[TERMINÉ] Say thank you is not enough. [Heaven]

Quelle connerie, putain. J'étais pas capable de me contrôler bordel. J'étais nulle à chier. Ouais c'était ça, nulle à chier. Ce mec devait avoir une copine, et moi, je l'embrasse comme ça. Putain, mais que j'étais con. Incroyable. Presque insupportable. Je voulais Romain. Celui qui me comprenait, plus que tout. Qui savais ce que j'avais vécu, et qui savais me calmer. Celui avec qui je pouvais faire ce que je voulais... Je le voulais, lui. Pourquoi était-il parti ? Pourquoi ne m'avait-il pas emmenée avec lui ? Loin de tout. Ne voulait-il plus de moi ? J'avais gâché ma vie, avec lui. C'était à cause et pour lui que j'avais commencé à m'immiscer dans son monde. L'amour rend aveugle, ça c'était certain. Crédule comme j'étais. Quand on voit comment j'étais, comment je suis, j'ai toujours du mal à me dire que j'ai réussi à me faire berner comme ça. Et là, comme une conne, j'étais assise entre les jambes d'un homme qui m'avait sauvée la vie et que j'étais même pas capable de respecter. Je lui avais volé un baiser, sans demander. Sa main se posa sur mon épaule, je frissonnai. Je baissai la tête, mais il me força gentiment à me retourner. Il prit mon visage entre ses mains, et me força aussi à le regarder. Mes yeux empli de larmes, je le regardai, et je l'écoutai.

Écoutes, Heaven, c'est pas grave, d'accord ? Je comprend parfaitement, tu étais bouleversée, c'est normal. On fera comme s'il ne s'était rien passé, si tu veux. Je ne t'en veux pas, je te le promet.

Sa voix rauque résonnait douce. Que m'arrivait-il ? Je fermai les yeux, et les quelques larmes contenues roulèrent sur mes joues. Pitoyable. J'ouvris les yeux, et essuyai les gouttes d'eau. Sa main lâcha mon menton, et sourit. Je posai ma tête sur son genoux, alors qu'il se reposa dans son fauteuil. Quelle journée je venais de lui faire passer... Je ne lui avais pas répondu. Et je ne lui répondrais certainement. Surtout, y'avait quoi à répondre ? Rien. Je fermai ma gueule, et fermai mes yeux. J'avais envie de fumer, malgré moi. Je touchai ma poitrine, le briquet était présent, caché dans mon soutien-gorge, puis la poche de ma veste en cuir, le « paquet » était là. Je me levai, et le regardai.

J'ai envie de fumer. Tu veux venir..?

Faire comme si rien ne s'était passé... Je sorti mon briquet, et mon paquet. Et attendis sa réponse.

Tout autour de moi n'était que brume. Tout était flou. Je n'arrivais presque pas à distinguer Pollo. Mes yeux étaient encore trop embués par l'eau qui n'arrivait pas à s'échapper. J'entendis juste le bruit d'un bouquin que l'on ramasse et que l'on ouvre, puis la douce voix apaisante de Pollo qu'il fallait que je me concentre sur sa voix, et à rien d'autres. Je rassemblai toutes mes forces, et toute mon attention sur les sons qu'émettait les cordes vocales de mon sauveur. J'avais de la chance que ces moments pareils tombent sur lui... Il savait toujours comment réagir, comme s'il était préparé à tout obstacle.

Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane,
Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,

Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,
L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.

Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô démon sans pitié ! Verse-moi moins de flamme ;
Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,

Hélas ! Et je ne puis, mégère libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine !

Il m'avait récitée Baudelaire. Je ne me rappelais plus du titre, mais j'avais du l'étudier en classe dans les précédentes années. Je venais de remarquer que ma douleur était passée, malgré ma respiration toujours haletante. Je me rapprochai de lui, et m'agrippai sur son col. J'appuyai ma tête contre son torse, et calai ma respiration sur la sienne, qui était vachement plus régulière. J'avais du mal. Même beaucoup de mal. Comme si je faisais de la rééducation après un mois de jambes emplâtrée. Sauf que va faire de la rééducation de souffle. Ma respiration étant légèrement plus lente, je levai ma tête vers lui, doucement. Je voyais la totalité de son visage, et il était si proche de mien que ça en devenait flou aussi. Et je ne savais comment ça s'était passé, mais mes lèvres s'étaient retrouvées collées aux siennes. Une seconde, ou deux, même pas.

