« Salut mon grand, belle journée ? »
Une main qui ébouriffe une tignasse brune, un sourire et un bref échange de banalités avant de prendre la route pour l’appartement. Ce soir, Ollie est de la partie et il n’était pas question de perdre une minute de leur précieux temps ! Une soirée entre hommes, ça ne se gaspille pas. Comme à leurs habitudes, Siegfried écoute Ollie raconter sa journée avant de raconter la sienne. Leurs rires ne tardent pas à se faire entendre des passants qui ne peuvent s’empêcher de les voir comme deux frères. Deux frères de sang ? Extérieurement, on pouvait se poser des questions vu leur familiarité. Lorsque ce grand jeune homme au teint bronzé se moque un peu du p’tit gars, ce dernier affiche une moue boudeuse et abat son poing dans ses côtes, ce qui le fait rire. Ne parlons pas de sa réaction lorsqu’une fille accoste Siegfried…
Mais outre leur complicité, il n’est aucun air de famille. Sont-ils des frères ? Siegfried, qui ne souhaitait l’appeler ainsi, se surprend de plus en plus à nommer leur relation plus que fraternelle. Cela le fait sourire… et enfin accepter les faits. Avancer dans un chemin obscur n’a rien d’aisé. Nos corps se heurtent à des murs. Nos pieds se prennent dans les branchages envahissante d’une forêt hostile. Des griffes nous lacèrent le visage… ce qu’il nous fait, c’est une lumière : elle nous aiderait enfin à ouvrir cette porte qui n’est pas un mur et à éviter ces obstacles qui nous font trébucher. Quant à ces griffes, elles ne sont que des branches. Et cette lumière, elle se déplace à ses côtés, là, juste là, tout sourire et enthousiaste à l’idée de passer une soirée loin de son père un peu trop austère et de ses repas un peu trop… diététique.
Le gamin parle, lui écoute, commente et pose des questions. Ils ne voient pas le chemin défiler. Puis leurs regards lorgnent sur un marchand de hot-dogs… ils sont tentés mais lorsqu’ils se regardent, ils se disent que non, c’est une mauvaise idée. Mais ça ne les empêche pas de saliver devant l’odeur… comme deux gosses qui connaissent les interdits du père. Ils sourient… puis Siegfried chuchotent : « … poulet ce soir. »
Ils marchent… puis Ollie stoppent son accompagnateur et lui demande s’ils ne peuvent pas passer par l’école. L’école ? Le français lui jettent un regard intrigué, sans se soucier de la suite à venir. N’y voyant aucun inconvénient, il se laisse guidé non sans lui glisser une légère blague à ce sujet « Tu fais comme ton père… tu vises les petites jeunes ? ». Coup de coude. Hey ho ! léger coup de poing sur l’épaule. Riposte. Re riposte. Non mais dis donc ! « Bon allez dis moi ce qu’il y a là bas. » Mais le regard du gamin se fait fuyant, comme s’il savait que son acte ne resterait pas impuni si l’on venait à découvrir l’idée qu’il a en tête. Ho mais sans doute doit-il se dire que son gardien ne dira rien… et qu’il ne s’agit que d’un coup d’œil ! Siegfried ne lit pas dans les pensées ni dans l’avenir, mais il devine assez bien qu’il comprendra bientôt la raison de cette lueur d’appréhension dans les yeux d’Ollie.
