[TERMINE.] Black Stones Cherry. (Janane Yassine.)

Le reflet du miroir me permet de l'observer discrètement, tandis que je me remaquille. Elsa - car je pense que c'est son prénom, si mes souvenirs sont bons - tire une bouffée nerveuse sur sa cigarette. Hm. Je n'approuve absolument pas ces pratiques, mais enfin, qu'elle se détruise la santé si elle le souhaite. Elle prend son temps avant de me répondre, j'ai donc le temps de sortir mon blush.

- Et alors ? C'est pas une raison pour "péter plus haut que son cul", si j'ose dire.

Péter plus haut que... ?! Je manque en lâcher mon pinceau tellement cette expression me surprend, et je lâche un petit rire étonné.

- Haha, je ne pète jamais, enfin !

J'ai compris que c'était une expression, évidemment... Mais cela m'a fait rire. Je me reprend doucement, tout en m'emparant à présent de mon tube de rouge à lèvres. Tout un programme ! Il est vrai qu'à mon âge, il est plutôt rare de croiser des filles qui se maquillent autant que moi, mais bon... J'ai été habituée comme cela. Tiens, par exemple, celles de ma classe - uniquement composée de demoiselles, d'ailleurs : à part Paige qui se maquille de temps en temps, les autres... Ah, quoi que, la gothique qui sort avec un punk immonde de Senior... Comment elle s'appelle, encore ? Hélène ? Elena ? Boh. Toujours est-il qu'elle, ce n'est pas du maquillage, mais... une exagération ! Un peu trop portée sur le noir, si vous voulez mon avis ! Soudain, la pensée me vient qu'aucune de ces filles ne sont mes amies. Je ne leur parle pas, elles ne me parlent pas. Étrange... Cela ne m'arrivait pas dans mes anciennes écoles, mais tous les gens étaient comme moi. Superficiels. Ici, ce n'est pas le cas. La pensée me vient, furtive, qu'il est peut-être temps que je change mes habitudes. Je ne peux tout de même pas rester toute l'année sans parler à personne au sein de mon groupe-classe, hein ! Bon, comment est-ce qu'on commence une relation sur de bonnes bases, déjà ? ... Ah, oui, certainement pas comme ça !

- Hum... Au fait... Elsa, c'est ça ? Excuse-moi de n'avoir pas été très... sympa.

Des excuses ? Dans la bouche de Janane Yassine ?! Janane, la Janane que je connais ? Mon Dieu, mais la Révolution est en marche, on dirait ! A bien y réfléchir, cela doit être la toute première fois de ma vie que je m'excuse hors contexte familial. Si ma mère savait, elle m'en collerait une ! Tout à coup, la cloche sonna et je me rendis compte que j'étais absolument à la bourre. J'avais un rendez-vous avec le proviseur et il me restait... 12 secondes ? pour courir dans son bureau. Je remballai ma trousse et me tournai précipitamment vers Elsa.

- J'dois filer ! On en reparle plus tard ?

J'avais à peine fini ma phrase que déjà je courais hors des toilettes, mon sac sous le bras, en talons hauts. Olé ! :)

Je la regarde toujours dans les yeux. Elle semble réfléchir. Ou alors, elle est surprise ? A tout les coups, elle ne s'attendait à ce que je m'écrase. Que je me laisse intimidée, à ce que je sois son souffre-douleur. Elle s'est foutue le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Ça me fait bien rire. Je me laisse pas marcher sur les pieds. L'hypocrisie et l'injustice, c'est pas pour moi. Enfin, je sais pas si elle cherche quelque chose à me rétorquer ou si elle pense à son nez à repoudrer. Et puis, qu'est ce que j'en ai à faire ? Soudain, je la vois me sourire. Un sourire qui me paraît sincère. Je ne lui rends pas. J'ai pas envie de lui rendre. De toutes façons, je suis sûre qu'elle s'attendait pas à ce que je sourie à mon tour.

« Oui, tu as entièrement raison. Je suis une gosse de riche. Et je suis désolée de t'apprendre qu'on ne choisi pas sa famille. Je suis mieux tombée que toi, c'est tout. »

Elle se retourne et s'approche du miroir. Elle entreprend de repoudrer son nez. Je sais très bien qu'on peut pas choisir sa famille. Mais ce que je déteste, c'est les gens qui sont mieux tombés que vous, ils en profite. Ils en jouent. Vous narguent. Il s'adore ça. Ça me donne envie de frapper. Je tire une bouffée de ma cigarette. Quelques cendres tombent parterre.

