Vendredi dix-huit novembre. Il fait froid. C'est couvert, il y a un peu de vent. Je suis censée aller en cours aujourd'hui. Seulement, je n'en ai pas envie. J'ai désespérément tenté de dormir, toute la matinée. Je me forçai, vraiment. Je voulais à tout prix revoir Chase, dans mes rêves. A tout prix. J'évite de prendre des somnifères, parce que c'est dangereux, et je suis certaine qu'il me sermonnerait s'il était encore là. En fait, s'il était encore là, j'en aurais pas besoin. J'aurai juste à monter un étage, ou a passer un coup de téléphone, et on se voyait. Là, j'ai l'impression que je dois le mériter... Qu'est ce qu'il me manque... Je portai son tee-shirt vert presque tout le temps. J'avais besoin de le sentir contre moi. Comme une présence rassurante.
Donc, aujourd'hui, j'avais séché. Ca n'arrivait jamais. Mais là... Je ne voulais pas. Je ne voulais pas voir la tête des gens qui me regarderait avec pitié, ou compassion. Tous ces connards qui feraient comme s'ils connaissaient Chase depuis l'enfance, comme s'ils étaient les meilleurs amis du monde. Ceux qui ne m'adressaient jamais la parole, et qui viendraient me "soutenir". Non, je ne voulais pas de ça. Surtout pas de ça. Il fallait que je me débrouille seule. Que je remonte la pente, toute seule, comme j'ai toujours su le faire. Je n'ai besoin de personne. Sauf de Superman. Mais bon. Il ne pouvait plus être près de moi, aujourd'hui. J'avais enfilé mon cuir rouge, noué une écharpe. Et j'étais partie. Sur la jetée, près du marchand de glace où je lui avais avoué mon si lourd passé. C'était il y a bientôt un an.
La mer était toujours aussi furieuse. Cette foutue mer... Celle qui t'a tué. Qui a vu naître ce qui allait devenir nos sentiments amoureux. J'avançai lentement, mes mains glacées dans les poches de mon cuir trop grand. J'avais mal au coeur. Je m'assis sur ce banc, où tu m'as consolée. Celui où tu as mangé ton sorbet citron et moi, ma glace aux cookies. Je n'en ai même plus envie aujourd'hui. Je soupirai. Petit à petit, un sentiment de peur m'envahissait au fil des jours. J'avais l'impression de devenir comme... mon paternel. Je comprenais ce qu'il a pu ressentir, il y a seize ans, bientôt dix-sept. Et ça me faisait peur. J'avais horriblement peur de devenir comme lui. Il avait perdu ce qu'il avait de plus cher. La femme qu'il aimait. Et moi... J'ai perdu Superman. Mon Superman, mon amoureux.
Je sentais mes yeux devenir beaucoup trop humides. Un revers de manche et c'est bon. Puis, je posai mon regard sur un mec, assis sur le bord de la jetée, de dos. Plutôt grand. Même carrure. Tout lui ressemblait. Mon coeur fit un bond. Attends, non, ici, ce n'est pas possible. Tu l'as vu... Tu as serré ses doigts, et il ne t'a pas répondu... ça ne pouvait pas être lui... Regarde, il a des cheveux bruns, et non blonds... Il passas ses doigts fins dans ses cheveux. Je répétai ce geste, moi aussi, machinalement. C'était une illusion.. Juste une douce illusion... Mais... il fallait que je vérifie... Sait-on jamais.
Je me levai, tremblante. La peur au ventre. Je me dirigeai vers le jeune homme. Chase... J'étais presque sûre que c'était lui... Sauf pour ses cheveux, bruns. J'effleurai son épaule de ma main, juste à peine, de peur qu'il ne s'évapore si c'est lui, et l'appelai, timidement, anxieusement.
« Chase ..? »
Il se retourna. Non. Des yeux foncés. Un visage fin. Non, ce n'était pas lui. C'était juste un leurre. Quelqu'un d'autre.
« Ahem, pardon. Je vous ai pris pour quelqu'un d'autre. »
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