[Terminé] Elsa la briseuse de coeur... [With Elsa Beth.]

- Tu te souviens encore de ça alors que ça date d'il y a dix ans...

Je me sentis un peu gêné, mais j'étais ainsi fait. Ce qui ne m'empêchait pas de sincèrement vouloir l'aider, après tout. Ma "tare" n'était donc pas si terrible qu'elle en avait l'air. Rapidement, elle enchaîne. Sa voix est triste à en pleurer.

- Désolée, Chase, mais personne ne peut m'aider. C'est impossible.

Je veux demander pourquoi, mais je n'en ai pas l'occasion. Elsa se remet à pleurer à gros bouillons, telle une fontaine. J'ai envie de la consoler, très envie. Je n'aime décidément pas voir une femme pleurer. Moi et mon cœur sensible n'aimons pas ça, parce que même si on veut jouer les durs, ça nous fait tellement de peine, toute cette souffrance impossible à éradiquer.

Elle pleure de plus en plus fort, puis soudain, je la vois qui se laisse aller en avant, tout contre moi. Elle pose son front contre mon torse et pleure. Un peu étonné, mais pas mécontent, je l'entoure de mes bras et la serre contre moi. Ce genre de réconfort me convient, si c'est ce dont elle a besoin en ce moment.

- Shhhh, ça va aller. Ça va aller..., lui dis-je en murmurant.

Tout en la consolant, je lui caresse lentement les cheveux, et elle pleure. Je répète ces paroles comme une douce prière et nous restons ainsi enlacés un long moment. Ensuite, chacun repart de son côté, chamboulé par cette soirée qu'aucun des deux n'attendaient.

J'avais passé la porte. Je me tenais au mur. J'essayai d'avancer difficilement. Mais qu'est ce qui me faisait trembler autant, bordel ?! Je remis mon écharpe correctement autour de mon cou. Je tenais toujours mon livre dans ma main. La couverture était légèrement moite, pour cause de l'avoir tenu trop longtemps. J'avais envie de dormir. C'est toujours comme ça lorsque je pleure. Je ne laisse jamais le trop plein s'écouler. Ça me fatigue. J'ai toujours envie de pleuré mais je me retiens. C'est pas grave. C'est ce que je me répète à chaque fois. "Ça va passer" s'associe généralement avec ce dernier. Je suis stupide. Je suis vraiment minable. Alors, j'entends des pas. Putain, Chase me suit. J'essaye d'accélérer le mouvement. Je sens qu'il arrive de plus en plus près. Il se rapproche. Je sens sa main sur son épaule. Mon coeur rate un battement. J'ai peur. Mes mains refroidissent. Calme-toi, calme-toi. Il ne va rien te faire. Calme-toi, calme-toi. Merde, mais calme-toi ! Chase force sur mon épaule et m'oblige à retourner. Je baisse la tête.

« Elsa, écoutes... Je te promet de ne pas en parler, mais je veux t'aider. Même si je suis encore un peu fâché pour... Enfin, non, on s'en fout de ça ! Bref, laisse-moi t'aider, Elsa. S'il te plait. J'y tiens. »

Je reconnais bien Chase. Je le savais rancunier mais pas à ce point là. Je ne pensais pas qu'il allait se souvenir de se râteau, comme on dit, vieux d'une dizaine d'année à peu près. J'essaye de blaguer la dessus. Sans succès.

« Tu te souviens encore de ça alors que ça date d'il y a dix ans.. »

Je m'aperçois que je n'ai pas répondu à sa question. J'essaye d'enchaîner rapidement.

« Désolée, Chase, mais personne ne peut m'aider. C'est impossible.»

Ma phrase mourut sur le bout de mes lèvres. Allez, c'est reparti. Mes larmes coulent à nouveau librement sur mes joues. Je suis vraiment trop conne. Mais cette fois, je me sens encore plus minable qu'avant. Je sanglote carrément. Je pose mon front contre le torse de Chase. Et je pleure. Allez, ce sera juste pour cette fois. C'est nul. C'est con. Je suis stupide.

Elsa releva la tête pour me fixer. Je soutins son regard, la tête toujours appuyée contre mon poing. Elle n'avait pas l'air vraiment remise, mais quand elle parla, sa voix ne tremblait plus.

- Laisse-tomber. Ne parle à personne de ce qu'il s'est passé. Oublies, c'est tout.

Sa voix était froide. Contrôlée à merveille, malgré tout ce qui se lisait de contradictoire dans ses yeux paniqués. Elle se leva, légèrement vacillante et s'éloigna vers la porte à l'autre bout de la pièce, celle qui menait aux chambres. Je la suivis du regard, me demandant quoi faire, toujours assis par terre. Elle m'avait bien demandé de laisser tomber, mais ce n'était pas dans ma nature. J'avais envie de l'aider. Elle ralentit le pas et se tourna vers moi. Elle fit aussitôt volte-face quand elle vit que je la regardais, mais il était trop tard. Si elle ne s'était pas retournée, peut-être l'horrible gamin têtu que j'étais aurait-il respecté sa demande. Et encore, rien n'était moins sûr ! Mais là, Elsa venait de me donner le prétexte que j'attendais pour la suivre et pour essayer, avec mes petits moyens, de l'aider. Ses yeux en disaient tellement long sur sa souffrance, que je ne pouvais plus, de toute façon, l'oublier sans rien tenter. De plus, j'avais eu l'impression en croisant son regard qu'elle me demandait de la suivre, de faire quoi que ce soit qui pourrait la soulager. Après tout, il n'en faut pas beaucoup pour se sentir mieux, parfois ! Un sourire d'un inconnu peut suffire. Je sautai sur mes pieds et la rejoignit en quelques enjambées. Elle n'avait pas été bien loin de sa démarche vacillante, je n'eus donc aucun mal à la rattraper. Je posai délicatement ma main sur son épaule. Elle était frêle, presque maigre. Je sentais ses os sous mes doigts. J'y exerçai une légère pression pour l'encourager à se tourner vers moi et me faire face.

- Elsa, écoutes... Je te promet de ne pas en parler, mais je veux t'aider. Même si je suis encore un peu fâché pour... Enfin, non, on s'en fout de ça ! Bref, laisse-moi t'aider, Elsa. S'il te plait. J'y tiens.

Quel con... Il n'y avait que moi pour en rajouter une couche sur ma vieille rancœur dans un moment pareil. C'était, comme qui dirait, sorti tout seul. Heureusement, pour une fois, j'avais réussi à faire preuve d'un peu de tact et je m'étais rattrapé. Certes, un peu tard, mais c'est mieux que rien, non ?

Je regardais mes pieds sans vraiment les voir. Je suis minable. Mes mains ne tremblent plus mais sont toujours froides. Je suis lasse, fatiguée. Mon pull gris recouvre entièrement mes bras, à tel point que le bout des manches tombe et laisse à peine apercevoir mes doigts. Je rapprochai un des genoux au plus près de moi et y posai un de mes bras. J'avais froid. J'entendis Chase soupirer bruyamment. Il se baissa en direction du sol puis s'assit en tailleur à quelques mètres de moi. Je ne le regardai pas. Je mis une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille. Chase avait posé ses avant bras sur ses genoux. Il soupira à nouveau.

« Tu veux me raconter ? Ça m'intéresse pas, mais si tu en as besoin, tu peux. Et puis, je suis pas le genre à répéter ce qu'on me dit. »

Une dernière larme roula sur ma joue. Je l'effaçai d'un revers de manche. Je sais tout ça. Pas besoin de me le dire. Impossible d'en parler. Avec qui que ce soit. Mes propres cris résonnaient dans ma tête. Je secouai la tête. Chase avait posé sa tête sur son poing, attendant patiemment. Je pris une voix dure et froide.

« Laisse-tomber. Ne parle à personne de ce qu'il s'est passé. Oublies, c'est tout. »

Je me levai. Mes jambes tremblaient. Je les suppliai intérieurement de me supporter mon poids jusque dans ma chambre. Je me dirigeai vers la porte du foyer, risquant un dernier coup d'oeil vers Chase.

Elsa, la gamine souriante de la petite école, tendit une main tremblante digne d'un malade atteint de Parkinson pour se saisir de mon mouchoir, s'essuya les yeux puis, toujours en reniflant, se laissa glisser le long du mur pour finalement poser ses délicates petites fesses sur le sol. Elle était immobile, à mes pieds et pleurait. Soudain, j'espérai que personne ne se pointerait dans un moment pareil. D'une part, Elsa serait probablement gênée - si elle ne l'était pas déjà - et puis je n'avais pas envie que l'on pense que c'était vraiment de ma faute. Parce qu'après tout... Je n'avais rien fait, moi ! Tout à coup, sa voix fluette se fit entendre.

- Désolée...

Que dire ? Je soupirai bruyamment avant de m'abaisser à mon tour. Je m'installai en prenant garde de laisser une certaine distance entre nous, croisai les jambes en tailleur devant moi et attendis quelques instants qu'elle se reprenne. Je me demandais si je devais lui proposer de parler. Je doutais qu'elle veuille se confier à moi, et la politesse était le cadet de mes soucis. Je posai mes avant-bras sur mes genoux et soupirai encore une fois, pour la forme.

