[TERMINÉ]Réincarnation ? ~ Luke.

→ Beth soupire. Elle n'apprécie de toute évidence pas la question cachée de Luke. Ses mains tremblent toujours, mais le jeune homme se demande si c'est de froid ou de peur, finalement. " C'est... C'est... c'est douloureux... à expliquer. On ne se connaît pas trop... aussi. Pardon de ne pas pouvoir donner d'explications valables. " finit-elle par dire, avant de soupirer à nouveau. Que de soupirs, que de soupirs ! S'il devait quantifier la quantité de vent qu'elle avait rejeté, Luke aurait eut tendance à la comparer à une énorme bourrasque de vent. Ou alors... à une tempête. Bon, disons que si elle souffle encore une fois, ça sera la tempête. Il observe, attentif... mais elle ne soupire plus. Bon. Bourrasque, dans ce cas. Bien entendu, il n'est pas satisfait de sa réponse. Ce n'est pas valable, comme raison. Seulement voilà : Beth s'est excusée. Elle lui a demandé pardon pour ne pas pouvoir lui fournir une raison valable à cette peur. Curieusement, ces simples excuses le retiennent. Lui qui est si têtu et obstiné se sent bridé par la réponse de son vis-à-vis. Alors, il note bien soigneusement dans un coin de sa tête sa question, au cas où il recroiserait un jour la jeune fille. Rien n'est moins sûr. Il ne connait d'elle que son prénom. Et encore, il en a oublié la première partie. Miami, c'est immense, comme ville. Tant pis. Et s'il la recroise un jour... tant mieux.

Ses yeux se portent sur la vieille horloge qui surplombe le bar. Il est l'heure de manger. Luke, c'est un garçon en pleine forme, et en pleine croissance, aussi. Il doit se nourrir. Alors, il décide qu'il est temps de mettre fin à sa conversation avec Beth. Enfin... plutôt à l'interrogatoire, puisque lui n'a presque rien dit à son sujet. Tant mieux, il déteste ça. Du coup, il se redresse un peu et lâche les mains de la petite brune, qui les ramène presque tout de suite sur sa tasse. Peut-être avait-elle réellement peur de lui ? Pourtant, elle ne s'appelle pas Alisa... songe-t-il. Enfin, trêve de bavardages. Son repas de midi l'attend. Il se lève, plonge les mains dans ses poches. Un dernier regard à la brunette. " Je rentre. " fait-il simplement. Ses yeux accrochent alors le sol, pour ne plus le lâcher jusqu'à ce qu'il soit assis à nouveau, à la cafeteria cette fois. Une fois devant son plateau, il repense à sa question. Peut-être ira-t-il plus souvent se promener le long de la mer ? Comme ça, il finira par la croiser. Et il finira par savoir. Savoir pourquoi... C'est une de ses préoccupations premières, dans la vie. Pourquoi...

→ La main fine et délicate de la jeune passe dans ses cheveux. Sa joue vient ensuite se poser contre son poing fermé. Ses yeux aussi se ferment, sans doute pour ne plus voir ceux de Luke, qui se font insistants. " Parce que ça me fait un peu peur. Et que ça me gêne. " répond-t-elle finalement. Peur ? Luke l'observe avec un peu plus d'intensité. Rappelons-le, la question était pourquoi n'aimes-tu pas qu'on te dise que tu es mignonne ? et la réponse de Beth le perturbait. Cependant, comme il voyait qu'elle avait vraiment froid aux mains, il tendit les siennes pour voir s'il pouvait l'aider à se réchauffer, gentiment. Ce geste partait d'une bonne intention. Elle l'observa un instant, l'air pas très sûre de ce qu'elle devait faire. Finalement, elle décolla ses doigts rouges de la tasse en terre cuite et posa doucement ses mains tremblantes dans celles de Luke. Le jeune sportif referma avec délicatesse ses doigts autour de ceux de la jeune fille. Ils étaient tellement glacés, c'était un peu effrayant. " Ah, hm. Elles... elles sont tout le temps congelées... depuis que je suis petite... " bégaya-t-elle, en parlant de ses mains. Elle ajouta ensuite qu'elle disait ça puisque Luke voulait le savoir.

En réalité, à l'instant, il n'y a qu'une chose que Luke désirait savoir. Vous vous en doutez, la nouvelle question fondamentale était :Pourquoi as-tu peur ?. Il se disait qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur. Après tout... elle n'était pas Alisa. Pourquoi le craindre ? Ou alors craignait-elle quelque chose... de plus général ? Plus Luke y réfléchissait, et plus cette réponse le perturbait. Alors, il fronça les sourcils. Ses yeux noisettes fixaient intensément leurs mains. Les siennes, grandes et chaudes. Celles de Beth, petites et toutes froides. Tremblantes. Oui, comme si elle mourait de peur. Il planta alors à nouveau ses yeux dans l'océan que constituaient ceux de sa nouvelle camarade. " Je ne comprends pas ce qui te fait peur. " lâcha-t-il. Pour cette fois, il avait viré le fameux pourquoi. Et il avait prononcé beaucoup de syllabes, aussi. Dix, c'est un exploit. Mais quand il s'agissait de poser des questions, le nombre pouvait être plus important sans que ça ne le perturbe trop. Par contre, quand il s'agissait de parler de lui, c'était une autre affaire.

Doucement, ses mains commencèrent à frictionner celles de la petite brune. Il sentait qu'elle avait vraiment du mal à se réchauffer, alors que la température dans la pièce était très agréable. Sans compter que lui avait les mains chaudes. Le Rho Kappa était concentré sur sa tâche, mais il n'en oubliait cependant pas qu'il attendait une réponse à sa question. Car bien sûr, c'en était une, même si elle était un peu masquée. La gêne, par contre, il comprenait. Les compliments, lui non plus n'aimait pas ça. Alors, il en conclut que cette fille n'était pas comme les autres, et que son frère lui avait encore raconté des couilles. Cette vérité avait tendance à le déranger. Si Edgard avait menti pour ça, et pour le fait d'inviter des filles... sur quoi lui avait-il menti d'autre...?

→ Elle n'a pas envie de répondre. Luke le remarque immédiatement, à sa façon de réagir. Elle soupire, boit une n^ième gorgée de chocolat chaud, se frotte doucement les yeux. Tout, sauf affronter la question du jeune homme, qui commence à s'impatienter. Il remue sur sa chaise, croisant et décroisant les pieds sous celle-ci. Le bois crisse doucement sur le sol carrelé. Ses mains entourent sa tasse, plus pour être occupées que parce qu'elles sont froides. Ce qui n'est absolument pas le cas. En réalité, le jeune sportif meurt de chaud, à côté du radiateur. Lui, il est plutôt habitué à des températures basses. Sinon, il ne se baladerait pas en tee-shirt presque toute l'année. Mais bon, Beth avait froid, alors il faut ce qu'il faut. " Et toi, pourquoi tu poses plein de questions ? " finit-elle par dire, un très léger sourire aux lèvres. Luke fronce les sourcils, se mordille la lèvre. Il n'est pas content. Quand on commence à lui poser trop de questions, ça finit toujours mal. Tiens, il n'y a qu'à voir mardi, avec Hayden ! Il avait dû carrément prendre la fuite, parce qu'il ne savait pas quoi répondre de court et efficace. Heureusement, là, ce n'est pas le cas. " Pour savoir. " fait-il. Clair, succinct. Et en plus, c'est la vérité.

A nouveau, il porte son chocolat chaud aromatisé à ses lèvres et le vide d'une traite, achevant sa gorge et son moment réconfort par la même occasion. Il repose la tasse vide sur la coupole, en terre cuite elle aussi, et entreprend de déballer son biscuit. Se faisant, il observe la jeune fille. Elle porte ses mains à sa bouche, souffle dessus. Ses doigts sont rouges. Comme s'ils étaient gelés. Luke ne perd pas une miette de ce qu'elle fait. Chaque mouvement est analysé, décrypté. A nouveau, elle entoure sa tasse de ses mains, soupire. Elle passe son temps à soupirer. Luke enfourne le biscuit dans sa bouche, sans la quitter des yeux. Il mâche avec application, toujours en la fixant. Quand il n'a plus rien en bouche, il reprend la parole. " Alors... pourquoi tu n'aimes pas ça...? " re-demande-t-il, obstiné. Tant qu'il n'aura pas sa réponse, il est probable qu'il la harcèle. C'est son sport favori, poursuivre les gens pour obtenir des réponses.

Il attend sagement qu'elle lui réponde quelque chose. N'importe quoi, tant que c'est satisfaisant. Une fois que c'est fait, il approche doucement ses mains de celles de la jeune fille. Il plonge ses yeux dans les siens, interrogateur. Par ce regard, il lui demande en quelque sorte la permission pour l'aider à se réchauffer. Parce qu'il en a marre de la voir se les geler comme ça. Et ses mains à lui sont toutes chaudes, parce qu'il a chaud, parce qu'ils sont à côté du radiateur. Il attend, les mains en coupe à quelques centimètres de celles d'Elsa Beth, prêtes à entrer en action. Mais évidemment, si elle lui dit non, il les retirera. Parce qu'il est poli. Enfin... Pas impoli pour tout, plutôt. C'est aussi un peu pour ça qu'il n'a pas posé ses mains directement sur celles de la jeune femme. Parce que ça, c'est pas poli et en plus c'est agressif. Lui, il détesterait qu'on le touche sans sa permission.

→ Beth s'est apparemment réchauffée, car elle enlève doucement sa veste, avant de la poser sur la banquette à côté d'elle. Dessous, Luke peut clairement distinguer que son tee-shirt est beaucoup trop grand. Il se dit qu'il ne doit pas lui appartenir. Parce que franchement, quel intérêt d'acheter un tee-shirt qui glisse sur l'épaule et qu'on doit toujours remettre en place ? A part se faire remarquer, il ne voit pas. Et cette fille là n'a pas l'air de celles qui se la racontent en dévoilant leurs formes aguicheuses. Toute cette théorie, Luke ne l'a pas inventée tout seul. Il la tire directement d'Edgard, qui a son avis sur la question. En fait, Ed' a un avis sur tout. Vraiment tout. Alors, le Rho Kappa a parfois l'impression de savoir beaucoup de choses, même si la plupart du temps, ces choses sont misogynes ou non-fondées. L'influence que peut avoir sur vous un frère jumeau peut parfois être effrayante...

