This is not just a comeback || Dwight

C'était fini. Lui et moi. Tout était fini. Il n'y avait plus rien à faire. C'était trop tard. J'ai ma fierté et c'est pour cette raison que je ne me battrais pas. Les propos qu'a tenu Dwight me font souffrir. Il a visé juste. Il a cette manie de lire en moi comme dans un livre ouvert et pourtant la tâche est rude ! Je déteste ça. Je déteste le fait qu'il puisse tout savoir sans mon autorisation. Il n'a pas le droit de se frayer un chemin sans payer les douanes. Nous ne nous sommes pas vu depuis longtemps et pourtant il entre aussi facilement qu'au premier jour. Je fais tout pour lui barrer la route ! Je ne veux pas le laisser entrer. Lui et n'importe qui d'autre... C'est ainsi. Ne me demandez pas pourquoi. J'ai toujours eu peur de faire fuir ce qui parvenait à entrer. J'ai peur de les voir disparaître au loin. Comme Dwight aujourd'hui. Finalement cette rencontre fortuite m'aura appris quelque chose. Que la personne entre ou non dans mon cœur, je finis par la perdre. Je ne peux pas lutter contre ce fait. Maintenant, la souffrance se mêle à la haine. Un savant mélange au goût âpre qui envahit mon être et mon cœur. Je n'ai pas grand-chose à cacher... Je n'ai tué personne... Je n'ai tué personne.

Une brève image se colle sur ma rétine. Elle s'imprime en moi, me fait frissonner et me donne le vertige. Abandonnée, seule, sans secours et sans avenir. Qu'ai-je fait pour continuer de vivre ? Un être humain peut-être si rapidement démuni. On nous donne la vie et du jour au lendemain celle-ci disparaît dans les décombres d'une maison en ruine. La fureur de la Terre nous emporte et nous détruit. La rage de vivre ne fait pas tout. Elle n'aide pas à chaque fois. Il ne suffit pas de le vouloir. D'un claquement de doigts, le château de cartes s'effondre. Une légère brise de vent et nous pouvons dire adieu à un chef d’œuvre...

Une main encercle mon bras freinant ma course. Mon cœur se contracte. Je sens mon souffle se couper un instant. L'image disparaît enfin lorsque Dwight se braque devant moi. Il n'en a pas fini. Il veut enfoncer le couteau un peu plus profondément dans ma chaire. Vas-y ! Fais-toi plaisir ! Je n'en demande pas tant. La douleur fera peut-être partir ces quelques cauchemars qui envahissent mes pensées. Il est là, devant moi, et je ne sais pourquoi ma gorge se bloque. Je sens le chagrin nouer mon estomac, me tordre les tripes et me donner la nausée. Il n'a encore rien dit et je suis au bord des larmes. Ses mots seront destructeurs. A coup de catapulte, de bombe, de bélier, de flèches ; il détruit ma forteresse. Il s'attaque à moi dans une rage destructrice. Il fait peu à peu de mon mur de glace le vestige d'une ancienne muraille.
Il est le seul à pouvoir lire en moi... Le seul à me comprendre sans parler... Il sait qu'il est le mieux placé pour me comprendre. Mais j'ai Ugo, je sais que je peux compter sur lui. Je savais. Il y a quatre mois, j'aurais tout abandonné pour lui. Il savait mes faiblesses. Il connaissait mes failles. Il pouvait me réconforter. Il était le seul... Aujourd'hui, j'ai l'impression de l'avoir perdu lui aussi. Ils étaient deux. L'un a qui j'ai tout dit mais qui n'a pas eu confiance de tout me dire. L'autre voulant que je lui dise tout et en qui je n'ai pas eu confiance...

