▬ L'heure du thé. Ou du café. 「Eva」 [abandonné]

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••• L'heure du thé. Ou du café. •••

«- Tu t'en ira, après ?»

Cette question faisait écho dans ma tête mais je fis semblant de ne pas l'entendre enchaînait en lui demandant qui étaient Sonata et Mateo. Là, elle me sortait deux photos d'enfant, dont un bébé et une petite fille au regard de tueuse.

« - Sonata c'est mon aînée, six ans. Et le petit dernier, Mateo, six mois. C'est mes gosses. Ils ne me ressemblent pas bien mais bon.
- D'où les yeux de la gamine. Finalement, il y a bien un air quelque part. »

Ces enfants étaient la chair de sa chair, le sang de son sang, ils étaient les siens et depuis tout ce temps je n'avais pu imaginé que cette jeune femme était mère. Je repensais à ma famille, ma mère et ma marraine ou plutôt mon père de substitution. La famille c'est une chose bien étrange parfois quand on y pense, il existe une définition mais lorsque l'on regarde bien autour de soi, on a tous une vision différente de ce que cela représente. Voir Eva sortir ces photos là de sa poche, voir cette demoiselle au caractère de feu qui aurait incendié le lycée il n'y a pas si longtemps, l'observer, l'écouter parler d'eux avec une ombre qui passe sur son visage. Les flammes ont changé de couleur, elles se sont ternies, comme si ce qui semble être son seul objet de bonheur avait coûté plus qu'un utérus et deux placentas.

« - Ces deux-là, ce sont tout ce qu'il me reste de famille et d'amis.
- Tant qu'ils sont là, n'est-ce pas tout ce qui importe ? J'imagine qu'avoir des amis présents serait plus agréable parfois mais, avec eux, tu n'es pas seule, non plus. »

Elle allait probablement me détester d'avoir dit cela mais, il valait mieux peu de compagnie que d'être entourée par de la merde ou n'avoir tout simplement personne à adorer tout près de soi. Moi je n'avais plus rien de tout cela à mes côtés, si je voulais du réconfort, je devais prendre le premier avion pour Beijing ou Tokyo. Or, je n'en avais ni les moyens, ni une réelle envie actuellement. Ce soir là, j'aurais voulu me ruer sur le téléphone et demander conseil à Yukio mais je ne le ferais pas. J'aurais aimé que Channarong m'enlace mais je ne lui dirais pas. Certainement que j'étais trop stupide et fière de leur avouer qu'à Miami je souffrais de ma solitude mais que d'un autre côté, j'appréciais trop mon indépendance pour décider de changer de vie. Retourner en Asie, cela finissait par ressembler à une réédition, admettre que je ne pouvais pas avoir d'avenir par moi-même.
Non, j'exagère toujours.
Je souriais. Je n'étais pas sûre de savoir pour quelle raison.

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L'heure du thé. Ou du café.

Shizuka Ueno & Eva Esperanza

Les souvenirs remontent, 'chier.

Nous y étions.

Lorsque Shizuka ouvrit la bouche pour s'expliquer, je l'écoutais avec une attention toute entière. Après tout, des asiats on en voyait pas mal dans ce bled, mais pour la plupart ils étaient soit japonais (donc riches, CQFD), soit d'origine, seulement. Or, l'accent léger de Shizuka ne laissait planer le doute quant à son lieu de naissance ; le Grand Continent des Bridés. A vrai dire, je n'avais rien contre ces gens ; même si j'exécrais les japonais dans leur ensemble, à cause de leur humour idiot, et de leur manie presque maladive d'être de véritables bourreaux du travail. Et maintenant que mon ami Jiro était mort, je n'avais plus personne pour m'empêcher de critiquer ces cons de japonais, avec leurs technologies sur-développées qui permettaient de créér des chiens robots qui font caca. Non mais sans blague. Shizuka n'était pas japonaise. D'abord, elle n'était pas aussi laide qu'eux, et elle venait de dire que rares étaient ceux qui avaient le privilège de venir faire leurs études ici. Je supposais donc qu'elle avait des racines chinoises, vietnamiennes peut-être ; il était vrai que jamais je ne m'étais intéressée à son cas. Pour moi, Shizuka Ueno c'était la pisseuse de concierge qui passait ses journées à gueuler pour un oui ou pour un non. Je n'avais pas manqué d'occasions pour la faire tourner en bourrique, et j'avais réussi ; comme pour la moitié de la population wynwoodienne, d'ailleurs. Elle passait donc un doctorat, achevé en Mai ; allait-elle nous quitter ensuite ? Pour moi Shizuka faisait partie du décor, comme les pierres de cet endroit.

"Tu t'en ira, après ?"

Finalement, elle aborda un autre sujet ; Sonata et Mateo. J'eus un léger sourire lorsqu'elle m'en demanda les identités. Oui, j'étais suffisamment bête pour croire que tout le monde connaissait mes enfants. Comme n'importe quelle mère, sûrement. Sonata et Mateo étaient les deux amours de ma vie, plus encore que j'avais aimé leurs pères respectifs. Ils ne se ressemblaient pas beaucoup, puisque Sonata et Mateo tenaient chacun respectivement de Liam et Lancelot. Malgré cela, je savais déceler chez ma fille le même regard qu'était le mien ; un regard d'affrontement permanent, légitime au vu de tout ce qu'elle avait vécu en ma présence. En étais-je une mère indigne pour autant ? Cela, je l'ignorais. Après tout, je n'avais pas prévu le Hold Up, ni l'Ouragan, et pourtant elle l'avait vécu, et en avait souffert. J'aurais sans doute du mal à me faire à l'idée que ma fille ait déjà dû subir des traumatismes, à un si jeune âge. Mateo n'avait pas eu à subir cela, grâce au ciel ; il ne recevait que l'affection tendre d'une mère un peu trop chagrinée par l'absence d'un homme à ses côtés. Malgré tout ce que je pouvais dire ou penser, Lancelot me manquait épouvantablement, et ce un peu plus chaque jour. Surtout depuis que je l'avais vu à Paris. Bref, pour éviter de repenser à tout cela, je fouillais dans ma poche pour y trouver mon portefeuilles. J'en sortis une photo de Sonata et une de Mateo que je déposais sur la table pour les montrer à Shizuka.

"Sonata c'est mon aînée, six ans. Et le petit dernier, Mateo, six mois. C'est mes gosses. Ils ne me ressemblent pas bien mais bon."

Une brume se leva dans mon esprit, ce qui eut pour effet de voiler légèrement mon regard. Finalement, j'aurais préféré qu'ils me ressemblent, ces deux-là. Cela m'aurait évité bien des souffrances, à beaucoup d'égards. A chaque fois que je regardais ma fille d'un peu trop près, j'y voyais le corps de Liam étendu dans la cuisine de sa maison, le torse bouillonnant de sang ; et lorsque je touchais les boucles brunes de Mateo, j'y voyais ces mêmes cheveux dans lesquels j'avais passé les mains, au moment de sa conception. ça me foutait les boules. Et cela se lisait sur mon visage, par ailleurs.

"Ces deux-là, ce sont tout ce qu'il me reste de famille et d'amis."

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••• L'heure du thé. Ou du café. •••

«- Sonata et Mateo aiment Miami. Et puis Wynwood, c'est le lieu qui m'a permis de prendre un nouveau départ, j'pas envie de recommencer. Et je ne suis pas si rebelle que ça quand même ! Juste un peu soupe au lait...- Haha, juste un peu, n'est-ce pas ? . »

« - Et toi ? Je ne t'ai jamais demandé ce qui avait bien pu t'amener ici. »

Il y a quatre ans déjà, Shizuka avait quitté la Chine pour finir ses études aux États-Unis. Sa tête fourmillait de projets.
Désormais, elle se demandait sans cesse si cela valait encore le coup. Mais les regrets n'avaient pas leur place ici.

« - Oh, tu sais, les universités américaines nous font rêver, nous autres bridés. Mais à moins d'avoir des parents riches, il faut savoir bosser pour se payer le luxe d'étudier ici. Or, moi j'ai épuisé mon compte en moins d'un an passé à New York donc autant te dire qu'il a fallu que je me bouge le cul si je voulais rester dans le pays jusqu'à la fin de mon doctorat. D'ailleurs, j'en aurais fini avec ça à la fin du mois de Mai. Si tout va bien. »

Ouais, si tout va bien. Sauf que je n'ai toujours pas décidé de ce que j'en ferais. Il était convenu avec Channarong que je le rejoindrai à Beinjing et que je me cherche un boulot temporaire là-bas en attendant de pouvoir trouver un poste qui me conviendrait soit dans le marketing, soit dans le tourisme ou même en université si je décidais de devenir professeur. Le problème est qu'en quatre années, je n'ai toujours pas arrêté mon choix sur un de ces domaines, que je me suis habituée au campus wynwoodien et à ses habitants. Même les plus chiants. Et Channarong dans tout ça ? Il est certain qu'il me manque. Mon avenir est incertain. Changer de sujet.

«Au fait, tu ne parles de Sonata et Mateo mais, je ne sais même pas qui ils sont. »

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L'heure du thé. Ou du café.

Shizuka Ueno & Eva Esperanza

Je m'appelle Eva, j'ai une vie de merde. Enchantée.

Eva n'avait jamais vraiment eu l'occasion de discuter avec Shizuka.

En fait, les deux jeunes femmes avaient passé des années houleuses à se détester comme peu en étaient capables ; et après tout, les colères de l'Asiatique à l'encontre de l'Européenne étaient totalement légitimes, puisque c'était elle qui réparait les pots cassés à chaque fois qu'Eva avait quelque chose à dégommer. Pour autant, la jeune femme n'avait jamais vraiment reconnu sa part de tort (la totalité, en fait) puisque de mauvaise foi et colérique, elle estimait légitime qu'il y ait une chintok pour nettoyer derrière elle ; après tout ils étaient faits pour ça, les Bridés. A présent, la jeune femme savait parfaitement que l'engueuler avait été totalement justifié, sans pour autant reconnaître que lui répondre n'était pas légitime. Eva était réputée pour sa diarrhée verbale virulente, et elle ne cherchait pas à prétendre le contraire ; son orgueil, de plus, la confortait dans l'idée de ne pas s'excuser auprès de la jeune concierge. Pour autant, elle s'amusait beaucoup de la situation ; car oui, Shizuka avait parfaitement raison. Eva elle-même avait du mal à comprendre la situation. Lycéenne, diplômée, chanteuse, puis tueuse à gages, elle était finalement retournée à la case départ : à Wynwood. Cette idée lui plaisait et l'agaçait à la fois ; car ses fantômes, eux, n'avaient jamais quitté les lieux.

Quelques cheveux bouclés lui rappelaient cruellement le Français qu'elle avait laissé dans son pays d'origine. Un regard clair lui faisait voir Elsa à chaque détour d'un couloir. Des habits un peu gothique, et Pollo revenait à la charge, et que dire de ceux qu'elle adorait et haïssait. Kity, Rafael, Elena, ils avaient tous partagé avec elle de nombreux coups de gueules ou coups de sang, des discussions enflammées ou calmes, elle n'avait jamais oublié tous ceux qu'elle avait aimés et détèstés. A présent, elle les revoyait partout, et venir faire cours devenait presque une torture chaque matins ; alors elle passait ses nerfs sur ces petits cons auxquels elle essayait d'enseigner quelques rudiments musicaux. Mais ils le cherchaient aussi.