Il lui dit qu'elle est mignonne, parce qu'il le pense, et observe avec une certaine fascination ses joues se colorer. Jamais il n'avait eu l'occasion, auparavant, de voir une fille rougir de si près. La nouveauté, il a toujours trouvé ça intéressant, quand ça concernait les filles. Enfin... Toujours remontait à peine à quelques jours, en réalité. Depuis sa rencontre avec Hayden, pour ainsi dire. " J'aime pas beaucoup... qu'on dise que je suis mignonne... " dit-elle après avoir bu une gorgée de chocolat chaud. Nouvelle interrogation, pour Luke. Pourquoi n'aime-t-elle pas ça ? Les filles n'attendent que trois choses de toi : des compliments, des cadeaux et d'l'amour. (Sic !) Encore une bien belle théorie du tombeur de ces dames. Du coup, Luke était persuadé que ça aussi, c'était vrai. Mais bon, à l'époque - c'est à dire il a 3 jours - il était également convaincu qu'inviter une fille où que ce soit constituait en une véritable épreuve des plus pénibles. Or, ce n'était pas le cas, de sa propre expérience. Soit. Nouvelle gorgée pour les jeunes gens.

Beth ne lui laissa pas le temps de poser sa question. " Tu ne te brûles pas en le buvant sans souffler ? " demanda-t-elle, l'air un peu inquiète. " Si. Pourquoi tu n'aimes pas ? " rétorqua-t-il directement, en faisant allusion à sa réaction suite au compliment que le Rho Kappa lui avait adressé. Luke était du genre à considérer que ses questions à lui étaient plus intéressantes que celles à son propos, c'est pourquoi il écourtait toujours ses réponses... quand il répondait ! Et c'était encore mieux s'il répondait par une question. Oui, vraiment, ça, c'était le sommet du classe. Enfin, tout dépendait de son interlocuteur, aussi. Parce que si c'était une personne ennuyante, alors il ne prenait vraiment pas cette peine. A bien y réfléchir, si Beth n'avait pas eu de grands yeux bleus comme ceux de sa soeur, elle aurait été rangée dans la première catégorie...

→ Luke observe les yeux de la jeune fille s'écarquiller. Serait-elle surprise à ce point qu'il ne réponde pas à sa question ? Si tel est le cas, il ne donnait pas cher de l'estime qu'il se faisait d'elle. Heureusement, elle semblait avoir compris le message. Et comme elle ne fournit pas de raison particulière pour prendre un chocolat chaud aromatisé à la vanille, Luke en conclut qu'elle avait un peu de personnalité et qu'elle aimait ça. Bien sûr, elle aurait pu se contenter de faire comme lui juste pour ne pas sortir du moule, mais bon. Luke aurait trouvé ça un peu con. Et comme elle a les même yeux que sa soeur, il préfère se dire qu'elle apprécie cette boisson, tout simplement. Comme lui. " Il n'y a que moi qui réponds ça, d'habitude... " fait-elle. Voilà donc d'où elle tire sa surprise. Luke ne dit rien, continue de l'observer. Elle a un tout petit grain de beauté, sur la joue. Comme il n'est pas loin de ses yeux, le Rho Kappa a tendance à trouver ça mignon.

Là, tandis qu'il scanne son visage sous tous les angles, Elsa Beth semble perdue dans ses pensées. Négatives, s'il en croit ce très léger froncement de sourcil, ce regard triste, perdu... Cette petite moue au creux des lèvres, aussi. Il préfèrerait lire tout ça dans ses yeux, mais comme elle n'affronte jamais son regard, il doit se contenter de ce qu'il a sous la main. Enfin. Sous les yeux. Les mains fines, presque décharnées, soulèvent la tasse et la portent aux lèvres roses. Grimace. La tasse rejoint sa coupelle, brusquement. " C'est super chaud..! " s'exclame la petite brune. Frémissement. Le coin droit des lèvres de Luke se soulève, pour la première fois spontanée de la journée. Oui, effectivement : ce rictus est bien un sourire. Et c'est très rare, chez lui. Encore plus s'il ne se force pas. " Tu es mignonne, Beth. " lâche-t-il alors. Pourquoi a-t-il dit ça ? Parce que c'est sa façon à lui de dire qu'il trouve quelqu'un attendrissant, peut-être. Oui, ça doit être ça. Les compliments, ce n'est pas trop son truc, en temps normal. Mais bon... Elle a réussi à le faire sourire, alors il peut bien se le permettre. Surtout que si ça se trouve, ça fera plaisir à l'Alpha Psy, de le savoir. Ou alors, elle le sait déjà. Luke n'en sait rien, parce qu'il ne la connait pas. Ses propres mains saisissent à nouveau sa tasse en terre cuite. Il la porte à ses lèvres et bois une nouvelle gorgée, qui lui brûle la gorge à lui aussi. Mais il s'en moque, parce qu'il aime cette sensation de chaleur. Comme si... Comme s'il n'était pas vraiment tout seul, que quelque chose ou quelqu'un le réchauffait de l'intérieur. Dit comme ça, ça peut paraître stupide, non ? Mais la chaleur, ça le réconforte. Alors il laisse le chocolat chaud lui brûler la gorge, simplement.

→ A la grande surprise de Luke, Beth commanda exactement la même chose que lui. C'est la première fois qu'il rencontrait quelqu'un qui aimait le chocolat chaud aromatisé à la vanille. En Californie, ils n'en servaient même pas dans les cafés, alors Luke avait pris l'habitude, quand il voulait en boire un, d'amener avec lui une petite fiole d'essence de vanille. Il avait l'air un peu con, mais ce n'était certainement pas ça qui allait l'empêcher de savourer son chocolat chaud comme il entendait le faire : aromatisé. " Parce que je n'aime pas qu'on sache ce que je ressens. " répondit-elle ensuite. Réponse parfaite et satisfaisante, curiosité satisfaite... jusqu'à la prochaine question. Luke l'observa attentivement. La coïncidence était vraiment... frappante. D'abord, le chocolat chaud, et puis ça. " Moi non plus. " ne put-il s'empêcher de répondre, et ce malgré le fait qu'il détestait parler. Vraiment, c'était sans doute la chose qu'il avait le plus en horreur. Et pourquoi ? Parce que parler impliquait forcément l'action suivante : se dévoiler. Pour lui, c'était le seul moyen de s'ouvrir aux autres. Car son regard était bien protégé. Jamais rien ne passait à travers, à moins qu'il ne le veuille bien. Ses yeux à lui étaient si profonds qu'il était presque impossible d'y décerner quoi que ce soit. Tout était bien planqué, tout au fond... Seul son frère arrivait à s'y immerger totalement et à y déceler toutes ses émotions.

