On ne voit pas que par les yeux. |Alessandra| 100%

○ Age : 16
○ Date et lieu de naissance : 12 Aout 1996 à Madrid
○ Classe : Junior Y
○ Confrérie : Nu Zeta
○ Riche ou bourse d'étude ? Boursière

« Ouïe.

On entend son pas sûr, lorsqu'il claque dans les couloirs. On entend les petits grattements de Baïkal, également. On entend son souffle régulier, toujours maîtrisé. Sa prestance et son allure altière lui permettent un pas sûr et décidé, même si pour se faire elle a besoin de tenir entre ses mains le harnais de Baïkal, bien serré entre ses mains. On perçoit le cliquetis de ses griffes contre le carrelage ou le plancher. Son souffle haletant, mais doux. On entend tout, et on ne peut rien laisser au hasard.
Odorat.
C'est un parfum épicé, fruité, léger, qui émane de la Beauté étrange. C'est le parfum Scarlett, de Cacharel. Une seule petite projection dans son cou délicat. C'est l'odeur de karité qui s'échappe de ses cheveux bruns, un jour de grand vent. C'est cette légère pointe de transpiration, lorsque Miami jette sa chaleur sur le corps frêle de l'adolescente. C'est l'odeur canine de Baïkal, celle de son poil de la couleur de la neige. C'est l'odeur des étrangers, qu'il flaire partout, celle du danger, qu'il évite pour elle.
Toucher.
C'est la douceur de sa peau, de ses jambes, bras, mains, cheveux. C'est la fraîcheur de ses doigts, et de ses pieds, qu'elle a toujours gelés. C'est la chaleur de son ventre et de son dos, frileuse qu'elle est, qu'elle emmitoufle sous des pulls de laine et des robes de velours. C'est le tracé boursouflé de la balafre, longue et pâle, dans son dos. C'est l'autre, sur sa cuisse, et la troisième, sur son sein droit. Ce sont toutes les petites imperfections de son visage, invisibles mais bien là, cachées sous du fond de teint. C'est la douceur du poil long et lisse de Baïkal.
Goût.
Le goût salé de son cou, lorsqu'elle a peur. Le goût à l'inverse sucré de ses lèvres, lorsqu'elle est heureuse. C'est le goût de son corps tout entier, de la racine de ses cheveux à la pointe de ses pieds. C'est le goût des choses, que Baïkal sent à chaque fois sur sa langue douce. Ce sont ces Sens, qui éveillent la conscience d'Alessandra, chaque jour un peu plus.
Et la Vue ?

Non. De vue il n'y a pas.
»

« L'inverse exacte de sa soeur. On ne peut pas dire exactement mieux. Sa douceur est légendaire. Son calme, parfait. Chacun de ses mouvements est choisi avec précaution, chacune de ses paroles est contrôlée, au milimètre près. Elle ne fait jamais d'écart de langage, ne fait preuve d'aucune violence. Elle n'est ni amère, ni triste. La présence réconfortante de Baïkal la sauvera toujours de cela. Gentille et tranquille, elle ne ferait pas de mal à une mouche. Elle ne le pourrait pas d'ailleurs. Lorsqu'elle se sent nerveuse, elle caresse le long pelage blanc de Baïkal, qui ne la quitte jamais des yeux. Et son calme olympien revient immédiatement. Sa maîtrise d'elle-même est tellement parfaite, que cela peut en devenir inquiétant. Son regard fixe, aussi. On peut la croire fausse, lorsqu'elle sourit. Oui, elle sourit. Elle sourit beaucoup. Très souvent. Elle sourit en face des autres, en face du Noir. Elle sourit, et ce genre de personnes est tellement rare qu'on ne peut pas le comprendre. Tu devrais être malheureuse, dit-on. Pourquoi ne l'es-tu pas ? Pourquoi souris-tu, alors qu'on aurait dû te retrouver pendue à une poutre ? Tu n'es pas normale. Tu n'es pas vraie, tu n'es pas franche.
Pourtant, ses sourires sont sincères. Amicale et avenante, elle en est presque niaise. Mais elle se dit qu'il vaut mieux sourire, que pleurer comme elle a pleuré. Que souffrir, comme elle a souffert. Que vouloir mourir, comme elle, elle l'a voulu tant de fois. Alors elle sourit. Sans doute pour oublier les branches pourries qui envahissent son passé.»

