La fille qui ne mangeait pas de porc. Mahina.

Si je voulais savoir qu’elle était arabe, j’aurais du lui demander ?! C’était quoi, cette blague. Comme si je passais mon temps à dire aux gens Hé Pierre, Paul, Jacques, avant qu’on entame une quelconque relation amicale, je dois te demander : es-tu Musulman ? Non. A la base, ces gens là… on les reconnaît. Peau bronzée, yeux noirs et profonds comme les gorges de l’Enfer, cheveux couleur d’encre. Mahina ne leur ressemblait en rien, elle avait le physique d’une Haïtienne. Et quel physique, bordel. C’était bien ça, le problème. Le ton de la conversation monta lorsqu’elle me répondit.

« Je ne te permets pas de m'insulter Liam ! »

« Je t’ai demandé ton autorisation ? » ne pus-je m’empêcher de répliquer, acide.

Elle avait touché la corde sensible, celle que d’autres s’étaient évertués à chercher durant des heures et des heures pour me mettre hors de mes gonds, en vain. Mahina, elle, ne l’avait même pas cherché… c’était le pire. J’aurais tout donné pour ne pas lui proposer de manger avec moi, pour ne jamais connaître cet aspect de sa vie et continuer de la considérer comme une bonne amie. Mais à présent, le mal était fait.

« Je ne suis pas comme ces extrémistes, mon père n'en est pas un non plus, lorsque l'on a vu en direct à la télévision, comme tout le monde, tu n'imagines pas à quel point il était énervé. Je les hais moi aussi. Ces extrémistes, je les hais, parce qu'à cause d'une minorité comme eux, les gens font un amalgame. Pour toi les arabes sont tous les même et je peux comprendre ton point de vue, mais je trouve ça idiot, c'est comme si je disais que parce que tu es... tu es de quelles origines ? »

« Je suis américain, Mahina. Je suis né dans le Vermont. Comme quoi les apparences peuvent être trompeuses » répondis-je, bien conscient que j’avais l’air tout droit sorti d’une autre époque, d’un autre monde.

Mais MOI, je n’avais jamais prétendu être autre chose qu’américain. Et je préférais occulter le fait qu’elle non plus, que son mensonge n’en était pas réellement un. Pour le coup, je faisais vraiment preuve de mauvaise foi.

« C'est comme si je disais que parce que tu es un américain lambda tu es un véritable idiot. Qui appartient à l'une de ces multiples sectes qui existent ici ».

Je me redressai, j’avais envie de lui rire au nez.

« Mais c’est exactement ce que tu as fait, Mahi ! Tu m’as traité d’idiot… ça me saoule, ça me saoule bordel » m’énervai-je.

Je fis volte-face et m’éloignai d’elle à grandes enjambées. Je tournai en rond dans le salon, qu’elle pouvait voir depuis le bar. Une main dans ma barbe, je réfléchissais à tout cela. A cette situation, à cette dispute ridicule qui n’aurait pas du se produire. Deux minutes à tourner comme un lion dans sa cage, et je reviens près d’elle. Je tirai le tabouret à côté du sien et appuyai mon coude sur le bar. Je posai ma main sur mon front et frottai mon visage, las.

« Tu sais ce qui m’énerve le plus ? » lui dis-je, d’une voix plus calme. « C’est que je t’adore, Mahi. Et ça m’énerve de me sentir tiraillé comme ça entre… entre mes principes et notre amitié ».

Je me montrais honnête avec elle, justement parce que nous étions amis.

« Je ne sais pas ce que je dois faire. Je n’ai pas envie qu’on poursuive cette discussion, parce qu’elle ne mène à rien. Nos avis divergent. On ne s’entendra pas sans doute pas là-dessus. Je me demande juste… si ça vaut la peine de tout gâcher ».

Je soupirai et fermai les yeux, assis à côté de la jeune femme, tourné vers elle qui était de profil. Ma main s’égara dans mes cheveux et je fermai les yeux, de guerre las.

Ce qui me choquait le plus, c’est qu’au final elle ne ressemblait pas du tout à une arabe, elle avait les traits de l’hawaïenne par excellence. C’est sans doute pour cela que je m’étais laissé piéger dans ses filets. J’étais furieux d’avoir couché avec elle. Oui, je le regrettais amèrement, parce que je ne supportais pas l’idée qu’une part d’elle – même infime – soit reliée aux personnes que je haïssais le plus au monde. C’était un peu comme pactiser avec le Diable pour un bon chrétien, si vous voulez. Les bons souvenirs que j’avais gardés de notre rencontre étaient en train de se transformer en vrai cauchemar. Le poison s’était infiltré dans mon cerveau, gangrénant ma relation avec la jeune femme avant même que nous ayons pu nous expliquer.

