[TERMINÉ] No Heaven for you... [Caly]

La jolie blonde s'empressa de me répondre, et plus elle parlait, plus elle s'animait et haussait le ton. C'était touchant à voir, tant elle y mettait de l'énergie !

- Tu ne m'énerves pas du tout ! Au contraire ! Je suis bien contente de m'être arrêtée pour venir t'aider ! J'aime me sentir comme une sainte parfois, alors si je peux devenir ami avec ceux que j'essaie d'aider, ce serait une très belle récompense !

Je lui souris chaleureusement, content qu'elle veuille bien me revoir dans de meilleures conditions. Je ne répondis rien, parce que déjà elle se levait tout en jetant un œil à son téléphone portable, sans doute pour vérifier l'heure.

- Je ne sais pas si tu as cours, mais c'est bientôt l'heure de la reprise ! Faut que j'y aille ! Je te passe mon numéro si tu veux, si un jour il te vient le besoin de m'appeler pour qu'on se voit, ou pour tout simplement parler !

Je me levai à mon tour et fouillai dans ma poche après mon propre téléphone. Nous échangeâmes nos numéros respectifs tandis que je répondais à sa question, posée un instant plus tôt.

- J'ai cours, mais je pense que je vais rentrer... J'ai des choses plus importantes à faire. Et il faut que je vois ma mère, tout à l'heure je lui ai raccroché au nez, tu sais quand elle m'a téléphoné pour m'annoncer que... enfin, tu vois. Donc... Je te remercie beaucoup, Caly ! Je t'appellerai...

Je la pris par le cou et déposai un bisou sur sa tempe avant de la lâcher et de lui sourire. J'étais immensément content d'avoir croisé le chemin de cette jeune fille, aujourd'hui. Cela avait été une très mauvaise journée, mais Calypso venait l'éclairer d'un rayon de soleil courageux, perçant les nuages gris qui voletaient tout autour de moi.

- A bientôt...

Ensuite, je tournai les talons et m'éloignai en direction de la rue. Un taxi. Il était temps d'affronter la réalité.

Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle rougisse, mais c'est ce qu'elle fit. Cependant, elle m'adressa tout de même un grand sourire.

- Heu .. Ben merci ! Mais je pense que c'est un peu plus compliqué que ça ... Déjà, je me considère comme poisseuse, parce que je n'ai jamais eu de relations sérieuses. Y a plusieurs raisons pour lesquelles je trouve pas de mecs. Parce que il y a souvent un manque de réciprocité, parce que je tombe que sur des mecs qui ne veulent que des flirts, parce que depuis mon jeune âge je ne m'entends pas tellement avec les mecs, ils m'énervent. Mais ne t'inquiète pas, depuis que je suis arrivée à Wynwood, mes relations vont beaucoup mieux !

Je souris à l'écoute du long discours de la jeune fille. Les relations sérieuses, je savais par expérience que ce n'est pas forcément toujours idyllique. Cœur brisé, conséquences désastreuses suite à un oubli de capote, abandon, de nouveau cœur brisé, espoir et... cœur brisé. Et le bonheur, dans tout ça ? Il ne dure qu'un temps. Éphémère, volage. Il s'en va, il revient au gré de ses envies. Reviens, Bonheur ! J'en ai assez, reviens !

- Tant mieux, dans ce cas... J'espère que tu trouveras quelqu'un de bien, Calypso. Je ne te connais pas, mais je suis certain que tu le mérites plus que toute autre. Au fait... Je t'énerve, moi ? ♥

Je lui adressai une tête de chien battu, comme pour dire "J'suis gentil, moi, hein ? ♥", avant de poursuivre.

- Parce que j'aimerais beaucoup qu'on se revoit dans un autre contexte... Enfin, tu vois ! J'aimerais bien qu'on devienne amis !

Oui, j'avoue, ça sonne comme qui dirait "gamin de 5 ans", mais j'avais sincèrement envie d'apprendre à connaître la petite blonde au doux prénom de nymphe. Elle avait l'air d'être le genre de personne avec qui j'adore trainer, alors... Pourquoi pas ? ♥ Qui plus est, là, je n'étais pas réellement "moi", la mort de mon père m'avait totalement sonné, et mon côté bon-vivant s'était un peu fait la malle... Mais quand j'irais mieux, quand un peu de temps aura passé... Oui, j'aimerais la revoir.

