Terminé | Besoin d'aide ? [Rubi]

Des auditions pour devenir célèbre ? Je fronçai quelque peu les sourcils, je n’arrivais pas à imaginer le jeune coréen harcelé par les paparazzis, sous le feu des projecteurs… mais après tout, chacun fait ce qu’il veut de sa vie, et je n’avais rien à redire là-dessus. Bref, nous changeâmes de sujet après qu’Ayase m’ait dit qu’elle non plus n’était pas au courant de son départ avant la veille de celui-ci. Je ne sais pas si cela me rassurait. En fait, non : en mettant de côté mon propre intérêt je trouvais cela triste que Ki soit parti comme un voleur sans un mot à ses amis – puisqu’apparemment la japonaise était son amie et elle ne l’avait pas appris de sa bouche.

« Si tu n'étais pas avec les Eta Iota, tu irais dans quelle confrérie ? » me demanda la jeune femme quand je lui avouai que je ne savais parfois plus trop ce que je faisais chez les Pink Lady.

C’était une bonne question, et à vrai dire je ne me l’étais jamais vraiment posée. Je me mordillai la lèvre et levai vers le plafond, cherchant l’inspiration.

« Voyons… je peux déjà éliminer les Pi Sigma pour une raison évidente, et les Sigma Mu également – ils me font peur, parfois. Les Nu Zeta aussi, je ne suis pas vraiment dans le même délire qu’eux. Je trie mes déchets mais je ne considère pas cela comme suffisant pour me dire écolo » commençai-je par dire, éliminant les Confréries une à une.

« Je ne travaille pas assez bien pour faire partie des Khi Omikron. Ma moyenne est bonne, mais elle n’est pas non plus exceptionnelle ».

Et puis je savais qu’ils étaient la cible de très nombreuses moqueries et cela aurait été tendre le bâton pour me faire battre par Salma et sa clique. Elles me causaient déjà assez de soucis comme cela. Merci mais, non merci.

« Je n’ai rien d’une artiste… donc peut-être les Rho Kappa, mais je n’aime pas vraiment leur mentalité. On dirait que c’est un peu le concours de celui qui sera le plus idiot, chez eux. Et je ne suis pas sûre que le cheerleading soit une raison suffisante pour m’incruster là-bas ».

Je soupirai, lançant un léger sourire à ma voisine.

« Je crois que si je changeais un jour de Confrérie, je quitterais tout ce système pour redevenir une étudiante Lambda, simplement ! »

J’essayai ensuite de deviner quel art Ayase pratiquait… en vain.

« Tu as raison ce n’est pas gagné, c’est aucun des deux, j’écris » me répondit-elle.

« Vraiment ? Qu’est-ce que tu écris ? » m’intéressai-je, un peu curieuse.

Elle répondit à ma question et nous attrapâmes ensuite un chou chacune, après que la petite brune ait proposé d’y goûter.

« On a bien travaillé, c’est super bon ! »

Je mordis à mon tour dans la pâte encore un peu chaude et cela me fis sourire, effectivement c’était délicieux.

« Hm, un régal ! Je suis fière de nous » approuvai-je.

Je terminai mon chou et me dirigeai vers un autre plan de travail.

« Je vais faire du thé, tu en veux ? Ou tu préfères du café ? »

Une fois sa réponse obtenue, je m’occupai des boissons et vins ensuite me réinstaller près de la jolie japonaise. Nous continuâmes un peu à discuter de tout et de rien, tranquillement, tout en mangeant nos petits choux. Finalement, vint l’heure de se séparer.

« J’ai passé un bon moment, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi bien » avouai-je à la jeune femme.

Je lui souris et lui dis au revoir, sachant que j’allais bientôt la revoir pour les ateliers du Cooking Club, ce qui me mettait le cœur en joie.

Quand je prononçai le prénom du coréen, un grand sourire étira les lèvres d’Ayase. Visiblement, elle l’aimait beaucoup… elle aussi. Je souris, peut-être un peu amèrement.

« Oh, tu connais Ki-kun toi aussi ? Je suis triste qu'il soit parti... Mais je suis sûre qu'il réussira ses auditions et qu'on entendra vite parler de lui » me dit-elle, sans se départir du sourire que le souvenir de Ki lui avait amené aux lèvres.