J'ai tout perdu. Seule. Abandonnée. Sans aucune issue de secours. On en revient au point de départ. Comment m'en sortir ? Accepter son aide ? Pourquoi ferait-il cela ? Il dit qu'il n'est pas mon ennemi et pourtant il me déteste. Je le sens. Il a cette étincelle de haine et de pitié dans le regard. Il pense que je suis perdue et que sans lui je n'irais pas plus loin... Il a raison mais je ne veux pas être sauvée. Pas encore. Regardez ma vie ! Regardez-moi ! Je ne suis qu'une gamine chanceuse. Née dans la bonne famille. Éduquée dans les meilleures écoles. Installée dans le plus grand appartement possible. Incitée à voyager partout dans le monde. Je suis censée être heureuse et satisfaite de ma petite vie tranquille. Pourtant c'est l'exact opposé qui se joue en moi. J'ai l'impression de n'être qu'un pion dans la grande famille des Pennaccini. Je ne suis qu'une rescapée, une pauvre petite chose qui ne mérite ni gloire, ni amour. J'ai eu de la chance voilà tout.

Notre relation ne serait plus jamais la même... Il le dit lui même. Alors pourquoi prendrait-il le temps de m'aider ? Pourquoi m'obliger à retrouver un chemin ? Je me suis peut-être perdue volontairement, y pense-t-il ? Une punition... Voilà ce qu'il me fallait. J'ai fermé les yeux et j'ai avancé dans la forêt. J'ai attendu dans le froid, la nuit, les cris. J'ai finalement recommencé à chercher à sortir. Mais je crois qu'à chaque fois que je l’apercevais au loin, je faisais tout pour m'en éloigner. C'est ce que j'ai fait avec Dwight. Il était cette lueur d'éclaircie au loin. Il était ce petit coin de verdure accueillant et réconfortant. C'était une sortie. Il m'attirait vers la lueur, vers le bonheur et j'y ai refusé. Je crois que c'est de famille. Ugo a fait la même chose avec moi. Alors que nous nous serrions les coudes, il a fui et a tout détruit. C'est ainsi, c'est en nous. Comment Dwight pourrait-il m'en sauver ?

Une larme roule sur ma joue. J'essaye de la retenir. A chacun des mots qu'il me disait, j'essayais plus fort. Je la voulais en moi. Je ne voulais pas lui montrer que j'étais si faible. Je ne souhaitais pas qu'il sache qu'il était parvenu à détruire ce mur entre nous. Rien ne sera pareil mais il ne peut nier que nous avons eu plus... Il sait pourquoi je suis partie à l'époque. Il a tout compris. Lui... Monsieur Perfection. Il a tourné la page mais tient toujours à moi. Je me demande encore pourquoi... Pourquoi s'accrocher lorsque l'on sait que c'est perdu d'avance...
Mais brutalement, je me revois. Je me suis accrochée à l'époque. Je fermais les yeux et j'agrippais ce morceau de bois. Je m'y accrochais si fort que le sang ne coulait plus aussi bien dans mes bras. Ou bien était-ce parce que j'avais perdu trop de sang... Je m'accrochais pour revoir Ugo, pour que ce soit lui que je prenne dans mes bras. Il était là. Je le savais. Je pleurais. J'avais froid et peur mais je m'accrochais.

Une nouvelle larme parvient à m'échapper. « Tu es quelqu'un de bien Dwight... De très bien... » J'approche ma main pour caresser doucement la joue que j'ai giflé plus tôt, mais je reste à cinq centimètres de sa peau. Je le contemple un instant en essayant de dénouer mes cordes vocales. « Tu as ce don pour tout savoir de moi sans que je ne dise rien... Je... Ça me fait peur. Tu as gia vu la vie di quelqu'un quitter son corps ? Tu as déjà vu le malheur se rependre sur tutt.. toute une famille qui n'a rien demandé ? As-tu déjà contemplé un paysage apocalyptique ? As-tu déjà réalisé ton pire cauchemar ? » Mon accent ressort, des mots italiens se glissent dans mes phrases. Ma tristesse embrument mon cerveau. Je me mélange les pinceaux. Pourquoi suis-je si bouleversée ? Est-ce uniquement à cause de ce qu'il a dit ? Ou bien parce que je viens seulement de réaliser que je l'avais définitivement perdu ?
Je ne connais pas tant de choses sur Dwight. Tout est allé très rapidement entre nous mais lui et son sourire flamboyant n'ont pas l'air d'avoir traversé les pires étapes que la vie a pu créer. « Il y a certaines choses qu'on n'oublie jamais et parfois on tient à s'en souvenir même si pour cela on doit souffrir quotidiennement. C'est cette douleur, cette peur de tout perdre du jour au lendemain qui me rappelle ce que je suis et pourquoi je suis ici. Je ne veux pas être sauvée parce que je n'aurais pas dû l'être... Je ne voulais pas me débarrasser de toi. Je t'ai...Je t'aimais. Je n'ai cessé de penser à toi. Mais ce bonheur... » Ma gorge se noue à nouveau. J'aimerai lui dire que je ne pense pas méritait d'être heureuse. Je me suis persuadée que ma vie ne valait pas celle de ceux qui l'on perdu. Elle ne valait pas la sienne.

