C'est la danse des canards ♫ [Maeko]

Mi janvier.

Karen pose ses yeux glacés sur son voisin de classe. Ce n’est l’espace que de quelques secondes, mais elle a envie de le tuer. C’est plus fort qu’elle. À chaque fois qu’elle le voit, elle repense à la soirée, au bal de Noël. A chaque fois qu’elle el voit, elle veut le haïr du plus profond de son âme, mais elle n’y parvient pas. Dès qu’elle détourne la tête, pour ne pas se faire repérer, elle sent cette pointe de tristesse transpercer son cœur et elle entend de nouveau cette conversation avec Jamie. Celle qui lui a permis de se rendre compte qu’elle avait le pire truc au monde. Celui qu’elle ne voulait pas, celui qu’elle ne sait pas gérer, celui qu’elle voudrait pouvoir s’arracher violemment pour le jeter au loin et le piétiner. Mais c’est quelque chose qu’on ne peut pas saisir, quelque chose qu’on appelle plus communément amour. Oui, ça lui fait mal de l’admettre, mais elle est amoureuse de Kevin. Sauf que voilà, il ne veut plus d’elle dans sa vie. Elle a merdé, elle le sait, elle s’en veut, mais elle ne va rien faire. Elle n’est pas du genre à courir comme ça derrière quelqu’un. D’accord, en temps normal, elle fait tout pour obtenir ce qu’elle veut. Quand il s’agit de travail, de notes, ou même d’objets. Sauf que là, on parle d’un être humain, qui lui a clairement fait comprendre qu’il pouvait lui faire du mal s’il le désirait. Elle en sait absolument pas comment gérer ça, comment vivre avec, alors tout ça ressort la plupart du temps sous forme de colère. Si la demoiselle était capricieuse avant, ce n’était rien comparé à maintenant.

Et puis, il y a les autres moments. Les instants où elle fait preuve d’une douceur qu’elle ne soupçonnait pas, ceux où elle semble avoir perdu toute la hargne qui la caractérisait. Des minutes où elle peut se montrer gentille, tolérante, où elle n’a plus envie de mépriser le monde entier, pour la simple et bonne raison qu’elle ne supporte plus le mépris de Kevin à son égard. D’ailleurs, ce midi est un étrange mélange entre les deux parties d’elle-même qui l’étouffent depuis maintenant au moins deux semaines. Une fois le cours terminé, elle récupère rapidement ses affaires et sort de sa démarche féline sans accorder un regard de plus à son voisin de table. Elle disparait rapidement dans la foule qui se trouve dans le couloir pour se diriger vers la cafétéria. Elle doit y retrouver Maeko, une très bonne amie, pour déjeuner. Ça lui fait du bien de ne pas se retrouver seule, sinon, elle est tentée de ne pas revenir en cours de l’après-midi pour éviter les prunelles sombres du Rho Kappa tant détesté.

En chemin, son téléphone sonne. Karen regarde le petit appareil et voit le nom de sa mère. Qu’est-ce qu’elle peut être étouffante elle aussi ! Mais la jeune fille décroche quand même, se disant qu’elle appuie sur le petit téléphone rouge un peu trop souvent. Peut-être que c’est pour un rendez-vous professionnel, la Norvégienne a décidé de recommencer quelques shooting photo, histoire de se faire un nom, de pouvoir faire des castings pour des films, d’être prise et surtout, de se barrer de cette école. Comme d’habitude, la conversation se fait dans sa langue natale, sa mère n’ayant pas pris la peine d’apprendre l’anglais correctement et surtout, ne voulant pas renier ses origines. C’est bien l’un des seuls caprices que l’adolescente lui cède, et elle répond toujours en Norvégien.

- Oui ?

- Ma chérie ! Je te dérange pas au moins ?

Elle retient un soupire. De toute façon, qu’est-ce que ça changerait ? Sa mère a le chic pour appeler n’importe quand, et après elle s’inquiète de déranger !

- Non, mais fais vite, j’allais manger et j’ai encore cours après.

Légère pause tendue. Alors quoi ? Une séance est annulée ? Reportée ? Elle va devoir travailler avec quelqu’un ?

- Ecoute Karen, je sais que ça va sans doute pas trop te plaire mais …

Presque jamais elle ne l’appelle par son prénom, préférant des surnoms débiles pour sa fille qu’elle pense absolument parfaite. Sauf quand elle veut montrer son autorité.

- … je pense que pour ton image, ça serait bien que tu fasses partie de l’équipe des Cheerleaders de ton école.

Karen s’arrête devant la porte de la cafétéria. Elle est sérieuse là ?! Ok, ça devra attendre deux minutes, histoire qu’elle essaie de se calmer.

- Attends.

Elle prend un plateau et met tout ce dont elle a besoin dessus. Au loin, elle repère Maeko à une table, déjà installée. Bon, il va falloir refuser rapidement, et le faire bien, histoire que sa mère comprenne que ce n’est pas la peine de recommencer. Une fois son plateau plein, elle le prend d’une seule main, de toute façon, il n’est pas très lourd, elle ne mange pas beaucoup. Une silhouette pareille, ça s’entretient. Elle prend le téléphone de l’autre et répond, pas calmée le moins du monde.

- Je pense que mon image en a pas besoin. Je refuse de me dandiner en petite tenue, de me faire siffler par ces gros porcs de mecs, juste parce que tu penses que ça peut m’aider. Je saurais faire autrement, merci.

- En fait, c’est pas une proposition, c’est une obligation. Si tu t’occupes pas des papiers, je le ferais à ta place, mais je te laisse pas le choix.

Hein ?! Là, Karen sent la colère monter. De quel droit elle décide pour elle ? D’accord, c’est sa mère, mais quand même.

- Non, je changerai pas d’avis, je NE VEUX PAS faire ça. Depuis quand tu prends des décisions sans me demander ? T’as pas le droit de m’obliger !

- Ecoute, j’ai toujours fait ce qu’il fallait pour ta carrière et c’est pas maintenant que je vais changer mes méthodes Karen. Que tu le veuilles ou non, tu feras partie des Cheer. Discussion close.

Karen entend sa mère raccrocher et retient un juron. Elle va le payer. Elle va voir. Oui, elle a toujours su gérer sa carrière, elle l’a toujours aimée et encouragée, mais elle a toujours voulu lui donner une éducation trop stricte, à tel point que la jolie blonde ne supporte plus aucune démonstration d’autorité comme celle-là. Bon, puisque pour le moment, elle ne peut rien changer, autant qu’elle aille manger. Elle reviendra à la charge ce soir. Elle s’étonne même de ne pas avoir su dire non directement, comme si sa détermination n’était plus. Elle range son téléphone dans sa poche de jean et retire son bonnet, qu’elle pose sur la table, une fois arrivée à la hauteur de la jolie asiatique. Elle se force à sourire et pose son plateau en s’asseyant.

- Hey ! Tu vas bien ?

Tenue: