We know each other better than we think ☂ Hope

Je soupire légèrement. Mes yeux sont rivés sur l’écran dans l’attente qu’il me réponde. Il aura sûrement les mots justes et saura quoi me dire. Il trouvera la réponse à laquelle je n’avais pas osé penser. Je sais qu’il me veut du bien. LittleBlueBoy sait ce qu’il m’arrive et il ne me juge pas. Il est conscient que je n’ai pas eu une vie simple. Je n’ai pas vécu ce dont rêvent tous les adolescents normaux. Cette année a été l’une des plus compliquées qu’il m’ait été donné à vivre. J’ai l’impression de sortir la tête de l’eau… Mais de justesse… Je peux respirer mais pas totalement. C’est comme si j’arrivais de justesse à continuer de vivre. De justesse… Tout ça ne tient qu’à un fil, un cheveu, un souffle de courage et de volonté.
Jeff reprend la parole, il me dit que je suis douée que je n’ai besoin que d’un peu de confiance. De la confiance en moi… Comment pourrais-je en avoir ? Tout ce qui a été placé entre mes mains a fini par se briser. Tout ce que j’entreprends fini par tomber dans le néant. Je n’ai rien réussi de ma vie. J’ai toujours tout gâché, tout piétiné. Comment pourrais-je trouver encore de l’espoir ? Oui, je me suis renommée Hope… Je pensais que cette nouvelle apparence changerait tout. Que c’était l’espoir d’une nouvelle vie sans complication. Je me suis voilé la face. J’y ai cru au début. J’étais aveugle… Rien n’est simple. L’espoir n’est qu’une futile lueur lointaine.

« Rhooo, c’est quoi cet état d’esprit, là, hein ? Ce serait bête d’arrêter les cours, je suis sûr que tu as pleins de talents ! Et je t’interdis de partir aussi défaitiste ! Tu passeras ce concours de danse, et tu réussiras. Okay ? » Quand je vois son message s’afficher, un léger sourire s’affiche sur mon visage. Comme Jeff, il croit que tout est simple, que je n’ai qu’à y croire un peu. Je n’ai pas besoin de lui répéter que je n’ai plus la force de me battre. Je lui ai déjà dit tout ça. Et ça doit sûrement le saouler de m’entendre répéter ça à longueur de journée. Je veux bien essayer de passer ce concours de danse. À vrai dire, j’en ai toujours rêvé. Mais j’ai arrêté de m’entraîner depuis un petit moment. Je ne fais plus d’exercice. J’ai sans doute perdu de ma souplesse et de mes muscles. Je ne serais jamais prête à temps pour le concours. Il faut choisir sa musique, créer sa chorégraphie, impressionner le jury et être au-dessus de centaines de candidats… Je n’ai pas la carrure pour ça. Les trois quarts des jeunes voulant entrer dans l’école s’entraînent 7 jours sur 7 depuis qu’ils ont l’âge de marcher. Certains font partie de conservatoires renommés… Et moi dans tout ça ? Je suis le fantôme d’une petite fille rêveuse voulant devenir chorégraphe ou danseuse étoile… C’est trop tard pour la dernière solution alors… Reste plus que chorégraphe… Et là encore, je suis mal barrée !

Je ne sais pas quoi lui répondre. D’autant plus que Jeff reprend la parole en me demandant : « Mais dis-moi… Tu es danseuse ? Pourquoi tu ne te lancerais pas là-dedans ? Si c’est ce que tu aimes, je n’hésiterais pas à ta place ! » Ils se sont concertés où quoi ? C’est super perturbant ! Entre ma conversation virtuelle et celle avec le chef de ma confrérie, il y a beaucoup trop de similitudes. Je ne suis pas habituée à discuter avec deux personnes en même temps. Et encore moins quand il s’agit de la même conversation. Sauf qu’ils ne connaissent pas tous les deux les mêmes détails de mon histoire. « Attends, on est en train de me poser question… J'ai dû mal à écrire et parler. Shame on me !» Je lâche mon clavier pour m'abandonner à la question de Jeff.
« Euh, en fait… J’y ai déjà pensé mais je ne fais plus autant de danse qu’avant. Ça fait bientôt deux ans que c’est compliqué de ce côté-là… Du coup je ne pense plus avoir le niveau pour réussir le concours… Mais comme me l’a dit un ami, il faut que j’arrête d’avoir l’esprit défaitiste…» Je soupire, hausse les épaules… « T’as raison… Je dois arrêter de penser négativement à chaque fois ! C’est compliqué, mais pour toi, je vais essayer. »