Mais Heaven, ce que tu peux être con !

J'étais devenue rouge écarlate. Je baissai la tête.

Excuse moi, Pollo. Je sais plus ce que je fais...

Je me retournai. Je me retrouvais dos à lui, toujours au sol. Je ne voulais pas qu'il voit la honte que j'éprouvais. Cet homme avait une femme. Il était en couple. Ca se voyait. Ca se sentait.

Le jeune homme avait commencé sa phrase, mais ne l'avait par terminée. Certainement qu'il avait remarqué que j'avais mal quelque part. Moi qui voulait qu'il ne le voit pas. J'étais de moins en moins forte pour cacher mes ressentis ou quoi ? Il me demanda si ça allait bien. Il se redressa sur son pouf, dos droit et à moitié dans le vide. Je compressai ma hanche, fort.

C'est rien... Jus.. Juste ma hanche qui me fait souffrir...

Cette sensation ne m'arrivait pas souvent, mais quand elle était présente, elle persistait. Je pouvais autant l'avoir en pleine nuit qu'en plein jour. Ça me donnait des bouffées de chaleur, j'avais du mal à respirer, et des images passaient dans ma tête en boucle, je voyais trouble. C'était ce qui était en train de se passer. Des gouttes de sueur apparaissaient sur mon front, et commençaient à dégouliner sur mon visage. Elles perlaient en masse dans ma nuque et trempaient presque mon dos. Situation de panique. Bordel, pourquoi maintenant !? Ma vue se brouillait, ma respiration devenait haletante. Bordel, Heaven, calme toi ! Je n'avais jamais saisi comment me calmer. Et pourtant ça faisait bien quelques mois que ces crises apparaissaient. Je fermai les yeux, et tentai de respirer normalement. J'étais minable. Je devais être pitoyable. Je trouvais ça humiliant que quelqu'un me voit dans cet état. Même si la personne en face de moi m'avait trouvée à moitié morte dans une ruelle à moitié sombre, gisante et saignante. Pollo devait se demander quoi faire. J'étais en train de faire une crise devant lui quand même... Je n'arrivais pas à me calmer, et j'avais mal, horriblement mal. Des larmes coulaient.

Pollo, j'arrive pas à me calmer.

Mes yeux devaient l'implorer, ou faire je ne sais quoi. J'avais toujours pris l'habitude d'attendre que ça passe, souffrant le martyre, mais là, c'était trop. Comme si le fait d'être avec quelqu'un avait augmenté ma douleur.

Je suis désolée que tu me voies comme ça...

Il haussa les épaules, et se gratta la tête d'un geste distrait. Il me dit qu'il n'y avait rien de personnel là-dedans. Et c'était vrai. Il n'y avait absolument aucune question de plus à poser à propos de ce que j'avais dit. Rien. Peut-être était-ce qu'avec le nombre de réponses que j'ai du donner sans que les gens se posent d'autres questions, ça m'avait entraîné à le faire d'instinct. Enfin. Toujours est-il qu'il devait me prendre pour une conne de m'être emportée comme ça. Il enchaîna, normalement.

En tout cas, personnellement, Miami est le fruit du hasard, et je n'en suis pas mécontent ! C'était il y a combien de temps, que tu as quitté la Californie ?

Combien de temps... Je ne me rappelai plus trop. Tout était si vague, j'avais appris à vivre sans penser à mon passé. Ni à mon futur. Vivre au jour le jour, sans penser aux conséquences. Je levai la tête au ciel, comme pour essayer de trouver la réponse au plafond, et fit une petite moue interrogative.

A vrai dire, je ne sais plus trop. Un an peut-être... L'accident m'a fait un peu perdre les pédales. J'me rappelai même plus de ma date de naissance... C'est écrit dans mon journal. On m'a dit que les blessures datait du 28 juillet, en 2010. J'ai quitté la Californie deux mois après.

