Il en a fallu du temps, mais les temps change..[Rubi]

Suite à ma question, la jeune femme rapprocha son siège de la table en souriant. Elle se pencha en avant, j’en fis donc de même – comprenant qu’elle allait sans doute me révéler quelque chose que sa mère ne devait pas entendre –. J’étais contente qu’elle ne me tienne pas rigueur des années à Wynwood où j’avais passé mon temps à l’ignorer. Pour ma part, je comprenais qu’elle en ai fait de même, vu le caractère imbuvable que j’avais auparavant.

« Disons que la technique infaillible pour ne pas pouvoir dire non a été découverte. Je ne comprends d’ailleurs pas leur entêtement si c’est pour qu’au final on finisse en bout de table et que la seule fois où on s’adresse à nous c’est pour savoir ce que l’on va prendre à manger ! » me glissa-t-elle, ce qui me fit sourire et opiner du chef.

« Hm, tu as raison… on fait un peu tapisserie, mais je dois dire que pour ma part, j’ai l’habitude. Je suis surtout contente de ne pas être la seule dans ce cas, ce soir » lui répondis-je.

Les serveurs apportèrent ensuite les apéritifs. Un jus de lychee, pour ma part. Jamais d’alcool devant ma mère – et d’ailleurs, même en dehors, je n’étais pas vraiment férue d’alcool… trop jeune, à mon sens, pour déjà picoler –. Tout le monde trinqua à la future collaboration de M.A.C et de Vogue, Théa et moi y compris… sans oublier le sourire satisfait et angélique de rigueur dans pareil cas. Nous nous tournâmes ensuite l’une vers l’autre, échangeant un sourire déjà complice en si peu de temps. La jeunesse a cela de bien que l’on oublie les rancoeurs facilement pour se lier d’amitié tout aussi facilement.

« Au filles reléguées en bout de table ! » trinqua-t-elle discrètement.

« Oui, à nous » répondis-je en répondant à son clin d’œil.

Je bus une gorgée de ma boisson, délicieuse au passage, et pris ensuite un amuse-bouche. Théa fit pareil, et nous restâmes quelques secondes silencieuses pour les déguster. Je n’aimais pas particulièrement manger. Je le faisais plus par obligation que par plaisir, mais il fallait avouer que c’était vraiment bon. Ce restaurant méritait sa réputation.

« Alors, quoi de beau depuis le temps ? Je vois que tu t’es résolue à choisir un style plus sobre, en tout cas le blond te va bien ! »

Je laissai échapper un léger sourire, en repensant à mon ancien style…, disons très coloré, voyant, excentrique : j’en passe, et des meilleures.

« Merci ! Disons que… il y a un moment où il faut sortir de la connerie, comme dirait un de mes amis. J’aimais bien attirer l’attention sur moi, avant. Je suppose que mon bonheur passait par la popularité, et tous les moyens sont bons pour se faire remarquer » avouai-je. « Et au final, je me suis rendue compte que je n’avais pas besoin de ça pour attirer à moi les personnes qui en valent vraiment la peine ».

Je souris, en sentant mes joues se colorer légèrement. Je pensais à Ki… que je n’aurais sans doute pas rencontré si je ne lui avais pas lancé de l’eau dessus, lorsque j’étais encore dans mon rôle de garce. Mais c’était bel et bien grâce à lui que je m’étais considérablement calmée.

« Bon, et toi, alors ? Je me souviens que tu avais déjà du goût, quand on piquait les affaires de nos mamans pour s’habiller avec ! » lui dis-je, en souriant. « Tu fais toujours autant de sport ? »

Je me souvenais qu’elle était vraiment hyperactive, quand nous étions plus jeunes.

« Si je me souviens bien… tu n’arrêtais pas, avant ! Je sais que tu es cheerleader, mais à part ça… ? » la questionnai-je avec intérêt.