- Tu veux me raconter ? Ça m'intéresse pas, mais si tu en as besoin, tu peux. Et puis, je suis pas le genre à répéter ce qu'on me dit.

Pourquoi lui mentir ? Sa vie ne m'intéressait pas vraiment, j'étais toujours un peu fâché à cause de son refus, même si c'était une réaction totalement puérile. Enfin, au moins, elle savait à quoi s'en tenir avec un individu comme moi. En règle générale, j'aimais bien aider les gens, ne serait-ce que pour les aider. Le fond et la forme ne m'intéressaient pas, tout ce qui importait c'était le résultat. Et si pour ça on devait passer par leurs problèmes de "A" à "Z", alors cela ne me posait pas de problème. J'attendis patiemment qu'elle me réponde, la tête appuyée sur mon poing.

J'avais beau essayer de stopper mes larmes, ces dernières ne voulaient plus s'arrêter d'affluer mes joues. Je me sentais honteuse. Je m'appuyais au mur derrière moi pour me donner une contenance. Mes mains glacées tenaient fermement ma taille afin qu'elles ne tremblent. Ma peau se rafraîchit au contact de ces dernières. Soudain, je sentis Chase reculer d'un grand pas. Puis, il y eut le silence. Mes larmes ne cessaient toujours de tomber. J'essayai en vain de les en empêcher mais mes mains me faisaient défaut. Soudain, Chase me posa une question.

« Euh... Elsa ? Ça va ? »

Je restai immobile contre le mur. Je regardai mes pieds. J'aurais voulu m'engloutir dix mille pieds sous terre. Je n'avais pas la force de répondre. Ma voix tremblerait autant que mes mains. Alors que je réfléchissais à l'attitude a adopter, j'entendis Chase fouiller dans ses poches. Et le vit me tendre un mouchoir quelques secondes plus tard. Je le pris d'une main terriblement instable et m'essuyai les yeux. Puis, je me laissai lentement glisser le long du mur. Je soupirai. Je regardai un point imaginaire au sol. Je répondis à Chase, fébrilement.

« Désolée.. »

Merde ! Quel con ! Enfin, je crois... Jamais je n'aurais imaginé qu'elle se mettrait à pleurer ! Si ça se trouve, je lui avais réellement manqué, et moi je lui balançais ça comme un bourrin. Ou alors, peut-être que j'avais mauvaise haleine ? Enfin, de là à la faire chialer... N'empêche, champion, Chase ! Bravo, j'applaudis des deux mains ! Faire pleurer une fille, c'est absolument contraire à toutes mes lois. J'ai quelques principes, moi, figurez-vous ! Et le respect des femmes - pas comme ces débiles d'Alecto et autres Théodore - en faisait partie. Il était même en tête de liste. Merde. Une goute de sueur perla à son front. Tout à coup, elle m'ordonna de m'éloigner.

- Je..., bafouilla-t-elle, Éloigne-toi. S'il te plait.

D'instinct, je lui obéis et fit immédiatement un bond en arrière. Les larmes roulaient toujours le long de ses jolies joues, et je ne pouvais rien faire d'autre que de fixer en silence ce triste spectacle. Et Elsa, elle, pleurait. J'avais horreur de ça... Non seulement, elle pleurait, ce qui était déjà à la base pour me déplaire, mais en plus c'était apparemment de ma faute. Je ne voyais pas vraiment ce que j'avais fait, mais quand la jeune fille se mit à trembler, je commençai sérieusement à m'inquiéter.

- Euh... Elsa ? Ça va ?

J'eus à peine prononcé ces paroles que je m'en voulu. Demander à une fille qui pleure, tremble et morve probablement si ça allait. Super idée. Merde ! Quel con ! Mon manque de tact ne me choquait pas particulièrement, la plupart du temps... Mais là, il me sidérait complètement. Je fouillai dans mes poches à la recherche d'un mouchoir et en sortis finalement un - propre, ouf ! - de ma poche arrière. Je le lui tendis maladroitement, attendant qu'elle daigne se calmer et m'expliquer quelle mouche la piquait.