Si j'avais un doute, je pouvais toujours vérifier sur ma page de journal soigneusement pliée dans la poche de ma veste. L'unique page qui racontait ma soit-disant journée où j'avais failli perdre la vie. Je n'avais presque aucun détails, mais merci le subconscient qui fait que je revis cette journée toutes les nuits. Traumatisme. Mais j'ai appris à vivre avec. Avec ma fatigue. J'enchaînai.

Et toi ? Combien de temps ?

Ca faisait du bien de parler à quelqu'un. Quelqu'un qui comprenait certainement ce que j'avais vécu. Il m'avait sauvée, mais je ne connaissais rien de lui, et lui ne connaissais rien de moi. Une deuxième rencontre, en fait. Plus approfondie. Ma cicatrice me faisait souffrir. Comme si la barre de fer qui m'était rentrée dans la hanche était encore présente... Les médecins avaient eu grand mal à me soigner. Stopper l'hémorragie, recoudre, nettoyer. Enfin, je m'y connais pas dans tout ça. Et j'ai la vie sauve maintenant. Je posai ma main sur ma hanche, grimaçant de douleur, n'essayant de rien montrer, attendant sa réponse qui ne tarda pas.

La curiosité est certes le propre de l'homme. Alors, oui, j'aimerais le savoir. Mais ce n'est pas parce que je t'ai un jour sauvé la mise que je suis en droit de savoir. Je n'ai, à vrai dire, aucun droit sur toi sous prétexte que je t'ai épargné quelques soucis supplémentaires, car je suppose que tu en as rencontré beaucoup au cours de ta vie... C'est "
ton choix, Heaven. Je suis là pour t'écouter, si tu le désires.

En effet, il n’avait aucun droit sur moi. Mais sans doute qu’il ne comprenait pas totalement ce que ça pouvait être de se faire sauvé la vie. Et surtout de le retrouver à l’endroit même où on était partit pour échapper à tout ça, ne plus rien avoir à faire d’autre que de se dorer la pilule au soleil tout au long de ses journées et en ne pensant qu’à rien d’autre que ce qu’il pouvait se passer les secondes suivantes. Vivre pénard jusqu’à la fin d’sa vie, sans se soucier de rien. Hakuna Matata quoi. Quand j’y repensai vivre avec Timon et Pumba aurait pu être sympa. Mais rêver ne sert à rien. Surtout maintenant. Après toute la vie que j’ai eue, je ne pouvais plus rêver. Mes nuits étaient remplies de noirs. Ni de cauchemars, ni de rêves. En fait, la nuit je revivais l’instant le plus dur que j’ai jamais vécu. Comme un flash back qui dure le temps de mon sommeil désormais raccourci. A une certaine époque, j’enchaînai mes nuits blanches tellement j’avais marre de mes nuits. C’était l’enfer quand il s’agissait de rattraper. Enfin… Dans tous les cas, je devais au moins répondre à la question de Pollo. Pourquoi Miami ? Parce que certes, ça débouchait sur pas mal de questions, mais au moins, j’raconterai pas tout d’un coup d’un seul.

Je vais me contenter de répondre à tes questions alors. J’estime que tu peux avoir des réponses, ça peut peut-être mieux convenir.

Je le regardai. L’observai même. Sans doute que mon regard pouvait devenir pesant et le rendre mal à l’aise. Je le détournai alors, et ouvrit la bouche comme pour avertir que j’allai parler.

Pourquoi Miami ? Hm… Tout d’abord parce que c’est loin de la Californie, et puis, pour le soleil, tout ça. Histoire de changer d’air.

