[Emrah]Je veux bien apprendre...Si t'en parle à personne!

"Emrah ? C'est papa.
- Oh, salut. Pourquoi tu m'appelles ? Il doit être tard en Turquie, non ?
- Ouais. Je viens de recevoir un appel de Mo. Il veut que tu bosses sur les nouvelles partitions qu'il t'a envoyées par mail hier.
- Je pensais que c'était une erreur. Je croyais avoir arrêté la scène ?
- Fiston, on arrête jamais vraiment. Sur le Coran, si c'était que de moi il pourrait les bouffer ses partitions. Mais il m'a expliqué que c'était en vue de ton prochain album, et que tu devais continuer à travailler. ça fait parti de ton cursus, paraît-il.
- Putain. Comme si je n'avais que ça à faire ! Tu sais combien d'heures de cours j'ai dans la semaine ?!"
- Merde, Emrah, il te demande pas de les avoir prêtes pour demain ! Seulement de les déchiffrer et de lui donner tes impressions par mail. ça va te tuer ?
- ...Non.
- Parfait. Dans ce cas je te suggère d'aller les regarder, il y a bien une salle dans ton bahut pour bosser ta musique ?
- Oui.
- Impeccable. Tu lui dira ce que tu en penses, d'accord ?
- Ouais. Bon, je te laisse. Si je veux avoir le temps d'aller les déchiffrer, autant que j'y aille maintenant.
- Au revoir, fils.
- Salut."

Un "bip" du téléphone me fit comprendre que mon père avait raccroché. Assis sur une chaise, dans la salle informatique, j'étais justement en train de consulter mes comptes sur les réseaux sociaux, pour combler la tâche que mon père m'avait confiée. Si mes parents estimaient que la célébrité passait après les études, ils pensaient toutefois qu'un contact avec le public demeurait important, pour le moment où je reprendrais ma carrière. Je faisais donc mon boulot, sans broncher, sans râler, en silence et calmement. Ma joue me faisait souffrir, mon oeil tuméfié aussi. ELLE m'était encore passée dessus. Quelle honte pour une personne comme moi, de me retrouver tabassé par une femme, sans un seul moyen pour me défendre... Ou si. Il y avait un moyen, un moyen très simple. Lui rendre ses coups. Sauf que j'avais instauré cette règle, et ce depuis longtemps. Je ne frappais pas les femmes. Ma religion avait beau autoriser à "corriger" sa compagne en cas de désobéissance, c'était le seul affront que je faisais à Allah en lui désobéissant. Ce n'était arrivé qu'une fois, et ma vie avait été brisée. Mon nom sali. Il était hors de question que je refasse la même erreur. Pourtant, elle le méritait. Cette fille qui m'agressait devenait de plus en plus violente, à chaque fois qu'elle me trouvait. J'aurais pu répliquer, lui rendre chaque coup de poing, de pied, même de tête, mais à chaque fois que je la trouvais sur mon chemin, je ne faisais que parler, sans esquisser le moindre geste, qu'il soit d'attaque ou de défense. Cette faible femme avait tous les pouvoirs sur moi. Et moi ? Moi, je me retrouvais avec un visage d'enfant battu, sans que personne ne comprenne pourquoi. Et peu à peu, mon quotidien se métamorphosait en cauchemar.

Et puis, il y avait l'Autre. La diabolique, la monstrueuse, Shoshana, la terrible. Shoshana, qui hantait avec délectation mes journées et mes nuits, qui attisait ma haine et nourrissait ma colère. Cette immonde juive me suivait partout, que je sois dans ma chambre ou en classe, il se passait rarement un instant sans que je la voie, qu'elle soit présente... Ou non. Je me surprenais même à la suivre. Pour l'invectiver, cracher ma haine et ma rancoeur. Je lui en voulais de toute mes forces, d'abord parce qu'elle était juive, Israélite, elle volait le pain des honnêtes gens, et surtout, oui, surtout. Elle était plus belle que tout ce que j'ai pu voir sur cette putain de terre. Ses grands yeux noirs brillant de cette sauvagerie farouche me hantaient, et je la détestais pour ça. Je ressentais le besoin de la voir, de plus en plus souvent, pour lui dire, lui montrer, lui prouver que le sort qu'elle opérait ne marchait pas sur moi, qu'elle ne m'aurait pas. Qu'elle ne m'ensorcelait pas. J'étais donc pris entre deux haines, sans un seul moyen pour m'évader, m'échapper de tout ça. J'aurais voulu pourtant. Aller voir autre chose que le dégoût et la violence. Finalement, j'imprimais les partitions dans la salle informatique, attrapais sac, veste, et montais d'un étage pour ouvrir la porte de la salle de musique. Il y avait déjà quelqu'un ; une jeune fille brune, que je ne voyais que de dos.

Assise sur le banc du piano, elle jouait quelques notes. Ah oui. C'était nul, en fait. Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour constater qu'elle avait autant d'expérience musicale qu'un ornithorynque manchot... Et un sourire amusé se dessina sur mon visage. Avançant à pas de loup, je stoppais à sa hauteur. Je n'eus pas le temps de dire le moindre mot qu'elle s'était retournée, sursautant comme un lapin surpris par la chasse. Elle m'adressa une remarque presque agressive. Ah non, pas ce soir. Elle avait beau être une bridée qui mangeait du chien, je n'avais pas envie de m'énerver, pas envie de me faire une nouvelle ennemie. Je lui adressais donc un sourire léger.

"Hm, désolé, je pensais que tu m'aurais entendue."

Je posais mon coude contre le piano, savourant sa fraîcheur. J'adorais cet instrument. C'était l'évasion garantie. Cependant, ce qui m'intéressait en ce moment même, c'était l'inconnue qui se tenait là, pianotant sans réellement savoir ce qu'elle faisait, apparemment.

"Dis-moi, tu prends des cours de piano ? Tu es débutante ? Qu'est-ce que tu fais ici ?"

Engager la conversation par le moyen de questions posées à la chaîne ? Tcheck.