Sans m'en rendre compte, je m'étais appuyée sur le mur derrière moi. Et voyais Chase me jauger du regard. Je le fixai toujours intensément. J'essayai de déceler le cheminement de ses pensées. Il avait pas mal changé depuis la maternelle, quand même. Normal me direz-vous. Seulement, il y a une seule chose qui n'a pas changé. Ses yeux. Toujours aussi bleus. Je le regardai réfléchir de son air à demi sérieux et amusé à la fois. Soudain, il se leva. Mes mains se refroidirent un peu plus. Qu'est ce qu'il allait faire ? Il me souriait d'un air narquois. Il avançait toujours un plus. La panique me prenait. Des cris résonnaient dans ma tête. Des souvenirs hantaient mon esprit. Je fis un pas en arrière. Mais le mur me bloquait le passage. J'essayai de maintenir le regard de Chase. Je sentais des gouttes de sueur perler sur mon dos. Lorsqu'il arriva assez près de moi pour poser sa main sur le mur, il s'approcha. J'étais tétanisée. Je sentais son souffle sur ma peau blanche. Mes mains blanchissaient et froidissaient. Il répondit à ma question avec un ton que je ne lui connaissais pas.

« Je vois que je t'ai manqué, Vicious ! »

Il était trop près. Beaucoup trop près. Je sentis les larmes me monter aux yeux. J'avais froid. Extrêmement froid. Ma vue se brouillait et je ne pouvais plus soutenir son regard. Bientôt les larmes affluèrent mes joues. Je baissai la tête. J'avais peur. Je ne pouvais plus faire un mouvement. Des cris, des larmes, de la souffrance. Le film se refaisait dans ma tête. Je tremblais.

« Je.. Éloigne-toi. S'il te plaît... »

Je me sentais horriblement stupide. La peur me rendait immobile. Je me sentis si ridicule. Mon coeur s'emballait. Si ça continuait, j'allai refaire une crise. Mes larmes tombaient sur le sol. J'aurais voulu fuir.

Machinalement, elle se retourna et quand elle me vit, je décelai tout de suite dans son regard choqué qu'elle m'avait reconnu. J'avais beau m'être posé la question de savoir si cela serait le cas ou pas, je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'elle se souvienne de moi après tant d'années. Si elle n'avait pas changé d'un poil, moi... j'espérais bien que si ! Du garçonnet blond en culotte courte, toujours plein de tâches de quelques fruits sur le tee-shirt, j'aurais aimé être passé au type super sexy que les nanas s'arrachent, malgré mes grands airs d'ours mal léché ! Elle me lança, presque hargneuse :

- Qu'est-ce que tu fais ici ?, tout en me fixant dans les yeux, comme pour prouver qu'elle n'avait pas... peur de moi, peut-être ?

Les jointures de ses mains blanchissaient à vue d'œil tellement elle serrait fort son bouquin, dont j'essayai de lire le titre, sans succès. Sa colère était palpable, et Dieu seul sait ce qui l'avait énervée, mais cela ne pouvait pas - déjà ! - être moi. J'avais bien envie de prendre une petite revanche sur elle - quel garçon puéril je suis, n'est-il pas ? Plusieurs options s'offraient à moi, toutes plus drôles les unes que les autres... Le coup des règles-colères ? Trop macho. Ou peut-être le "J'étudie, moi !" ... Non, beaucoup trop tête de classe - même si c'était vrai. Ah, je sais ! Elle allait adorer ! Je me levai, un sourire narquois aux lèvres. Je m'avançai vers elle, et la petite Elsa du lever les yeux pour continuer à me regarder dans les yeux. Je posai ma main sur le mur derrière elle et m'abaissai légèrement pour être à sa hauteur, avant de lui souffler, taquin :

- Je vois que je t'ai manqué, Vicious !

L'utilisation de son nom avait un effet double : Vicious, vicieuse... et l'appeler de cette façon lui prouverait bien que je n'avais plus aucun sentiment amoureux à son égard. Sait-on jamais qu'elle se l'imagine ! Les jeunes filles, de nos jours ! Toutes à rêver au Prince Charmant, tss.

Il était à peu près vingt-deux heures. Je dévalais rapidement les marches de l'escaliers amenant au rez-de-chaussée. J'étais énervée. Je revenais de ma chambre. Je marchai rapidement dans le couloir. Je cherchais désespérément le foyer. J'avais pris un de mes livres policiers. Je devais lire, à tout prix. Mon iPod se tenait au fond de ma poche, prêt à sortir de sa cachette. J'étais furieuse. Mes mains se refroidissaient de plus en plus. Non, je ne m'étais pas disputée avec Max - pour une fois - mais avec une autre personne. L'appel téléphonique que je venais de recevoir résonnait encore dans ma tête. Ma tante, cette vieille peau, m'avait appelée disant que je manquais à mon ivrogne de père. Elle me suppliait de revenir le voir. C'est ça, oui. Qu'elle aille se faire voir. Elle a qu'a s'en occuper, elle. Je ne remettrai pas les pieds là-bas avant la fin de l'année. Bien sûr, mon refus l'avait mise en rogne. Elle m'avait rétorquée que je ne faisais rien pour aider ce "pauvre" homme de la mort de sa femme. Je lui avais raccrochée au nez. Je n'avais rien à lui dire, de toute façon. Elle était bien la soeur de son frère. Jamais sa faute. J'avançai toujours rapidement, énervée. Soudain, je reconnu la porte ouvrant sur le foyer. Je m'y engouffra sans attendre et ferma la porte assez bruyant. Je regardai rapidement les alentours. Personne. Du moins, jusqu'à ce que j'entende un bruit sourd. Un livre de mathématiques était tombé sur le sol à quelques mètres de là. Puis, j'entendis une voix.