La jolie nymphe qui avait éclairé ma journée d'une infime étincelle sourit quand je lui dis que je parlais beaucoup trop. J'étais très étonné de ce que je venais de lui raconter. Avec tous les gens qui m'entourent, si ce n'est May, mon meilleur ami, j'ai tendance à cacher au plus profond de moi tout ce que je ressens, tout ce que je suis réellement. Et Calypso débarquait, super-héroïne volant à mon secours, et je me mettais à lui raconter ma vie... Vraiment très, très étrange. Elle tenta de me répondre avec le plus de diplomatie et de douceur possible :

- Surement parce que t'en as plus besoin que tu ne le crois. Et c'est connu que la plupart des personnes préfèrent se confier à des gens qu'ils ne connaissent pas. C'est peut-être le cas pour toi. Et puis ça ne me dérange pas que tu me racontes tout ça, sinon je serais depuis longtemps partie !

Je souris, sans détacher mes yeux du ciel. J'observais la forme des nuages tout en me laissant bercer par la voix de la jeune fille. J'étais content qu'elle ne soit pas partie, parce que toutes ces choses que je lui disais sans pudeur, j'avais besoin de les confier à quelqu'un, et Calypso était apparemment "celle qu'il me fallait"... Un bon feeling, un bon départ, que sais-je ? Toujours est-il que j'avais déjà l'impression que je ne pourrais pas me passer d'elle dans un avenir plus ou moins proche.

- Je te remercie de ne pas être partie... Et à ton avis, qu'est-ce que je dois faire, avec Sacha...?

- C'est peut-être que tu es bi. Ce ne serait pas très étonnant vu que c'est une sorte de mode en ce moment, et que tout le monde l'est au fond quelque part. Même si il y a une plus forte attirance pour l'un des deux sexes. Et d'ailleurs, si tu es perdu entre les deux, tu devrais essayer de savoir qui tu préfères, qui te fais le plus vibrer, et là, il faudra que tu sois sincère avec les deux, pour t'éviter toutes sortes de problèmes ... Enfin je dis ça, mais tu fais ce que tu veux, ce n'est que les conseils d'une poisseuse en amour !

Poisseuse en amour ? Je souris à ce terme pour le moins cocasse et réfléchis à ce qu'elle venait de me dire. J'étais irrémédiablement attiré par Sacha, certes... Mais les autres garçons me laissaient de marbre ! Tandis que les femmes, je les trouve toutes belles, attirantes, sensuelles...! J'aurais pu être un vrai Dom Juan si Isobel n'avait pas débarqué dans ma vie pour... enfin, pour rien.

- A mon avis, ce n'est pas maintenant que je pourrai me dépêtrer de cette situation. J'ai d'autres choses plus importantes à faire, en ce moment. Je vais... laisser tout ça de côté quelques temps. Mais dis moi, Caly, tu n'as personne qui te court après ? Une fille aussi sympa et mignonne que toi ?

Je me redressai sur un coude, sincèrement étonné que Calypso se dise si poisseuse. J'étais curieux de savoir ce qu'elle entendait exactement par là, en plus... En plus, je ne voulais pas qu'on parle uniquement de moi, ce n'est pas très poli !

J'observais son dos avec attention, attendant une réponse de la part de Calypso. J'aurais aimé qu'elle me dise que la douleur s'effacerait en un instant, mais je n'y croyais pas trop... Cette douleur diffuse, lente, assommante... Quand me quitterait-elle ? Jamais je n'avais été proche de mon père, je l'avais même détesté. Mais la mort de quelqu'un nous fait prendre conscience de tout ce qu'on aurait du lui dire pour arranger les choses, de l'importance qu'il prend dans notre vie malgré les disputes et les désaccords si fréquents. Il voulait faire de moi un "mini-lui" et m'éloigner de ma mère, et pour ça je l'avais haïs. Mais, les rares instants où je rentrais dans son jeu, où je me glissais dans le personnage de "fils parfait" qu'il attendait tant, nous avions passé de bons moments tous les deux. Entre un père et son fils. C'est sans doute pour cela que j'étais triste... La nouvelle m'avait balayé, mais me remettre sur pieds n'était pas dur, en apparence du moins. J'avais toujours été ainsi. Sauvage. Libre. Il fallait que je le reste, même si au fond de moi, je souffrais.

- S'en remettre ? ... Non je ne pense pas, tu y penseras toute ta vie c'est presque certain, mais la douleur s'apaisera au fur et à mesure des années. Certains disent que la douleur s'apaise au bout de trois ans, mais tout dépend de la personne et des sentiments envers la personne aimée, à mon avis.