« Le 21 Aout 1996, naquit un beau bébé gazouillant, du nom d'Alessandra, prénom de sa grand mère. Allait-elle vivre dans un beau foyer ? Une belle maison, avec des parents aimant ? Des questions intuitives que les bébés se posent, même si on ne le sait pas.
La réponse tomba comme un couperet : Non. La maison, oui. Grande, spacieuse, luxueuse, ravissante. Les parents aimant ? Absolument pas. De ses parents, Alessandra ne connut que des visages derrière une porte, souriant avant de partir à nouveau. De famille, Alessandra ne connut que les tyrannies de son aînée, Eva. Ses vexations demeuraient le quotidien de la jeune fille, qui n'avait jamais rien eu de plus comme tort que d'être née. Cependant, malgré l'acharnement d'Eva, Alessandra ne lui en tiendra jamais rigueur. Compréhensive et douce, elle laissait faire, vivant tranquillement l'ombre de sa soeur, qui enchaînait les bêtises et les vulgarités. Lorsqu'Eva fut finalement envoyée en Andalousie, dans un pensionnat, ce fut le début d'une vie nettement plus paisible pour Alessandra.

Et cela aurait pu continuer longtemps, si le pire n'était pas arrivé.

"Si je m'en souviens ? Oui. L'accident, je m'en souviens très bien. C'était un Jeudi. Nous étions partis rendre visite à Eva, dans son pensionnat. On approchait de Grenade. Je voulais absolument voir s'il restait d'anciens remparts. J'adore l'histoire, vous savez. Et Grenade, pour moi, était une ville pleine d'histoire. Papa et Maman étaient là, avec moi. ça me faisait plaisir, très plaisir. Parce qu'ils n'étaient pas là souvent, pour moi, et encore moins pour Eva, qui ne s'en plaignait plus, de toute manière. Ma soeur faisait tout pour se faire remarquer, bien que je lui aie déjà souligné assez régulièrement que ce n'était pas la meilleure solution. Et puis quand j'en ai eu marre de prendre des objets en pleine figure, je l'ai laissé vivre sa vie délurée comme elle l'entendait. Au moins, c'est elle qui m'a appris la solitude. Grâce à elle, je savait être heureuse quand j'étais seule. Mais ça c'était avant. Ce jour-là, je chantais dans la voiture. Pour taquiner gentiment mes parents. ça les agaçait. Mais comparé à ce qu'ils vivraient en voyant Eva, ce n'était rien. Donc, je les préparais mentalement à affronter ce genre de taquineries. Je n'aurais pas dû, je crois.

Parce que si Papa ne s'était pas retourné pour me crier d'arrêter, on aurait pu éviter le camion.

Au lieu de cela, la voiture a foncé droit dedans. A partir de ce moment là, je ne me souviens plus de grand chose, seulement de la voiture faisant des embardées, moi me faisant éjecter de l'habitacle, tombant sur le sol. J'ai entendu des cris, et un bruit d'explosion, et puis ça a été le noir total.

D'ailleurs, vous pouvez le constater par vous-mêmes. Aujourd'hui encore, ça l'est ! *rires*"

Oui, elle parvint à en rire plus tard. Mais dans l'instant, ce qu'elle apprit ne la fit pas rire du tout. Retrouvée à moitié morte sur la chaussée, près de Grenade, elle fut transportée de toute urgence à l'hôpital. Aucun papier d'identité ne fut retrouvé sur elle, ni sur ses parents. Tout avait brûlé. Y compris sa famille. Lorsque le docteur Francesco Almira lui apprit la mort des deux personnes présentes avec elle dans la voiture, Alessandra comprit que sa vie venait de se terminer. Sa vie auprès de sa famille riche, sa vie auprès de sa soeur tyrannique, de ses amies, tout. Tout était fini et bien fini pour elle. Le coup de grâce ?

