Hearts in the air. [Nicole]

Elle m'emmena dans le taxi.

Elle me tira par le bras. Posa ensuite une main sur ma cuisse. Elle me sourit, elle sentait la cigarette, mais moi aussi alors cela n'avait aucune espèce d'importance. J'étais trop pressé, trop impatient, trop demandeur. J'ignorais pourquoi, mais je demandais au chauffeur de rouler le plus vite possible. Ce qu'il fit.

Ce qu'il n'aurait sans doute jamais dû faire.

Je m'apprêtais à lui dire quelque chose, je crois bien. Je crois m'en rappeler. Parce que pour le moment, je me souviens seulement qu'elle m'avait tirée dans le taxi, c'est tout. Je me souviens qu'elle était pressée. Mais... c'est qui déjà cette fille ? Oui, parce que j'étais avec une fille, dans un taxi, je crois bien. Elle était Russe. Ou française ? Ah non, asiatique. Voilà. Des jolis yeux bridés. Mila. Mila, rejoins-moi, viens. Viens, je t'en prie, ne me laisse pas là, tout seul. Je suis tout seul, ou bien ? Non, il y a des gens, tout autour de moi. Ils disent des trucs, mais je ne comprends pas. J'ai mal partout, et nulle part à la fois. Il y a un voile rouge sur mes yeux. C'est plutôt marrant en fait. On dirait que tout est rouge. Les réverbères, tout ça quoi. Enfin, ce qui fait de la lumière. Il fait un peu froid. Beaucoup, même. Est-ce que je suis tout nu ? Dehors, non, ça m'étonnerait. Mais que s'est-il passé ? Un taxi. Je me rappelle d'un taxi. Un truc là, qui nous emmenait... Où ? Et avec qui ? Ah oui, la chinoise, ou japonaise, ou je m'en fous. Elle était avec moi dans le taxi. Je n'avais pas attaché ma ceinture, trop pressé. Trop pressé de quoi déjà ? C'est dur de se rappeler. Je viens tout juste d'ouvrir mes yeux. Et je ne comprends plus rien. Je l'emmenais dans ma chambre. Ah. Donc j'allais certainement la tirer. Bon, ça d'accord. Mais le reste ? Le voile rouge ? Moi, face contre terre ? En plus, j'ai l'impression que mon bras gauche a pris un angle bizarre, non ? Enfin, je le sens en tout cas, parce qu'il me fait mal putain. Je ne vois plus grand chose. Je frissonne, seulement. Je sens une odeur métallique. ça pue, ça sent... ça sent le sang, c'est affreux. Le sang ? Pourquoi le sang ? Ce goût dans ma bouche, c'est du sang aussi ?

On a heurté une voiture. Il a grillé le feu rouge. Elle a poussé un hurlement. Je n'ai rien eu le temps de dire. Je m'en rappelle, maintenant. Il a grillé le feu rouge et pan. Un gros coup. Mais elle était attachée. Lui aussi. Moi non. J'étais trop pressé. Alors j'ai traversé le pare-brises. Et je suis tombé. Trou noir, éveil. Mes yeux sont ouverts, mais je ne veux plus fermer les paupières, je veux regarder ce qu'il se passe. J'entends le vacarme des sirènes. Un homme se penche vers moi. Prend mon pouls. Il me fait mal, ce connard. Lâche moi, minable. Il me demande de parler si je le peux. Mais je ne peux pas ouvrir la bouche. Je ne peux plus que regarder, et penser. Et avoir mal. Le bitume ça sent mauvais, aussi. Les gaz d'échappement. Miami. Sans doute la dernière fois que j'en verrais la nuit.

Non. Non je ne veux pas mourir. Sauvez-moi, s'il vous plait. Pitié, sauvez moi. Je ne veux pas mourir, vous entendez ? Ecoutez moi ! Sauvez moi ! Pitié aidez-moi ! Je ne veux pas mourir. Je vous jure, je ne veux pas mourir. Alors sauvez-moi, putain. Il y a une chance, non ? Une seule chance. Mais non. Ce connard de pompier secoue la tête. Je n'en ai plus que pour quelques minutes. Je l'entends parler. Mais lui ne le sait pas. C'est comme si on m'avait mis une gifle. Une grosse calotte bien placée. Je ne sais plus quoi penser. Je souffre, c'est tout. Qu'on me sorte de là. Je veux mourir tout de suite, alors. Comme ça je n'aurais plus mal. Je ne sais même plus ce que je pense, je déraille. La voiture a frappé l'autre. Nous ne nous y attendions pas. Mais quel dommage. Personne ne saura.