- Mon père... Mon père n'était pas ce que j'appellerais une personne aimée. Jamais nous ne nous sommes entendus. Enfin, si, quand je faisais semblant d'être comme lui. Notre relation était "fausse", en quelques sortes... Je ne l'oublierai jamais, ça je le sais, mais j'espère qu'avec le temps, j'arriverai à ne garder en tête que les rares bons moments que nous avons eu. En fait, ce qui me rend si triste, en ce moment, c'est de ne pas lui avoir fait comprendre que je n'étais pas celui qu'il voulait que je sois... que j'étais son fils, tout simplement, et que je voulais qu'il m'aime comme j'étais. Une larme roula sur ma joue, mais je l'essuyai bien vite, avant de m'excuser. Oh, pardon, je parle beaucoup trop...

Calypso émit un petit rire, tout en simplicité. Elle se tourna vers moi et me sourit. J'en fis de même avant de replonger les yeux dans l'étendue du ciel bleu. Mon père était-il déjà... là haut ?

- Bon et sinon, la fameuse Voix, qu'est-ce qu'elle a dit à ton sujet ?

- Oh, la vérité, somme toute. J'ai embrassé un mec, Sacha Farmer... sous ce même saule. La semaine dernière, en fait. Le truc, c'est que je suis totalement fou de lui, mais pas sûr d'être gay. Et puis, maintenant qu'un peu près toute l'école est au courant, je ne sais pas quoi faire. Ah, et il y a Aliénore, aussi. Je l'ai rencontrée... hier ? Enfin, elle est dans ma classe mais hier, c'est la première fois que je lui parlais vraiment, et ça a été... une sorte de coup de foudre. Mais ça, la Voix ne le sait pas. Je me contente donc de passer pour un gay, et ça ne me dérange pas vraiment, tu sais ? Nan, parce que j'aime beaucoup Sacha. Tu le connais ? ... Oups, pardon, je parle encore trop ! Je suis désolé, je te raconte ma vie... D'ailleurs je ne sais même pas pourquoi !

Sans doute... m'était-elle vraiment sympathique ? C'était la première fois que j'osais parler de Sacha à quelqu'un, sans complexe. Même à mon meilleur ami, gay lui même, je n'avais rien dit. Rien du tout ! Pourquoi alors osais-je en parler de manière si volubile à la jeune fille ? Je ne la connaissais pour ainsi dire pas du tout !

Calypso, la jolie nymphe venue à mon secours, sourit. J'en fis de même. Elle me répondit par un sourire encore plus grand. Quiconque nous observerait de loin nous prendrait pour deux abrutis dopés aux amphétamines ou autres drogues euphorisantes ! Si ce n'est... que mes yeux étaient toujours rougis d'avoir pleuré.

- Mais quoi ? ... Et oui on peut dire que je sais ce que tu ressens.

Oui, Chase, quoi ? Je ne pouvais pas lui dire le fond de mes pensées, surtout vu ce qu'elle venait de m'avouer. Je ne savais pas exactement qui était mort dans son entourage, mais voilà donc d'où provenait cette sensation qu'elle me comprenait... C'était, en quelques sortes, réel. Je posai mes deux mains sous ma nuque et m'allongeai sur le sol. Le ciel était d'un bleu azur magnifique... c'était une des raisons qui faisaient que j'avais toujours apprécié Miami. Maintenant, je pourrais profiter de ce ciel autant que je voulais, puisqu'il n'y aurait plus personne pour me ramener de force en Angleterre...

- Je suis content que tu te sois arrêtée... Je te remercie. D'autres ne l'auraient pas fait. Dis, Caly'... Cela fait longtemps que... Enfin... Est-ce qu'on se remet, un jour ?

Ma question n'était pas très clair, pour une oreille fugace qui n'aurait pas suivi la conversation, mais j'étais à peu près sûr que la jeune fille comprendrait où je voulais en venir. Au fond, j'avais envie qu'elle me dise qu'on ne s'en remet pas, de la mort de quelqu'un... histoire de ne jamais l'oublier. Mais d'un autre côté, je voulais oublier la souffrance que cela me causait. Rien n'était clair dans mon esprit, ces derniers temps... et cela n'allait qu'en empirant !