La gentille dame revint alors avec deux tasses en terre cuite, fumantes. Beth la remercia, Luke se contenta d'un regard qui se voulait amical. Souriante, elle s'éloigna d'eux pour retourner derrière son comptoir. Le Rho Kappa reporta ensuite son attention sur Elsa Beth, qui avait enroulé ses doigts glacés autour de sa tasse. Il nota que son visage avait repris des couleurs. Elle ne devait plus mourir de froid. Bon. Tant mieux. Elle l'interrompit dans son observation en lui posant une question. Bizarre, sa question, d'ailleurs. " Pourquoi t'as choisi ça ? " Luke haussa un sourcil, tout en s'emparant de sa tasse pour boire une gorgée. Hm, parfait. Juste aromatisé comme il aimait. N'empêche, la réponse lui semblait vraiment évidente. Généralement, quand on commande quelque chose, c'est parce qu'on aime ça, non ? " Et toi ? " lui répondit-il simplement. Retour à l'envoyeur. Pourquoi user sa salive pour une chose aussi logique. Non, vraiment, c'était au dessus de ses forces.

→ Un instant, elle resta bloquée sans bouger, debout près de la table. Enfin elle réagit et s'installa, sans enlever sa veste en cuir rouge. Normal, il faisait vraiment froid, dehors. Il y a des gens, comme ça, qui ont besoin de beaucoup de temps pour se réchauffer. Pour sa part, Luke mourrait déjà de chaud, malgré le fait qu'il ait laissé à Beth la place près du radiateur. Elle jouait avec ses mains, face à lui. Encore une fois, elle ne le regarda pas vraiment, timide. Le Rho Kappa avait noté plusieurs tics, chez elle. La main dans les cheveux, souvent. Le regard fuyant, souvent aussi. Et puis ça. Jouer avec ses doigts. Quant à Luke... Hé bien, il en avait un énorme. Heureusement, il n'avait pas encore eu à le subir ici, à Miami. Comme personne, ou presque, ne le connaissait, hé bien personne n'avait eu l'occasion de crier son nom dans les couloirs, ou n'importe où ailleurs. Et c'était tant mieux, parce que sa réaction dans le cas présent était particulièrement gênante et flippante. " Ahem... Merci. C'est gentil, de m'inviter. " laissa-t-elle finalement échapper, la voix un peu rauque. Ce n'était pas la première fois qu'il invitait une fille. Non, en fait, c'était la seconde fois. Les circonstances étaient cependant loin d'être semblables. Mardi, il avait invité Hayden parce qu'il avait envie de faire sa connaissance, et pas envie de se faire violer. Aujourd'hui, vendredi, il invitait Elsa pour une toute autre raison. Le sportif haussa les épaules, tout en fixant la jeune fille. " Je t'ai fait pleurer. " plaida-t-il. C'était pour lui une excellente raison d'inviter une fille à boire un verre. " Puis tu avais froid. " ajouta-t-il. Il donnait l'impression de se justifier, et au fond, c'était peut-être le cas. Bon, à la base, elle l'avait dérangé dans sa contemplation muette... mais après, il lui avait arraché un torrent de larmes, alors il se devait de réparer ses erreurs.

La serveuse, une vieille dame à l'air gentillet, arriva près de leur table en souriant. Ses cheveux blancs étaient retenus en un chignon strict et serré à l'arrière de son crâne, mais il n'enlevait pourtant en rien à la gentillesse qui émanait d'elle. " Vous avez choisi les enfants ? " demanda-t-elle en souriant. Malgré le petit quolibets qu'elle avait ajouté, Luke lui trouvait l'air tout à fait gentille. L'air que toutes les mamy du monde devraient avoir. Alors, il décida à l'instant qu'il reviendrait plus souvent dans cette taverne, à l'avenir. " Un chocolat chaud aromatisé à la vanille, s'il vous plait. " commanda-t-il. Elsa Beth en fit de même, et la femme repartit. Ah, quelle plaie. Il avait dû beaucoup parler, là. Mais pour commander ce qui lui plaisait, il était obligé de dire au moins 14 syllabes. 14 syllabes, c'est énorme. Alors, normalement, il ne prenait jamais la peine d'être poli. 3 syllabes un plus, c'est cher. Mais la dame lui plaisait bien, alors il avait fait un effort. Il avait envie qu'elle continue de lui sourire. Surtout s'il décidait de revenir. Ses yeux se rivèrent à nouveau sur l'Alpha Psy. Le grand moment était arrivé. " Pourquoi tu ne regardes pas les gens dans les yeux ? " questionna-t-il. Enfin. Il avait pu la placer. Alors, il était content. Mais bon, ça ne se voyait pas.