« Ahahah, ça s’passe nickel ! Bon là, j’ai pas cours de la journée … Mais même quand j’ai cours, c’est vraiment plus cool la fac, tu verras ! D’ailleurs tu comptes aller à la fac, ou pas ? » Jeff me répond avec un naturel déconcertant. Il a l’air si bien dans sa peau, si décontracte. Il ne se prend pas la tête. Pour ça, je dois dire que c’est un bon chef de confrérie. Il n’a rien d’un tyran et il n’hésite pas à faire la conversation avec un Alpha Psi. Surtout que je ne dois pas être la plus facile d’accès… Je ne vais pas vers les autres, je m’enferme souvent dans ma chambre, je pleurs toute seule la nuit, je dors seule, je ne suis à côté de personne en cours, je ne demande rien à personne, je ne mange pratiquement jamais aux mêmes heures que les autres. Je vis en recluse. Pourquoi ? Tout simplement car je suis mal dans ma peau. Je préfère m’enfermer dans une tour d’ivoire remplie de regrets, de doutes et de peines plutôt que d’assumer le regard perçant de la vie. Tous ces gens ne savent rien de moi et je préfère ne rien dire. J’écris des chansons et je parle à LittleBlueBoy. Voilà tout ce que je fais. Ma seule façon d’extérioriser mes douleurs. Je ne parviens plus à m’ouvrir aux autres. J’ai trop peur du futur, des conséquences. Et puis de toute façon, je ne mérite pas tant d’intérêt que ça. Ma vie n’est qu’une longue histoire déprimante. A une certaine époque, on m’aurait dit maudite. Aujourd’hui… Je n’ose même pas imaginer le regard cruel des jeunes. Que penseraient-ils de moi ? Puis-je souffrir encore ? Ai-je vécu toutes les peines imaginables ? Pourrais-je un jour avancer à nouveau ? Je ne pense pas. Je resterai bloquée sur le bas-côté. Je regarderai les autres filer à toute allure. Je rêverais de m’envoler, de les retrouver. Je finirais noyer. Dans ma peine, dans mes chagrins nocturnes…
Aller à la fac… Voilà une question que je n’ose plus me poser. Certains avancent, d’autres non. Je ne veux pas penser à demain. Car demain, mon cœur sera toujours aussi fragile. Demain, je n’aurais toujours pas faim. Demain, je n’arriverais pas à écouter les cours. Demain, je me réveillerai en sursaut après avoir revécu le cauchemar dans un cauchemar. Demain sera comme aujourd’hui, hier et les mois précédents. Aller en fac ou rester à divaguer n’est pas une question qui se pose. « J’sais pas… J’ai eu du mal cette année et je… Je crois que je n’ai pas tous les acquis nécessaires pour aller à la fac et puis… » Je n’ose pas aller plus loin. Jeff n’a pas à savoir tout ça. « Et puis, je ne sais pas à qui envoyer ma candidature… Quel programme pourrait me correspondre. »

Je baisse les yeux et aperçoit l’écriture sombre de mon camarade du net. Je lis rapidement sa réponse. Il me refait un peu sourire. Lui aussi trouve que la fac est bien plus cool que le lycée. Au moins il s’entendra bien avec Jeff sur ce point ! « Tu sais, je suis en train de me dire que si je n’ai pas mon diplôme je vais peut-être abandonner les cours… Enfin… J’ai pas réussi à me concentrer cette année et j’ai peur que je n’y arrive jamais. J’vais aussi abandonner l’idée de m’inscrire à l’école de danse dont je t’avais parlé. Je pense pas être assez douée. De toute façon, même si je passe le concours, je serais jamais prise alors ça sert à rien. Bref, tout ça pour dire que j’irais sans doute pas en fac. » Mes doigts tapent à un rythme effréné. Il fallait que je le dise au plus vite à quelqu’un. Oui, j’aurais pu me confier à Jeff, lui dire que je n’ai pas confiance en moi et que je ne pense pas avoir les capacités de continuer les cours. Seulement, je n’ose pas affronter son regard. Je n’ai pas envie de croiser ses yeux remplis de pitié. Il m’imaginera caissière sans futur professionnel. Une vieille chanteuse écumant les bars pour payer son loyer de 20m². Alors que lui… Il a les moyens de se payer une fac et tout ce qui va avec : la carrière, la réussite, la vie de famille, la maison en banlieue, les voyages à Hawaï… Sauf qu’il ne connait en rien mes problèmes. Si je ne suis plus les cours, c’est parce que je pense sans arrêt à Warren, mes parents et les autres. Je suis ailleurs. Je vis dans un monde ou les morts de mon passé pourraient me prendre dans leur bras. Je vis dans un monde où je chante la mort comme la fin des tortures.