« Parce que mes origines t'intéressent ? Qu'est-ce que ça changerait que je sois 100% Hawaïenne ou qu'une partie de ma famille ne le soit pas ? Je reste celle que je suis. Enfin, si tu veux tout savoir, ma mère est née à Hawaï, je suis née à Hawaï et mon père vient d'Arabie Saoudite, et oui, il est musulman » me dit-elle d’une voix froide, en me fusillant du regard.

Forcément, qu’elle restait celle qu’elle était. La progéniture d’un arabe. Elle l’avait toujours été, sauf que je n’en étais informé que maintenant. Maintenant que je l’appréciais, que nous étions bons amis. Je soutins son regard, je sentais la rage bouillir en moi. Je me contenais pour ne pas l’attraper par les cheveux et la jeter hors d’ici. Je sais, c’était idiot. Mais les souvenirs de mon passé affluaient dans ma mémoire… à travers Mahina, je revoyais les attentats du 11 septembre, et puis tout le reste. L’Arabie Saoudite… ce n’étaient pas les pires. En revanche, c’était un peuple puissant. Ils détenaient pas mal de richesses. Tendu, je desserrai les bras que j’avais toujours croisés sur ma poitrine, et fis craquer ma nuque. Je me battais contre moi-même, intérieurement, réfléchissant à la meilleure attitude à adopter. Je ne pouvais pas faire comme si de rien n’était, c’était vraiment au-dessus de mes forces. En revanche, je ne pouvais pas nier que Mahi’ et moi nous entendions bien, et qu’il aurait vraiment été dommage de gâcher cela.

« Cela va changer quelque chose à ta vie de savoir que j'ai des origines Arabes ? Je suis née à Hawaï et je suis Hawaïenne, c'est tout, je n'ai jamais menti sur ça ! » ajouta la brunette, comme je ne répondais rien.

« Mets-toi deux secondes en situation, tu veux ? Quels sont les gens que tu détestes le plus au monde ? Imaginons que cela soit… je ne sais pas, moi, les… les homophobes. Disons que tu couches avec l’un d’entre eux sans le savoir, que tu deviens son amie, et que tu te rendes compte par la suite que ce type avec qui tu t’es liée d’amitié n’est autre qu’un putain d’homophobe. Tout ce que tu hais. Il ne t’a pas menti, certes… mais les faits sont là. Comment est-ce que tu réagirais, hm ? Aussi bien que moi, j’imagine » lui dis-je, d’une voix tranchante.

Je poussai mes poings dans mes poches, avec la monstrueuse envie de m’en servir contre quelqu’un, quelque chose… Je levai les yeux au plafond, cherchant une réponse quant à l’attitude à adopter.

« Puis, pourquoi tu n'aimes pas les Arabes ? » me demanda-t-elle alors.

Je baissai la tête vers elle et croisai son regard. Elle ne s’était pas transformée en horrible monstre, physiquement parlant… j’avais juste l’impression de la voir autrement, c’était une sensation absolument désagréable. Je fis quelques pas vers elle et vins me planter en face du bar, pour ne pas l’obliger à tourner la tête vers moi comme elle était en train de le faire. Une main de chaque côté de son assiette, je plongeai mes pupilles bleues dans les siennes et la toisai quelques secondes.

« Depuis quand est-ce que tu vis ici, en Amérique ? » lui demandai-je, un ton plus bas que précédemment.

La jeune femme me répondit et j’enchainai, pour répondre à sa question.

« Tu n’étais donc pas là lors des attentats du 11 septembre 2001. Tu n’as pas connu la perte… l’injustice, la tristesse… Le deuil national, c’était horrible. Mais ça l’était encore plus en ayant perdu quelqu’un dans ces attentats. Tout cela à cause d’une religion, de putain d’extrémistes, d’un peuple non-évolué, de types assez malades pour se faire sauter au nom d’Allah. Je méprise… du plus profond de mon cœur, les gens qui s’inclinent devant la violence, qui font couler le sang des innocents au nom d’un dieu quelconque, et pour quoi ? Quels résultats ? La montée en puissance de l’Islam ? Laisse-moi rire. Je sais que ce n’est pas toi, ou ton père, qui avez fait sauter les tours, ne me sors pas cet argument : il ne vaut rien. Si vous croyez au même dieu, aux mêmes choses, si vous avez les mêmes valeurs… alors vous êtes comme eux ».

Je me redressai et croisai et nouveau les bras.