« Tu as trouvé quelqu'un d'autre, profite de ça. Profite de chaque matin qui s'offre à toi. La vie est courte. Mon père en paye les frais aujourd'hui. Et tu sais, je m'en sortirais. Je m'en suis toujours sortie. Je ne refuse pas ton aide... Non sono... Je ne... En fait, je ne sais pas quoi te dire... Je veux juste arrêter de parler. » Et boire un verre... Voilà ce dont j'ai brutalement envie. Boire un verre et ne plus parler. Rester là, les yeux fermer à écouter de la bonne musique tout en sirotant du Bourbon.

Parfait. Monsieur Perfection. Ce mec est drôle, beau, intelligent, gentil, attentionné et il ne se prend pas la tête. C'est l'incarnation du type parfait, celui dont toutes les filles rêvent de rencontrer. Mais ce gars est inaccessible. Il formera sans doute le couple de l'année avec la jolie blonde au sourire étincelant typiquement américaine. Je vois déjà la photo de l'album du lycée. Kate et Dwight, le bonheur à l'état pure. Un homme avec beaucoup de charme et d'élégance accompagné d'une délicate jeune fille au parfum de rose et au rire cristallin. Marions-les et dans dix ans à la réunion des enfants élèves, ils nous feront baver en nous présentant leurs magnifiques bambins à la peau caramel. Qu'ils aillent au Diable. Qu'il aille brûler en enfer. Lui. Lui et son sourire, ses mots doux et son amour. Comment vouliez-vous que je reste ? Des cicatrices parcourent mon corps et je suis loin d'être sûre qu'on me mettra ne serait-ce qu'un mot doux sur mon album.

Je pense que je ne suis pas encore énervée contre lui, il faut qu'il en rajoutant en m'attaquant. Il prend un malin plaisir à garder ce ton calme et posé tout en m'annonçant mes quatre vérités. Il n'a plus rien à dire me concernant. Je suis libre de faire ce que je veux. C'est trop d'honneur ! Je ne lui en demandait pas tant ! Merci de me rappeler que nous ne sommes plus rien l'un pour l'autre ! Je n'étais pas totalement sûre. Et monsieur me crache son bonheur en plein visage. Il a retrouvé quelqu'un...

Il est heureux. Il s'en fout de moi. Voilà qui est parfait ! Je peux partir sereine et ne plus jamais avoir à lui adresser la parole. Il peut vivre son bonheur. Je suis sûre que cette fille est bien plus sympa que moi. Plus saine d'esprit également...
Je ne suis pas jalouse. Réellement. Je suis contente qu'il ait trouvé quelqu'un. Il le méritait. Il avait juste choisi la mauvaise personne en misant sur moi. Je crois que personne n'est vraiment fait pour moi. Ou plutôt personne n'est fait pour supporter le fardeau que je suis. Quoi qu'il en soit, tant mieux pour lui ! Je lui offre même un petit sourire en échange de cette charmante nouvelle.

