Raphaël & Liam. Rencontre.

Quand mon téléphone vibra et que j’expliquai à Raphaël qu’il s’agissait de ma blonde, comme il disait, qui me réclamait, son sourire disparut suite à ma petite plaisanterie… ce qui accentua le mien, évidemment. Il n’y avait pas de quoi en faire tout un plat, c’était normal après tout, dans la mesure où il était encore un peu jeune pour se mettre au sexe. Selon la société, en tout cas. Moi, ce que j’en disais… c’est qu’il fallait foncer quand on était prêt et quand on en avait envie, voilà tout.

« Arrête de niaiser, t'avais dit que c'était pas ta blonde. Ça compte pas. T'en as tu une de vraie blonde d'abord ? » me dit-il de son petit air buté.

« Hm… Pas vraiment, non… mais j’ai Bluberry et Callista à satisfaire, c’est déjà pas mal tu crois pas ? » lui dis-je en rigolant. « Je cracherais pas dessus si les filles étaient pas aussi compliquées » ajoutai-je.

Bon, je ne parlais pas de Calli’ et encore moins de Blu’, avec elles la mise en couple était proscrite, dans la mesure où elles étaient complètement autodestructrices et que je n’étais pas un Saint prêt à supporter une attitude pareille. En revanche… il y avait bien une fille à qui je n’aurais pas dit non. Ginger, photographe, étudiante Lambda et véritable fille parfaite à mes yeux. Dommage pour moi, elle s’était contenté de coucher avec moi après deux after de soirées, pour ne plus donner signe de vie par la suite. Bref, j’enchainai en demandant au nouveau Sigma Mu s’il avait déjà eu une copine, à son âge. Il leva les yeux vers moi puis les reposa sur la table, peut-être parce qu’il était un peu gêné.

« Bin... J'pas encore eu l'occasion d'en avoir là mais maintenant que j'suis là, c'est sûr que ça va pas tarder. Pis de toute façon on peut pas dire que je sois en recherche active mais s'il y a de bonnes candidates, ça coûte rien d'aller voir » expliqua-t-il d’un air si sérieux que cela me fit sourire.

« On dirait que tu vas leur faire passer un entretien d’embauche, quel sérieux ! » le taquinai-je un peu, gentiment.

« Bon on continue la visite ? Pis j'commence à avoir faim, c'est où qu'on mange ici ? » me demanda-t-il ensuite.

« Ouais, bonne idée gamin ! Allez amène-toi, je vais te montrer la cuisine de ton Bâtiment, puis peut-être la cafet’ puisque je suppose que tu te feras pas à manger tout seul ? Ah, et un conseil… n’accepte jamais de goûter aux spécialités de Bluberry, question de survie » lui répondis-je en me levant, un grand sourire aux lèvres.

Nous quittâmes tous les deux le sous-sol où se trouvait le bar, après avoir posé nos verres dans l’évier. Je lui fis un rapide tour du Bâtiment des Sigma Mu et l’emmenai ensuite du côté du lycée. Sur place, je lui expliquai que je n’avais pas fait mes études ici mais au Texas, et qu’il devrait trouver quelqu’un d’autre pour faire la visite des lieux plus précisément.

« Voilà la cafet’, mais c’est un peu près le seul endroit que je connais, ici… tu veux que je te montre le parc ? » lui proposai-je ensuite.

Et la fin de la journée se déroula ainsi, entre visites et discussions tranquilles pour faire connaissance. Je finis par rentrer chez les Nu Zeta, tard dans la soirée, après lui avoir dit qu’il savait où me trouver s’il avait besoin de moi un jour, ou simplement s’il voulait discuter comme aujourd’hui.

Puisqu’il voulait un soda, je lui en servis un et lui proposai ensuite de faire une partie de fléchettes. Il fallait bien trouver une occupation, pour passer le temps. Il se retourna, observa le jeu que je lui désignais et l’idée sembla lui plaire.

« Ouais ok ! Et je suis prêt à te mettre la raclée ! » me dit-il avec enthousiasme.

Il sauta sur ses pieds et se rapprocha du jeu. Je le suivis, ma bière en main, et la posai sur une table haute, non loin, après avoir bu une grande lampée d’alcool. Raphaël avait déjà entrepris d’enlever les fléchettes du jeu.