Maman, dis à Adam que je suis désolée de l'avoir entraîné dans ce bizness. Je ne voulais plus chanter. Dis à Adam que je regrette d'avoir échangé ma place avec lui. Et qu'il soit heureux avec Louise. Même si elle est laide à faire peur, faites qu'il soit heureux. Fais lui reprendre son vrai nom, Adam, et que la vérité éclate. Je veux que sur ma tombe, ce soit mon véritable prénom qui soit inscrit. Adonis Carter. Le chanteur français. Je veux qu'on m'appelle Adonis, une dernière fois. J'aurais voulu voir Mila. Mes yeux se voilent. J'ai mal. Mais plus trop. Ma respiration ralentit. A présent, je vais partir. Le voile noir arrive. La mort est belle, elle a une robe et des jambes longues. Faites qu'elle soit gentille avec moi.

J'espère que la fille va bien.

Eh ben, j'avais sacrément bien fait de venir ce soir-là. Je savais que j'avais une certaine classe, mais de là à me faire alpaguer directement par la première fille venu, wahou. Elle avait le mérite d'être directe.

Assise près de moi, je savais parfaitement que cette fille avait les hormones en feu, et autant de classe qu'une chatte en chaleur. Elle semblait se tortiller sur place, comme si elle ne pouvait pas tenir cinq minutes de plus assise là, il fallait qu'elle ait un homme dans son lit et vite, très vite. Tant mieux, c'était aussi bien. Elle me fixait comme si elle allait me bouffer tout de suite, ici et maintenant. Pourquoi pas après tout, une bonne partie de jambes en l'air ça ne pouvait que me faire du bien, et elle était suffisamment joli pour que je fasse un bel effort avec elle. Je n'étais pas bourré, aussi je serais bien efficace. Je me faisais déjà de bons plans dans ma tête, et j'étais prêt à faire un bel effort pour satisfaire la jeune fille qui m'observait avec un regard de prédateur. Elle me voulait ? Elle m'aurait. Je n'allais pas me faire désirer plus longtemps.

"Eh bien princesse, tu n'y vas pas par quatre chemins... ça me flatte."

Oui, je devais l'avouer, j'étais assez flatté. Je lui décochais un sourire affable, aimable, mais mon regard était suffisamment explicite pour lui faire comprendre le reste. J'étais exactement dans son cas, et je comptais bien profiter de l'aubaine. Aussi, je me levais, attrapais sa main.

"Je connais pas mal d'endroit, ma jolie. Mais je te laisse le choix. Tu aimes le luxe ou le confort d'une chambre d'étudiant ? Même si je me doute de la réponse..."

Je la tirais vers moi après avoir réglé la totalité des boissons.

"Viens, sortons de cet endroit. Ce n'est pas convenable pour les jolies dames."

Il était près d'une heure du matin. Il était temps de passer aux choses sérieuses. J'ouvris la porte, et nous sortîmes tous deux. Lâchant sa main, je sortis deux cigarettes d'un paquet de Philip Morris, ainsi qu'un briquet noir. Ah, si Adonis pouvait me voir, il serait vert, ce petit crétin marié à Louise-groin-de-cochon. Ce soir, j'allais me taper une déesse asiatique. Han.

"Tu fumes ?"

Je mettais mon coeur à genoux pour une femme qui ne le méritait pas, et je trouvais cela d'autant plus con que j'étais tombé fou amoureux d'elle.

Non, il fallait y remédier. Lorsque la prédatrice aux ongles longs comme Cruella d'Enfer jeta son dévolu sur ma personne légèrement alcoolisée, je ne pus m'empêcher d'être flatté. Enfin quelqu'un qui me reconnaissait à ma juste valeur. Une personne qui ne savait rien de moi, mais qui ne cherchait en fait qu'une misérable chose en vérité, mais tellement plaisante aussi : coucher avec moi pour être en paix avec ce qui parfois contrôlait nos hormones. Moi, ça ne me déplaisait pas outre mesure, même si j'avais dit que cette soirée serait la dernière sans sexe. Quel intérêt de réfléchir si on ne peut même pas se mentir à soi-même ? Aussi, lorsque sa voix caressante s'adressa à moi, je lui adressais un sourire que je voulais aimable mais qui en fait signifiait "bien sûr que je te veux dans mon lit ma poulette"

- Eh bien, il y a parfois des femmes qui ne savent pas ce qu'elles perdent. Tu n'es pas de celles-là à ce que je vois.

Salope.
Et alors ? Après tout j'étais bien un sale con moi aussi. Nous allions faire la paire. Dans tous les sens du terme. Je posais mon verre de Jack Daniel's et commandais un Whisky coca. J'en profitais pour glisser un billet dans la poche du barman en disant que la consommation de la jeune asiatique serait pour moi. Après tout, j'étais plein de fric, alors autant en profiter pour draguer une nana dans le genre de celle qui venait de me tomber dessus comme un cheveu sur la soupe. Je n'allais certes pas me lamenter sur Mila ce soir. Je n'étais pas du genre à me confier aux filles, ça, ça se faisait entre mecs. Elle me consolerait d'une autre manière. Et j'allais lui montrer que je possédais un énorme... potentiel.