« Hè ! Elsa ! Ramène un peu ta fraise ici, s't'euplè ! »

Mes mains se crispèrent sur mon livre. Je reconnaissais ses yeux bleus magnifiques. Ce petit sourire espiègle et son entrée en matière toujours aussi délicate. Chase. Merde. C'était bien la dernière personne que je comptais trouver ici. Je me souviens ne pas avoir été très sympa avec lui, à l'époque. J'avais six ans et lui sept. Il était amoureux de moi. Enfin, je ne croies pas vraiment qu'on peux parler d'amour à cet âge là. Mes mains se refroidissaient toujours un peu plus.

« Qu'est ce que tu fais ici ? »

Il était assis sur son fauteuil. Je le regardai dans les yeux. Ma voix était cassante. Je ne voulais pas rencontrer de personnes qui me connaissait, ici.

Foutu portable ! *Dzzz dzzz, dzzz dzzz* Il vibrait dans ma poche, telle une petite abeille dans sa ruche... Et j'avais horreur de ça ! Je m'en saisis le plus vite possible et regardai qui m'appelait. Ma mère, allons bon.

- Allô ? ... Oui, Maman ! ... Mais oui ça va, j'te dis ! Des nouvelles de Papa ? ... Mmmh... Je vois... Han, han... Ouais nan, c'est cool ! ... Bah quoi ?! ... Roh ça va hein, dis que ça te consterne, aussi... Ouais, c'est ça ! Bonne nuit Mamounette, je t'aime.

*Clic*

Discrètement, je me retournai pour voir si personne n'avait surpris ma conversation... Par chance, il n'y avait pas un chat dans la salle commune. Si quelqu'un m'avait entendu dire à ma "mamounette" que je l'aimais, c'en était fini de ma réputation de tueur ! Mais bon, c'était là la stricte vérité. Elle était ce que j'avais de plus précieux dans la vie. Elle me téléphonait pour me donner des nouvelles de mon cher politicien de paternel. Son cancer du foie stagnait. Les métastases étaient toujours bien présentes malgré la chimiothérapie et les rayons X à répétition. Et pour moi, cela ne signifiait qu'une seule chose : à moi la liberté ! C'en était fini de toutes ces simagrées, finies les mondanités en costume-cravate. Et bonjour le retour aux sources ! Ma mère était furieuse quand je trouvais "cool" la mort imminente de mon géniteur, mais je n'aspirais qu'à une chose : rentrer vivre auprès d'elle et reprendre l'exploitation familiale. Bien sûr, c'était mal de penser cela, bien sûr j'aimais mon père... Mais je ne digérais toujours pas qu'il m'ait enlevé à ma mère pour essayer de faire de moi un mini-lui. Sans succès. Bientôt, toute cette mascarade serait terminée, je pourrais quitter ce stupide lycée et ... Soudain, j'entendis un bruit derrière moi. Je sursautai et laissai tomber mon livre de maths - bah quoi ? Il faut bien étudier pour rester au sommet ! Je me retournai pour voir de qui il s'agissait...

Le choc. Elle était toujours semblable à ce que je conservais d'elle dans mes souvenirs. Et son mignon grain de beauté sur la joue... Sa peau parfaite, ses cheveux qui ne donnaient qu'une envie : passer notre main dedans. Elsa Beth... Vicious. Comme elle portait bien son nom ! Enfin, non... Je ne pouvais pas la blâmer de ne pas avoir voulu de moi... à 6 ans. A cet âge-là, après tout... Mais non, elle était tout de même la première fille à m'avoir brisé le coeur, et je ne pourrais jamais l'oublier ! Avec la délicatesse naturelle qui me caractérisait, je la hélai de mon fauteuil. Voyons si elle va me reconnaitre, me dis-je.

- Hè ! Elsa ! Ramène un peu ta fraise ici, s't'euplè !