« Tu commences ? » lui demandai-je, croisant les bras sur ma poitrine.

Il me lança un regard, l’air d’approuver, après avoir fait quelques pas en arrière. Sa première fléchette troua l’air et atterrit non loin du centre.

« Pas mal, microbe » dis-je en souriant.

Il lança les autres, on compta les points et ce fut ensuite à mon tour. Je récupérai les fléchettes sur le tableau et les lançai une après l’autre, en prenant mon temps. J’étais un peu moins précis que le nouveau Sigma Mu, je fis donc moins de points que lui pour la première manche. Nous poursuivîmes ce petit jeu durant presque une demi-heure, et à la fin ce fut lui qui remporta la partie. En m’asseyant sur un tabouret de bar, je lui souris.

« Je me fais vieux, il me faut des lunettes, je viserai mieux la prochaine fois » dis-je, pour plaisanter.

Mon téléphone vibra ensuite dans ma poche. Je le sortis et lu le message que je venais de recevoir. Il venait de Bluberry, la fille qu’on avait croisée dans les escaliers.

« Hm, ma blonde me réclame ! Tu vois gamin, même si je suis pas doué aux fléchettes, je sais tirer autre chose » fis-je, avant d’éclater de rire.

« Et toi, à ton âge… t’as déjà eu une copine, comme ça ? » l’interrogeai-je gentiment.

« Ouais mais ça serait quand même mieux qu'elle soit ta blonde, elle a l'air de valoir le coup ! » renchérit le petit brun, ce qui me fit doucement sourire.

J’étais un vrai ancêtre dans ma tête, quand je le voulais. J’avais un stock effroyable d’expressions, maximes et autres proverbes qui me servaient souvent à répondre aux gens durant des conversations comme celle-ci. Quand je n’avais pas envie d’approfondir un sujet. Pourquoi Blu’ n’aurait pas été une bonne copine pour moi, en l’occurrence.

« L’air ne fait pas la chanson » me contentai-je donc de répondre, un sourire énigmatique aux lèvres.

Je savais que cela énervait parfois les gens, cet air un peu nonchalant que j’avais, cette façon de rester zen en quasiment toutes les circonstances. Bref, nous arrivâmes ensuite dans le fameux bar des Pirates, tous les deux, et je lui expliquai de quoi il s’agissait, puis lui proposai de rester ici ou de continuer la visite. J’ajoutai – ce qui l’influença peut-être et ma foi, c’était pas plus mal – que je boirais bien une bière.

« Pas d'problème, on s'pose pis on verra la suite après » approuva-t-il bravement.

Je lui adressai un sourire et passai derrière le bar. Ce n’était pas moi qui faisais le service, d’habitude, je laissais ça aux Sigma Mu… mais ma foi, il n’y en avait aucun ici pour l’instant, et je ne comptais pas me laisser crever de soif. J’ouvris un frigo et observai son contenu, portant mon choix sur une bière. Sans conteste ma boisson de prédilection. Je la posai sur le bar, entre Raphaël et moi, et le toisai de toute ma hauteur, indécis.

« Hm, voyons… est-ce que ma conscience m’en voudrait si je te filais de l’alcool, ou pas » m’interrogeai-je tout haut.

Je partais du principe que les jeunes qui n’avaient encore jamais bu ou fumé de leur vie, il valait mieux qu’ils commencent avec moi – qui était quelqu’un de responsable et pourrais m’occuper d’eux en cas de geyser vomitif – plutôt qu’avec des personnes mal intentionnées.

« Sûrement pas, non. Tu veux quoi ? Une bière aussi ? A moins que tu préfères un jus d’orange avec un peu de grenadine hein, je t’oblige à rien gamin ».

Une fois tous les deux servis, nous nous installâmes à une des tables et je bus une grande gorgée de ma boisson. Reposant ma bouteille sur la table, je désignai du menton un jeu de fléchettes accroché au mur.

« Tu veux faire une partie ? »

« Humpf ! C'est que là où t'es ça doit être bien plate pour que tu viennes ici ! J'ai entendu dire que c'tait la confrérie la plus fun de Wynwood ».

Je haussai les épaules, pas vraiment motivé à l’idée de comparer les deux Confréries entre elles. Mais bon, puisque le gamin avait l’air d’avoir envie d’être sûr qu’il avait fait le bon choix, je décidai de lui donner mon avis franc.

« Tout dépend de ce que tu trouves fun, j’imagine. Genre les Pi Sigma, les gros playboy de Wynwood… leur kiffe c’est de sortir, de draguer les minettes. Ici, ils ne trouveraient pas leur bonheur. Et moi, même si j’aime l’ambiance chez les Sigma Mu, je ne supporterais pas de vivre dans un Bâtiment en ébullition comme celui-ci, surtout à la tombée de la nuit. Dans ma Confrérie, on est relax. On fume de l’herbe sous la véranda, tranquillement… ce mot-là, les Sigma Mu le connaissent pas. Je suppose, donc, que tu vas bien t’amuser ici ».

« Bin alors... Il doit y'en avoir plein des gars comme ça ici » me dit Raphaël, quand je lui parlai de Maddox.

« Celui que je cherche s’appelle Maddox, il a des cheveux longs et une moto. Si tu le vois, tu le reconnaitras facilement » répondis-je, évasif, avant de changer de sujet.

Je lui demandai d’où venait son accent spécial, et il me dit juste qu’il n’était pas « spécial » mais qu’il venait juste d’un autre pays, sans préciser lequel. Je supposai donc que je n’aurais pas d’autre réponse de sa part et haussai les épaules. Qu’est-ce que cela changeait, de toute façon ? Ce n’est pas parce que j’avais vécu au Texas que j’étais un cow-boy, par exemple. Dans le fond, sa nationalité m’importait peu. Nous croisâmes ensuite Blu’, qui m’embrassa sur les lèvres, un beau sourire aux lèvres. Je lui expliquai que je faisais la visite au petit nouveau, puis nous descendîmes – une fois de nouveau seuls – dans la cave des SM, où se trouvait leur bar.

« Eh ! C'est ta blonde ça ?? Ca alors c'qu'elle est cute ! » s’exclama le jeune rebelle, ce qui me fit rire.

« Ma blonde ? Tu viens du Québec alors ? C’est vrai qu’elle est mignonne, mais non, c’est pas ma copine. Juste… une copine parmi d’autres. ‘Faut pas se limiter, il y a tellement de poissons dans l’océan, ça serait bête de se contenter d’une cane à pêche alors que tu peux jeter un filet » lui dis-je, en faisant une métaphore un peu spéciale sur ma façon de voir les choses.

Bref, Raphaël observa le bar dans lequel nous venions d’arriver, l’air presque intéressé. Il reposa ensuite les yeux sur moi, après son tour d’horizon.

« Bin... J'pense que ça peut être fun de venir ici, il doit y'avoir de l'ambiance. T'y viens tu souvent ici toi ? »

« Ouais, j’ai pas mal de potes dans cette Confrérie, alors ça m’arrive. Et si l’info t’intéresse, tu me trouveras ici tous les dimanches soirs. Je bosse avec un pote Sigma sur un bateau pirate pour touristes, la journée. Du coup, après on revient boire un pot ici, avec nos déguisements. C’est toujours sympa ».

Comme ça, s’il avait envie de me revoir, il saurait où me trouver sans avoir besoin de me demander mon numéro. Ce qui était un peu inutile, d’ailleurs, puisque je n’avais presque jamais mon téléphone sur moi.

« On continue la visite ? Ou on reste ici, si tu préfères. Je me boirais bien une bière moi… »

« Ouais c'est bien fun et comme ça tu t'lasseras aussi de moi d't'façon » me répondit-il de son petit air bourru.

« Ne parle pas trop vite, tu as l’avantage de la jeunesse pour toi. Voir grandir un enfant, ça a quelque chose de fascinant. Observer l’évolution d’un adolescent, c’est un peu pareil ».

« T'es pas un Sigma toi en fait » enchaina-t-il.

Ce n’était pas une question, mais bien une affirmation, et il avait raison. Je ne faisais pas partie de cette Confrérie, même si j’aurais pu dans la théorie. Or, dans la pratique, je me canalisais beaucoup trop bien pour faire partie des leurs. J’avais appris très jeune à mettre mon trop plein d’énergie au service d’activités telles que l’escrime médiévale, l’équitation ou même le jardinage, lorsque j’avais simplement besoin de me poser et pas de me défouler. Si j’avais plein d’activités extra-scolaires et plusieurs petits boulots, ce n’était pas un hasard, j’en avais besoin pour rester droit dans mes baskets. Je n’osais même pas imaginer l’effet qu’aurait sur moi un mois dans un plâtre, par exemple.