Quand on sait pas faire une différence entre une blanche et une noire après un trimestre d'acharnement, bah ça agace.

"Je finis à 17heures, ce soir. J'ai pas prévenu la nounou, bien sûr, elle va compter ça en heures sup', la garce."

Eva se cala contre le dossier de la chaise, et jeta sa clope par la fenêtre. Elle attrapa son café maintenant froid, tout en réfléchissant à ce que venait de lui dire la jeune concierge. Eva s'était attachée à cet endroit, oui, se raccrochant à son passé comme un homme en rappel sur une falaise. Ce n'était pas une bonne idée, pensa-t-elle avec flegme. Après tout, qu'est-ce qui la retenait ici ? Pas grand chose. Aucun de ses vieux amis n'étaient restés. Aucun. Elle les avait tous perdus, et il faudrait tout recommencer du début une seconde fois. Elle n'avait même plus de nouvelles de Gin, sa cuisse droite. ça, elle le regrettait. Cette fille était une pure merveille, et elle soulageait Eva de beaucoup de peines, et elle le lui rendait du mieux qu'elle pouvait. Non, si elle restait c'était parce qu'elle n'envisageait pas de déménager de nouveau; et ses enfants aimaient Miami, à présent. Elle ne voyait aucune raison de changer de lieu. Ou bien la fuite. Ce qui était inenvisageable.

"Sonata et Mateo aiment Miami. Et puis Wynwood, c'est le lieu qui m'a permis de prendre un nouveau départ, j'pas envie de recommencer."

Une inspiration. Nouvelle cigarette. Un sourire amusé aux lèvres.

"Et je ne suis pas si rebelle que ça quand même ! Juste un peu soupe au lait..."

Elle jeta un coup d'oeil attristé à ses copies. Elle devrait y passer la soirée. ça la gonflait déjà.

"Et toi ? Je ne t'ai jamais demandé ce qui avait bien pu t'amener ici."

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••• L'heure du thé. Ou du café. •••

«- Je suppose que c'est de moi. J'en entends de belles à mon sujet en ce moment. La dernière en date c'est que j'ai passé six mois en taule. Et puis tu sais, les autres profs sont tous des nouveaux dans l'ensemble. Ils ne me connaissent pas. Et toi non plus, d'ailleurs.

- Non, c'est sûr. »

Tandis qu'elle prenait sa première taffe, je baissais les yeux vers le contenu de ma tasse, songeuse. Je ne pensais à rien de particulier mais, pendant quelques secondes j'étais ailleurs. Puis, je me décidais à revenir de je-ne-sais-où pour boire une gorgée, relever la tête et sourire à mon interlocutrice.

« - Hm. Et à part ça, tu finis à quelle heure aujourd'hui ? »

Lancer la conversation n'a jamais vraiment été mon fort et là, je savais que j'allais plomber l'ambiance. En même temps que voulez vous raconter à une nana que vous ne connaissez que pour avoir vandalisé les lieux que vous devez tenir intacts chaque jour et qui, de surcroît a la réputation de tueuse à Miami ? Parler de la pluie et du beau temps ? Sans compter que désormais je la verrais tous les jours en tant que Mademoiselle Esperanza professeur à Wynwood High School. Et putain, ça...

« - Plus sérieusement Eva, je crois que tu l'as vu à ma tête mais je t'avoue que c'est une putain de surprise de te voir prof ici. Je t'ai toujours vue comme l'élève rebelle qu'aucun autre Sigma Mu peut réellement se vanter d'être et je n'aurais jamais imaginé que tu puisses autant aimer cet endroit. Mais comme tu dis, je te connais pas. Je suis juste sur le cul, c'est tout. »

Diarhée verbale. Puis, plus rien. Le silence, les mouches qui volent et le café qui se refroidit à vitesse grand V. Mais de ma bouche ne s'échappe que ce que je pense alors tant pis. Après tout, Eva le sait bien qu'elle ne me connaisse pas en dehors de mon boulot de petite concierge. Elle et moi ne sommes sûres que d'une chose, une seule : nous sommes des grandes gueules. Bon, ça a aussi été le point commun qui nous a mise en porte-à-faux maintes et maintes fois.