Mes doigts tapent machinalement sur le clavier de l’ordinateur. Je n’ai pas vraiment besoin de regarder où ils se positionnent. En fait, c’est devenu intuitif. J’ai passé tellement de nuit devant ce stupide écran que j’en connais désormais tous les recoins. Ainsi, quand Jeff me répond mon regard fait l’aller-retour entre lui et l’ordinateur positionné sagement devant moi. Mon chef de confrérie est sans doute le seul membre actuel à qui je parle. Je me suis tellement isolée du monde que je ne serais presque incapable de ressortir leurs noms. Je devrais avoir honte mais comme l’a dit Jeff, je suis également « abominable ». Sans doute pas pour les mêmes raisons. Le mot prend une toute autre formulation dans mon esprit mais il convient à la situation. Je suis abominable dans le sens où je n’ai plus vraiment de sentiments pour les autres. Je m’enferme et ne vit qu’à l’intérieur de mon être sans me soucier vraiment du reste du monde.
Après un bref sourire, mes yeux retournent à l’écran de l’ordinateur. J’attends patiemment la réponse de LittleBoyBlue. Je suis là, accrochée à mon clavier prête à sauter dessus dès qu’une réponse sera envoyée. Je ne sais même plus comment tout cela a commencé. Comment en est-on arrivés là ? A la base, nos conversations étaient toutes très simples, on parlait musique rien de plus. Et puis… Aujourd’hui je lui ai dévoilé ma vie et lui aussi. J’ai appris certaines choses qu’une personne normale n’aurait jamais confié sur internet. Et lui aussi… En fait, je crois que nous ne sommes pas tout à fait normaux et dans un sens ça se comprend vu ce que nous avons vécu. Je me demande ce que j’aurais fait sans lui. J’aurais explosé. J’aurais disjoncté, pété les plombs. J’aurais sûrement fini par sauter du toit d’un immeuble. En fait, à dire vrai, j’y ai déjà pensé. Mettre fin à ce calvaire semble l’unique recourt que j’ai à ma disposition. J’ai résisté, j’ai voulu avancé, j’ai voulu protesté, j’ai voulu faire comme si de rien n’était, j’ai tenté d’oublier, d’ignorer… Toutes mes tentatives sont tombées à l’eau. Alors abandonner… Voilà la seule chose que je n’avais encore jamais fait. Peut-être parce que je trouvais ça lâche. Je m’étais persuadée qu’ils n’auraient pas voulu ça, qu’ils souhaitaient me voir rayonnante comme à l’époque… Mais finalement qui me dit qu’ils peuvent me voir aujourd’hui ? Qui me dit qu’ils n’ont pas honte de ce que je suis devenue ? Peut-être qu’ils veulent me voir enfin apaisés et qu’ils me veulent à leur côté… Qu’est-ce que j’en sais ? On dit toujours qu’une vie mérite d’être vécu jusqu’au bout… Mais peut-être que parfois on ferait mieux de l’arrêter plus tôt parce que le futur n’est qu’un chute vers le néant… Qu’est-ce qu’on en sait ? Rien. Alors voilà… J’ai pensé à mettre fin à tout ça… Et c’est peut-être à cause de cette humeur terriblement déprimante que j’ai commencé à me confier à LittleBoyBlue. Qui sait ? Je laissais entendre des sous-entendus sur ma situation… Lui sur la sienne… Puis les sous-entendus sont devenus de plus en plus concrets. Et en fait, me confier a permis d’alléger mon cœur.