Enfin ils arrivent et tandis que le gamin surveille du regard la foule des parents devant le portail, Siegfried attend la suite, les yeux dans le vague. Quelques souvenirs tentent de briser la porte qu’il a fermé depuis un an, mais il tient bon. Attendre devant une école peut paraitre d’une banalité mais pas pour lui. Il y a encore quelques mois, il aurait laisser ces funestes songes envahir son esprit comme autant de parasites infestent un cadavre. Mais ces temps derniers, des aléas de son nouveau quotidien l’aidait à ne pas s’attarder devant cette porte. Et cela pouvait être pleins de choses… un avant-gout ? Les disputes avec Kyle… hé oui, même si le père inquiet et soucieux de l’alimentation de son fils a daigné lui remettre la bestiole entre les mains, sa confiance restait encore brisée. La reconquérir demandait de l’effort et de la patience : cela tombait bien, il en avait assez pour toute la ville entière. Première chose. Une deuxième ? Sa petite amie. Bon, personne ne savait que deux chefs opposés sortaient ensemble. Pourtant, c’était le cas. Mais la déesse, malgré un caractère affirmé, possédait une immense faiblesse que son soldat peinait à apprivoiser. Que faire ? Ronger son frein pour ne pas trop, trop la contrarier et d’éviter de l’a ramasser dans son alcool, vieille fausse amie ? Ou se battre pour la faire prendre conscience du problème et enfin, l’a faire avancer ? Le choix était vite fait. Chemin difficile mais quand on aime, on ne compte pas les secondes passées à tendre la main. Le français se savait capable de l’a lui tendre autant que possible : parce qu’elle n’était pas une de ces sales putains de riches, pourries gâtées qui ne voyaient pas au-delà de leur petit nez bouchés. Non, elle était bien plus que ça. Ses yeux bleus respiraient d’une intelligence fertile qui ne demandait qu’à être nourries. En même temps, on y lisait de la douleur, beaucoup de douleur, surtout quand les noms de « Paris » et de « France » lui venaient aux oreilles. Un point commun. C’est une deuxième chose. Une troisième maintenant… honnêtement, comment penser à ces durs souvenirs quand un type comme Azraël vous propose de boire un verre dans un bar et d’aller faire les cons par la suite ? Impossible. Même chose lorsqu’il s’agit d’aller écouter les poivrots dans l’iguana Bar en compagnie d’un Sygma mu au sang chaud nommé Mike. Ce travail, c’est une aubaine car pour pour la première fois, Siegfried accepte enfin les tâches. Et surtout, s’en amuse. Les histoires entendues là bas constituent de longues conversations entre les deux amies malgré une rivalité entre leurs maisons. Et c’était encore plus drôle quand Soraya venait se joindre à eux.
Toutes ces personnes constituaient des chaines, des cadenas ainsi que des clés qui gardaient ses démons à l’intérieur de cette pièce, dans un coin de son cerveau. Elle prend encore une place conséquente. Mais bientôt elle ne sera plus qu’un cagibi. Cela le fait sourire… car enfin, il a trouvé une stabilité qui le fait gardé les pieds sur terre. Et tout cela grâce à cette petite terreur qu’il croyait ne jamais apprivoiser.
Il n’y a plus d’obscurité.
Les enfants sortent de ces salles de classes. Ollie s’agite, craignant sans doute de louper quelqu’un. Oui, il attend quelqu’un. Siegfried se retient de lui demander s’il s’agit potentiellement d’une « amoureuse ». Mais bon, le gamin a déjà fait part de son opinion là-dessus durant le réveillon de Noël : les filles, c’est trop de problème. Mais alors… qui vient-il donc attendre ?
La réponse ne se fait pas attendre. Avant qu’il n’ait eu le temps de prononcer les trois syllabes de « Dovakhin », un « OLIIIIIE ! » se fait entendre. Pas une remontrance ou quoique ce soit, mais un cri rempli de surprise et de joie. Puis une petite tornade brune saute dans les bras du gamin qui referme ses bras autour du corps de la petite fille qui venait de les rejoindre. Mais l’enfant rieuse n’était pas seule. Ollie embrassa un autre enfant, plus jeune, qui suivait la gamine. Le jeune homme sourit légérement mais détourna le regard un moment avant de les reporter à nouveau sur eux. C’était touchant tout de même, cette manière de s’enlacer. Comme trois frères et sœurs séparés, qui ne se sont plus vus depuis des jours. Des semaines.