« Non, en effet. Tu as l’œil, gamin. Mais je passe plus de temps ici que certains Sigma Mu » lui dis-je en songeant à Maddox que je n’arrivais jamais à croiser. « Tiens d’ailleurs, si tu vois un grand blond aux yeux bleus, barbu aussi, dis-lui de ma part que je dois lui parler ».

Comment ça, je profitais du gamin pour me servir de messager ? Mais pas du tout. Bref nous arrivâmes dans sa chambre encore vide et je me posai sur le lit de son futur colocataire, en attendant qu’il se débarrasse de sa valise qu’il avait dit trouver lourde – c’est pas faute de lui avoir proposé mon aide – et de son sac à dos, qu’il jeta négligemment sur le lit. Quand ce fut fait, je lui proposai de lui faire visiter les lieux. S’entend le bâtiment des Sigma Mu, et le reste de l’école s’il le voulait. Je ne connaissais pas trop l’intérieur du lycée, mais de toute façon il était fermé aux élèves jusqu’à la rentrée scolaire.

« Mouais...Ok vôs-y ».

Je me relevai et nous quittâmes sa nouvelle chambre, qu’il n’avait visiblement pas envie de décorer maintenant. De toute façon, il aurait bien le temps quand il serait débarrassé de moi.

« Il est spécial ton accent. Il sort d’où ? » le questionnai-je, tandis que nous nous dirigions à nouveau vers les escaliers.

A cet étage, il n’y avait de toute façon que les chambres, et les sanitaires. Je lui désignai la porte du pouce, sans m’arrêter devant.

« Les toilettes et les douches sont là, mais j’imagine que ce n’est pas ce qui t’intéresse le plus ».

Nous descendîmes les escaliers et, une fois dans le hall du bâtiment, je l’emmenai directement vers la cave. Dans les escaliers, nous croisâmes Blueberry, qui me sauta au cou en m’embrassant.

« Salut, Liam… tu venais pour me voir ? » me demanda-t-elle après m’avoir lâché.

« A vrai dire, non. Je fais la visite à un petit nouveau » répondis-je.

Je fis ensuite rapidement les présentations puis Raph’ et moi arrivâmes dans le bar des pirates. Je le laissai découvrir les lieux, en restant appuyé sur la porte.

« Cet endroit, vous risquez de vous y réunir souvent avec les Sigma Mu. Mais le reste du temps, c’est juste un endroit sympa où venir boire un pot… ou une grenadine, pour toi. Qu'est-ce que tu en penses ? ».

Je ne m’attendais pas à ce qu’il me lâche son prénom aussi rapidement, vu qu’il m’avait semblé plutôt méfiant. Toujours est-il qu’il me répondit du tac au tac, sans me quitter des yeux.

« Raphaël ».

Comme le troisième Archange. Mais je gardai cette réflexion biblique pour moi, en présumant qu’il n’en avait rien à cogner de savoir qu’il portait le nom d’un Saint. Qu’est-ce que ça voulait dire, déjà ? Je fouillai dans les tréfonds de ma mémoire pour me souvenir que cela voulait dire « Dieu guérit ». Il avait de la chance, c’était un joli prénom plein de signification. En hébreu, mon prénom à moi signifiait « le peuple pour moi », je l’aimais bien… mais j’appréciais moins de savoir que c’était un prénom très porté par les arabes. J’étais effectivement très raciste. Je préférais croire la version qui disait que mon prénom était d’origine irlandaise. Quitte à ce qu’il ne signifie plus « le peuple pour moi » mais qu’il soit simplement le diminutif de William. Bref, je proposai à Raphaël de le conduire jusqu’aux chambres.

« Ouais d'accord » me dit-il, sans agressivité.

Presque sympathiquement, mais je dis bien presque parce que je pouvais toujours sentir une certaine méfiance vis-à-vis de moi. Je lui demandai son âge, puis s’il rentrait en Freshman, tout en prenant la direction des escaliers. J’avais commencé à monter lorsque je l’entendis s’exclamer dans mon dos.

« C'est quoi ça ? Un interrogatoire ?? »

Je me retournai et lui sourit ironiquement. Il me répondit par la même mimique, tout en se calmant un peu.