« Tu as ta réponse… tu sais maintenant pourquoi je suis en colère ».

Bien sûr qu’imaginer une bombe sexuelle comme Mahina avec un pauvre italien à trois francs six sous me choquait, mais je me gardai bien de le dire à Mahina pour ne pas la vexer. Ne jamais critiquer le petit ami d’une femme, règle numéro deux. Règle numéro un ? Ne jamais critiquer une femme tout court. C’est que ça se vexe vite, ces petites choses là. Et cette règle allait être mise à très rude épreuve dans quelques instants…

La belle brune vint s’asseoir près de moi, une fois son steak cuit et la poêle posée dans l’évier. Elle dut voir à ma tête que quelque chose clochait, parce qu’elle me demanda si ça allait. Je fronçai un sourcil et plongeai mes yeux bleus dans les siens, y cherchant une raison logique – et si possible n’ayant rien à voir avec ces sales bêtes puantes de Musulmans – au fait qu’elle ne mange pas de porc.

« Tu es allergique ? » lui demandai-je, avec un réel espoir qu’elle me dise oui.

Parce que si ce n’était pas le cas… cela signifierait peut-être que j’avais… couché avec… l’ennemi. Un frisson me parcourut la colonne vertébrale et je reposai momentanément ma fourchette. Mahina secoua légèrement la tête en souriant et je passai une main sur mon crâne.

« Oh non pas du tout. C'est juste que mon père ne mange pas de porc à cause de sa religion, donc je n'en ai jamais mangé non plus ».

Elle souriait, cette pauvre folle. Mais comment pouvait-elle sourire en disant une chose pareille ? Je sentis la moutarde me monter au nez, pour parler poliment, et serrai les poings en détournant mon visage de la jeune femme.

Calme-toi, calme-toi Liam. C’est son père, juste son père, du calme me dis-je mentalement, même en sachant que ça ne servait à rien. Je sentais poindre la haine en moi. Pourtant, je sentais que j’aurais pu exploser beaucoup plus vite si Mahina et moi n’avions pas été amis. Je n’avais jamais aimé ces gens-là. Ils étaient les premiers pour foutre la merde, j’avais déjà eu plein d’épisodes malheureux en leur compagnie… et depuis le 11 septembre, le sentiment instinctif que je ressentais n’avait fait que s’accroitre. J’avais perdu quelqu’un qui m’était très cher, suite à ces attentats. J’en voulais à ces saloperies de semis-hommes, trop peu évolués pour se rendre compte que leur religion conduisait à la haine, à la Guerre… à toutes ces choses que je méprisais et que je faisais tout pour canaliser en moi pour ne pas ressembler à une de ces sous-merdes. Ma violence et mon côté emporté, je les avais toujours maintenus bien sanglés. L’herbe m’y aidait. Le jardinage aussi. Et je n’avais ni l’un ni l’autre sous la main. Je me levai et attrapai mon assiette, que je jetai un peu violemment dans l’évier, laissant Mahina seule au bar. Je respirai un grand coup et m’appuyai sur un meuble. Bras fermement croisés sur ma poitrine, je m’adressai à la jeune femme en essayant de garder le ton le plus calme que je pouvais.

« Tu comptais en parler un jour, de tes origines ? Haïtienne, hein ? C’est ça que tu dis aux gens pour endormir leur vigilance ? Ou quoi, t’es 50/50, peut-être ? »

Oups, je m’emportais. Je serrai la mâchoire, crispé. Les jointures de mes doigts étaient blanches tellement j’étais en colère.

Elle portait un petit short kaki et un débardeur joliment fleuri. Ses longues jambes bronzées et son décolleté très léger complétaient l’ensemble et se chargeaient de faire d’elle un vrai top model. A chaque fois que je la voyais, c’était limite si je ne me bavais pas dessus. Ses cheveux relevés en chignon découvraient sa nuque, à savoir l’une des parties des plus sensuelles du corps féminin, selon moi. Nous étions amis, mais c’était surtout une décision qu’elle avait prise. Moi, cela ne m’aurait certainement pas déplu de continuer comme nous avions commencé. Pas de chance, elle avait un Pi Sigma dans sa vie.

« Salut Liam. C'était super, je n'ai même pas eu le temps de me reposer » me répondit-elle.

J’affichai une mine dégoûtée, comprenant aisément où elle voulait en venir – puisqu’elle était partie avec son beau gosse.

« Épargne-moi les détails, brrr » lui dis-je avec un air exagérément choqué, pour plaisanter.