Pollo haussa un sourcil. Il faut dire qu’il m’avait posée une seule question, une simple question qui ne nécessitait pas une réponse où il fallait détailler sa vie. Mais mon choix de ville avait dépendu de ce que j’avais vécu. Il ne se serait pas passé tout ça, je ne serais jamais venue ici, à Miami, loin de ma Californie. Je comprenais soudain le sentiment patriotique des américains. Vous savez, le fait qu’ils accrochent leur drapeau sur leur façade, ce genre de trucs. Car pour moi, la Californie avait quelque chose de fort… Je ne saurais dire quoi, ni pourquoi je pensais ça, après tout ce que j’avais vécu là-bas. Ma mère, mes soit disant « pères ». Une vie bien difficile, et pourtant, je m’étais toujours raccrochée au fait que j’habitai dans un état formidable. Et pourtant le plus dangereux, le port d’armes étant encore accepté. Soit j’aimais les choses dangereuses, soit ça me permettait de me sentir plus en sécurité. Je me rappelai qu’une fois, j’avais parlé avec un français. Un français très sympathique. Il m’avait appris quelques mots, afin de pouvoir me débrouiller si jamais un jour, j’allai en France. L’idée me restait étrangère, j’aimais bien trop les Etats-Unis. Il m’avait proposée d’aller le revoir un jour, là-bas. Que je serais la bienvenue. Du temps où j’habitai Los Angeles, et surtout du temps où il y était aussi, nous passions nos après-midi libre ensemble. Tout le temps. Il n’avait jamais rien su de ma vie. Je restai la « douce » Heaven, mystérieuse. Il était plutôt pas mal quand j’y repensai , et il avait eu peur pour moi. Il m’avait dit que les Etats-Unis étaient un pays dangereux, trop dangereux pour une fille comme moi. Mon sens de la répartie n’a fait qu’un tour. Je lui ai simplement dit que je n’avais besoin de personne pour me défendre, pour survivre parce que j’avais toujours tout fait toute seule. Mais il avait raison finalement. Si Pollo n’avait pas été là ce jour-là, je serais morte à l’heure actuelle. J’avais en effet besoin d’aide. C’était les premiers mots qu’il m’avait appris « I need help »…

Je respecte tout à fait tout ça, Heaven. Et je ne veux pas te forcer à me raconter quoi que ce soit. Au fond, ça ne me regarde pas... Ce n'est pas parce que je t'ai un jour aidée que j'ai un quelconque droit sur toi, alors ne te sens pas obligée de me dire des choses que tu n'as pas envie de raconter. Mais saches que si un jour tu as besoin d'en parler à quelqu'un, je suis là. Et je serai une tombe si tel est ton désir. On ne se connait pas, mais il faut bien faire un premier pas pour se lier avec les gens... tu ne crois pas ?

Je le regardai. Il m’inspirait confiance. En même temps, qui n’aurait pas confiance en quelqu’un qui t’avait sauvé ? Je n’m’étais jamais confiée à personne. Sauf Romain, mais lui avait en quelques sortes été dans la même situation que moi... C’était la seule personne à avoir tout su. Et oui, ça m’avait fait grand bien de parler avec quelqu’un. De pouvoir me libérer de ce poids que je porte depuis dix-neuf ans. Simplement le problème de ma mère et de mes « pères ». Il avait vécu avec moi, pour moi. La seule personne à avoir pris soin de moi, à ne penser qu’à moi, à faire les choses pour moi. Un drôle de changements dans ma vie sachant que j’avais toujours tout fait sans l’aide de personne. Un moment, ma mère a cru que j’étais en dépression. « Une thérapie ne servira à rien, tu te débrouilles toute seule depuis que t’es née presque. J’vois pas pourquoi ça changerait un jour. » Elle avait eu raison, cette fois. Je n’avais pas compris, à l’époque. Une simple sensation de vite, comme d’habitude. Etant petite, j’avais toujours voulu me rapprocher d’ma mère, mais j’avais compris que si je voulais que ça marche, il fallait que je devienne une prostituée professionnelle portant des porte-jarretelles dansant sur des vieux obsédés dégueulasses qui n’ont rien d’autre à faire que d’se vider la queue sur des femmes qui ont besoin de leur argent pour vivre. Les mettre enceinte et ne jamais rien vouloir savoir sur « Qui est ma fille ? ». Enfin, comme on dit, la vie qu’on a, faut vivre avec.