Dwight reprend la parole. Il commence par la phrase la plus matérialiste qui soit. Je pensais ainsi il y a peut... Chaque jour est l'occasion de porter un bonne tenue... Chaque jour n'est-il pas plutôt l'occasion d'être une bonne personne ? Que l'on porte du Versace ou un vieux gilet. La suite est un peu plus perspicace. Il n'y a que la vérité qui blesse. Je dois avouer que j'aurais préféré ne pas l'entendre. Je me plaisais dans mon monde de mensonge. Il faisait illusion en attendant que je trouve la solution à mes problèmes. Il me donnait un peu plus de temps ! Merci Dwight de tout ruiner. Merci de dire à haute voix ce que JE devrais me dire.
Comme par hasard, il marque un temps de pause. Mes yeux ne le quittent pas. Je sais qu'il ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Il a ouvert les vannes et il a encore pas mal de chose à me reprocher. Ma mâchoire se crispe mais j'essaye de rester décontracter. Je me force à garder le dos droit et les épaules le plus bas possible. Je veux l'affronter. Je ne me déclarerai pas vaincue comme ça ! Je suis une guerrière. J'ai affronté bien pire que ça ! Il peut m'attaquer à coup de fourche, me fouetter, m'ensevelir, m'insulter, me mépriser. Rien ne me fera plus de mal que ce que j'ai enduré. Mais il faut qu'il se venge. Je veux entendre ses reproches. Rabaisse-moi ! Vas-y ! Je n'attends que ça ! Tu verras, je suis capable de remonter la pente. Avec ou sans aide.

Le jeune homme continue sur sa lancée. Dwight a réussi à percer l'un de mes mystères en quelques minutes. En un clin d’œil, il a su distinguer le vrai du faux. Comment fait-il ça ? Il me juge. Il se permet de dire que je m'y prends mal, que je suis lâche et que je ne dupe personne. Il est là à parler de mon apparence et mes fuites. Que sait-il ? Vraiment ?
L'italienne que je suis à légèrement envie de s'emporter et de lui mettre une main en pleine figure. Légèrement !

La chose que Dwight n'a pas compris, c'est qu'à un moment il faut s'arrêter. Il faut juste se taire un peu. J'acceptais toutes ses remarques jusqu'à présent. Je les prenais et les emmagasinais. C'était volontaire. J'avais besoin d'entendre ses reproches, c'était ma punition. Mais là... Il fallait juste qu'il se stoppe.

Chaque mot qu'il prononce renforce un peu plus la forteresse que j'ai bâtie autour de cœur. Mes peurs ? Que connaît-il de mes peurs ? Il ne sait rien et n'a jamais rien su. J'aurais pu lui en parler à l'époque. Il aurait peut-être même pu l'apprendre par nos parents. Mais comment ? Comment laisser entrer quelqu'un dans notre cœur quand nous ne sommes pas encore sûr que celui-ci est parfaitement réparé ?

Ce qui va suivre, je tiens à vous prévenir, est un acte totalement irréfléchi. Mes gestes ont pris le dessus sur mes réflexions. Plutôt que de rester assise, j'ai peut-être quelque peu eu le sang chaud. On peut me pardonner, c'est de famille !

Je me lève brutalement de ma chaise et envoie valser ma main contre le visage de Dwight. Je souffle légèrement puis lui répond d'un ton sec : « Je ne te permets pas de me juger. Tu ne me connais pas. Tu m'as idéalisée. Crois-moi, si j'avais eu envie que tu m'empêches de partir à la dérive, dès le début je t'aurais prévenu que c'était déjà trop tard. Que c'était perdu d'avance !» Je me redresse, attrape mon sac et m'apprête à partir. J'ai quand même une dernière chose à lui dire avant de le quitter. Car je sais pertinemment que si je pars maintenant, ce sera définitif. « J'étais déjà paumée quand on trainait tous les deux ! Et ouais, je le suis toujours. Tu es juste devenu lucide et je t'en félicite, tu vois ce qui a toujours été devant tes yeux ! Bravo !» Si j'avais été bien à l'époque, je n'aurais pu eu de crise de panique. Les fringues me cachaient. C'est ça qu'il ne comprend pas. Il croit que mon nouvelle apparence signifie que je me suis laisser faner et dépérir mais c'est bel et bien le contraire. J'ai tout fait pour tenter de reprendre ma vie en main. J'ai essayé tout du moins. Je n'y suis pas encore arrivée. Mais le chemin est long. On dit même qu'il est semé d’embûche. Voilà ce que je suis. Je suis quelqu'un qui tente de se battre et qui arrête de se cacher. Je laisse mes émotions me submerger alors qu'avant elles étaient toujours contenues derrière un masque. Je n'ai pas réagi lorsque mon père est allé à l'hôpital... C'est ça le problème ! Il y avait quelque chose qui n'allait pas chez moi et je dois le réparer.