« Et alors ? C'est pas une raison pour "péter plus haut que son cul", si j'ose dire.»

Finalement, elle ose river son regard au mien et ne cille pas, me défiant, l'air de dire : "Tu vas voir, je ne me laisserai pas écraser". Cette petite m'impressionne, malgré ses airs un peu pauvrets. Quand je lui rend sa cigarette, elle tique légèrement mais la récupère. Apparemment, elle n'a pas apprécié ma petite phrase perfide. Normal. C'était un peu le but, non ? Mais à part ça, bien sûr que je ne la comprend pas. Moi, je n'ai jamais eu de problèmes au cours de ma courte vie. Pas une tâche dans mon casier, la vie en rose, comme on dit. Elle, je n'en sais rien, mais sa vie a été plus dure que la mienne, à tous les coups. Le fait qu'elle ait commencé à fumer le prouve bien, non ? Je ne sais pas vraiment faire preuve de compassion, mais je sais reconnaître une personne qui a des problèmes. La plupart du temps, je ne peux pas m'empêcher de les "soumettre" à mon autorité, mais là... De un, ça ne marche pas, et de deux... Elle est moins faible que ce que je ne le pensais. Elle soupire, et ses cheveux bruns se soulèvent en même temps que sa poitrine, avant de se reposer tranquillement sur ses épaules. Fourchus, les cheveux, ceci dit en passant.

- Qu'est ce que tu peux y comprendre, toi ? T'es qu'une sale gosse de riche, non ? T'as eu tout ce que tu voulais dans ta petite vie tranquille. Alors si moi, la sous-merde, je te fais chier avec ma clope, t'as qu'à t'en aller.

Sale gosse ? Non, je ne l'ai jamais été. Je suis comme mes parents ont toujours voulu que je sois. Je les admire, les respecte et fait tout pour les satisfaire. Certes, ce n'est pas pareil avec le monde extérieur, mais j'ai été élevée comme ça, après tout. Il est dur de changer quand on vous serine à longueur de journée que vous êtes parfaite, que les autres sont des moins que rien, qu'ils ne valent pas la peine qu'on s'intéresse à eux sans une carte Gold... Et ce, depuis mes 5 ans ! Enfin, c'est du moins le plus loin que je me souvienne. Je souris à la jeune fumeuse. Un sourire sincère, pour une fois. De ma part, c'est rare. Cette fille a gagné mon estime, en me tenant tête.

- Oui, tu as entièrement raison. Je suis une gosse de riche. Et je suis désolée de t'apprendre qu'on ne choisi pas sa famille. Je suis mieux tombée que toi, c'est tout.

Je lui tourne le dos avant de m'approcher du miroir. Qu'elle pense ce qu'elle veut de moi, mais elle aura autant tort que si je me mettais à tenter d'imaginer sa vie et ses problèmes. Je sors mon pinceau à maquillage et ma poudre libre... et commence par me repoudrer le nez.

Je suis toujours appuyée contre le mur, attendant que mon interlocutrice daigne me répondre. Je hais la façon dont elle me regarde. Elle me traite comme une sous-merde. Elle m'exaspère. Je la vois sourire. Allez, balance ton venin, que je rigole un bon coup. Aaah, ces gosses de riches. Ils me font bien marrer. Je la regarde s'avancer. Quoi, elle va me faire un numéro de charme ? Je le dis tout de suite, je suis pas intéressée. elle touche mon épaule et descend progressivement vers ma main. Dès lors, je sais ce qu'elle va faire. Elle va me prendre ma clope. Peu importe, j'en rallumerai une, histoire de lui dire qu'elle ne m'impressionne pas avec ses Louboutin et son pot de peinture sur le visage. Elle prend ma cigarette dans ses doigts manucurés. Allez, fais-moi plaisir jette-la dans les toilettes ou écrase-la sous tes pauvres talons aiguilles. A moins que tu n'ais peur de les abîmer ? J'en ris d'avance. Je l'entends prendre la parole de sa voix hautaine.

« Quelle gentille gamine, c'est a-do-rable. »

Je la regarde dans les yeux. Froidement. Je ne céderai pas à cette bourge. Son regard de vipère ne me fais nullement peur. Juste pitié. Ouais, ces gens là, ces gens qui n'ont rien d'autre pour eux, que le fric, la célébrité ou le sexe. Ces gens là me font réellement pitié. Elle continue sur le même ton, en me tendant ma cigarette.