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L'heure du thé. Ou du café.

Shizuka Ueno & Eva Esperanza

Tu poses trop de questions.

Shizuka n'avait pas l'air de s'en remettre. Comment se faisait-il que la jeune concierge ignore tout du retour d'Eva sur le campus ? C'était à mourir de rire, finalement. Et très paradoxal. Pendant longtemps, son nom avait rôdé dans les couloirs comme un souvenir effrayant ; aujourd'hui elle était devenue cette prof lambda, et personne ne pouvait se douter de tout ce que la jeune femme aux cheveux de sang avait traversé, pendant ces trois années passées à Wynwood High School. Le temps avait été long, très long. Et Eva, elle, n'avait rien oublié. Elle se contentait cependant d'arpenter ces couloirs, en s'efforçant de ne pas penser à ce qui lui était arrivé, à tel ou tel endroit. De toute manière, beaucoup de choses avaient changé en peu de temps, et elle avait du mal à reconnaître certains endroits. Mais entre ces murs avait perduré un fossile aux yeux bridés que la jeune femme avait toujours considérée comme une sorte de zombie râleur errant dans les couloirs :

Mademoiselle Shizuka Ueno.

Une ombre passa dans le regard d'Eva lorsque le sujet "Cannon' fut évoqué. Malheureusement, la jeune concierge était loin de la vérité. Si personne n'avait été réellement mis au courant de la titularisation d'Eva, c'était pour la raison la plus vieille du monde : une histoire de cul. L'aventure n'avait duré que peu de temps, mais la jeune femme avait ajouté une cicatrice de plus à sa collection, dans les relations amoureuses. A croire qu'elle allait d'échec en échec. Depuis, même si Eva lui était redevable, elle évitait Max comme la peste. Ce qu'il s'était passé ce soir-là avait fait basculer beaucoup de choses, en particulier toute cette affection qu'elle avait cru ressentir pour cet homme qui aurait facilement pu être son père. A présent, elle ne ressentait que cette amertume de s'être faite berner, mais la satisfaction d'avoir un travail bien payé et en CDI. Au moins, quelque chose de positif était sorti de cette histoire, même si malgré cela elle se traînait une réputation de belle petite salope. La réponse de la jeune femme fut donc évasive. Très évasive.

"Oh, je ne pense pas que tu y sois pour quelque chose, tu sais. Il a dû oublier, c'est tout."

Elle finit par accepter de prendre place à la table de la professeure, et Eva rangea ses copies avec une satisfaction certaine ; au moins, elle ne se taperait pas toute cette merde à corriger aujourd'hui. Toujours remettre à demain, c'était le maître mot de la jeune femme. La question de Shizuka eut au moins pour qualité de la ramener à la réalité, et de la faire rire. Eva soupçonnait Shizuka de ne pas savoir la moitié de ce qu'il était arrivé à la jeune femme depuis son arrivée. Lancelot, la mort de Kity, La garde à vue, la fusillade... Sans doute ne devait-elle pas savoir. Ou peut-être que si, mais pas maintenant. Une concierge restait une comère, même si elle avait les yeux bridés. Eva but une gorgée de café, et reprit avec un léger sourire.

"Je suppose que c'est de moi. J'en entends de belles à mon sujet en ce moment. La dernière en date c'est que j'ai passé six mois en taule. Et puis tu sais, les autres profs sont tous des nouveaux dans l'ensemble. Ils ne me connaissent pas."

La jeune femme adressa un dernier sourire à Shizuka avant de s'allumer une cigarette.