Pour ma part, j’avais gardé de mon enfance un goût certain pour les beaux vêtements et je m’étais améliorée en matière de pose de vernis. Je me souvenais de quelques fois où ma mère m’avait retrouvée avec presque toutes les phalanges peintes en rose, ou en rouge. Je ne me faisais jamais engueuler, quand c’était le cas. Au contraire, elle souriait et m’emmenait avec elle dans la salle de bain pour rectifier tout cela. J’imagine que mon goût pour le nail-art m’était venu de là.

« Hm, et sinon... tu me parlais tout à l'heure d'une technique infaillible pour éviter ces soirées ! Je serais curieuse de la connaître, j'apprendrais peut-être à dire "non" à ma mère, comme ça ».

« Chérie, pour ce soir, j’aimerais que tu portes la dernière collection » me demanda ma mère au téléphone, alors que j’étais en train de m’apprêter dans la chambre que je partageais avec Salma, la Chef des Eta Iota et accessoirement la pire poufiasse de la Planète. « Surtout le highlighter, avec les lumières du restaurant je suis sûre que cela sera du plus bel effet. La Rédactrice en Chef de Vogue ne pourra que tomber sous le charme.
- Hm, si tu insistes… mais il ne va pas avec les derniers rouges à lèvres de la collection Rihanna.
- Ce n’est pas grave, elle ne sera pas commercialisée tout de suite, prends plutôt le prune de la collection d’hiver, il est encore en magasin… c’est le moment de le voir dans les magasines !
- D’accord.
- Merci chérie, tu es un ange. Je passe te prendre à 18 heures 30, on ira voir Tonio avant la réception. Ciao bella ! »

Je raccrochai mon téléphone et le posai sur ma commode, juste à côté de moi. Mes yeux foncés se posèrent sur les produits choisis par ma mère pour être représentés ce soir au diner d’affaire de la société M.A.C, et je soupirai. Je me maquillais beaucoup moins, ces derniers temps. Ma rencontre avec Ki avait changé énormément de choses chez moi… dont le nombre de centimètres de fond de teint que je me tartinais chaque jour sur le visage. Néanmoins, ma mère comptait sur moi. J’avais beau faire tous les efforts du monde pour ne pas être la fille parfaite à ses yeux – ou me forcer à y ressembler, en tout cas – et plutôt être moi-même, je n’y arrivais pas. J’avais bien trop peur de la décevoir. Assise devant mon miroir, je pris donc un pinceau et mon fond de teint… et commençai la transformation. Salma rentra dans la chambre, alors que j’étais en train de tracer un trait d’eyeliner sur ma paupière, au ras de mes cils supérieurs. Depuis qu’elle était enceinte, il lui arrivait d’avoir des sautes d’humeur… mais j’avais à présent une arme de poids – c’est le cas de le dire – lorsqu’elle essayait de me traiter de grosse. Son ventre qui s’arrondissait de jour en jour avait de quoi me réjouir, de ce point de vue-là. Néanmoins, je ne l’attaquais jamais… je ne faisais que riposter quand elle se risquait à être désagréable. Et en cela également j’avais beaucoup changé. Je n’étais plus cette peste agressive et m’as-tu-vu que la plupart de mes anciens camarades de classe avaient un jour ou l’autre du craindre. Non, j’étais beaucoup plus calme et je ne me moquais plus gratuitement des autres.

« Où vas-tu, maquillée comme ça ? » me demanda-t-elle, visiblement trop curieuse pour être mauvaise langue – pour une fois –.

« Un gala professionnel au boulot de ma mère » lui répondis-je en traçant la virgule de mon trait d’eyeliner.