Je secoue la tête. « Sur ce, ton jugement et ta sincérité m'ont touchée. J'ai été ravie de faire ta rencontre aujourd'hui. Si un jour tu as envie de venir me dire d'autres vérités sur moi, juste au cas où je ne les saurais pas déjà, tu es toujours le bienvenu ! Maintenant tu m'excuseras et je pense que tu es assez malin pour comprendre ça, mais je vais vous laisser. Toi et ton chocolat chaud !» Je le regarde à nouveau. Je me dis que cette conversation pourrait sans doute être la dernière que nous n'ayons jamais. Il aura des bonnes raisons de me détester et j'ai enfin reçu sa vengeance. Est-ce mieux que le silence ? Difficile à dire...
Au fond de moi, je tiens encore à lui. J'ai si souvent pensé à ce que je pourrais dire. Le lendemain, je voulais revenir le voir. A la minute même où j'ai quitté sa maison, j'ai voulu faire demi-tour. Mais c'était trop tôt, je n'étais pas prête. Et puis le temps à passer. C'était alors trop tard. Je ne pouvais plus revenir comme ça, la bouche en cœur et battant des cils. Je ne sais pas ce qui cloche chez moi. Enfin si je le sais mais je ne sais pas comment le réparer. La confiance ça ne s’achète pas. L'amour non plus...

Je ne demandais pas grand-chose. Juste un peu de temps. Rien que du temps. Mais ce dernier est destructeur. Il a tout ruiné. Un amour. Une liaison. Un amitié. Un lien... J'avais trouvé quelqu'un qui me comprenais sans parler. Quelqu'un avec qui j'avais l'impression d'être moi-même, sans démon, sans craintes. Et pourtant... Voilà où nous sommes arrivés. Moi quittant cette terrasse pleine de rage envers Dwight et moi-même. Un beau tableau, n'est-ce pas ?

L'hirondelle vole. Elle plane à la recherche du soleil. Elle vient se poser à un endroit précis. Une maison... Après son voyage, elle y reviendra. Pas besoin de GPS, de carte ou d'adresse, elle sait où se trouve cette maison. Elle possède son repère.
Je n'y connais strictement rien en hirondelle. C'est juste une remarque que je me suis toujours fait en les voyant passer dans le ciel. Majestueuses, intrigantes, malicieuses. Elles sont libres d'aller où elles le souhaitent et pourtant leurs voyages sont toujours dirigés dans les mêmes sens. Elles vont et viennent. Elles arrivent et repartent. Elles savent quand il faut partir.

J'aurais aimé avoir ce sens en moi, cette voix qui vous dicte qu'il est temps de partir pour le soleil. J'ai pris l'avion pour Miami il y a deux jours et j'ai l'impression que ce n'était pas le bon timing. Comment savoir ? Comment font-elles ? Elles ont ça en elle, pourquoi pas nous ? J'aurais souhaité avoir cette maison qui m'attend et dans laquelle je peux retourner les yeux fermés. Pourquoi ne suis-je chez moi nulle part ? Peut-être parce que je voyage seule... Je suis entourée mais mon cœur est blindé. Il est infranchissable. Il me sépare de tous ceux qui m'entourent. Comme Dwight. Il ne pourra jamais comprendre pourquoi je suis partie. Comment comprendre ? Et de toute façon je préfère passer pour la salope qui ne l'aimait pas autant que lui plutôt que pour cette fille faible qui n'arrive pas à savoir ce qui est bon pour elle. Je voulais tout contrôler à l'époque. Je voulais être maître de mon destin. C'était trop demander. Personne ne choisit ce qu'il lui arrivera. Un jour notre cœur arrête brutalement de battre et l'autre on gagne à la loterie. Un jour on trompe sa femme et l'autre on se fait agresser dans la rue. Une vague peut venir détruire tout un peuple et une tornade emporte quand elle veut nos toits. Si nous laissions notre instinct animal prendre le dessus, peut-être que nous pourrions sentir le danger arriver. Mais pour l'instant, nous ne sommes que des âmes perdues. Des âmes qui se perdent dans le labyrinthe de la reine de Cœur. C'est ce foutu cœur qui fait de nos vies un véritable enfer.

