein ? Quel problème ? Il avait l’air d’avoir un problème, peut-être ? Il fronça les sourcils. Il s’était lamentablement planté de salle-de-bain et une fille trois-quarts à poils se pavanait devant lui comme si c’était tout à fait normal, mais à part ça, tout allait très bien. Pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Et pour couronner le tout, il mettait de toute évidence trop de temps à répondre puisqu’elle enchainait déjà pour lui dire de… oh. De laisser tomber. C’était une bonne initiative, finalement. Presque. Gnagnagna. « Tu m’as foutu la trouille. ». Et lui, il n’avait pas flippé peut-être ? En plus il s’était fait mal. Salope.

Salope qui lui re-balança la serviette. Il la fit passer autour de ses propres épaules et… Et sa main s’était refermée sur le poignet de Lambda, comme celle de Luke la veille.

- Attends.

Quoi ?! Mais non ! Pourquoi est-ce qu’il avait fait ça ? Non, non, il ne voulait pas qu’elle attende. Il voulait juste qu’elle parte, et vite. Qu’elle s’habille, que lui aussi il s’habille. Et c’était tout. Son rythme cardiaque s’accéléra encore un peu. Ce contact, avec sa main. Il détestait ça. Alors pourquoi ne la lâchait-il pas ? Parce qu’il détestait ça non pas par dégout, mais bien par attrait. Ses muscles se contractèrent désagréablement, resserrant involontairement l’étreinte. Il devait la lâcher. Immédiatement. Hm, étrange, sa peau était douce. Non ! La lâcher, maintenant. Tout de suite ! Il s’exécuta.

Mieux.
Il pouvait parler maintenant.

- Tu me dois des explications. Pour hier.

Bien. Une étape de franchie.

- Non : qu’est-ce que TU fous dans les douches des MECS ?! aboya-t-il à peine eut-elle achevé sa remarque à la con.

Parce qu’il était plus qu’évident que ce n’était pas lui, le type en tort. De la couleur des murs à celle des douches en passant par l’agencement des meubles, des fenêtres et même des trappes d’évacuation, tout, absolument tout, jusque dans le moindre détail, prouvait qu’ils n’étaient pas dans la pièce réservée aux demoiselles. Puis même ! Nul besoin de vérifier. La question ne devait pas se poser. Qui, de Katina ou de lui, était le plus vertueux ou le moins tête en l’air, hm ? Commettre une telle erreur d’inattention était loin d’être son genre. Quant à aller mater des donzelles trois fois plus jeunes que lui à la sortie de la douche... inimaginable ! Mais elle ? Elle ! Il ne savait pas d’où elle sortait, et vu le bâton qu’elle avait dans le cul et son attrait particulier pour la défensive, elle ne devait pas avoir l’esprit tranquille. Elle espérait quoi exactement ? Attirer le regard d’un pervers pour assouvir ses besoins de sexe et de soumission dans un scénario nébuleux ? D’une pierre deux coups. Et si elle ne le croyait pas. Et bien… et bien c’était très simple ! Il suffisait de pointer du doigt la fissure de la vitre de g…

Ah.
Grand moment de solitude.
Il n’y avait pas de fissure.

- Ow…

Raphaël avait entrouvert la bouche. Aucun son n’en sortit. Du moins presque. Il la referma. Paralysé. Il était paralysé. Il savait, désormais, ce qu’avaient ressenti les Haïtiens et les Japonais quand le sol s’était dérobé sous leurs pieds, l’année précédente. Il avait dés lors la désagréable sensation de vivre une expérience similaire, le plus frustrant dans l’histoire étant qu’ici, rien ne tremblait. Pas de séisme. Ou peut-être dans sa tête. S’il avait pu claquer des doigts et disparaitre, s’enfoncer six pieds sous terre, s’évanouir, recevoir une balle dans le crane ou être brusquement doté un don d’invisibilité, n’importe quoi ! Mais quelque chose qui lui permette d’échapper à ça, et de ne plus être là, maintenant, il se serait rué sur l’occasion, quel qu’en soit le prix. Parce que là, il ne savait vraiment, vraiment, vraiment pas comment y réchapper indemne. Ou peut-être était-il en train de rêver ? Oui c’était ça, il était en train de rêver. Il cligna trois fois des yeux, dévisageant toujours la fille avec hébétude. Etrangement, l’illusion ne semblait pas vouloir disparaitre.

JACK ! Putain, Jack. Tout ça, c’était de sa faute.

Dans sa poitrine, son cœur battait la chamade. La cadence comme la puissance de son martellement s’emblaient s’intensifier à n’en plus finir, exprimant maladroitement un amalgame d’émotions malhabiles. Désarroi, embarras, anxiété, surprise et trouble. Malhabiles ? Inavouables, aussi. Frustration, enfièvrement, fébrilité, attisement, dés… NON ! Ses incisives écrasèrent brutalement sa lèvre inférieure. Il serra la mâchoire. Non, jamais ! Jamais, jamais, jamais. Pas là. Pas maintenant. Pas comme ça. Pas elle ! C’était interdit. Juste interdit. Ses muscles se crispèrent davantage. Pur et vertueux il était, pur et vertueux il resterait. Mais comme, médusé, il était incapable d’esquisser le moindre mouvement, il concentrait toute son attention sur les dents qui broyaient sa chair, et ses iris sur ses yeux. Oui, ses yeux. Des yeux, ce n’était ni lubrique, ni sensuel. Alors il n’y avait rien de malsain à les fixer, si ? Non, non. Bien sûr que non. Alors pourquoi ? Pourquoi les siens semblaient-ils embraser la moindre parcelle de son corps ? Pourquoi les siens l’invitaient-ils, indécents, à baisser le regard, à succomber à la tentation ? Pourquoi ainsi campé devinait-il malgré-lui la naissance mal masquée de ses formes aguichantes ?