Si, bien sûr. Je le conçois. Mais je sais que d’un côté, t’aimerais bien savoir ce qu’il s’est passé quand tu m’as retrouvée. Et je pense que tu es dans le droit de savoir, non ?

Il m’adressa un sourire plutôt rassurant me demandant si je préférais qu’il me demande qui était mon chanteur préféré. D’une manière ou d’une autre, si je dois parler de moi, nous passerions par là. Je lui adressai moi-même un sourire, ne répondant pas à sa réplique. Préférant qu’il réponde à la mienne.

Le jeune homme s'affala à moitié sur le pouf, et me regarda avec un grand sourire aux lèvres. Je savais qu'il me poserait des questions qui me forcerait à raconter ma vie, mon passé. Ce que je détestai le plus au monde. Parler de moi. Peut-être que je devais essayer de changer ce trait de caractère ? Le fait d'être réservée. Ou bien, je devais garder ça. Ma vie ne regardait personne après tout. J'vois pas en quoi elle est intéressante, loin de là. Soit.

De toi ! J'aime apprendre à connaître de nouvelles personnes... Et puis, j'ai l'impression de te connaître alors qu'en réalité je ne sais rien de toi.

Tout ce qu'il savait, c'était mon nom, Heaven Blackwood. Et le lieu où j'habitai, Los Angeles. Il ne devait certainement pas connaître mon âge, non plus. Donc, en effet, il ne connaissait rien de moi, et pourtant, il était la personne grâce à laquelle je pouvais être assise sur ce pouf à côté de lui.

Alors, dis-moi... Pourquoi t'es tu décidée pour Miami ?

La question. La question qui ouvrait toutes les voies pour n'importe quelles questions. Il était futé. Peut-être même un peu trop. Je commençai à être mal à l'aise, j'allai sûrement faire comme à chaque fois qu'on me posait des questions sur le passé... Être méchante. Ou simplement, donner très peu de précisions. Mais je ne pouvais pas me permettre de faire ça. J'avais accepté de parler avec lui...

Ecoute, Pollo... Personne n'a jamais rien su de ma vie. Je n'ai jamais rien dit à personne. Les gens devaient se contenter de mon nom, mon prénom, ma date de naissance. Tu es la deuxième personne qui connaîtra ma vie. Mais promets-moi de ne jamais rien donner comme informations, à personne. Même si c'est juste la ville où j'habitai avant. Je ne veux pas que quelqu'un sache autre chose que mon nom et mon âge ici, sauf si c'est moi qui en parle.

Mon ton était sec, presque cassant. Je le regardai dans le blanc des yeux. Je n'avais toujours pas répondu à sa question, je voulais juste qu'il me promette ça, avant. Je n'aurais jamais l'esprit tranquille avant.

Le jeune homme me fit une tape sur l'épaule amicale avec un charmant sourire.

Laisse... C'est normal. Alors, hm, Heaven... Tu veux... qu'on discute ? Ou alors tu préfères que je te laisse en tête à tête avec Bernard ?

Cette tape m'avait légèrement réveillé. En fait, j'me rendais compte que j'avais besoin de fumer. Ouais, de fumer un bonne clope là. Sentir l'odeur de la substance illicite qui entrent dans mes narines. Pour ce qui était de la discussion... J'avais déjà lu le livre de Bernard des centaines et des centaines de fois, -juste une minuscule hyperbole- donc nous pouvions discuter. Sans doute qu'il chercherait des réponses. Pourquoi, qui, comment. Tout une vie à raconter. Heureusement, j'emportais mon journal intime partout où j'allai, ou du moins, la page de la fameuse journée. Vous savez pourquoi ? Parce qu'un journal intime n'est jamais vraiment intime. Y'a toujours quelqu'un pour venir jeter un oeil à l'intérieur, et jeter un oeil à cette journée, non ça ira.

J'suis partante pour la discussion. Le tête à tête attendra. Mais de quoi veux-tu parler ?