Salma ne me répondit pas, elle se contenta de repartir sans un mot, et je terminai de me préparer. Faux-cils, gel pour sourcils, enlumineur, blush, bronzer, rouge à lèvres : la totale. Je me glissai ensuite dans une robe bleue marine en satin. La robe était fluide et tombait sur mes hanches, cela ne mettait donc pas trop l’accent sur mes fesses mais en revanche, elle était cintrée à la taille pour souligner celle-ci – qui restait fine malgré mes seins et mes fesses aux arrondis généreux –. Une paire d’escarpins Louboutin de la même matière, et j’étais prête. (Clique)
A l’heure prévue, ma mère débarqua dans sa Porsche et je montai à l’avant, direction le coiffeur. J’en ressortis avec une permanente du plus bel effet… comme au bal de Noël. A cette pensée, je rougis en détournant la tête vers la fenêtre. J’avais passé la soirée avec Ki, et c’était l’un de mes meilleurs souvenirs de l’année 2013. Bref, nous arrivâmes finalement à la soirée, dans un restaurant ultra chic de Miami. Ce n’est pas que je n’aimais pas ce genre de soirée, mais je finissais toujours par m’y ennuyer lorsque ma mère se mettait à négocier des contrats, des interviews, des apparitions,… En revanche, pour ce soir, elle m’avait promis qu’une jeune femme de mon âge, qui allait elle aussi à Wynwood, serait présente pour me tenir compagnie, comme elle disait. Un portier prit la voiture, et nous descendîmes sur le trottoir ma mère et moi. Derrière nous : l’associé de ma mère, le PDG de l’entreprise, l’attaché de presse, une mannequin et un maquilleur professionnel. Tout un programme, pour présenter la future collection. Les photographes nous accueillirent en s’en donnant à cœur joie sur le flash. En veux tu, en voilà ! Cela signifiait par conséquent que quelqu’un de connu était déjà à l’intérieur, parce qu’il était plus rare qu’une entreprise de cosmétiques suscite un tel intérêt pour la presse people. Nous ne serions même sans doute pas dans les journaux du lendemain, puisque nous n’avions pas prévu de repartir en même temps que la Rédactrice en Chef de Vogue.
Une fois dans le restaurant, nous repérâmes rapidement notre table. Et en effet, la jeune femme qui y était installée avec sa mère ne m’était pas inconnue : je l’avais déjà vue à des soirées similaires – sans jamais réellement lui parler, du moins depuis notre arrivée à Wynwood, car lorsque nous étions plus jeunes il nous arrivait de jouer ensemble –. Si mes souvenirs ne me trahissaient pas, elle s’appelait Théa et était plutôt sportive, d’après ce que j’avais pu voir. Les présentations furent faites rapidement, et je dus m’asseoir face à ma camarade. Nous étions reléguées au rang de faire-valoir, mais je préférais largement cela à être sous le feu des projecteurs. A l’heure actuelle, en tout cas, avant cela ne m’avait jamais vraiment dérangée. Un serveur prit nos commandes pour les apéritifs, et ma mère se lança dans sa discussion avec celle de Théa. A peine si nous existions encore pour elles. Je passai une main dans mes cheveux et sourit à la jeune femme, presque timidement. On avait pas eu l’occasion de se voir depuis un moment, et la dernière fois remontait à l’époque où je n’avais peur de rien – pas même de me colorer les cheveux en rose, rouge, bleu, vert,… les 4 à la fois ! Actuellement, ils étaient blonds et ce depuis ma « métamorphose ».

« Hm… Théa, c’est bien ça ? Moi, c’est Rubi, je ne sais pas si tu te souviens de moi ? Je pense qu’on est dans le même Club sportif, les Cheerleaders ? Non ? » lui dis-je pour entamer la conversation, tant bien que mal.

Je n’étais pas asociale, mais le fait est que le courant n’était pas toujours passé entre nous lorsque nous étions plus jeunes… j’étais donc un peu mal à l’aise de me retrouver assise face à Théa, en sachant que j’avais sans doute été odieuse avec elle, avant. Je lui souris, puis posai la première question qui me passait par la tête – pas trop fort, pour ne pas être entendue de nos parents –.

« Toi aussi, on t’a forcé la main pour cette soirée ? »

Bon, d’accord, pour ma part ce n’était pas vraiment le cas… mais le simple fait que ma mère me le demande m’obligeait en quelques sortes à y participer. Je ne voulais pas lui déplaire, surtout. J’avais mis des années à construire la fille parfaite que j’étais devenue à ses yeux, je ne voulais pas qu’elle sache qu’en réalité j’apprenais tout doucement à devenir moi-même, et donc à l’opposé de ce qu’elle avait toujours voulu pour moi.