Il va mieux... Le choix de ces mots n'est pas anodin. Je me sens coupable et ça m'énerve. Je me dis qu'il fait ça exprès. C'est sa manière de se venger. Évidemment... J'aurais fait pareil. Peut-être aurais-je été plus cruelle. Il est là. Il prend tout son temps pour me répondre et moi je me pose toutes ses questions. S'est-il renseigné sur ce qui m'est arrivé ? Me suit-il sur un quelconque réseau social ? A-t-il eu des nouvelles ? Peut-être qu'il s'en moque royalement. Il joue les diplomates. Il vient prendre des nouvelles d'une vieille amie comme si rien ne s'était passé. Un sourire, un verre partagé et on tourne la page comme les plus beaux hypocrites. Il faut être hypocrite pour survivre sur Terre alors pourquoi ne pas rejoindre le club ?

Aigrie ? Oui, je le suis peut-être un poil. Il m'a coupé dans mes réflexions. Il m'a surprise. Il me force à faire face à cette fille que j'étais et que j'essaye de combattre. Il commande un chocolat chaud alors que je me contente d'un thé glacé. Le feu et la glace. Il chaleur entre ses doigts et les glaçons entre les miens. « Je me suis demandé plus d'une fois comment je réagirais en te voyant après ton départ éclair. » Il rajoute encore un peu de suspens en coupant chacune de ses phrases par une gorgée. Ça m'agace. J'ai envie de le secouer, de lui dire qu'il n'a pas à prendre de gants avec moi. Je ne suis pas un petit être fragile. Je ne veux plus être cette fille qui fait une crise de panique sur un bateau. Je ne veux plus parler des cauchemars qui me réveillaient en sueur chaque nuit. Je n'ai rien à voir avec cette demoiselle qui était bourrée de peurs et d'incertitudes. Je suis celle qui a changé. Celle qui ne se cache plus derrière un tas d'accessoire hors de prix. Je n'utilise plus ma collection de sourires pour tromper ceux qui m'entourent. J'ai changé....

La sentence finit par tomber. Dwight m'avoue qu'il est heureux de me voir. Je hausse un sourcils puis baisse les yeux sur mon verre. Content. Je ne m'attendais pas à entendre ce genre d'adjectifs. Je devrais me sentir soulagée. C'est mieux comme ça, non ? Mais même au fond de moi, je ne trouve pas cette petite étincelle de joie. Je suis morose. J'aurais voulu qu'il m'insulte, qu'il me dise que je ne suis plus rien pour lui, qu'il m'a oublié et que nous n'avons plus rien à partager. Une punition... J'aurais préféré subir ça...
Quand on y réfléchit bien, tout ce que je vous raconte sur moi depuis le début n'est qu'un mensonge. Je n'ai pas changé du tout. J'ai juste modifié mon camouflage pour me donner bonne conscience. Je suis toujours aussi lâche. Je préfère perdre définitive le meilleur ami que je n'ai jamais eu plutôt que d'affronter ma faiblesse. Pitoyable, n'est-ce pas ?