Calypso continuait de lui sourire et même plus quand ce fameux Chase lui dit qu'il n'avait pas de surnom et qu'apparemment il en voudrait bien un. Fallait dire que son prénom était déjà assez court, mais elle lui souriait tout de même davantage et écouta la suite. Il n'avait pas tord, bien sûr qu'elle le comprenait et plus qu'il ne l'imaginait:

" Mais quoi ? ... Et oui on peut dire que je sais ce que tu ressens."

Elle n'aimait pas en parler et le faisait du coup que très rarement. Il n'y avait qu'une seule personne qui était au courant, et c'était la personne la plus proche d'elle. Mais elle se demandait comment elle ferait avec son futur métier... Elle n'y songea pas plus et se re-concentra sur Chase qui avait toujours des larmes sur ses joues. Il semblait vouloir aller mieux, ce qui était très fort de sa part. Peut-être parce qu'il avait de la compagnie. Parce qu'elle, quand elle avait appris la nouvelle, elle s'était enfermée pendant des jours et avait pleuré toutes les larmes de son corps, priant pour que cela la tue. Un peu morbide je vous l'accorde, mais une chose aussi dure est difficile surtout quand on est si jeune.

Elle ne savait toujours pas réellement quoi lui dire, mais elle était sûre que rien parce qu'elle était venue à son aide, il se sentait déjà mieux. C'était le genre de personne qui avait besoin de quelqu'un pour se sentir mieux. Heureusement que Calypso était dans les parages, parce que peu de personnes se seraient arrêtée.

Quand je lui avouai que mon père était mort, la jeune fille eu un léger sursaut, comme si elle avait trébuché. Elle devait être étonnée... mais d'un autre côté, j'avais l'impression qu'elle comprenait ma souffrance. C'était... agréable. Je me sentais curieusement soutenu, physiquement, certes, mais également moralement. Quand je lui demandai son prénom, elle m'adressa un sourire tellement doux et chaleureux que je failli me remettre à pleurer. Cette fille était... incroyablement réconfortante dans sa façon d'être. Oui, c'est le mot. Sa présence était chaleureuse, j'aurais voulu ne jamais la quitter jusqu'à ce que ma douleur disparaisse.

- Calypso Skywalker, mais tu peux m'appeler Caly'. Et toi c'est comment ? ... Tu peux pleurer vas-y ça fait un bien fou !

Les larmes coulaient toutes seules. Je ne m'en rendais pas vraiment compte, j'essayais de penser à autre chose, mais c'est comme si mon cœur souffrait et qu'il dirigeait mon cerveau sans "moi"... Pas très clair, tout ça. Ses paroles me touchèrent plus qu'elle ne l'imaginait sans doute. Quand j'étais petit, mon père passait son temps à m'engueuler quand je pleurais. Il me disait que les hommes devaient rester fort. Heureusement que ma mère était là pour sauver les meubles... sans quoi je serais probablement devenu un dégénéré du sentiment, qui renferme tout au plus profond de lui et fini par péter un câble un jour ou l'autre. Calypso me faisait un peu penser à ma mère. J'avais l'impression de me retrouver dans le même cocon protecteur avec elle qu'avec ma génitrice... Mais quelque chose me turlupinait, dans ce qu'elle venait de dire.

- Calypso, j'aime bien. Comme la nymphe... Moi, c'est Chase Turner. J'ai pas de surnom, c'est nul... ajoutai-je un peu déridé. Mais dis-moi, Caly... Tu as l'air... enfin, tu as l'air de savoir de quoi tu parles. J'ai l'impression que tu me comprends... C'est peut-être con, mais...

Je ne dis rien de plus. J'avais envie de lui dire que j'étais "content" de cette situation, or si elle me comprenait réellement, cela signifiait qu'elle aussi avait perdu un proche, et je ne voulais pas me satisfaire du malheur des autres. J'en aurais été bien incapable.