Des mois ? Les enfants parlent, avec animation, sautillant sur place et les yeux remplis d’étincelles. Il leur adressa un signe de tête lorsque Ollie les présentèrent tous les trois mais il n’osa pourtant pas troubler ces retrouvailles. Attendons un peu. Ils ont l’air de ne pas s’être vu depuis longtemps, très longtemps. Fait étrange… pourquoi Ollie ne les avait-ils pas vu ? Après tout, ils vivaient tous trois à Miami ? Ce n’était pas difficile de se voir…
Et leur mère ? Où était-elle ? Sans doute dans la foule des pa…
« Bonjour Ollie. Qu’est ce que tu fais là ? »
Une voix dure se fait entendre. Siegfried lève la tête vers… heum, leur mère ? Très vite, il l’a fixe comme si elle débarquait d’une autre planète. Etait-ce le cas ? Dans tous les cas, on ne pouvait pas la louper avec ce look excentrique. Rien que sa chevelure écarlate attirerait n’importe quel regard. Hé bien ! Elle n’a pas froid aux yeux,… la plupart des parents lui jettent déjà un œil perplexe et mécontent. Oui, bon, en même temps elle ne semblait pas avoir la panoplie de la « maman traditionnelle ». La plupart des mères qui attendaient se fondaient dans une masse anonyme tant leurs comportements et tenues se confondaient. Il n’y avait que cette femme pour apporter un éclat de… bref.
Elle regarde Ollie, les yeux pleins de colère. Instinctivement, Siegfried réagit et s’avance d’un pas vers elle tandis que l’enfant recule. Ses yeux affrontent déjà celui de la femme. Non, il n’y a pas de danger. Les enfants, ceux qui viennent de les rejoindre, ne semblent pas avoir peur d’elle. Etait-ce leur mère ? Tout porte à croire que oui.
Mais déjà elle se tourne vers le français. Oui, lui qui lui jette un regard franc et imperturbable, bras croisés, pieds bien campés sur le sol. Il y a un problème… et il n’allait pas tarder à le connaitre. Quand Ollie murmure qu’il « voulait juste les voir un peu… », Siegfried lui jette un regard. Les voir… les enfants. Cela lui rappelle les souvenirs, encore les souvenirs. Haaaa fichus souvenirs. Il relève les yeux vers elle.
« Eva Esperanza. »
Eva. Eva, Eva,… ce nom sonne immédiatement dans sa mémoire. L’infirmerie et la séparation momentanée de Kyle et de son amant. Et les explications qui suivent. Oui, il avait bien parler d’une Eva. Etait-ce là même ? Sans doute… preuve en est. Il hausse les sourcils lorsqu’elle largue la bombe.
« Vous êtes la nouvelle conquête du papa ? »
… il éprouve toutes les difficultés du monde à ne pas répondre un truc du type « Oui, m’dame. On s’est pété la rondelle toute la nuit et on r’met le couvert ce soir. T’veux v’nir ?». Mais la présence des enfants lui impose le silence. Pourtant, il a entrouvert la bouche pour cracher sa répartie. Mais voilà, honnêtement, ce n’est plus marrant là. C’est la troisième personne qui émet cette hypothèse. Oui, Siegfried possède un sens de l’humour étendu mais là, cela devient carrément lourd. La première fois, cela s’est changé en rapport de force durant toute une journée. Pas un souvenir très agréable. La deuxième fois, bon, Héra l’avait proposé mais c’était plus une boutade qu’une rumeur prise au sérieux. Héra n’était pas stupide, loin de là. Mais honnêtement, à l’instant où elle le dit, ce n’est juste… pas… drole. Alors il ne dit rien et se contente de l’a fixer, impassible. Il se tourne vers les enfants qui, eux, ont bien raison d’ignorer les ennuis des adultes. La petite et son petit frère assènent Ollie de questions. Cela le tranquillise légérement. Aussi, il se retourne vers la femme, non sans trouver sa tenue… marginale.