« Tiens, je comprend qu'une fille comme toi veuille en finir. »

Je hais les gens qui disent "je comprends". Personne ne peut comprendre. Et encore moins lorsque ces gens ont baigné dans le luxe et la sur-protection toute leur enfance. Lorsqu'ils n'ont jamais eu besoin de se débrouiller seuls. Ils m'exaspère. Je soupire, le rictus au lèvres. Je la regarde bien dans les yeux.

« Qu'est ce que tu peux y comprendre, toi ? T'es qu'une sale gosse de riche, non ? T'as eu tout ce que tu voulais dans ta petite vie tranquille. Alors si moi, la sous-merde, je te fais chier avec ma clope, t'as qu'à t'en aller. »

Ma voix était calme, sereine. Je la regarde. Elle me fait vraiment pitié cette fille.

La jeune fille se relève, histoire d'être moins dominée par ma hauteur. Sans grand effet, je la dépasse toujours d'une bonne tête. Elle me détaille sans gêne et crache une nouvelle bouffée de fumée. Je vois. Elle n'ose pas me regarder dans les yeux, et tandis que la fumée s'échappe de sa bouche, envahissant mon air, elle parle. Calmement. Aussi froidement que moi. Intéressant, c'est rare que quelqu'un me tienne tête. Voilà donc un peu de changement.

- Je m'en fiche. Si t'es pas contente, va repoudrer ton nez dans ta chambre.

Me repoudrer le nez ? De fait, mais il y a tellement d'autres choses à faire. Tout un travail. Un sourire en coin se pose sur mes lèvres et j'avance d'un pas dans sa direction. J'effleure son épaule de ma main droite, avant de descendre vers son bras. Sa main. Sa cigarette. Sans qu'elle ait le temps de réagir, je m'en empare. Certes, je pourrais la jeter dans les toilettes, ou par terre et l'écraser de ma chaussures, mais... elle en rallumerait une. Je la garde donc en main, et décide d'y aller plus finement.

- Quelle gentille gamine, c'est a-do-rable.

J'insiste perfidement sur le fait qu'elle ressemble à une "gentille petite idiote", à l'instar de ces héroïnes de livres japonais ridicules, avant de lui tendre sa clope. L'insignifiance qu'elle dégage me fait un peu de peine, à vrai dire. Tout le monde n'a pas la même chance que moi, Mère Nature n'a pas gâté tout le monde... elle a fourni à cette fille un physique un peu près facile, mais elle dégage une aura tellement insignifiante que j'en viendrais presque à la plaindre.

- Tiens, je comprend qu'une fille comme toi veuille en finir.

Perfidie. Méchanceté. Fourberie. Je sais.

Des bruits de talons résonnent. Il m'agacent. La personne qui venait d'entrer était une femme. A moins que ce ne soit un travesti. Je m'en fiche. J'étais quasiment sûre que c'était encore une de ces poufs d'Êta Iota. J'entendais ses millions de bracelets tinter. Elle était certainement venue se repoudrer le nez ou se recoiffer. Un truc superficiel dans le genre, quoi. Je l'entendis ouvrir chacun des battants des cabines les uns après les autres jusqu'à ce qu'elle ouvre le mien. Je la détaille de du regard. Oui, c'était bien une de ces poufs d'Êta Iota. Slim en cuir noir beaucoup trop petit pour elle. Blouse rouge de je-ne-sais-quelle-marque et talons Louboutin noirs et vernis. Une gosse de riche. Je regarde son visage. Enfin, je ne sais pas si elle a vraiment un visage sous son fond de teint. Et je la vois me dévisager. Ouais, je suis pas sponsorisée par mon père, moi. Les fringues que je porte, je les ai payées avec mon fric durement gagné. Ouais, je pense que ça doit te faire bizarre. Je retire une bouffée de ma cigarette, car oui, je me fiche totalement de ce qu'elle peut penser et de ce qu'elle pourrait faire suite à ça. Je l'entends juste dire d'un ton autoritaire.

« Éteins-ça, tu me déranges. »

Ridicule. Elle est risible. J'ai peut-être l'air faible, comme ça. Mais je ne laisse pas quelqu'un me dire ce que j'ai à faire. Et encore moins lorsqu'il s'agit d'une Êta Iota. Elle me regarde son air supérieur. S'il est croit que je lui suis soumise, elle se fout le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Je laisse la fumée s'échapper d'entre mes lèvres. Je me lève et m'appuie toujours contre la cabine, histoire d'être à sa hauteur. Je lui lance, sans même la regarder, d'un ton franc et direct mais calme :

« Je m'en fiche. Si t'es pas contente, va repoudrer ton nez dans ta chambre. »

Je ris intérieurement. Elle est tellement misérable. Les gosses de riches qui se croient tout permis, ça me donne franchement envie de me marrer. Si je veux fumer une clope, je le fais. Elle croyait franchement qu'elle allait m'intimider avec son faux-air supérieur ?