Je ne m'attendais à aucune réaction particulière de la part de la jeune fille, mais certainement pas à ce qu'elle me soulève à la seule force de... ses bras, ses jambes, que sais-je ? Toujours est-il qu'elle passa son bras sous mon épaule et exerça une pression telle que je ne pus que me lever à sa suite. Elle me dit simplement " Allez, viens..." avant de m'entrainer à la suivre, une main dans mon dos, une autre sur mon torse. J'étais assez impressionné : quelle fille normalement constituée (comme une crevette, quoi) arriverait à soulever un gars plutôt costaud comme moi ? La conclusion me vint immédiatement à l'esprit : une sportive aux muscles bien entrainés. Ainsi, la demoiselle faisait partie des Rho Kappa ? En règle générale, je m'entendais plutôt bien avec les gens de cette confrérie... Alors, pourquoi pas avec elle ? C'était bien parti, en tout cas... J'opinai du chef tandis qu'elle prenait la direction du hall d'entrée probablement bondé. Génial. Je tentai tant bien que mal de reprendre figure humaine, tandis que nous descendions la dernière volée de marches. Arrivés en bas, nous avions plus l'air d'un petit couple que d'une jeune fille aidant un jeune homme en mauvais état. Pourvu qu'Aliénore ne nous voit pas, pensai-je. Ridicule. Alors qu'elle poussait la porte d'entrée, je me décidai à rompre le silence. Je ne voulais pas qu'elle se méprenne sur mon chagrin, j'avais peut-être aussi un peu peur d'être "mal vu"... Un type qui pleure à cause d'une "Voix", ce n'est pas franchement viril.

- Je n'ai pas spécialement envie de t'embêter à te raconter ma vie mais... euh... je ne pleurais pas à cause de cette connerie de Voix, mais... c'est juste que... je viens d'apprendre que mon père, il... Il est mort et...

Le son mourut sur mes lèvres, tandis que je serrais les poings de rage. J'étais ridicule, je ne le répèterai jamais assez. Qu'avais-je besoin d'aller lui raconter ça ?! Je sentais que j'allais de nouveau pleurer et je ne voulais pas du tout que cela se produise, c'est pourquoi je tentai, sans grande conviction, de changer de sujet.

- Dis moi, comment tu t'appelles ?

Je le redis une fois de plus, pour la forme : je suis ridicule. Et je me remis à pleurer en silence, tandis que nous arrivions dans le parc, sous ce fameux chêne qui avait vu naître notre "passion", à Sacha et moi. Je nous entrainai vers le sol et m'assis, tandis que la jeune fille s'installait à mes côtés, à l'ombre du grand arbre protecteur...

Cette fille, je ne la connais pas. Enfin, c'est du moins ce que je pense, étant donné que je n'ose même pas lever les yeux pour voir qui elle est... Est-elle vraiment une fille, d'ailleurs ?! J'ai vu pendre une mèche de cheveux blonds, mais de nos jours un mec peut très bien avoir renoncé à la coupe courte, hein. Je pourrais facilement le vérifier au son de sa voix, mais elle ne dit rien, se contentant de s'asseoir à mes côtés. J'essaye d'arrêter mes larmes mais ce n'est vraiment pas évident. Son silence me stresse. Qui est-elle donc ? Si cela avait été quelqu'un que je connais, du genre... Heather ou Isy ?, elle aurait déjà dit quelque chose ? Après un instant de silence seulement rompu par mes sanglots, qui m'a semblé être une éternité, elle ouvre enfin la bouche, me confirmant que oui, c'est bien une fille et que non, je ne la connais pas encore.

- T'as l'air mal en point, tu voudrais pas du genre aller prendre l'air ou aller te reposer au calme dans ta chambre ?

Génial, elle m'épargne le presque incontournable "ça va ?" que n'importe quel idiot aurait osé me poser ! C'est déjà ça... Parce que non, je ne vais pas bien... C'est trop dur de tout supporter en même temps pour moi. Mal en point, c'est bien le mot. Et, de fait, j'adorerais dégager de ce couloir où les gens commencent à passer - probablement en pensant que je pleure à cause de cette saleté de Voix - mais j'en suis incapable. Comme qui dirait, cloué au sol... Doucement, je lève des yeux probablement rouges et gonflés vers une jeune fille au sourire respirant la bonté, aux longs cheveux blonds et aux yeux bleus. J'essaye de lui sourire pour la remercier de vouloir m'aider, mais j'ai bien peur que mon sourire ressemble plus à une grimace qu'autre chose.

- J'aimerais bien, mais... J'ai les jambes... Je...

J'ai l'air con. Je respire un grand coup. Elle doit me prendre pour une petite chochotte... Tiens, on ne traite pas les gays de chochottes, parfois ? Boh, je ne m'y connais pas ! Et puis, je m'en fout, qu'ils pensent ce qu'ils veulent, j'ai d'autres choses en tête.

- Désolé, je ne sais même pas qui tu es... T'es pas obligée de rester là à me regarder pleurer comme un con.

Je suis un peu plus calme, l'idée de la mort de mon père s'insinuant lentement dans mon esprit, l'acceptant peu à peu. Résignation.