Je posai mon livre au sol, me mettant complètement face à lui. Je pourrai sans doute lui donner toutes les réponses qu'il désirerait. Mais... Même s'il m'avait sauvé la vie, pouvais-je lui faire vraiment confiance ? Que jamais il ne répétera ce qui va sûrement suivre à personne. Il sera la première et dernière personne à savoir mon passé. Ce qu'il s'est passé en ce fameux vingt-huit juillet deux mille dix.

Il attrapa ma main et me fit asseoir sur le pouf rose qui était à côté de lui. C'est vrai que je commençais à avoir mal aux jambes. Mais je ne le sentais pas vraiment. J'étais... Sous le choc.

Tu étais dans un sale état... Je ne sais pas qui t'a fait ça, mais tu as eu de la chance d'en échapper. Au fait, moi c'est Apollo. Mais tu peux m'appeler Pollo, comme pas mal de gens ici.

Je n'avais jamais osé m'imaginer l'état dans lequel je me trouvais. Avec tout ce que j'avais subi... Le pire, c'est de s'en rappeler comme si c'était hier. D'en cauchemarder tous les soirs. Je dois vivre avec. J'ai tenu un an, je peux encore tenir longtemps. Tenir sans que personne ne soit jamais au courant. Mais peut-être que Apollo, ou plutôt Pollo, devrait le savoir ? Après tout, il m'avait sauvé... Je ne dirais rien de moi-même en tous cas. Il posa son livre à côté de lui, apparemment plus très intéressant. Je l'observai, attentivement, scrutant le moindre détails de son visage. Il était fin, ovale. Ses lèvres étaient plutôt pulpeuse, vachement large. Ses yeux était un, marron, et l'autre bleu et noir. Sa crête était hissée au dessus de sa tête avec des mèches bleues. Mon regard devenant un peu trop insistant, j'arrêtai. Mon regard était plus posé. Habituellement, je ne me sentais jamais réellement en sécurité, mais là, je me sentais étrangement bien. Peut-être était-ce grâce à la nouvelle ?

J'imagine bien... Je.. Je m'appelle Heaven, et aucun surnom particulier, ou une manière différente de m'appeler.

En même temps tu peux pas faire grand chose comme surnom avec Heaven. Mère de merde. Elle espérait quoi en m'appelant comme ça ? Prostitué de merde. Bref, essayons de penser à des choses à des choses positives. Pollo. Oui, il était positif. La deuxième chose positive qui m'était arrivé dans ma vie. Romain en premier lieu, mais qui avait disparu. Et lui.

Hum... Merci. Même si c'est pas assez de te remercier...

Un sourire apparu sur ses lèvres quelques secondes après que j'eus dis d'où je venais. Mais un sourire qui disait bien plus qu'un sourire. Un truc, je sais pas, comme s'il venait d'avoir une sorte de révélation.

Je suis content de voir que tu vas mieux, depuis LA... C'est comment, ton prénom ?

De voir que j'allai mieux ? Je fronçai les sourcils, le toisant. Je ne compris pas d'un coup. Nouvelle trop brute sûrement. C'était carrément un choc, si c'était bien ce que je pensais. C'était donc lui ? La personne à qui je devais entre autre tout ? Pleins d'émotions me parcouraient le corps. Bientôt un an que je cherchai qui était cette personne. Et elle se trouvait en face de moi. Rencontré au hasard dans un lycée où je voulais me refaire une vie qui me conviendrait mieux, enfin. Mes sourcils se fronçaient encore, je le regardai, insistant bien sur son visage. Pendant que j'étais à l'hôpital, j'avais entendu quelqu'un me parler, mais je n'avais pas vu qui me parlait. Lorsque que j'avais été totalement consciente, j'avais demandé qui m'avait amené ici, mais aucun nom n'avait pu être donné et aucune description physique concrète. Je serrai ma mâchoire, scrutant bien le jeune homme.

C'est toi ?

Mon ton était nostalgique, à la pointe de la tristesse mais de la joie en même temps. Il me prendrait sûrement pour une petite débile avec ma dernière réplique : il venait entre autre de le faire comprendre, mais j'avais besoin de l'entendre. Qu'il me dise que c'était bien lui, et pas un autre. Je ne répondis pas à sa demande pour que je lui dise mon prénom. C'était bien trop important pour moi de savoir si c'était lui qui m'avait sauvé la vie.