« Bah écoutes, je suis réveillé depuis peu, et je n'ai du faire un effort que pour l'habituel trajet lit-canapé, donc nous dirions que ça va on-ne-peut-mieux ! » Un sourire étire mes lèvres. Je ne suis même pas surprise par ce qu’il m’annonce. Non je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il me raconte qu’il a été dans les champs ramassés des pommes de terre et qu’il s’apprête à lire un livre de 500 pages sur le fonctionnement de l’économie néo-classique. J’ai appris à connaître ce garnement capable de glander un bon moment s’en en éprouver de culpabilité. Au moins il est connecté et rien que pour ça je ne vais pas l’encourager à bouger plus. . « Et toi, alors ? Qu'as-tu fais de ta matinée ? » « Comme d’hab… Cours… Heureusement que mon prof d’anglais était pas là ! Je crois que j’aurais fini par dormir sur la table. Quoi que… Je le faisais déjà dans les autres cours ce matin, ça change pas grand-chose. » Je tape, je tape alors que Jeff m’adresse à nouveau la parole. Je clique sur entrer à la fin de sa question. J’ai l’impression d’atterrir dans un nouveau monde. Monde dans lequel les humains cohabitent et parlent entre eux directement… Il me pose quelques questions sur les cours et tout ce qui en suit. Je vérifie que LittleBoyBlue n’est pas en train de me répondre. Rien. Je tourne mon regard vers Jeff et dit : « Les cours… C’est les cours quoi ! J’en peux plus… Mais je crois que c’est pas la bonne solution. Mon prof d’anglais n’est pas là aujourd’hui donc… Après-midi complètement libre pour glander, si ça c’est pas cool ! Et toi ? Je vois que ça s’passe bien aussi les cours ! » Quand je le vois je me dis que l’université n’est définitivement pas faite pour moi. Si j’ai mon diplôme, que je valide tous mes acquis et que je m’inscris à Wynwood University… Je ne vais rien faire de tout mon cursus… Ce qui je pense n’est pas la solution la plus adéquate. Une école de danse ? J’y ai pensé. Je ne me crois pas assez douée pour parvenir à y entrer alors à quoi bon essayer ? Je vais finir caissière au centre commercial. Voilà mon avenir !

Une journée de plus. Le temps passe. Les heures s’enchaînent et je n’arrive plus à faire la différence entre un jour et l’autre. Parfois je n’arrive même plus à savoir quand ce sont passés les évènements. Je ne contrôle plus le temps. Mon présent s’exécute et moi j’acquiesce sans avoir mon mot à dire. Je ne contrôle rien. Je ne dors pas beaucoup. Je me réveille tôt, m’endors tard. J’écoute brièvement ce que les professeurs disent. Je mange dans mon coin. J’écris quelques chansons. Je ne remplis plus mon journal intime. Je respire. Voilà ce que j’arrive à faire comme tout le monde ! Je peux respirer et sentir mon cœur battre. Ce qui en somme n’est rien d’étonnant. Ça vient seulement me rappeler que je suis encore vivante contrairement à tous les autres. Je me sens un peu seule. Parfois, j’ai l’impression que je ne suis personne. Je n’ai aucune véritable identité. Je ne suis rien. Parce qu’en fait plus personne sur cette Terre ne me connaît vraiment. Mes secrets, mes forces, mes faiblesses, mes failles, mes douleurs, mon histoire… Personne ne connaît la réalité. Ou presque.

Ce matin, je suis allée en cours, comme à mon habitude. Je suis presque sûre que je n’obtiendrais pas mon diplôme à la fin de l’année. Mes notes sont en chute libre. Ma concentration lors des examens est limitée. Je n’arrive pas à suivre en cours. Je n’arrive pas à avoir l’envie de travailler. Peu d’élèves ont envie de faire leurs devoirs et aiment ça, j’en suis consciente… Mais il y a toujours quelque chose qui pousse à le faire. Chacun à ses objectifs, personnes ne veut rester éternellement au lycée. C’est tout à fait compréhensible. Moi, je ne me trouve même pas de but. Qu’est-ce que je ferais avec un diplôme ? J’irais à l’université ? Pour étudier quoi ? Pour faire quoi plus tard ? Qu’est-ce qui me dit que je trouverais à l’université quelque chose qui me remette dans le droit chemin et me pousse à avancer ? Qui peut me dire que je ne serais pas comme ça éternellement ? Personne… Alors il faut que je croie en moi ? Il faut que je pense en être capable ? Je n’y arrive pas… Ça fait un moment que je pense n’être qu’une ratée. Malgré ce que me disent les gens de mon entourage. C’est facile de faire des beaux discours, de dire que rien n’est perdu d’avance, qu’il faut continuer de s’accrocher… Et patati et patata… Mais ils ont vécu quoi ? Un tiers de ce que j’ai enduré ? Il arrive un moment où on perd la foi. On a beau vouloir de toutes ses forces, ça ne vient plus. Quelque chose en moi est brisée. Quelque chose qui ne pourra plus jamais être réparé. Alors il faut que j’apprenne à vivre avec et c’est tout… Il faut que je m’accepte ainsi et que j’arrive à m’y habituer, à en faire une force. Et je dois avouer que pour l’instant cette mission me semble insurmontable.