Ce fut lorsqu'on lui apprit que plus jamais, elle n'aurait l'occasion de voir les remparts de Grenade. Ni rien d'autre, d'ailleurs. Une vie dans le noir. Voilà à quoi elle était condamnée.
Aveugle.
Longtemps Alessandra se demandera pourquoi Dieu avait choisi de lui infliger une telle punition, à elle, une enfant qui n'avait rien demandé à personne, mais qui était condamnée à vivre dans le noir. Son cerveau avait été touché, pendant la collision. Alessandra savait ce qui l'attendait. La solitude. Elle n'était encore qu'une enfant, mais elle savait déjà.

Alors, elle supplia le médecin de ne pas dire à sa soeur qu'elle était vivante. Evidemment, on lui demanda pourquoi. Sa réponse fut claire comme de l'eau de roche. Jamais sa soeur n'accepterait de vivre, et de prendre soin d'une aveugle. Elle ne pourrait jamais concilier les deux. Alors, par amour pour Eva, qui ne le lui avait jamais rendu, elle mourut. Aux yeux de sa soeur, elle était morte. Eva pourrait refaire sa vie. Sans avoir une handicappée à charge.

Elle fut placée dans un foyer d'accueil, de bénévoles pour une association d'aide aux aveugles. Elle fit connaissance de trois frères et soeurs par procuration, avec qui elle vécut de belles années, malgré son amertume à l'idée d'avoir perdu sa soeur ainée. Elle se contenta seulement de supporter. D'apprendre à vivre avec sa cécité. Avec le temps, elle apprit à découvrir ses quatre autres sens. Elle écoutait. Sentait, touchait, goûtait à tout et n'importe quoi, pour remplacer sa vue, tellement importante pour elle. Elle se rendit à Grenade. Et découvrit une ville merveilleuse, sans avoir besoin de ses yeux. Elle reprit ses études, malgré ses évidentes lacunes à marcher avec une canne. Malgré toutes les aides du monde, rien n'y fit. Elle manqua l'école souvent, ce qui était une torture, pour elle. Elle tomba dans un gouffre, pendant un an.

Ce fut pour la sauver, que Baïkal fit son apparition.

C'était un Berger Suisse, au corps et au visage de loup, blanc comme la neige. Au poil lisse, et doux, long. Alessandra ne put jamais voir à quoi ressemlait son chien. Mais lorsqu'elle entendit le cliquetis de ses griffes sur le plancher, et son halètement joyeux contre son cou, elle sut qu'elle était sauvée. Les semaines et mois passèrent plus vite, avec lui. Son bonheur était total. Ses parents d'adoption l'aimaient. Elle put reprendre ses études, les réussit avec brio. Elle s'intéressa à la nature, à la vie animale et végétale, qu'elle observait à sa manière. A la manière d'une aveugle. Elle entendait le moindre bruit émanant des arbres. Elle sentait l'odeur de la forêt. Elle aimait tout ce qui touchait à cela. La nature. Elle s'y sentait bien. Elle pouvait passer des heures avec Baïkal, en forêt, ou à la bibliothèque. Mais il lui fallait plus. Il lui fallait des épreuves nouvelles, pour montrer qu'elle pouvait tout surmonter. Il lui fallait le prestige, la difficulté.

Elle demanda donc sa bourse à Wynwood.

Elle fut reçue sans le moindre problème, et du jour au lendemain, elle fit ses valises et quitta le pays, armée du harnais de Baïkal sur sa main gauche. Une nouvelle vie pouvait commencer. Elle ignorait que sa soeur se trouvait à Miami. Elle ignorait tout de ce qu'il était arrivé à Eva. Avait-elle repris sa vie en main ? S'était-elle mariée ? Ou avait-elle erré de squat en squat ? Quoi qu'elle puisse penser, Alessandra était loin d'imaginer la vérité.
Et lorsqu'elle franchit la porte du hall de Wynwood, elle ne se doutait pas de la vie mouvementée qu'elle allait à présent mener. »