Je lui proposai ensuite de se joindre à moi. La belle brune s’approcha du plat, dans mon dos, sans doute pour voir ce que j’avais cuisiné. Je fis pivoter mon tabouret pour l’observer, tout en me redressant un peu. Avant qu’elle n’arrive, j’étais affalé sur mon siège. Position gorille épuisé, sans doute l’influence du Monkey Inc.

« Ça a l'air délicieux ! Mais tu as utilisé quoi comme viande ? » me dit-elle, après avoir inspecté le contenu de mon wok.

« Du porc ».

Elle était déjà en train de sortir une assiette et des couverts du meuble lorsque je lui répondis. Sa mine joyeuse s’effaça pour laisser place à une figure toute déçue.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » l’interrogeai-je.

« Je vais te prendre que des légumes et du riz alors » me dit-elle, en ouvrant le frigo pour en sortir un steak haché.

Elle s’occupa de cuire son steak tranquillement, et je me questionnai sur la raison de ses réticences. Boh, autant lui poser la question directement. Je mangeai un peu puis, de dos, puisque j’étais assis au bar et que je m’étais remis face à mon assiette :

« Tu n’aimes pas le porc ? »

Le porc… c’est pourtant bon. Vous savez ce qu’on dit : Tout est bon, dans le cochon. Il n’y avait que les arabes pour ne pas en bouffer – selon ma vision étriquée et raciste de la réalité, bien entendu. Mais ça, plutôt crever que de l’admettre.

« C’est bon, pourtant… » ajoutai-je en mettant une bouchée dans ma bouche.

La rentrée aurait lieu dans très peu de temps, mais je n’étais pas spécialement pressé d’y être. Les vacances se passaient tellement bien que même l’idée d’étudier l’Histoire – ma passion – ne me donnait pas envie que cela se termine. Certes, je travaillais beaucoup, entre mon petit boulot de jardinier à l’école, celui de barman 3 à 4 soirs semaine, les journées de fou que nous passions avec Keagan sur le bateau pirate,… j’avais de quoi faire ! Sans oublier le bénévolat au parc Monkeys Inc, qui me permettait contre des petits services d’avoir une bourse à Wynwood. Je mettais ainsi pas mal d’argent de côté. Et puis il y avait les fêtes, les gens,… les filles ! J’en avais rencontré vraiment pas mal, depuis mon arrivée. Je m’étais vite fait des potes, un plan-cul régulier, des connaissances et tout un tas de contacts plus professionnels. Et puis il y avait Maddox. Ce type, je ne me l’expliquais pas vraiment, mais j’aimais passer du temps en sa compagnie. Quand j’étais avec lui, je me sentais bien. Entier.

Aujourd’hui, j’avais passé la journée au Monkeys Inc, à nettoyer les cages des singes de fond en comble, celles dans l’animalerie. Il fallait les nettoyer au karcher, les désinfecter, supporter l’odeur aussi. Ce n’était pas le job le plus gratifiant, mais je ne me voyais pas servir de guide aux touristes ou nourrir les singes, j’aurais du passer plus de temps là-bas et mon emploi du temps était déjà bien chargé. Une fois de retour à la Confrérie, vers 19 heures, j’avais pris une douche bien froide et avais enfilé un pantalon de jogging en coton gris perle. Torse nu, j’étais ensuite descendu à la cuisine pour me faire à manger. Je n’étais pas un spécialiste en cuisine, mais je maitrisais quelques trucs de base. J’adorais tout particulièrement cuisiner au wok, parce que c’était rapide et facile. Je pris du porc dans le frigo, le coupai en lanières puis fis pareil avec quelques légumes. Hop, je jetai le tout dans un wok bien chaud et ajoutai de la sauce soja mélangée à du miel. En même temps, je fis cuire du riz en sachet. En moins de dix minutes, mon repas fut prêt, et ça tombait bien parce que je mourrais de faim.

Je m’installai au bar blanc de la cuisine, puisque j’étais tout seul, et commençai à manger. J’en avais fait un peu trop, il y en avait au moins pour 3 personnes. Si je croisais quelqu’un, il pourrait se joindre avec moi avec plaisir. Je glissai une bouchée dans ma bouche et fus rassuré : c’était bon. C’est alors que Mahina, la belle haïtienne, pénétra dans la salle commune. J’avalai ce que j’avais en bouche pour la saluer sans avoir à parler la bouche pleine.

« Salut Mahi ! » lançai-je depuis mon tabouret de bar. « Alors, ces vacances à Hawaï ?! »

Elle me répondit et je lui demandai ensuite si elle avait déjà mangé et si elle voulait se joindre à moi, puisque j’en avais fait beaucoup trop.