« Je voulais vous dire que le prof d’anglais à une réunion et du coup, il ne pourra pas nous faire cours de 13h à 14h… Voilà…» Les élèves de ma classe se mettent tous à applaudir. Ce qui veut dire que nous sommes en train de vivre notre dernière heure de cours de la journée. Miracle ! Un peu d’histoire. Guerre d’indépendance, présidents américains, blablablabla… Je prends des notes automatiquement. La cloche retentie. Notre professeur nous demande de lire trois pages de notre livre pour le cours prochain et de répondre à des questions. Tout le monde s’enfuit de la classe. Je suis le mouvement de foule.
Comme dans tous les lycées américains, ma classe terminer les cours tôt dans l’après-midi. Le temps restant est donc consacré aux associations. Football américain, fanfare, cheerleaders, club d’échec, association pour aider les enfants de la ville, bénévolat… Ce lycée, bien que privée, extrêmement cher et bien réputé, n’échappe pas à la règle. Depuis que j’ai laissé couler le Music Club, je ne suis sur aucune liste d’association. Je sais que ce n’est pas bien, que la conseillère d’orientation me donne toujours des dépliants d’informations et m’oblige à participer à quelque chose… Je joue les jeunes filles éplorée, je lui dis quelques petits détails de ma sordide vie et je lui promets à chaque fois de faire un effort. Oui, j’en ferais… Mais pas aujourd’hui.

Je rentre donc, mains dans les poches au bâtiment de ma confrérie. Il est midi, il faudrait que je mange mais… J’ai bien mieux à faire. Lorsque j’ouvre la porte d’entrée, je ne pense qu’à une chose : rejoindre mon ordinateur. Je tourne la tête vers la salle commune et lance un « Salut tout le monde ! » J’aperçois Jeff affalé sur le canapé et souris. Une vraie loque humaine ! Ça c’est un bon chef de confrérie.
Je monte les marches de l’escalier quatre à quatre et ouvre en vitesse ma chambre. L’odeur vient me piquer le nez. J’ouvre la fenêtre et laisse pénétrer l’air frais dans la chambre que j’occupe seule depuis le départ d’Edgard. J’ouvre mon ordinateur et appuie sur le bouton pour l’allumer.
Un sourire vient se glisser sur mon visage. J’ai mon après-midi de libre. Ce qui veut dire que je vais pouvoir me connecter sur mon site favoris. J’y passe de plus en plus de temps sur ce forum. Pourquoi ? A la base, je m’étais inscrite pour partager des chansons, des vidéos musicales, découvrir des nouveaux talents, avoir des conseils, obtenir des partitions… Ce genre de choses, quoi ! Et puis avec le temps, je m’y suis faite une place confortable. J’ai sympathisé virtuellement avec d’autres membres. J’ai découvert un univers où je peux être moi-même. Il n’y a aucun masque, aucun mensonge, aucune hypocrisie. On dit ce que l’on pense, on est qui l’on veut. Pour ma part j’étais TamyPearl. Un simple pseudo derrière lequel je me suis cachée. Pas longtemps… J’ai commencé à parler à un membre. On s’est rapidement rapprochés. On a discuté de tout et de rien. Mais surtout de tout ! Je lui ai dit bien plus que ce que je n’ai jamais dit à personne. Il n’y a que Warren qui a eu le droit à tous les détails de ma vie. Et depuis sa disparition je ne me suis ouverte à personne. Sauf à cette personne derrière son écran. Nous nous sommes promis de ne révéler aucun détail purement personnel… Dans le sens où on pouvait tout se dire, dans les moindres détails sauf nos prénoms, nos âges respectifs, nos lieux de résidence… Aucune photo. Rien. Juste des mots jusqu’à tard dans la nuit. Cet inconnu est devenu mon plus proche confident. Je le connais, il me connait et pourtant nous ne nous sommes jamais rencontrés. C’est une situation assez étrange. Je ne pense pas que beaucoup de monde peuvent comprendre notre relation… Mais c’est ainsi et je ne cherche pas la compréhension d’autrui.

Je me connecte donc et la vision de son pseudonyme me fait sourire. Les neuf degrés de l’air ambiant me font frissonner. Je ferme la fenêtre mais la fraicheur a envahi ma chambre. Je prends donc mon ordinateur, sa batterie et descend dans la salle commune. Je m’installe sur la table et demande à Jeff : « Ça va ? …On devrait monter un club des accros à leurs ordinateurs… » Dis-je tout en souriant. Je tape alors sur mon clavier : « Salut toi ! Tu vas bien aujourd’hui ?»