Évidemment, je ne connaissais rien de ses projets. J’avais appris tout à fait par hasard qu’il était rentré en Corée, et je n’avais jamais su pourquoi. L’occasion se présentait, mais en réalité j’avais un peu peur d’en savoir plus. J’avais peur des sentiments que cela allait remuer en moi. Je poussai un léger soupir, indécise.

« Je le connais… si on veut » répondis-je en baissant les yeux, gênée. « De… de quelles auditions est-ce que tu parles ? »

Je n’avais pas pu m’empêcher de poser la question, et comme je m’auto-sentais louche, je décidai d’un peu plus expliquer notre relation.

« Je… en fait, il ne m’a même pas dit qu’il partait, du coup… je ne sais pas du tout pourquoi il est parti. On est pas… pas très proches. Pas à ce point-là ».

Je me mordillai la lèvre et préférai changer de sujet, j’avais l’impression de m’enfoncer. C’était un peu comme si l’inscription « On s’est embrassés » clignotait au-dessus de ma tête. Même quand il n’était pas là, mais de l’autre côte de l’océan, Ki arrivait à me déboussoler.

« Je ne fais pas beaucoup de sushis, mais je pourrais t'apprendre si tu veux. Et il faudra que tu goutes les ramen, c'est délicieux » me proposa gentiment Aya.

Je la remerciai d’un sourire.

« Tu es gentille… merci » lui dis-je, un peu troublée.

Je n’étais pas habituée aux gens comme ça. Au milieu des Eta Iota et des Pi Sigma, c’était même plutôt l’inverse. On fonctionnait aux coups de putes et aux ruses dégueulasses. Personne ne faisait rien sans intérêt, ou presque.

« Qu’est-ce que c’est, des ramens ? » demandai-je ensuite, curieuse.

Le four sonna ensuite et la japonaise retira les choux, posant la plaque sur le côté. Il fallait encore qu’ils refroidissent un peu. Elles avaient encore un peu de temps pour faire la pâte qui viendrait les fourrer. Du coup, je lui demandai de quelle Confrérie elle était.

« Je suis une Alpha Psi, et toi ? »

Je soupirai, et répondis : « Eta Iota… mais j’avoue que parfois, je me demande ce que je fais encore là ».

Je me tournai vers elle et lui souris. Je ne voulais pas qu’elle ait de préjugés sur moi à cause de ma Confrérie… mais si c’était le cas, alors je l’aurais bien mérité, parce que j’avais agi comme ça pendant des mois. Ayase m’annonça ensuite que nous allions pouvoir ouvrir les choux. Elle s’exécuta et je la regardai faire tranquillement.

« Si tu veux, je les ouvre et tu mets la garniture dedans » me proposa-t-elle, après avoir posé le premier chou sur le plan de travail.

« Ça me va » répondis-je.

Je m’en emparai et commençai à fourrer le chou avec la pâte. Je ne restai cependant pas silencieuse, la discussion avec la jeune asiatique était facile et agréable, si bien que je ne devais pas du tout me forcer.

« Pourquoi est-ce que tu as choisi les Alpha Psi ? Tu es… musicienne, peut-être ? Ou tu dessines ? J’essaye de deviner, mais c’est pas gagné, je crois » lui dis-je en riant légèrement.

« Je connais aussi un Coréen à Wynwood qui n'aurait pas aimé qu'on l'appelle Chinois. Peut-être que tu le connais, après tout, il n'y a pas beaucoup de Coréen à Wynwood » me dit Ayase. « Ce n'est pas vraiment qu'on les déteste, enfin-moi si, mais c'est que l'on est tous fiers de nos origines et l'on n'aime pas que l'on mélange. Puis les relations entre le Japon la Chine et la Corée du Sud sont plutôt tendues ».

Un sourire un peu blasé étira mes lèvres. Il n’y avait pas beaucoup de coréens, et pourtant l’un d’entre eux avait réussi un exploit que je pensais jusqu’alors impossible.

« Il s’appelle Ki » dis-je à la jeune femme, en ayant la désagréable impression que ce prénom n’avait pas sa place dans ma bouche.