→ En règle générale, c'est facile d'abuser Luke. Il n'aime pas réfléchir, n'a jamais aimé ça, et s'en porte très bien. On pourrait très bien le considérer comme étant vraiment naïf. Mais il ne faut pas non plus le prendre pour le dernier des idiots. Parce que, comme Saint-Thomas, il a tendance à ne croire que ce qu'il voit, dans la vie de tous les jours. Il croit en Dieu parce qu'il voit le Ciel, il voit la Mer, il voit les humains et toutes ces choses créées par le Très Haut. Et puis, il sait qu'Elsa pleure parce qu'il voit les larmes rouler sur ses joues trop pâles. Tout comme il sait qu'elle a froid parce qu'elle souffle sur ses doigts pour les réchauffer. " Je pleure pas, c'est le vent qui me fait mal aux yeux. " lâche-t-elle froidement, sans oser le regarder. Alors, du coup, Luke s'énerve. Il n'aime pas qu'on lui raconte des mensonges. Surtout quand c'est aussi évident. Les mains engourdies de la petite brune viennent frotter ses yeux bleus pour en chasser les larmes. Hop, nouvelle escapade dans ses cheveux fins. Décidément... Sans s'en rendre compte, le Rho Kappa prend le pli et l'imite. Sa main farfouille ses cheveux, rapidement, avant de replonger dans sa poche.

Une fois calmée, elle se tourne enfin vers lui. Soulagé, il plonge ses yeux noisettes dans l'étendue liquide des siens. " Tu vois. Je pleure pas. " le défie-t-elle du regard. Chose rare : le coin droit de la bouche de Luke se soulève, ce qui pourrait se traduire par un sourire. Elle l'affronte, de longues secondes, sans ciller. Les yeux dans les yeux, comme Luke aime affronter les gens. Comme avec Hayden. Finalement, elle détourne la tête. Dans des moments pareils, Luke se sent dépossédé. Il sent le contact rompu, et il n'aime pas ça. Alors, il se lève. Il pourrait partir, mais il n'en fait rien. Du moins... pas tout seul. Ses mains glissent hors de ses poches et viennent se loger sous les bras de la jeune fille. Sans un mot, il la soulève. Facilement, parce qu'il est fort, et parce qu'elle est aussi légère qu'une plume. " Allez, viens. " dit-il simplement. Il sait qu'il peut marcher en tenant la main de quelqu'un, parce qu'il a déjà expérimenté ça sans se sentir mal et abominablement stressé d'avoir les mains pas rangées. Alors, en douceur, il se saisit d'une main gelée de l'Alpha Psy. Avec une infinie précaution, il l'invite à le suivre. Lui, il est fort, alors il ne se rend pas vraiment compte qu'elle ne saurait pas lui opposer de résistance. Du coup, le jeune sportif a l'impression qu'elle le suit de son plein gré, mais est-ce le cas ?

Tous les deux, dans leur tee-shirt vert respectif, ils marchent. Luke, les yeux au sol. Elsa Beth les yeux peut-être mouillés, peut-être pas. Il ne peut pas vérifier sans s'arrêter. Ils quittent la jetée et s'engouffrent dans une rue peuplée de gens rieurs, pressés, nonchalants, moroses... Il y a de tout, sur cette planète. Le froid les atteint moins, ici. Mais Luke a l'impression que ce n'est pas suffisant. En plein milieu de la rue, il s'arrête. Toutefois, il ne lâche pas la jeune fille. Son regard inspecte les environs, et il repère une taverne, sur la droite. Il fonce vers elle, Elsa Beth sur ses talons. La porte grince quand le Rho Kappa l'ouvre. Une vague de chaleur les assaille. Voilà. C'est beaucoup mieux. Il entraine alors la jeune fille vers une table, près d'un radiateur. Alors, seulement alors, il se décide à la lâcher. Et il s'assied, comme si de rien n'était. " Je t'invite. " fait-il, très naturel. Maintenant, il va pouvoir revenir à ce qui l'intéresse réellement...

→ Luke n'a jamais vu des yeux aussi fuyants. Et lui, ça l'intrigue. Et il se demande pourquoi elle n'ose pas le regarder dans les yeux. Quand Luke se pose une question, vous l'aurez compris, elle perdure jusqu'à ce que réponse lui soit fournie. La jeune fille regarde l'océan, soupire... " Elsa. Enfin, Elsa Beth. Mais tout le monde m'appelle Elsa. Beth, c'est le prénom de ma mère. " répond-t-elle enfin. Luke ne peut s'empêcher de se dire qu'elle parle beaucoup. Lui, les détails, la plupart du temps, il évite. Parce que parler de lui revient à faire confiance aux gens. A les laisser pénétrer son intimité et ses petits secrets. Le jeune sportif continue d'observer l'Alpha Psy, curieux. De toute façon, elle ne le remarquera pas. Ce n'est pas comme Hayden. Hayden, elle ne le quitte jamais des yeux. Il aime bien, même si pendant l'entrainement il trouve ça perturbant. Lui, il ne pourrait pas se concentrer sur le sport s'il devait sans arrêt penser à surveiller quelqu'un du coin de l’œil. Impensable et impossible. Bref. Elsa Beth. Il aime bien son prénom. Mais il préfère la partie Beth. D'un coup, la première moitié du prénom s'échappe. Sa mémoire la laisse filer, geôlière incapable. S'il ne fait pas un effort, il sait qu'il ne retiendra pas celle qu'il lui reste. Mais en a-t-il envie ? Ses yeux bruns fixent toujours la demoiselle, indécis.