Houhou, quel cochon j'étais.

- Je m'appelle Adam. Qu'est-ce qu'une créature aussi jolie et pimpante que toi fait dans un endroit où ça transpire et où ça se roule des pelles en public ?

Mon dieu que j'aimais les filles faciles. Elles avaient un don pour me faire vibrer. J'avais oublié à quel point cela pouvait être excitant, en rencontrant Mila Harking.

Bon, c'était officiel. J'étais un con, un sale con.

La musique hurle. Les gens aussi. ça sent l'alcool, la sueur, le renfermé. La lumière me brûle les yeux, elle semble me tuer à petit feu. Pour la première fois de ma vie, je suis dans cet état là. Les gens de ma confrérie ont préféré m'abandonner à mon sort en voyant quelle loque j'étais devenu. Je ne m'amusais plus. Aucune femme ne me semblait assez belle pour faire concurrence à Mila. Elle m'avait brisé le coeur, elle m'avait rejeté, comme si je n'étais qu'une chose insignifiante pour elle, un jouet dont il faudrait se débarrasser quand le temps serait passé. Mila avait été cruelle en refusant de me comprendre. Elle n'avait pas cherché à se confier à moi, à me dire pourquoi elle se taisait, pourquoi ses mots n'étaient enfermés que dans du papier et dans la chanson. Comme un imbécile, j'étais tombé fou amoureux d'elle. Complètement fou. Mais son rejet, et le fait qu'elle n'ait pas répondu au téléphone pendant des semaines, son silence pressant ne faisait qu'accroitre ma haine. Les hommes qui souffrent sont très dangereux et s'allier avec eux l'est également. J'étais devenu une loque, un homme souffreteux accoudé au bar, et qui se sifflait Jack Daniel's sur Jack Daniel's. En l'espace de peu de temps, j'étais devenu quelqu'un d'insupportable. Mes colèrent pouvaient être dévastatrices. Quelle femme pouvait s'accrocher à moi alors que je n'étais qu'un sale petit con qui ne faisait que donner des coups de poing un peu partout ?

Alors je buvais. J'étais loin d'être rond, alors je buvais encore. Et plus je buvais, plus la musique me semblait tonitruante. J'en avais assez. Une larme coula sur ma joue, que j'essuyais rageusement. Depuis ma fuite de Londres, ma mère ne m'avait pas rappelé, et mon frère avait tenté de me couper les vivres. J'avais appelé Adonis en urgence, en lui faisant bien comprendre que si il était devenu le chanteur le plus célèbre de France ou presque, c'était parce que j'avais été là. Ses albums se vendaient même un peu aux Etats Unis, par internet la plupart du temps. C'était comme ça que mon jumeau avait eu une certaine réputation à Miami. Sa copine avait accouché d'un charmant petit monstre, et moi je restais un célibataire stupide et minable qui ne valait rien, rien du tout. J'en avais plus qu'assez, il fallait que ça cesse. Bien que calme extérieurement, je ressentais, au plus profond de moi-même, une rage fade qui me donnait envie de briser mon verre d'un coup de poing, mais je n'en fis rien. Qu'aurait-elle dit, si elle me voyait dans cet état ? Non, tout était de sa faute, c'était certain, et je ne la laisserais pas dominer ma vie encore une fois. Je ne me laisserais pas faire par cette... chose qui me détruisait chaque jour un peu plus. Alors, je bus encore un Jack Daniel's. Ce serait ma dernière soirée sans ramener une nana dans mon lit. Plus rien à faire de Mila. Elle m'avait brisé le coeur.

J'allais lui montrer que moi j'étais capable d'en briser des centaines.

Une jeune fille attira mon attention. Il n'y avait pas beaucoup d'asiat's qui fréquentaient les boites de nuit, et surtout pas dans cette tenue. Elle avait le regard d'une prédatrice en quête d'une proie et un sac sans doute suffisamment plein de fric pour faire boire le poisson qu'elle aurait repéré, avant de le pêcher à la manière d'une pro. Ces filles, je les reniflais à dix mètres. Même si je m'étais trompée pour Hayden, cela ne m'empêchait pas de tester mes connaissances sur les autres fleurs de ce charmant pays qu'est l'Amérique. Celle là, autant ne pas s'y frotter. Mais lorsque ses yeux firent le tour de la salle aux rayons X, ils s'arrêtèrent sur moi. Oh merde. OH MERDE.

Elle avançait vers moi !!