« Aux dernières nouvelles, je ne pense pas. » Puis, sans réfléchir, il répond dans l’immédiat, un signe de tête vers l’enfant qu’il garde « Je suis son grand frère. » Eva, c’est vraiment Eva. Et avec ce regard tueur, nul doute qu’elle menace à tout moment de lui cracher tout le venin qu’elle possède dans ses crochets de vipère malmenée. Très vite, Siegfried sentit qu’il risquerait de perdre des plumes. Parce que cette femme là, plantée devant lui, le regard à la fois haineux et malheureux…
… elle s’est fait abandonnée par un homme qu’elle devait aimer. A quel point ? Ho ça, il n’en savait rien. Ce n’était pas ses affaires et dans le fond, il espérait qu’elle ne déballe pas toute son existence de femme délaissée, bien qu’elle n’en avait pas l’allure. Une victime ? Hou la la, non. Pas du tout.
Dans tous les cas, il avait bien du mal à imaginer Kyle aux côtés de cette étrange jeune femme, malgré la belle harmonie du rouge vif et d’un noir profondément austère. Lui qui aimait les films en noir et blanc et les bouquins chiants, difficile de le voir aux côtés d’une femme qui devait adorer faire la fête ou faire les magasins dans les friperies ou autre magasins marginaux. Mais c’était un peu juger vite n’est ce pas ? La surprise passée, il ressentit une forme de gêne parce que la femme le fixait. Et lui aussi en fait, depuis Une bonne minute. (Que celui qui n’a jamais jauger quelqu’un sur sa tenue, lui jette la première pierre !). Réagis crétin, réagis.
« Heum… enchanté dans tous les cas, Eva, moi je suis Siegfried Wade. Et comme je vous l’ai dit, je garde Ollie. » Tentons de ne pas ouvrir les hostilités. Mais c’était difficile parce que merde alors, ce n’était pas la première fois qu’il était impliqué dans une querelle amoureuse. Il rajoute alors à voix basse, afin que les enfants ne l’entendent pas. Mais ils sont occupés, alors pas de danger. Un sourire en coin apparait sur le coin de la lèvre. Encore un peu, et l’insolence pointera son nez « …et les affaires de cul de Kyle ne me regardent pas. » Ca c’est le début… non. juste… non. « Ecoutez… heum… peut-être que… » Regard vers les gosses. Ho la la la, ils semblent tellement s’aimer ces trois là. Manque plus qu’une petite bouffe… ! Heum… mais bio. « … les trois là, ils… semblent beaucoup s’aimer, n’est ce pas merveilleux, hum ? Cette bonne humeur… » … il serrait un peu trop les dents là. « … alors pourquoi ne pas aller boire un café et de discuter de notre cher ami commun. » Pause. « Ou d’autres choses. » Bref, réagit la madame Alerte Rouge. Parce que je ne veux pas d’un scandale devant des enfants. L’idée de les laisser tous les trois ensembles lui avaient sembler une bonne idée aux premiers abords. Mais quelque chose lui disait que la situation était plus compliquée que cela. Il tenta alors de garder un ton aimable. Certes, il ne supportait pas que les adultes le jaugent ainsi, mais n’était-ce pas une femme délaissée ? Non, il ne jugeait personne. « Du moment qu’ils restent ensemble. » Grosse. Prise. De. Risque. Enorme. Mais il n’était pas non plus connu pour deviner les règles implicites, n’est ce pas ? Si Kyle tombait dessus, il se contenterait de dire qu’il ne savait pas. Mais si c’était interdit, alors Ollie serait au courant de cette interdiction…. Humm… difficile, très difficile. On ne joue pas avec les règles de Kyle. Et celles d’Eva non plus. « Alleeez, ils sont tellements mignons tous les trois… » Ouai… adorables. Mais voilà, c’était chasse gardée. Ces trois là mourraient d’envie de rester encore un moment ensemble.
Les bras croisés, Siegfried soutenait le regard de la jeune femme. Elle avait beau tuer le monde de ses yeux assombris par la désillusion, ce n’était pas elle qui allait piétiner cette journée qui déclinait. Ho ça non.