Alors, elle soupire. Et puis, elle se met à trembler comme une feuille. Réarrange son écharpe. L'observe, finalement. Pas longtemps. Puis elle lui tourne le dos et s'assied au sol, à l'endroit exact où Luke avait posé ses fesses quelques minutes auparavant. Le jeune homme hausse un sourcil, décidément très étonné. Une bourrasque de vent vient secouer ses cheveux, le faisant frissonner au passage. C'est peut-être pas très malin, de se promener en tee-shirt en plein mois de Novembre. Mais bon. C'est comme ça. Il n'y peut rien s'il n'aime pas se sentir oppressé. Là... Là, c'est bien. L'air fait voler les pans de son tee-shirt, librement. Alors, il est satisfait. Et tant pis s'il a la chair de poule. Ses yeux sont à nouveau fixés sur l'océan. Il est prêt à reprendre sa contemplation silencieuse. Mais bon, c'était sans compter sur... Beth. " Ça fait longtemps que t'es ici ? " demande une petite voix, en dessous de lui. Doucement, il baisse les yeux. Elle est là, par terre, les bras entourant ses jambes, recroquevillée sur elle-même. On dirait un petit animal.

Le jeune homme fait un pas de côté et s'assied à côté d'elle. Comme il voit bien qu'elle a vraiment très froid, il s'arrange pour se mettre du côté d'où le vent chasse le plus fort. Il se réinstalle, les pieds dans le vide devant eux, pendus au dessus du sable. Ses mains s'engouffrent dans ses grandes poches trop larges. " Non. Deux semaines. " répond-t-il. Puis, il se tourne vers elle. Ce qu'il voit ne lui plait pas. Deux sillages mouillés sur les joues de la jeune fille. Sous ses yeux océan. Les yeux de sa sœur. " Beth, pourquoi tu pleures ? " fait-il. L'autre question, ça sera pour plus tard. Si elle recommence à fuir son regard, peut-être ? Il aimerait bien que ça ne soit pas le cas. Parce que comme il n'aime pas parler, Luke est entrainé. Entrainé à comprendre, simplement. Comprendre les autres en un regard. Entre Edgard et lui, ça pouvait durer des heures. Ils se lançaient des œillades et rendaient folle leur mère, qui détestait qu'ils communiquent de la sorte. Enfin, pour ça, il faudrait peut-être qu'elle lève ses grands yeux humides, cette petite.

→ La jeune fille fait tout, sauf lui répondre. Elle passe sa main dans ses cheveux, encore. Luke observe et se dit que si elle continue, ils seront tout gras, et que ça sera dégoutant. Elle regarde la mer, la mer inaccessible. Puis le bout de ses doigts. Lui, quand il ne veut pas répondre à une question, il se tourne et il s'en va. Ou alors il ne bouge plus et fixe autre chose. Les gens ne s'obstinent jamais, avec lui. Un jour, il a essayé d'imaginer ce que ça donnerait, s'il rencontrait une personne qui avait exactement la même attitude que la sienne. Il en est venu à la conclusion que ça l'énerverait tellement qu'il la frapperait. Or, il ne s'est jamais fait frapper. Du moins, pas pour ça. " C'est cette foutue mer qui l'a emporté. Il y a un mois et demi. " finit-elle par dire. Ce n'est pas très satisfaisant, comme réponse. Luke n'est pas sûr de comprendre. Quoi, il a pris le bateau, il est parti ? Elle ne lui en dira pas plus. Lui, une chanson lui vient en tête. Il murmure, plus pour lui même que pour la jeune fille. " Tout part toujours dans les flots; Au fond des nuits sereines... " récite-t-il. Chase est mort. D'accord. C'est ce que raconte la chanson. Il est un héros de l'amer. Luke se sent satisfait de sa déduction, basée sur du vent. Mais ça, il ne le remarque pas. Il est content de lui.

Doucement, il lâche la main de la demoiselle. Lui, il n'est pas mort. Sa sœur bien. Déjà, il s'apprête à s'éloigner, à retourner observer l'océan agité, avec son pauvre tee-shirt sur le dos. Mais elle le retient. Pas consciemment, sans doute. Si elle avait su qu'il était prêt à partir, peut-être n'aurait-elle rien dit. " Et sinon, c'est quoi ton nom ? " fait-elle. Son ton est badin, mais Luke sent au fond de ses yeux bleus qu'elle ne va pas bien. Là, il se demande ce qu'il doit faire, parce qu'il ne la connait pas. Il la fixe de longues secondes, sans gêne. C'est la deuxième fille qui lui demande son prénom, à Miami. Lui, il trouve ça bizarre, parce que les prénoms, il a tendance à ne pas les retenir. Bien sûr, il y a des exceptions. Hayden. Alisa. Raphaël. Calypso. Voilà. Ils sont ses exceptions, chacun pour une raison bien particulière. " Luke. " laisse-t-il échapper. " Et toi ? " ajoute-t-il. D'habitude, il ne prend pas cette peine.