Il y a des jours comme ça où rien ne va. Et quand on repense au bonheur qu'on a eu la chance de goûter les jours précédents, on se dit que c'est bien normal, qu'une telle chose devait arriver un jour pour tout briser. La cafétéria le matin, c'est probablement l'endroit le plus bondé de l'école. Et en ce premier février, j'étais tranquillement en train de savourer mon petit déjeuner, repensant à ma "rencontre" avec Aliénore quand tout a coup, une voix grésilla dans les hauts parleurs. Féminine, sarcastique. Elle commence par s'excuser de ne pas avoir été présente le mois passé, et moi je levai un sourcil interrogateur, parcourant la salle du regard. Certains ont l'air de savoir ce qu'il se passe, mais personnellement, je n'en ai pas la moindre idée. J'écoute vaguement ce qu'elle raconte, d'une oreille distraite. Quand elle commence à parler de ma soeur jumelle, j'ouvre de grands yeux étonnés. Mais qu'est-ce que c'est que ça ?! C'est qui, cette fille ? Kim et Alex, en plus ! Elle raconte n'importe quoi ! J'observe les gens, il y en a pas mal qui ricanent. Je me lèverais bien pour leur casser la figure, mais ils sont bien trop nombreux... Un à un, elle énumère ses ragots ridicules et je décroche. Oui, sauf qu'à un moment, j'entends quelque chose qui capte toute mon attention... Elle dit que Kimberley s'est pris un râteau du "très beau Chase"... Merci pour le compliment, mais comment diable est-ce qu'elle sait ça, elle ?! Un pote me frappe le dos en se marrant, tandis que la "voix" continue sur sa lancée, perfide. "Il semblerait que depuis peu le jeune homme ait viré de bord. Selon mes sources, il aurait échangé un baiser tout ce qu’il y a de plus torride avec le beau Sacha. Sacha-Chase, un nouveau couple en devenir ?"

Je manque m'étrangler avec mes cornflakes tellement je suis choqué d'entendre ça. Évidemment, ça aussi, c'est vrai ! Mais COMMENT est-elle au courant ? Silence gêné de mes amis, murmures moqueurs aux quatre coins de la salle et rire explosif de cet connard de Casteway. Je croise le regard de Sacha un quart de secondes, complètement affolé à l'idée que toute l'école sache ce que l'on avait fait. Lui n'a pas l'air particulièrement choqué, et déjà l'attention des gens est détournée par un autre ragot. Je tente de reprendre face humaine quand mon GSM se met à vibrer rageusement dans ma poche. Je le sors de ma poche et regarde l'écran : "Maman". Merde, elle a sûrement des nouvelles de mon père ! J'espère qu'il va bien... Enfin, aussi bien que possible avec un cancer du foie en phase terminale, quoi. Je décroche et me précipite à l'extérieur de la salle.

- Allô ?!

Au bout du fil, la voix de ma mère m'annonce que mon père vient de succomber à sa maladie. Je ne comprends pas le sens des paroles qui suivent cette annonce, elles me passent totalement au dessus, mon attention focalisée sur cette simple phrase, si cruelle et dure à entendre : " Chase, je suis désolée, ton père... Il est mort. " Dans le hall bondé, les gens me bousculent, certains se moquent de moi mais je ne les entend pas. La tristesse me submerge telle une vague engloutissant un navire dans ses vastes profondeurs. Mes yeux se remplissent de larmes et je coupe mon téléphone, peu soucieux de raccrocher au nez de ma mère. Vite ! De l'air ! Je dois sortir d'ici, m'enfermer pour laisser éclater ma rage, ma tristesse, ma colère ! Je me met à bousculer tout le monde en courant vers les escaliers qui montent dans les chambres. Arrivé dans la troisième volée de marches, qui est vide, je n'en peux plus et j'éclate en sanglots incontrôlés. Je me laisse glisser contre le mur et me frappe le ventre. Je voudrais concentrer ma douleur ailleurs que dans mon cœur, je ne veux pas y penser. Mais rien à faire, j'ai beau me frapper, mon cœur souffre toujours, si ce n'est plus. Tout à coup, une main arrête mon geste. Je n'ai pas entendu la jeune fille arriver, mais elle est là et elle me voit dans cet état. J'aimerais lui dire de s'en aller, mais aucun son autre ne sort de ma gorge que mes sanglots, qui redoublent d'intensité.