« Ouais moi je suis de la fresh comme tu dis ! »

Je rigolai à nouveau, et repris ma montée des marches, suivi par le môme.

« C’est bien, un peu de sang neuf dans cette Confrérie… à force d’y voir toujours les mêmes têtes, ça devenait lassant » notai-je, tout en songeant que par contre, j’aurais aimé y voir Maddox plus souvent.

Je ne relevai pas sa plaisanterie comme quoi lui était tout jeune et moi un vieux croulant – c’était le cas, si on comparait nos âges, de toute façon –. Je m’étais arrêté pour lui répondre et il m’avait rejoint. Le petit brun me donna un coup de tapette sur l’épaule, j’imagine que c’était un signe amical de son point de vue.

« Allez on y va là ! » me lança-t-il.

« T’es pressé ? » lui fis-je en souriant, en reprenant néanmoins la montée des marches.

Une fois à l’étage, je lui demandai laquelle était sa chambre et nous nous y dirigeâmes. Par chance, elle était vide et il pourrait par conséquent s’installer tranquillement avant de faire la connaissance de son ou sa colocataire. Je m’assis sur le lit de son colocataire et attendis qu’il pose ses affaires.

« Bon alors Raph’, tu veux que je te fasse un peu visiter quand t’auras posé ton bordel ? Je suis de bonne humeur, profites-en » lui dis-je en posant mon pied gauche sur mon genou droit, tranquillement.

Un visage farouche se redressa vers moi et le gamin m’incendia de ses prunelles foncées comme les abimes de l’enfer. Il en aurait refroidi plus d’un avec des pupilles assassines comme les siennes, mais je n’étais pas du genre à me laisser impressionner, encore moins par un môme à peine plus grand que trois pommes. Je lui souris, avenant, et attrapai sa valise pour l’aider, comme je le lui avais proposé. Effectivement, vous pouvez le dire, je ne lui laissais pas tellement le choix.

« Laisse-moi faire, elle est deux fois plus grosse que toi » lui dis-je.

Sa réponse fusa plus vite que l’éclair, sèche : « Et deux fois moins que ta grosse tête ».

J’éclatai de rire, surpris par tant de répartie de la part d’un gamin. Il reprit sa valise et me lança à nouveau un regard foudroyant. Il ne me paraissait pas méchant, juste un peu paumé, et j’imagine qu’il y avait une raison qui se cachait derrière son agressivité. Peut-être l’approche de la rentrée des classes, qui sait ? Même si, honnêtement, j’en doutais, cela avait l’air plus profond que ça. Je lui demandai où est-ce qu’il comptait mettre sa valise, sans me départir de mon sourire sympathique.

« Ben, dans ma chambre » me répondit-il d’un air insolent.

Je fourrai mes mains dans les poches de mon baggy et plissai les yeux pour observer plus attentivement son petit visage buté.

« T’es un petit marrant, toi » lui dis-je, un sourire amusé aux lèvres.

Je voulais plutôt savoir laquelle était sa chambre, mais qu’importe à présent puisqu’il ne voulait pas de mon aide. Le voir chez les Sigma Mu ne m’étonnait pas vraiment, il avait déjà des airs de rebelle casse-couilles. Non pas que les SM le soient tous… ce n’était même pas le cas pour la plupart d’entre eux, mais on trouvait parmi cette bande de zigotos une bonne demi-douzaine de gros enculés, dont le plaisir dans la vie était de faire chier les autres, peu importe les moyens employés. Si ce gosse se mettait à les fréquenter, je mettais ma main à couper qu’il deviendrait comme eux en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

« Tu t’appelles comment ? Moi c’est Liam » lui dis-je.

J’étais décidé à être sympa avec lui, histoire qu’il puisse au moins dire qu’il avait rencontré des gens cools à Wynwood. Bon, par contre, pas sûr que lui le prendrait comme ça. Je devais être trop envahissant à son goût.

« Viens, les chambres sont par là, je te montre si tu veux ? » lui proposai-je, en désignant les escaliers menant aux chambres d’un coup de menton.