→ Ses mains étaient vraiment glacées. Luke trouvait ça bizarre. Dans sa tête, les filles portaient des gants, et les garçons fourraient leurs mains dans les poches. C'était une vérité qu'il s'était forgée, quand il était petit, à force de regarder la télé. Et puis, sa maman portait toujours des gants. Blancs, élégants... Il la trouvait belle, sa maman. Et ça faisait deux ans qu'il n'avait plus eu de ses nouvelles. Elle n'allait pas voir Edgard en prison. Jamais. En réalité, les deux frères ne savaient pas où elle avait disparu. Ils étaient bel et bien seuls au monde. Enfin soit, tout ça pour dire que la jeune femme avait les mains très froides. Les siennes ne devaient pas être beaucoup mieux. Se balader en tee-shirt en plein hiver, ça aide. La petite brune tenta de lui répondre mais butta sur ses mots. Luke la fixait intensément. Il voulait vraiment comprendre ce qui avait pu pousser Chase à abandonner une demoiselle qui avait les même yeux que sa sœur. Lui, à sa place, jamais il ne l'aurait abandonnée. Jamais. Mais sa sœur était partie... A tout jamais. Alors, il devait la venger. Et s'il le fallait, il vengerait aussi cette fille. Parce qu'elle avait les même yeux qu'Audange, et qu'elle ne méritait pas que quelqu'un la fasse souffrir en la délaissant.

Elle avait détourné les yeux vers la mer. La mer que Luke aimait tant et qui lui était si inaccessible. D'un geste, la petite brune approcha sa main de son visage en entreprit de se frotter les yeux. Luke se demanda si elle pleurait. Il n'aimait pas Chase. Il ne le connaissait pas, mais il ne l'aimait pas parce qu'il faisait souffrir la fille qui avait le même regard que sa sœur. Parfois, le jeune homme se faisait des opinions sur les gens avec un seul petit détail. Et il était très, très rare qu'il en change, une fois qu'elles étaient forgées. Il suffisait d'un petit rien. Une poignée de main trop serrée, un regard triste, une paire d'yeux, un sourire trop forcé, une parole amicale, un tic,... Oui, Luke se fiait vraiment à tout et n'importe quoi pour juger les gens qui l'entouraient. " Parce qu'il ne peut plus venir. " répondit-elle un peu à retardement. Elle croisa ensuite son regard, un très court instant, puis il dévia à nouveau. Le jeune homme l'observa un long moment. Il tenait toujours sa main dans la sienne. Il avait l'impression qu'à deux, ils se réchauffaient mutuellement. C'était bizarre. Moins plus moins égal plus, comme en maths. Froid et froid donnerait chaud ? Où était la logique ? Mais une autre question l'obsédait. " Pourquoi ? " répéta-t-il. Obstiné. Ce garçon était réellement très obstiné. " S'il te plait... Dis-moi pourquoi. " ajouta-t-il. Peut-être avait-il l'impression qu'elle ne répondrait pas, s'il ne se montrait pas poli. Mais il ne se rendait pas compte qu'en insistant de la sorte, il se montrait en réalité tout le contraire... La vie privée de la jeune fille ne le regardait pas. Il ne la connaissait pas. Mais il voulait savoir. C'est comme si, dans sa tête, il avait besoin d'apprendre la vérité. Mais la vérité à propos de qui ? D'Elsa et Chase, ou d'Edgard et Audange ? Pourquoi lui avait-il fait ça ? Pourquoi ?

→ La fille passa une main dans ses cheveux. Luke le remarqua, parce qu'il venait de faire pareil, à l'instant. Elle ne faisait pas ça comme les filles de d'habitude, en plus. Les autres, son frère disait que c'étaient des putes. Parce qu'elles faisaient ça pour attirer les hommes. Luke n'avait jamais très bien saisi le concept, mais il s'en foutait. En tout cas, cette fille-là ne ressemblait pas à celles que son frère n'aimait pas. Enfin... N'aime pas. Ce n'est pas parce qu'il est en prison qu'il est mort. Elle lui répondit d'un ton glacial. Luke s'en foutait aussi, de toute façon il ne la connaissait pas. Le Rho Kappa préférait encore ça plutôt que les gens qui se montraient trop envahissants. Ou alors ceux qui souriaient tout le temps. Lui, ça ne lui arrivait presque jamais. " Quelqu'un qui venait souvent ici. Avec moi. " répondit-elle. Le brun se demanda pourquoi Chase ne venait plus, maintenant. Il regarda quelques secondes la jeune fille, avant de se retourner vers la mer. Sa contemplation pouvait reprendre, elle ne parlait pas de son frère. Le fil de ses pensées reprit son cours, doucement. C'est un diesel, celui-là. Il fallait d'abord qu'il se souvienne à quoi il pensait. Alors, il reprit aussi son raisonnement depuis le début. Il pensait toujours la même chose à propos de tout, ça ne devrait pas être trop compliqué. Il en était à Baudelaire quand un petit bruit le dérangea, à sa gauche. Il tourna la tête, mécontent. Elle était encore là, elle ?

Elle venait de shooter distraitement dans un pauvre caillou. Il lui avait rien fait, en plus. " Pardon, je dois certainement vous déranger. " dit-elle alors. Luke releva la tête et croisa son regard. " Oui... " approuva-t-il. Ses yeux étaient bleus, intenses. Mélancoliques. Les orbes noisettes du garçon les pénétrèrent, inquisitrices. Ce regard... Il lui disait quelque chose, mais quoi ? Le jeune homme l'avait déjà vu quelque part. En Californie. La pièce tomba pile au moment où la jeune fille s'en allait.