Il me toisa du regard, c'en devenait atrocement désagréable. Je devais vraiment lui rappeler quelqu'un, mais qu'on me regarde comme ça, cette façon de me dévisager me gênait. Il baissa les yeux, comprenant sans doute que ça ne devait pas me plaire. Il regardait mon livre. L'auteur n'était pas spécialement connu, mais j'étais bien contente de trouver ce livre ici. Il se creusait la tête, ça se voyait.

Je suis sûr que... Hm. D'où viens-tu, comme ça ? Pas de Miami... Si ?

Mon coeur se serra. La question que je redoutais le plus. D'où je venais... D'une ville que tout le monde connait, et où la moitié de la population mondiale voudrait passer un week-end. D'une ville où je ne remettrai plus jamais les pieds. D'une ville où tout mon passé restera. Mais je n'avais pas le droit de mentir sur ma ville natale. Même si j'en souffrais affreusement, ma cicatrice en étant la preuve. Je tâchai de ne rien laisser paraître, sinon, il poserait des questions sur ma réaction. Je regardai la couverture de mon livre, jouant avec le coin le regardant.

Je viens de Los Angeles.

Ton neutre. Faut dire que je ne parlais jamais de mon passé, j'avais appris à jouer la comédie. A toujours faire en sorte que les gens ne se posent pas de questions, et puis qu'ils s'en posent ou pas, c'est la même : je ne leur répondrai pas.

L'homme en face de moi referma le bouquin, ses lèvres bleu de la même couleur que sa crête dessinant un sourire. Il ne devait pas passer inaperçu dans ce lycée. Ma réplique ne devait pas le choqué, ou le surprendre, je faisais moi-même parti des « intellos ». Ma culture littéraire n'était pas très élaboré, mais je savais me débrouiller. Disons que la plupart des livres que j'aimais lire n'apprenaient rien de bien particulier. Le sujet où j'étais, somme toute, presque incollable, c'était les vampires, les légendes, et de nombreuses histoires autour de Lucifer. Oui, un sujet peu commun, où les gens s'emmerdent. Mais c'est assez fascinant pour ma part... La façon dont les choses sont construites, comment elles sont racontées et écrites et très intéressante. Bien que je cachai cette mini passion pour moi. Il leva les yeux -qui étaient d'une couleur sombre- me toisant.

Tu aimes ?

Euh... C'est-à-dire que... Oui, j'aime. Mais, pas trop non plus. Charles Baudelaire n'était pas mon poète préféré. Je n'aimais pas trop la poésie. Mais pour une culture générale, il était normal de connaître quelques textes. La vie antérieure, du moins les deux derniers paragraphes, me rappelaient moi.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

Ma cicatrice était là pour me le rappeler. Los Angeles n'était plus pour moi. J'avais du la quitter. Et d'un côté, je me plaisais ici pour le moment, bien que je n'avais rencontré personne jusqu'à présent. Je voulais retrouver la personne qui m'avait sauvé. Sauvé de ce cauchemar qui me bouffe jusqu'à la moelle. La moelle pourrit par le désespoir...

Hm... Ce n'est pas que j'aimes, mais je pense important de connaître Baudelaire. La Destruction est un beau poème somme toute. Et la poésie est très importante pour la culture il me semble.

Mon camarade de confrérie me regarda. Il faut dire qu'il n'avait pas grand chose d'autre à regarder, sauf... Des livres ? Il avait un peu l'air de réfléchir.

Mais, dis moi... On se connait ? J'ai l'impression de t'avoir déjà vue quelque part ! Non, en fait, j'en suis persuadé.


Je n'avais pas le sentiment de le connaître. C'est plus sa voix qui me disait quelque chose. Rocailleuse, mais douce, posée. Je l'avais déjà entendu. Mais lui, personnellement, physiquement. Il ne me semblait pas, non.

Hm... Peut-être bien que oui, ou peut-être bien que non. Je ne sais pas, moi je pense pas t'avoir déjà vu quelque part...