Rho ! Tout ça n’était jamais que des impressions, après tout. Oui. Des impressions. C’était ça. Plus il se braquerait, plus il aurait le besoin de… Alors bouge, MERDE !

Brusquement, le garçon se retourna. Il attrapa la serviette préalablement destinée à se sécher les cheveux qui gisait sur son tas. Trois, deux, un ! D’un geste brusque, vif et sec, il la balança sur la jeune femme, visant son décolleté trop découvert.

- Mais couvre-toi bordel !

Plutôt que de rester plantée là.

Si la torture avait une mère, sa main à couper que c’était la routine ! Levé aux alentours de 7h30, petit-déjeuner, cours, repas, cours, ennui, repas. Au lit pour 22h30. Et de temps en temps un peu de sport et pas mal de revendications et autres prises de becs pour tenir le coup. Un jour, deux jours, trois jours, six semaines. Deux mois. Le carrousel était lancé. Impossible de l’arrêter. Super. S’engager à l’armée, fille de l’éphémère et des imprévus, pour se retrouver isolé de toute once d’adrénaline. Isolé de sa passion, de ses proches et de son travail. Dépaysé, même. Révolu, le temps des réveils brutaux aux heures saugrenues, de la course pour achever son plat, comme pour se laver. Révolu, le temps de la bouffe infecte et des blagues idiotes entre potes. Révolus, l’inconfort et les tirs. Evanouis, comme s’était évanouie sa bien-aimée angoisse de savoir si, le soir venu, il aurait encore la chance de rêver, sa force avec elle, ainsi que cet indéfinissable bonheur de se savoir indispensable. Non. Plus rien de tout ça. Et bientôt, il s’accommoderait à cette vie d’inaction. Alors, comme trois-quarts des Américains, il deviendrait mou, d’abord, puis obèse, véritable charge pour l’Etat, et il mourrait comme un pauvre con banal et inutile d’un infarctus ou d’une crise cardiaque. C’était à se demander ce que valait son dévouement. Il secoua brusquement la tête. Mais non ! Il ne fallait qu’il pense à des débilités pareilles. C’était temporaire, tout ça n’était que temporaire, évidemment ! Mais quand même…

Au cou de Raphaël Farès pendaient toujours sa dog tag, plaque d’identité militaire, et une croix chrétienne en argent à laquelle elle était liée. Contre son cœur. C’était là qu’il les voulait, tant physiquement que psychiquement. Et ce soir ne dérogerait pas à la règle. Enfin, presque pas. Fermement maintenue à la hauteur de ses yeux, sa plaque métallique était plantée droit dans le champ lumineux de l’unique ampoule de la chambre qu’il partageait avec la discrète Kity Wilson. Ainsi, il laissait couler les heures en y reflétant pensivement le halo, silencieusement allongé sur ses draps défaits, les yeux rivés sur le plafond. En d’autres termes, on pouvait dire sans trop se tromper qu’il maudissait ses fins dernières. Or c’était totalement absurde et improductif, raison pour laquelle il n’étendrait pas le loisir.

Après s’être brièvement étiré, le garçon glissa ses pieds dans ses pantoufles et attrapa d’un geste nonchalant serviettes de bains et affaires de toilettes. Bon. Direction les douches. Refermant la porte derrière lui, il sortit son portable de sa poche. Un message de… Jack ? Tiens. Il n’avait plus eu de ses nouvelles depuis pas mal de temps. Il l’ouvrit, lu, sourit. « Tu t’es pas encore métamorphosé en carpette, à force de glander pendant qu’on souffre ? Au fait, tu nous en voudras pas ? On a baptisé Kingsley sans toi. On t’racontera. Il s’est pissé dessus. Nous aussi… de rire hahaha ! ». Connard. Quel imbécile ce type. C’était sans doute pour cela qu’ils étaient amis. Bref. Du bout du pied, il ouvrit la porte des sanitaires, le nez et les doigts plongés dans la rédaction de sa réponse. Toujours sans ses mains, il vira chaussons, chaussettes et sacs dans un recoin, balança dessus son téléphone le message achevé, bientôt suivi par le reste de ses fringues, ses bandages planqués dessous. Shampoing, gel douche et essuie sous le bras, il fila dans la première cabine, décochant un nouveau bâillement. Il lança l’eau. Brûlante. C’était le seul confort qu’il savait véritablement apprécier.

Une vingtaine de minutes plus tard (chacun ses vices), la salle transformée en hammam, il ferma le robinet et s’enroula dans sa serviette. Il ouvrit la porte, toujours avec le pied, se dirigea instinctivement vers son sac, satisfait. Sa blessure au bras ne nécessiterait plus d’être couverte. Un bon point. L’autre… il se contentait déjà qu’elle n’ait pas perforé un… Brusquement, il se figea, sourcils froncés. HEIN ? Il secoua la tête. Wow. Il délirait complètement. Il était genre persuadé d’avoir vu…

- OH BORDEL !

Le garçon, qui s’était retourné pour confirmer que sa pensée délirante n’était qu’illusoire, venait de faire un bond en arrière digne d’un champion de jumping, percutant bruyamment le mur carrelé et manquant de glisser sur le sol humide.

- Katina ?!

Bug. Putain. Putain. Putain. Putain. Putain. La frayeur de sa vie ! Elle foutait quoi dans les douches des HOMMES cette cruche ?!