D'un geste rapide et maitrisé, Luke attrapa sa main. Elle fut stoppée en plein mouvement, et obligée de s'arrêter, par conséquent. Luke la tenait bien fermement dans la sienne. Il se redressa, sans se presser et sans lâcher la main glacée de la jeune fille. Pourquoi est-ce qu'elle ne mettait pas des gants ? Parfois, certaines questions traversaient l'esprit de Luke, et il ne pouvait plus s'en défaire avoir d'avoir une réponse claire et précise à celles-ci. Une fois debout face à elle, il la dépassait de presque deux têtes, même en se tenant courbé. Courbé, il l'était tout le temps. Ou presque. C'était pas de sa faute. A force de fixer le sol, il avait l'impression que son centre de gravité changeait de place et le forçait à rester tout plié à longueur de temps. Le jeune sportif aurait pu se redresser, mais ça lui faisait mal au dos. Alors, il évitait. Et il restait tout torché sur lui-même. Il plongea ses yeux dans ceux de la petite brune. Les même que sa petite sœur, Audange. " Pourquoi est-ce qu'il ne vient plus avec toi ? " demanda-t-il alors. A nouveau, sa question était abrupte. Il réfléchissait rarement avant de poser une question. Mais c'était pas de sa faute. Parfois, la curiosité était trop forte et prenait le pas sur son aversion pour les discours. Non. Les paroles. Il détestait parler. Il avait horreur de ça, même. Mais s'il ne retenait pas cette fille, il ne saurait jamais pourquoi Chase ne venait plus avec elle. Et en plus, il perdrait le regard de sa sœur. Il lui manquait, ce petit regard couleur océan. Tous les jours, toutes les heures, à chaque instant.

→ Le vendredi matin, Luke n'avait pas cours. Cela faisait trois jours que le sportif était inscrit à Wynwood. Deux semaines qu'il était à Miami. Avec toutes les démarches qu'il avait dû faire pour rejoindre le lycée prestigieux dans lequel Alisa s'était inscrite, il n'avait même pas eu le temps d'aller voir la mer. Son activité de la matinée était donc toute trouvée. En Novembre, le temps n'est pas particulièrement chaud. Pourtant, c'est en tee-shirt que Luke sortit de sa chambre. Il détestait se sentir oppressé par des vêtements. Son baggy tombait en trompette sur une paire de Van's noires et laissait entrevoir son boxer vert pomme. Il aimait bien, le vert. Son tee-shirt était vert. Comme l'herbe. Il aimait bien aussi, l'herbe. Ses pas le guidèrent sur la jetée de Miami. Il marcha un long moment, mains dans les poches et yeux rivés au sol, jusqu'à apercevoir un marchand de glaces. Il n'avait pas envie d'une glace, mais il décida de se poser ici. L'endroit était parfait, et si jamais l'envie le prenait, le glacier n'était pas loin. Prévoyant, le Luke. Il s'approcha de la jetée et s'assit au bord. Ses jambes pendouillaient dans le vide, ça le faisait rire. Le jeune homme laissa alors son regard se perdre vers l'étendue infinie que représentait la mer. Calme, et si agitée à la fois. Exactement comme lui. A l'intérieur, c'était le feu d'artifices constant. Pourtant, jamais rien ne le trahissait.

Luke était là depuis un petit moment, perdu dans ses pensées. Actuellement, elles se concentraient sur une citation de Charles Baudelaire : " Homme libre, toujours tu chériras la mer ! " Il y réfléchissait depuis de longues minutes. Était-il en droit de se considérer comme un homme libre ? Théoriquement, oui. Mais en réalité, le Rho Kappa se sentait contraint par une force supérieure à lui. Non point de Dieu, mais son obstination. Son obstination contrôlait entièrement sa vie. Elle lui avait gâché la nuit, plus toutes celles depuis deux ans... Mais il l'aurait. Et ensuite, il serait libre de chérir la mer. Il passa une main instinctive dans ses cheveux, sans cesser de fixer la mer. Que regardait-il ainsi, au juste ? Il n'y avait pourtant rien à voir... Pourtant, la mer représentait pour le jeune homme beaucoup plus qu'une simple étendue d'eau. Il n'y avait rien à voir, mais Luke voyait. Il se mit à chuchoter, pour lui même. " Dieu dit : Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Et cela fut ainsi. Dieu appela le sec terre, et il appela l'amas des eaux mers. Dieu vit que cela était bon. " récita-t-il. Le coin droit de sa bouche s'étira en un sourire? Le jeune homme se sentait bien, ici. Il était tranquille, personne pour le déranger, pour lui parler et lui poser des questions, alors qu'il avait horreur de... ça.

Une main venait de lui effleurer l'épaule. Il sursauta, désagréablement surpris. " Chase ? " murmura une petite voix. Instinctivement, le brun se retourna. Il tomba alors nez à nez avec une jeune fille, vêtue d'une veste en cuir bien trop grande pour elle, rouge. Quand leurs regards se croisèrent, Luke pu lire dans celui de celle qui venait de l'importuner une déception des plus flagrantes. Il fronça les sourcils, tandis qu'elle s'excusait et lui expliquait l'avoir pris pour quelqu'un d'autre. La seule personne avec qui on pouvait le confondre étant Edgard, dans l'esprit de Luke, son attention fut attirée. Il tiqua. " C'est qui, Chase ? " demanda-t-il de but en blanc. Si elle avait vu son frère, il fallait qu'il le sache. Il ne comprenait pas bien ce qu'il se passait. S'il avait réfléchi un peu plus longtemps qu'un quart de secondes, Luke aurait compris immédiatement, face au regard déçu de la jeune femme, que cette situation était ridicule. Surtout qu'il savait exactement où se trouvait Edgard, à l'heure actuelle : dans un centre pénitencier en Californie... Mais ce n'était pas du tout le style du bonhomme, de réfléchir. Il avait toujours fonctionné ainsi. Ed' était le cerveau, il était l'exécuteur. C'était facile, avant. Mais maintenant, il était tout seul... Il passa à nouveau sa main dans ses cheveux, les décoiffa ostensiblement.