Merde alors, le médecin ! [Nina]

Je connaissais Nina depuis un petit bout de temps. Elle n'était pas à proprement parler une habituée de mon cabinet, mais j'avais dû régler avec elle de petits soucis, et elle s'était naturellement tournée vers moi pour chercher soutien et oreille attentive. Mais à quoi servait la psy, si tous les gamins venaient me raconter leurs problèmes, à MOI ? D'autant plus que la plupart du temps, ça me faisait bailler. Mais je m'étais penché un peu plus en détail sur le cas de la petite brune. La jeune Eta Iota avait eu un accident, et j'avais donc dû faire un suivi de santé pendant un bon moment avec elle. Et puis j'avais découvert la raison de cet accident, et pourquoi elle était aussi craintive, aussi phobique vis à vis des verres qu'on lui servait, de la nourriture qu'on lui donnait. Elle semblait un peu comme un chat sauvage qu'il fallait apprivoiser avec énormément de patience. Or, c'était mon point fort. Le calme et la patience. J'avais pris cet oiseau tombé du nid sous mon aile, et lui avais appris lentement à retrouver la confiance qu'elle avait perdue, vis à vis des autres. La tâche fut difficile. Mais j'y parvins, tant bien que mal. J'aimais bien cette gamine, elle n'avait pas la moindre once de méchanceté, malgré son appartenance à la confrérie des adogarces. Peu importe. Pour l'heure, elle se trouvait chez moi, dans MON séjour, et j'avais un peu de mal à cacher ma gêne. Je priais intérieurement pour que la nouvelle ne se répande pas. Je n'avais pas forcément envie de me promener dans le lycée avec des casseroles au cul. Même si l'info était seulement "l'ex prof de musique sort avec le médecin". Non. Très peu pour moi. J'espérais que la jeune fille tienne sa langue.

Elle s'installa au comptoir en me demandant comment j'allais. Je lui répondis par un "très bien, merci" de tout ce qu'il y avait de plus conventionnel, avant de me tourner vers le frigidaire (couvert de dessins de Sonata) pour en sortir une orangeade que je lui tendis. De mon côté, j'attrapais mon café, et m'installais en face d'elle, maîtrisant mes nerfs du mieux que je le pouvais. J'étais très inquiet à l'idée que miss Nina soit sous mon toit. Les ragots allaient bon train, à Wynwood. Pour autant, je me contentais de l'écouter calmement, me parler de ma petite amie. Et sourit. Oui, elle avait raison. Et il fallait croire que Nina avait les nerfs bien accrochés pour supporter Eva plus de cinq minutes. Moi aussi d'ailleurs.

"Beaucoup de ses élèves disent la même chose, maintenant qu'elle donne des cours à domicile. Mais tu es la première à venir à la maison. Tu fais quoi comme instrument ? Chant-guitare ? Depuis longtemps ?"

Si on m'avait dit que cette jeune fille était musicienne, je ne l'aurais pas cru. Elle n'en avait pas du tout le faciès. J'aurais pensé qu'elle passait trop de temps à se maquiller et à faire du shopping pour se soucier de prendre des cours de musique. Comme quoi, les apparences demeuraient trompeuses. Et cela me faisait assez plaisir de l'admettre.

Puis elle évoqua ma présence en ces lieux. Mes mains se raidirent sur ma tasse, j'étais vraiment, vraiment trop nerveux. Il fallait que je me calme. Et puis, j'avais confiance en cette gamine. Alors pourquoi me soucier des ragots ? De toute manière, ça finirait par se savoir. C'était certain.

"Je ne m'attendais pas à te voir arriver non plus. Tu sais comme les rumeurs vont vite à Wynwood, il y a même une jeune fille qui s'amuse à les propager. Je n'avais pas forcément envie d'être le dindon de la farce. ça ferait jaser les élèves de savoir que le vieux prof de 40 balais sort avec une ancienne prof, ancienne élève, de 20 ans de moins que lui."

Erf. Oui, cela faisait encore plus dégueulasse quand je le disais à voix haute. Je fis l'effort de me redonner une contenance, fis légèrement racler ma gorge avant de fixer la jeune fille droit dans les yeux, très calmement.

"Mais je te fais confiance. Pour que tu gardes ça pour toi, évidemment."

J'avais passé ma journée à courir un peu partout. Non pas que j'étais pleine de rendez-vous, non, j'étais pas un ministre non plus. Juste une adolescente qui profitait de la vie. J'avais un travail en plus, du moins, c'était un job d'étudiant. Je faisais des photos pour des magazines de modes, c'était simple et bidon, mais ça payait bien. Aujourd'hui, je ne devais me rendre à l'agence qu'en matinée et j'avais toute l'aprem de libre. J'avais promis à Haley qu'on irait faire un tour en ville afin de rattraper le temps perdu. On était proche, très proche et ce depuis de nombreuses années: Haley était mon amie d'enfance, ma confidente, la soeur que je n'ai jamais eue et pourtant, depuis qu'elle était là j'avais pensé qu'à mon petit confort personnel. Je ne passais pas tout mon temps avec Nathan, mais je le voyais assez souvent, surtout depuis notre petit séjour. En rentrant chez moi vers 17 heures, je trouvais la resplendissante Anna Palmer, assise dans le salon en train de lire un magazine. Ma mère était pour moi un modèle, avant. Mais je lui en voulais, de beaucoup trop de choses. Ne voulant pas que je reste à la confrérie pendant les vacances, je les passais chez elle et avec le temps, la détermination et la patience, j'avais réussi à supporter sa présence, comme quand j'étais petite. Elle me laissait ma liberté, à condition que je lui dise où j'allais et quand je revenais: une maman quoi.

J'étais montée dans ma chambre avec mon rendez-vous en tête. Eva Esperanza avait certes quitté le lycée, mais je continuais à prendre des cours avec elle. En y repensant, le premier cours que j'ai eu avec elle était horrible, je crois qu'elle avait même réussi à me faire pleurer et j'étais pas la seule. J'avais été choquée de voir l'élève juste avant moi, en pleure. Sur le moment, j'avais même pensé me trouver derrière la porte de l'enfer. Les cours suivants, le stress me prenait au moins 2 jours avant chaque cours. D'ailleurs, Noah avait vite compris qu'autant je pouvais admirer la jeune prof, autant elle me faisait peur. Il m'avait souvent incité à arrêter, sauf que non. Je voulais atteindre son niveau, je voulais relever le défi et la satisfaire, j'avais continué à suivre mes cours en mordant sur ma chique et à l'heure d'aujourd'hui, c'était toujours ce que je faisais, mais avec le plaisir en plus.

Je me dirigeais en vitesse vers la salle de bain afin d'y prendre une douche et m'empressais d'enfiler un jean et un débardeur jaune. Pas la peine de sortir les talons aiguilles, décolletés,... le décontract' était plus adapté pour ce genre de cours et ce, surtout avec M. Esperanza. Je courais dans tous les sens au point d'en inquiéter ma mère. Elle entrait dans ma chambre, voyant le vrai champ de bataille, elle soupirait.

Nina, tu pourrais au moins ranger ta chambre ! Je t'ai connue plus ordonnée que ça. Dépèche-toi.

Désolée 'man, pas le temps j'ai cours et ma prof déteste les retardataires.

Ma mère soupirait une ultime fois et fermait la porte derrière elle. Quelques minutes passèrent quand je me dépêchais de quitter l'endroit ainsi que la maison. Je pris aussi mes clés de voiture et me rendis tout droit vers la maison de la jolie musicienne. Je pressais le bouton de la sonnette et me tournais afin de jeter un oeil au quartier dans lequel je me trouvais. La porte s'ouvrit et je fis volte-face. Une petite demoiselle haut comme trois pommes se trouvaient devant la porte. Je souris à la demoiselle quand ma prof m'invitait à entrer. Je fermais la porte derrière moi. Eva Esperanza avait une maison magnifique. Je tournais le visage et y trouvais une montagne de fringues pour enfants. Il y en avait partout, de toutes les couleurs. J'acquiesçais un sourire quand la dame revenait près de moi pour me prévenir de son absence. Euh.. Quoi? Elle va me laisser toute seule ici? J'avais rien contre ses enfants ou encore contre son compagnons, ne les connaissant pas, mais j'étais plutôt mal à l'aise.

Pas de problème, je vous attends.

Un homme s'approchait de moi, sur le coup, je n'avais pas reconnu le médecin de l'école. Lorsque l'information me vint (enfin) au cerveau, je restais là, sans rien dire, sans bouger. Donc, le compagnons d'Eva était le médecin de l'école. Qui l'eut cru! Je saisis la main de l'homme et lui souris par la même occasion.

Euh.. Ben ça va, je vais bien. Et vous?

J'étais un peu mal à l'aise de me retrouver face à M. Kyle. Je ne le croisais pas souvent, mais j'avoue qu'il m'avait beaucoup aidé lors de ma paranoïa de la drogue. Depuis mon accident, j'avais l'impression que je pouvais me retrouver droguée à n'importe quel moment et surtout avec n'importe quoi. C'était la raison de mon accident: droguée à mon insu. Le médecin m'invitait à m'installer au comptoir et me proposait de quoi boire. Apparemment, il avait l'air étonné de voir que j'avais gardé contact avec la prof de musique. Je l'étais aussi par moment, mais finalement je lui étais entièrement reconnaissante.

Et bien, j'avoue qu'au début, jamais je ne m'étais dit qu'après son départ je continuerais mes cours avec elle, mais elle est prodigieuse et même si elle est un peu dure parfois, ça paie énormément. C'est une très bonne prof, je me suis beaucoup améliorée.

Je jouais avec mon bracelet, un peu mal à l'aise de me retrouver là face au médecin.

Je veux bien un verre d'eau ou une orangeade s'il vous plait.

J'acquiesçais un sourire et hésitais à lui soumettre ma remarque. C'était rien de méchant, mais il avait surement dû voir mon étonnement lorsque je l'ai vu arriver.

Désolée pour tout à l'heure, mais je ne m'attendais pas à... à vous voir là...

La maison d'Eva Esperanza avait tout d'une habitation spacieuse et luxueuse.

La jeune femme avait en effet appris suffisamment tôt à conserver un maximum de ses revenus pour les faire fructifier au fil des années. Son pécule avait été soigneusement conservé dans un compte en suisse, un autre dans un paradis fiscal (voilà bien une chose que je ne cautionnais pas). Elle avait soigné son héritage comme on changerait la couche d'un bébé, et finalement, lorsqu'elle avait décidé de satisfaire son plus gros caprice, elle s'était acheté une villa moderne près de la côte. La maison était à son nom, et pourtant j'en payais une partie du loyer. Eva était une jeune fille pleine de ressources, fille de ministre espagnol, et elle avait de quoi vivre de ses rentes jusqu'à la fin de ses jours. Pour autant, je surveillais nos dépenses comme le gros pingre que j'étais, lui adressant mes sempiternelles leçons de morale à chaque fois qu'elle débarquait chez elle, des sacs de fringues pour les enfants plein les bras. C'était d'ailleurs le sujet de notre accrochage cet après midi là. 18heures. Je venais à peine de rentrer de Wynwood que déjà j'avais découvert dans le salon un monceau de robes, de godasses et de bijoux étendus sur le canapé, Sonata nageant presque dedans. La tête entre mes mains, j'avais appelé Eva, qui jouait du violon dans la pièce du dessus en compagnie des deux garçons. Ollie adorait le violon. Et même s'il ne portait pas franchement Eva dans son coeur, il aimait l'écouter lorsqu'elle jouait ou qu'elle chantait.

Elle était descendue, passablement énervée à l'idée que moi, Môssieur Porter, ait osé la déranger en plein récital. Autant dire que ça commençait bien. Je lui avais attrapé le bras et l'avais entrainée dans le salon, où Sonata s'amusait à mettre et à enlever ses nouvelles fringues.

"Combien ?
- Hein ?
- Combien tu as dépensé ce coup-ci, pour ta fille ?
- J'en sais rien moi !
- Nom de Dieu Eva, combien de fois va-t-il falloir que je te répète d'ARRETER de dépenser autant d'argent pour des vêtements ??
- Du caaaaalme coco. Faut bien que je l'habille, non ?
-... Ils ont chacun trois dressings pleins de fringues ne tout genre qu'ils ne porteront que six mois avant de grandir ! Leurs vêtements deviendront trop petits et rebelote, tu retourneras en pleine opération shopping pour dépenser des cent et des milles. C'est pas des poupées ces gosses, bordel de merde."

Eva ferma les yeux, et prit une longue respiration. C'était le signal d'alarme. Elle risquait de se mettre en colère. C'était à mes risques et périls ; ou bien je m'arrêtais là et j'abdiquais, et on tempérait la discussion, ou bien je renchérissais et les assiettes se mettraient à voler. J'avais accepté Eva telle qu'elle était. L'ermite que je tenais à être avait rendu les armes face à cette fille de vingt ans de moins que moi, cette diablesse au tempérament volcanique. Elle et moi étions radicalement différents, et pourtant, ça marchait. Parce que nous connaissions les limites. Elle me fixa un moment, de ses grands yeux verts. Puis elle prit la parole.