Ni nulle part ailleurs. De toute façon, il était parti, je ne le reverrais plus jamais… à moins de me déplacer jusqu’à lui. Je l’avoue, j’y avais pensé à de très – trop – nombreuses reprises. Mais je savais que cette idée était ridicule. Après cette conversation… pour le moins intéressante, la japonaise me demanda pourquoi j’avais choisi de rejoindre le Cooking Club. Je lui donnai donc mes raisons, peut-être un peu personnelles mais étrangement, j’avais confiance en elle. Ayase hocha tranquillement la tête, elle avait l’air d’approuver.

« C'est sûr qu'ici les gens ont mieux au faire que juger les gens sur le physique, puis ce n'est pas en cuisinant sérieusement qu'on peut vraiment faire attention à ça ».

Elle devait être plus ancienne que moi et donc déjà connaître les autres membres, ce que je trouvai plutôt rassurant. Je serais plus à l’aise lorsque je ferais leur connaissance. Je lui posai à mon tour la question, renvoi d’ascenseur. Elle sembla réfléchir, puis reprit la parole pour m’expliquer qu’elle s’était inscrite pour pouvoir partager la nourriture de son pays, et continuer d’en cuisiner. Ki m’avait dit que les japonais mangeaient du poisson cru. Cela me fit sourire, j’adorais les sushis.

« J’aimerais bien apprendre à cuisiner des sushis » lui dis-je, en souriant tranquillement.

Il y a quelques semaines de cela, j’aurais préféré m’arracher la langue plutôt que d’avouer une chose pareille. Le four sonna, me tirant de ma rêverie. La nippone s’occupa de sortir les choux et me dit que nous avions encore un peu de temps pour préparer la pâte à mettre dans les petits choux, parce qu’ils devaient encore refroidir. J’approuvai d’un hochement de tête.

« D’accord. Il ne reste que deux ingrédients à incorporer » enchainai-je en jetant un coup d’œil rapide à la recette qui se trouvait entre nous sur le plan de travail.

« Dis moi, tu fais partie de quelle Confrérie ? » lui demandai-je alors, curieuse.

Ayase m’expliqua que « san » était un suffixe de politesse utilisé pour les femmes. Je hochai la tête, sans être tout à fait sûre de comprendre. Surtout que c’était bien beau de savoir ça, mais je ne savais pas dans quelle langue il s’agissait d’une marque de politesse, puisque je ne connaissais pas sa nationalité. Pas encore ! Mais je notai dans un coin de ma tête de lui poser la question, quand la conversation et le moment s’y prêteraient. Là, elle avait déjà dévié le sujet.

« Mais non, tu peux réussir à les faire, ce n'est pas si dur que ça » m’encouragea-t-elle gentiment.

Je lui souris, reconnaissante. Cela faisait du bien, un peu de paroles positives, pour une fois. Elles se faisaient rare, cet été.

« Merci… j’espère qu’en plus de les faire, je les réussirai ».

Il y avait de la marge entre les deux, mais avec l’aide que l’asiatique, qui avait l’air bien plus expérimentée que moi – en même temps, ce n’était pas difficile de l’être – venait de me proposer, la tâche ne serait peut-être pas trop difficile. Je lui souris, motivée. Elle n’avait apparemment rien d’urgent à préparer, nous nous lançâmes donc dans la préparation de la pâte pour fourrer les choux. J’en profitai pour lui demander d’où elle venait, puisqu’il m’était impossible de le deviner, avec les maigres connaissances que j’avais en la matière.

« Je suis japonaise » m’expliqua-t-elle en souriant, « Et ne t'en fais pas, ça ne me dérange pas que tu demandes, je préfère ça plutôt que d'entendre que je suis chinoise ».

Je lui souris, amusée. Un souvenir du passé me revint alors en mémoire. Ki non plus n’aimait pas ça, je le revoyais gesticuler devant moi, dans le magasin de tee-shirts, et hurler qu’il était coréen, pas chinois ou japonais. Une voile de nostalgie me brouilla la vue, et je poussai un soupir discret.

« Un jour, un coréen à qui j’ai eu le malheur de dire qu’il était chinois a essayé de m’expliquer la différence entre les chinois, les japonais et les coréens. Vous les détestez tant que ça, les chinois ? » demandai-je à la jolie brune, en souriant en coin.