« Et toi Tea ? Comment vas-tu ? J'ai dans l'idée qu'il y a eut pas mal de changement dans ta vie et j'ai pas besoin de voir ta tenue décontracté et ton paquet de clope pour comprendre. » Il attrape mon paquet pour le tripoter dans tous les sens. Je hausse les épaules et retient un rictus... « Faut croire que j'ai changé oui. » Mensonge. Je fixe mon paquet puis le visage du jeune homme avant de boire une gorgée de thé glacé. La fraîcheur parcourt mon corps. « Il fallait que je trouve une excuse pour sortir de l'hôpital... A force de boire du café, j'avais des insomnies. Je suis passé aux clopes. Au moins, j'étais obligée d'aller dehors et mon père n'a pas eu la force de me faire la morale. Tu m'étonnes...» Légèrement cynique et amère ma réplique se veut provocatrice. Peut-être dégoûtera-t-elle Dwight et il fera tout pour mettre fin à la conversation. « Je viens d'arriver. Seule. Je me suis contentée d'un seul bagage... Ça limite le choix des fringues! » J'aurais pu bien évidemment venir avec plusieurs valises mais il aurait fallu les préparer, les porter, payer des suppléments... J'aurais pu mais je n'en avais aucune envie. Je n'étais pas vraiment pressée de revenir ici. Ni même de rester... Je voulais juste bouger. J'ai pris une poignée de vêtements que j'ai fourré dans une valise. Je crois que ça ne dérangerait même pas ma mère que je refasse entièrement ma garde-robe ici. Elle estime qu'il faut tous les ans racheter de nouvelles pièces pour être à chaque saison à la pointe de la mode. Je suivais ce rituel sans réfléchir. J'aimais être mise en valeur. J'attirais les regards. Je ne passais pas inaperçu. Ça me permettait d'attirer plus de monde et d'en rejeter plus. Question de proportionnalité... Dans tous les cas, ce petit manège me donnait l'impression de tout contrôler.

« Ça ne te plaît pas ? J'imagine que ça change ce style ce moi... De toute façon, je n'ai pas vraiment eu d'occasion pour porter de magnifiques tenues. » Le soir où je l'ai abandonné, je portais un superbe robe blanche et des escarpins verres, impeccables. C'est vrai que s'il me compare maintenant à son dernier souvenir, l'écart doit être surprenant. « Mais je vois que toi par contre, tu es toujours aussi... Parfait. »

Je ne sais toujours pas pourquoi j'ai fait ça. C'est comme un réflexe. Je n'ai pas réfléchi. Mon corps s'est mis en action et j'ai attaqué. Un agresseur... Voilà à qui j'ai cru être confrontée mais c'est loin d'être le cas. Qui m'attaquerait ici ? Ce n'est pas comme si j'étais une dangereuse criminelle ! J'ai pris des cours. C'était par curiosité au début et c'est rapidement devenu un moyen incroyable pour évacuer toute la pression sommeillant en moi. Parce que je peux le dire, il y en avait de la pression ! Je ne m'en étais pas rendu compte jusqu'à ce moment. Mes masseurs me disaient toujours que j'étais trop contractée mais je pensais qu'ils voulaient juste une nouvelle séance.
Me battre, c'était une nouvelle expérience. Même si je ne me suis jamais attaquée à quelqu'un dans la réalité, frapper contre un punching ball est vraiment agréable. Les années de renfermement, la colère envers mes parents, mes cauchemars d'enfance, mes mauvaises expériences... Il fallait que j'évacue tout ça...
Je relâche légèrement la pression, surprise autant que celui qui me tourne le dos. Je relâche assez pour que cette personne reprenne l'avantage en se tournant.

Principessa

Il me fait face. Musclé. Grand. Fort. Déroutant... Je lève les yeux et ma capuche glisse lentement de ma tête. Il est là, face à moi, si près. Cet accent, je le reconnaîtrais entre mille. Rien qu'un mot... Un seul mot. Il est le seul à ne l'avoir employé que pour moi.
Dwight. Je l'avais oublié. Des siècles que nous ne nous étions pas vu. J'avais oublié qu'en revenant à Miami, je le recroiserai. Menteuse !
Vous voulez savoir la réalité ? C'est faux. J'ai souvent pensé à lui. Tout le temps. Enfin non... Juste régulièrement. Je me souviens de son visage. Il y avait toute cette tendresse. Il m'avait dit clairement qu'il me voulait rien que pour lui. Des mots simples et cette voix... J'entends tout le temps cette voix en boucle. J'ai pris la fuite. Sans aucune explication... J'aurais dû. J'ai été lâche. Je ne voulais pas tout gâcher. Je ne voulais pas être faible. Tout ça pour ne pas avoir le cœur brisé. Et au final, c'est à lui que j'ai brisé le cœur.