"Il y a une chose que j'aimerais que tu arrêtes de faire, Kyle, c'est d'être un putain de gros radin. J'ai les moyens de faire plaisir à ces gosses, tu ne vas quand même pas m'apprendre à gérer mes dépenses ?
- Premièrement, tu fous ton argent par les fenêtres. Deuxièmement, ces gosses comme tu dis, vont se transformer en monstres pourris gâtés. C'est ça que tu veux, toi qui es si exigeante en matière d'éducation ?
- ...Non.
- Alors calme le jeu. S'teuplait.

Et voilà, la partie était gagnée. Eva leva les yeux au ciel, poussa un soupir contrarié, et déposa un baiser sur ma joue, signe que j'avais gagné cette bataille, mais pas la guerre. Je lui souris, pressant doucement sa main. Alors qu'elle s'apprêtait à remonter dans son bureau, la sonnette de l'entrée retentit. Elle fit immédiatement demi-tour, alors que Sonata se jetait littéralement vers la porte pour ouvrir la première. Je savais qu'Eva attendait quelqu'un, aussi me dépêchais-je de rejoindre mon propre bureau. Pas envie de voir du monde. Il y avait bien assez des trois gamins dans mon espace vital.

"Ah, Nina ! Entre, je suis à toi dans une minute."

Oh putain, ça sentait mauvais pour moi ça.
Effectivement, sitôt après avoir entendu cette phrase, je distinguais un désagréable bruit de pas dans les escaliers. L'instant d'après, alors que je venais tout juste de me poser sur le canapé avec un bon Shakespeare, on toqua à la porte.

"Kyle, viens steuplait."

Avec un soupir contrarié, je daignais fermer mon livre pour lui ouvrir. A ma tête, elle devinerait que ce n'était pas le moment et elle ferait demi-tour ? Eh ben non. Elle affronta mon regard agacé. C'était chose rare.

"Tu vas rire, mais mon élève est là et je n'ai pas eu le temps d'aller récupérer la guitare que j'avais commandé.
- Et alors ?
- Ben, faut que j'aille la chercher. Genre maintenant.
- ...Eva...
- Allez quoi ! J'en ai pas pour longtemps. Offre-lui un café en attendant, j'en ai vraiment pas pour long.
-...D'accord. Mais tu me le paieras."

Ma copine m'embrassa rapidement pour me remercier, puis dévala les escaliers en courant. Un nouveau soupir de ma part, une fois n'est pas coutume, puis je rangeais soigneusement mon livre alors qu'Eva prévenait l'invitée qui attendait en bas.

"Excuse moi Nina, mais j'ai oublié d'aller récupérer la guitare dont on va se servir pour le cours de ce soir. Tu veux bien m'attendre ? Mon compagnon va te faire un caf' en attendant que je rentre. Je me grouille."

Grrr.
La porte claqua, alors que je descendais les escaliers, les mains dans les poches. J'étais vêtu d'une chemise bleue toute simple et d'un jean troué, ainsi que d'une paire de Doc noires de tout ce qu'il y avait de plus simple. Sonata avait décidé d'abandonner les vêtements, et s'était recluse dans sa chambre pour jouer avec son jeune frère. Quant à Ollie, j'entendais le son familier de la télé dans sa chambre. Voilà une chose que j'avais refusé de négocier avec Eva. Mon fils avait la télé, point barre. En plus, ça nous permettait d'avoir la paix, le soir où nous avions envie de regarder un film dans le salon.

La jeune fille qui attendait dans le vestibule était... Oh merde, une élève de Wynwood. Je fronçais légèrement les sourcils, contrarié. Mais qu'est-ce qu'elle avait dans la tête, Eva, bordel de merde ?? Cette fille connaissait mon adresse, je m'attendais à voir débarquer dans la semaine une meute d'élèves m'achetant des certificats médicaux. Il faudrait mettre les choses au clair tout de suite. Par chance, Nina Palmer n'était pas vraiment ce que je qualifierais de "Fille difficile". Elle était gentille. Mais je me méfiais toujours un peu des élèves de ce lycée. Je m'approchais, une main dans la poche de mon jean, l'autre tendue pour la saluer.

"Bonsoir Nina. Comment vas-tu ?"

J'attendais sa réponse, puis la conduisit au niveau du comptoir, près de la cuisine. Et un café, un.

"Je ne savais pas qu'Eva t'avait gardée comme élève. Tu veux boire quelque chose ?"