"Et toi non plus, d'ailleurs."

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••• L'heure du thé. Ou du café. •••

Eva Esperanza était devenue professeur à Wynwood High School, le lycée dont je hante les couloirs chaque jour et je n'avais pas été tenue au courant. La faute à qui ? Cannon. Monsieur le proviseur Maxwell Cannon.
Je le soupçonne même d'avoir été jusqu'à le cacher. Cet homme a un côté magouilleur qui a tendance à me déplaire énormément et qu'il s'attende à me recevoir dans un bureau bien ciré après mon interlude avec la demoiselle corsetée, que je lui touche un mot un peu à celui-là. Ce qui est d'ailleurs encore plus curieux dans cette histoire est que je n'ai entendu aucun autre professeur parler d'elle. Encore, les élèves, quand ils parlent d'elle, j'ai tendance à penser qu'elle rôde toujours dans le coin comme elle l'a toujours fait même après avoir reçu son diplôme, d'ailleurs je me souviendrais longtemps de la porte qu'elle a défoncé quelques mois après sa fin d'études.

Il s'agissait de celle de la chambre de Kity Wilson et Raphaël Farès et je savais Eva particulièrement furieuse ce jour-là, des histoires de cul ou d'amourette, allez savoir mais assez-t-il tout étant, l'espagnole m'avait apostrophée de tous les noms d'oiseaux quand je lui avais annoncé le prix de la porte. Quelques mois plus tard, on apprenait la mort de la jeune Kity et le départ de Farès ne se fut pas attendre longtemps après. Je ne pense pas que tout ceci soit lié mais tout de même, c'était étrange de voir la vitesse à laquelle les gens tendaient à disparaître dès qu'ils avaient un lien avec le campus de Wynwood. Dur de croire aux coïncidences lorsque l'on vit ici depuis autant de temps que moi. Et lorsqu'on ne s'évanouit pas dans la nature, on revient toujours d'une manière ou d'une autre. Eva, elle, avait finalement installé sa tente, rien ne la décollerait jamais du campus maintenant qu'elle y avait une place bien particulière. Professeur. Ça ne devait pas rajeunir des membres du personnel comme ce vieux Cannon. Quant à la raison de ces cachotteries, je pensais donc au fait que cette ancienne élève et moi avions derrière nous une liste monstrueuse de factures, de cheveux arrachés et de mots jetés dans le vent chaud de Miami. Probablement qu'il s'imaginait que j'allais crier au scandale. Il oubliait facilement qui était Shizuka Ueno. Je n'étais pas une de ses élèves et je n'avais que faire de ce genre de minauderies. S'il y a bien une chose dont j'ai horreur, ce sont les dissimulations foireuses de ce type.

«- Cannon, parlons-en, tiens. Lui, il a pas fini de voir ma tronche de bridée. Car oui, je sais aussi comment il parle de moi dans mon dos. »

Au moins, Eva avait été divertie par ma surprise. Alors que je tenais ma tasse entre mes mains, je prenais mon courage et ma fierté avec, m'éloignais de la machine à dosettes et acceptais l'invitation de la demoiselle à sa table.

« - Six mois, tu dis. Les autres profs ont peur de toi ou de moi, pour n'avoir rien dit non plus, à ton avis ? »

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L'heure du thé. Ou du café.

Shizuka Ueno & Eva Esperanza

Tiens, une asiat'

Putain de cours.