La chose la plus importante du monde, directement après les cours du matin ? Me recoiffer ! Et comme je n'ai pas envie de me taper tous les escaliers sur mes talons Louboutin vertigineux, je me contente des toilettes d'en bas. Cloc, cloc, cloc. J'adore ce bruit, on m'entend arriver, et j'aime signaler ma présence. Arriver dans une pièce et passer inaperçue ? Han, quelle horreur ! Du coup, je me parfume à excès de mon parfum préféré, "Parlez-moi d'Amour", de John Galiano. Tout simplement divin ! Et bien sûr, je porte tous les jours des talons hauts. Aujourd'hui, ils sont noirs et vernis. Quand on remonte les yeux, on peut apercevoir un slim en cuir noir et une blouse vaporeuse rouge. Sans oublier mes bijoux en argent. Tout de marque, évidemment. Donc... Les toilettes ! Il est temps de refaire mon maquillage et de redresser ma queue haute. Je pousse la porte et une horrible odeur m'envahit les narines. La cigarette. Pouah ! C'est épouvantable, mon pauvre, pauvre nez ! Sans compter que mes vêtements vont sentir mauvais. Il y a vraiment des gens qui n'ont rien d'autre à faire ! S'ils savaient à quel point leurs petits poumons vont en souffrir... Ah... Attends... Mais, j'm'en fout ! Hahaha, qu'ils meurent prématurément, ces idiots. La fumeuse chante. Mh, pas très juste tout ça. Elle s'arrête vite de le faire, cependant. Comme si elle avait compris que ça m'énervait, c'est tellement adorable. Ou pas. Sans me gêner, j'ouvre les portes les unes après les autres, jusqu'à trouver celle où la fille aux poumons probablement noirs de suie se trouve. Elle n'a pas fermé sa porte. C'est un peu stupide de sa part. Je m'attends à voir quelqu'un à ma hauteur, mais rien. Je baisse les yeux et aperçois une petite chose pitoyable, assise à terre. Quelle... horreur ! Je fronce le nez d'un air dégouté. Mais comment peut elle poser ses fesses sur ce sol répugnant ?! Il y a vraiment des gens qui n'ont aucune opinion d'eux même ! Dommage, parce qu'elle pourrait être plutôt mignonne. Sans plus.

- Éteins-ça, tu me déranges.

Un ton froid, autoritaire. Habituellement, personne n'y résiste. Je la dépasse d'environs 1 mètre 30... Elle par terre, et moi sur mes perchoirs. Domination. J'adore.

Dans ce lycée, y'a deux endroits si tu veux fumer. Les toilettes et le toit. Le toit parce que l'accès est sensé y être interdit et les toilettes parce que c'est un endroit fermé des regards indiscrets. Quand il fait froid, je me cache dans les toilettes et quand la température est supportable, je monte sur le toit. Or là, le thermomètre frôle les 5°C donc je me suis réfugiée dans une des cabines des toilettes. Je m'appuyais contre un des murs de la cabine et sortais mon paquet de clopes. J'en regarde l'inscription; "Black Stones Cherry". Je ne fume pas beaucoup. Seulement dans les moments où je me sens trop seule. Ça me permets de souffler un peu. Je déteste ça car j'ai l'impression de ressembler à mon ivrogne de père. Ça me met en rogne. Je porte une des cigarettes du paquet à ma bouche et cherche mon briquet dans ma poche. Un briquet "Vivienne Westwood", bien sûr. J'allume ma clope et en tire une bouffée. Je sent son odeur me piquer les narines. C'est vrai qu'elle forte. Personne ne supporte cette odeur. Même pas Sid. Un long panache de fumée s'échappe d'entre mes lèvres. Je me laisse glisser lentement contre le mur. Je me sens mieux. Je rapproche mon genoux gauche au plus près de moi et y pose mon avant-bras. Je fredonne alors une vieille chanson des Sex Pistols, mon groupe de punk favori. Je connais chaque note, chaque mots, chaque rythme. "Anarchy in the U.K". C'est une chanson que je ne me suis jamais lassée d'écouter. Je me ferme les yeux quelques secondes. Jusqu'à ce que j'entende des bruits de pas qui se rapprochent. Je retiens ma respiration. Quelqu'un est ici...