« Je sais que tu as tendance à m'éloigner de toi, mais quand même, tu pourrais prévenir quand tu reviens ...  » J'ai envie de répliquer. Je pourrais presque lui donner une petite gifle en lui disant que j'ai bien changé. Mais je reste immobile, idiote. Il est magnifique dans cette lumière. Il semble plus musclé que la dernière fois. Ses cheveux ne sont pas non plus comme avant. Plus court peut-être ou ce n'est qu'une impression. Et puis qui ça intéresse ce genre de détail ? Ce n'est pas ce qui compte. Qu'est-ce qu'il fait là ? Comment va-t-il ? Que lui est-il arrivé ? Comment se passe son année ? A-t-il une nouvelle meilleure amie ? Une petite-copine ? Une amante ? Je ne serais pas jalouse. Je veux juste me renseigner. Il a droit d'être passé à autre chose. Je le comprends. Je me suis absentée quatre mois et je n'étais pas là non plus pendant les vacances. J'ai disparu de sa vie du jour au lendemain sans lui donner la moindre explication. J'ai couché avec plusieurs mecs et j'ai même été humiliée comme j'ai pu le lui faire.

Dwight me serre ce sourire auquel on ne peut pas résister. Un sourire enjôleur qui vous fait croire à son baratin. Il se décolle et va s'asseoir à ma table. Je ne l'ai pas invité. Pour qui se prend-il ? Monsieur croit être le bienvenu ? Ne sommes-nous pas censé nous détester pour le restant de nos vies ? Lui, n'est-il pas censé m'insulter de tous les noms puis m'oublier ?

Je reste debout et croise les bras. « Tu n'as pas changé, Dwight. » Toujours aussi arrogant et attirant. Je suis sûre qu'il s'est trouvé pleins de conquêtes depuis la dernière fois. Tu n'as pas changé... C'est quand même une phrase plus que commune. Qu'est-ce que j'en sais s'il n'a pas changé ? Je ne l'ai vu que trente secondes et je tire déjà des conclusions. Que pense-t-il lui ? Que son ancienne amie s'est cachée sous une coiffure bien trop simple et des fringues négligés. Je suis plus à l'aise dans des baskets que sur mes anciens escarpins. Je n'ai pas changé du tout au tout. Je les aime encore mais je ne prends plus autant de temps pour ça. Je préfère me concentrer sur les choses importantes de la vie. Je préfère étudier. Je m'interroge, sur moi, la vie et tout ce que j'ai pu faire. C'est toujours mieux que de passer ses journées à faire une thèse sur la qualité de la nouvelle collection Kenzo.

Je décide enfin à m'asseoir en face de lui sans rien dire. Mes yeux se fixent dans les siens. Je ne sais pas vraiment quoi dire. Je ne sais même pas s'il est nécessaire de dire quoi que ce soit. Veut-il que je m'excuse ? S'attend-il à entendre un récit sur mon absence et tout ce que j'ai pu faire pendant ce temps ? A quoi bon parler ? Je suis sûre qu'il est déjà au courant pour mon père. Il n'a jamais cherché à me recontacter pour avoir des explications sur mon comportement. Je ne l'ai pas fait non plus. Est-ce ce qu'il veut entendre ? Je ne dirais rien.

« Ça fait longtemps, c'est vrai...» Mon accent italien est un peu plus fort qu'avant étant donné que je viens de passer plusieurs mois dans mon pays natal. « Tu... Tu vas bien ? » Je souris à mon tour. Un sourire aussi parfait que celui qui m'avait offert tout à l'heure.