Voilà ce que se répétait inlassablement Eva, presque tous les jours de la semaine. Putain de cours. Pourquoi avait-elle choisi ce métier déjà ? Ah, oui. Elle voulait aider les élèves en difficulté à apprendre le grand art qu'est la musique. Ben elle s'était bien plantée, et sur toute la ligne en plus. Ces idiots-là, ils n'en avaient rien à fiche de la musique. Ils aimaient bâiller aux corneilles tandis que la jeune femme tentait de leur faire comprendre à quoi servait une clé de Sol. Ceux qui pratiquaient la musique n'étaient pas mieux, à vrai dire ; ils étaient même les pires. Arrogants et prétentieux, ils croyaient que leur enseignement suffisait pour Eva, et qu'elle les laisseraient discuter en paix pendant tout le cours. Or, la jeune femme ne l'entendait absolument pas de cette oreille ; bien au contraire. Elle avait bien intention de montrer à cette bande de bras cassés qui était la patronne dans la baraque. Le problème était le suivant ; plutôt que de faire cours, elle faisait la flic. Elle devait s'interrompre toutes les cinq minutes pour virer un Kappa qui préférait parler des Cannonballs, ou une Iota qui faisait ses ongles sur la table. Les Alpha Psi étaient les seuls élèves à peu près normaux, et qui écoutaient le cours ; leur confrérie était intimement liée à la musique. Il était parfaitement normal qu'ils écoutent ce qu'elle avait à dire.

Bref, cette matinée resta au demeurant, comme les autres ; affreuse. Le midi ne fut pas mieux ; lorsqu'elle rentra chez elle pour manger avec ses enfants, le cadet avait allègrement vomi sur son corset tout neuf. Allez hop, un allez-retour chez le médecin, à la pharmacie, un appel à la nourrice pour qu'elle vienne s'occuper des enfants le temps qu'elle aille donner ses derniers cours et corriger ses copies ; et elle était déjà en retard. Elle arriva à Wynwood pour son dernier quart d'heure de cours, qu'elle donna dans le bordel général. C'était normal en même temps, la cloche allait sonner les 15h30 et ce serait bientôt l'heure de sortie des élèves... Et pour elle, des copies en perspective. Lorsque le cours se termina, elle prit ses affaires de guerre lasse et alla prendre place dans le wallalah suprême du café et des cigarettes ; la salle des profs.

Eva aimait cette pièce, parce qu'elle était spacieuse, silencieuse et qu'on pouvait y boire des litres et des litres de café sans être emmerdés. Elle virait les élèves à grand coup de "CASSES TOI !" et pouvait ainsi profiter d'un petit temps de calme pour corriger ses copies et fumer ses petites cigarettes dans la joie et la bonne humeur. Enfin, en théorie quoi. Parce que lesdites copies étaient devenu le paradis des fautes d'orthographe, de syntaxe et aucune leçon ne semblait retenue. Eva en était à se demander pourquoi elle faisait cours, lorsque la porte de la salle s'ouvrit devant...

Oh ! ça par exemple.

"Tiens ! Salut Shizuka"

Lorsqu'Eva redressa la tête, elle reconnut Shizuka Ueno, la concierge du lycée. Pour une fois, un sourire amusé se dessina sur le visage de la jeune femme face à l'étonnement de son interlocutrice ; comment se faisait-il qu'elle ignorait le fait qu'Eva soit devenue professeure ? Les concierges savaient tout sur tout pourtant, c'était de notoriété publique. Enfin, soit. Eva aimait bien la concierge gueularde qu'était Shizuka. Ses exploits dans la salle de physique chimie et contre la porte de Kity Lui avaient valu pas mal de crêpages de chignon avec elle, mais Shizuka avait cette grande gueule qu'Eva appréciait. Aussi, lorsqu'elle la prit pour une élève, Eva éclata de rire. C'était une grossière erreur, et la jeune femme se demandait encore pourquoi Shizuka n'était au courant de rien. Même lorsqu'elle avait quitté le lycée elle avait continué à s'engueuler avec la jeune concierge à cause de la porte de Kity ; les relations avaient toujours été tendues entre elles. Malgré cela, beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts aux yeux de la musicienne, et il y avait peut-être bien un an qu'elle n'avait pas revu sa tête d'asiat' en colère. Aussi, elle l'invita à s'asseoir à sa table, et lui désigna les copies qu'elle corrigeait.