Il ne voulait pas que je porte sa valise, peut-être apprécierait-il une petite visite. Bien que je ne faisais pas partie de cette Confrérie, mais ça… il ne le savait pas, le petit. Et je la connaissais aussi bien qu’un SM lui même, puisque je passais pas mal de temps ici – je ne comptais plus le nombre de soirées passées au fameux « Bar des Pirates » de la Confrérie des rebelles. Quand on aime le rhum, je dois dire que c’est the place to be. Dans les caves, au frais, une chouette décoration… Keagan et moi, après les journées de boulot au bateau pirates pour touristes, on y faisait sensation.

« Allez, dis-moi tout, sois pas farouche : tu as quel âge ? Tu rentres en Freshman, comme ça ? »

Fin août. La rentrée approchait à grands pas. Je n’avais pas eu le temps de m’ennuyer pendant les vacances, entre mes nombreux petits boulots, les filles, les fêtes et tout le reste. Un été bien rempli comme je les aimais. Le seul point noir au tableau ? Maddox Hunt. Un Sigma Mu. Mais ce type, ce n’était pas n’importe qui, et je passais pas mal de mon temps libre – il était rare, certes – dans sa Confrérie peuplée de rebelles pour essayer de le croiser. Sans grand succès, je dois l’avouer. A croire qu’il s’était volatilisé.
En soirée, 3 ou 4 soirs par semaine, je bossais dans un bar appelé le « Smile ». Il se voulait résolument gothique, et le patron m’avait embauché pour mon look on ne peut plus particulier. J’étais dans le thème, même si je ne me considérais pas du tout comme un gothique, très très loin de là. Il m’avait d’ailleurs dit en m’engageant que j’avais la gueule de l’emploi, et je lui avais répondu que j’étais content qu’il m’engage, mais que je n’avais rien d’un goth’. Ça l’avait fait marrer, et il m’avait balancé un torchon à la tronche en me disant de l’accrocher à ma ceinture, parce que je  commençais le boulot dans la seconde.

Ce jeudi-là cependant, c’était une soirée de repos. J’avais passé ma matinée à nettoyer des parterres chez les Eta Iota – je détestais que l’on m’envoie là-bas, mais après tout j’étais payé pour ça alors je n’avais plus qu’à fermer ma gueule et obéir – et l’après-midi au centre équestre.
En revenant chez les Nu Zeta, je m’étais douché puis changé, j’avais mangé en compagnie de Mahina, la nouvelle Chef de Confrérie depuis peu, et étais ensuite sorti. Direction : le bâtiment des Sigma Mu. Ce n’était pas si loin, j’y allai donc à pieds. Les mains fourrées dans les poches de mon jeans baggy, je traversai le parc, une rue et arrivai enfin à destination. Je portais un tee-shirt de la marque Element, vert d’eau, affichant un arbre qui faisait du skate. Je l’adorais, et il collait tout particulièrement bien à l’image que renvoyait ma Confrérie dite d’écolos. Je ne l’étais pas pour un sou, mais passons.

Une fois sur place, je me dirigeai directement vers la chambre de Maddox. Je connaissais le chemin par cœur, j’aurais pu même le parcourir les yeux dans le noir. Je toquai, son colocataire m’ouvrit et la première chose qu’il me dit, avant même de me saluer, transforma mon sourire en grimace.

« Il est pas là, vieux ».

Je poussai un soupir lassé, en le soupçonnant fortement de me mentir. Je jetai un œil derrière lui, apercevant une moitié de chambre seulement, et dus me résigner à dégager.

« Dis-lui que je suis passé ».

« Comme d’habitude ».

Je fis volte-face et m’apprêtai à quitter le bâtiment lorsque je croisai un gamin aux cheveux bruns et… touffus. Il avait ses affaires avec lui et semblait un peu galérer à les monter dans les escaliers. Une petite voix me glissa que plus longtemps je restais ici, et plus j’aurais de chance de voir revenir ce bon vieux Maddox. Je décidai donc de proposer mon aide.

« Hey, t’as besoin d’aide, gamin ? » lui dis-je en m’approchant.

J’attrapai d’autorité sa plus grosse valise et lui adressai un sourire amical, qui contrastait singulièrement avec ma dégaine.

« Laisse-moi faire, elle est deux fois plus grosse que toi ».

J’exagérais à peine, je vous assure.

« Tu veux la mettre où ? » demandai-je ensuite, préférant poser la question avant de m’engager dans les escaliers, des fois que ça devrait rester en bas.