"Non, je corrige mes copies. ça fait presque six mois que Cannon m'a engagée ici, tu n'étais pas au courant ?"

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••• L'heure du thé. Ou du café. •••

C'était il y a de ça des mois, à l'heure du thé.
Pour moi, c'est selon. Mais cette fois-là, j'étais plutôt d'humeur à prendre de la caféine. Ça tombait bien car, c'est ce que l'on trouve en nombre plus important dans la salle des professeurs. Parfois même, sous forme gazeuse dans une bouteille de coca apportée par l'un d'eux et précieusement conservée dans leur petit frigidaire. Mais en hiver, je privilégie les boissons chaudes.

Alors que mon dévolu se jetait sur une grande tasse de café noir sans sucre, breuvage bien connu pour ne PAS calmer les tensions mais au contraire les exacerber. Et ce jour-là, j'étais de mauvaise humeur. Un élève avait pissé tout autour de la cuvette d'un wc formant un cercle jaune presque parfait montrant qu'il avait bel et bien fait exprès de ne pas viser le trou d'eau. Évidemment, qui nettoie ? C'est bibi. Plus tard, dans la matinée, le proviseur m'avait convoquée au sujet de congés qu'il ne pouvait pas m'accorder au moment où je le voulais. Le midi, un élève était malencontreusement tombé près de ma table, renversant le contenu de son plateau sur le mien ainsi que mes pieds.

En début d'après-midi, le proviseur m'avait appelée pour que je remplace l'infirmière le reste de la journée car madame avait soudainement eu besoin d'une demi-journée de congé et j'avais donc passé plusieurs heures entre les perturbateurs qui séchaient les cours en prétextant des maux de tête, les pimbêches qui s'étaient « tordu la cheville » en cours de sport, celles qui n'avaient pas prévu de protection hygiénique et j'en passe... Je crois que les plus hilarants étaient les sophomore et freshman year mal ou peu informés sur la sexualité. Tomber enceinte en s'asseyant sur les genoux d'un homme ? Ça dépend comment tu te places dessus et si t'es nue, ma belle.

C'était donc à 15h45, heure de la récréation de l'après-midi, que je me réfugiais dans la salle des professeurs pour quelques minutes de repos bien mérité, assise, mes mains se réchauffant au contact de ma tasse de café. Et là, je croisais son regard, très brièvement et extrêmement surprise de la voir dans cette pièce. Mademoiselle Eva Esperanza !

«- Eva ? »

Cette jeune femme avait été élève dans ce lycée, elle avait été ce qu'on appelle une Nemesis pour moi. La nana qui vandalisait les locaux que j'étais chargée de garder intact et propre. On s'était embrouillées maintes et maintes fois. Avec le temps, je me dis que j'ai eu de la chance qu'elle n'en vienne pas aux mains surtout quand après avoir entendu toutes les choses qu'elle a faites - même si je suppose que certaines sont fausses ou déformées. Mais tout de même, ça n'en est pas moins effrayant. Eva Esperanza, la tueuse à la rose, la chevelure sanglante... Je ne saurais dire si c'était le café ou elle qui faisait trembler mes jambes. Ma journée était loin d'être terminée et les événements qui s'enchaînaient étaient plus merdiques que les précédents.

Là, on pouvait dire que le mot merdique était mignon en comparaison. Seule dans une pièce avec elle sans même savoir pourquoi ni comment elle y avait atterri et ce après plusieurs années d'embrouilles... Devais-je m'attendre à ce qu'elle m'égorge ? Allais-je finir ma journée dans un cimetière ? Je déglutissais, fixant soudainement la porte. Non, je n'allais pas m'enfuir comme ça. De toute façon, j'étais trop curieuse, il fallait que je sache. Au pire, je pouvais toujours me défendre avec un couteau... à beurre. Non ?

« - Tu... attends un de tes anciens profs ? »