Je n’ajoutai pas que d’après Ki, les japonais étaient ceux qui mangeaient du poisson cru, cela me semblait assez réducteur et je sentais que ma relation avec cette demoiselle du Cooking Club partait sur de bonnes bases, ce n’était pas pour tout gâcher maintenant. Surtout que Ki avait déjà fait assez de dégâts comme ça dans ma vie sociale, indirectement.

« Pourquoi t'es-tu inscrite au cooking club ? En plus de vouloir apprendre à cuisiner je veux dire, il y a d'autres choses qui t'ont poussée à le faire ? » me demanda-t-elle ensuite.

Je réfléchis quelques secondes à la question. Être 100% honnête avec quelqu’un ne m’avait pas vraiment récompensée, quand on voyait ma vie avant la laverie, et celle après. Néanmoins, je ne me voyais pas inventer n’importe quoi, j’étais là pour essayer de changer, faire de nouvelles connaissances aussi.

« Disons que je cherchais à rejoindre un Club où je pourrais faire la connaissance de gens moins superficiels que ceux que je fréquente d’habitude » lui répondis-je en intégrant un ingrédient à la crème qu’elle était en train de remuer.

« Je me suis dit que le Cooking Club correspondait bien à ce que je cherchais, en fin de compte… Enfin, je l’espère, je n’ai pas encore rencontré tout le monde. Et toi, tu es là juste pour la cuisine ? ».

Les yeux joliment bridés de l’asiatique se posèrent sur la poche à douille qu’elle tenait à présent dans ses mains et elle l’observa moins de quelques secondes avant de rendre son verdict. Ses doigts fins dévissèrent le bouchon, sous mes yeux attentifs. Une fois celui-ci ouvert, elle me rendit la poche en la tenant droite pour ne pas que tout coule, et m’expliqua qu’il suffisait d’ouvrir le bouchon de sécurité. Je me sentis idiote, sur le coup. Le rose me monta un peu aux joues et je récupérai cet objet de malheur, tandis qu’elle s’empressait de me rassurer gentiment en souriant.

« Je me suis faite avoir aussi la première fois ».

« Merci, heureusement que tu es là, je n’avais pas du tout pensé à ça » soupirai-je en m’excusant d’un sourire.

Je ne me reconnais vraiment pas. Il y a quelques semaines, je ne me serais jamais inscrite à ce Club, déjà. Ensuite, je n’aurais pas souri comme ça à une fille dont je ne connaissais pas la Confrérie, surtout qu’elle était asiatique et que j’avais un jour décidé qu’ils faisaient partie des minorités que je n’appréciais pas – sans aucune raison, juste pour le fun. Là, je me retrouvais à discuter tranquillement avec elle, sans la connaître, j’étais gentille et souriante, j’acceptais son aide… ma fierté s’était fait la malle, il faut croire. Partie, comme tout le reste, en Corée.

« Enchantée Rubi-san, moi c'est Ayase ».

« Rubi-san ? » ne pus-je m’empêcher de dire d’une voix étonnée. « ça veut dire quoi ? ».

J’étais curieuse. Je me demandais de quelle nationalité était cette jeune femme. Qu’est-ce que m’avait dit Ki, déjà ? Les chinois sont ceux qui sont vraiment jaunes et les japonais ceux qui mangent du poisson cru. Les coréens, ceux qu’on confond avec les deux autres. Génial, merci, ça ne m’aidait pas du tout.
Ayase s’intéressa ensuite à la plaque de cuisson sur laquelle je devais mettre ma pâte à choux.

« Qu'est-ce que tu veux cuisiner ? » me demanda-t-elle.

Je lui désignai le livre de recette ouvert devant moi et posai un doigt sur la page de gauche.

« Des choux exotiques ! Mais je crois que je me suis lancée dans quelque chose d’un peu compliqué pour une première fois… » répondis-je en me pinçant les lèvres.

La jeune femme s’intéressa à la recette, et je priai mentalement pour qu’elle me propose son aide à long terme, pour terminer les choux en ma compagnie. Ça me ferait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler, qui plus est. Elle avait l’air douce et gentille. Le genre de fille qui devait plaire à Ki. Je chassai cette pensée de ma tête et souris à Ayase.

« Tu veux que je t'aide à cuisiner ou tu veux simplement que je t'aide lorsque tu en auras besoin ? » me proposa alors la jeune femme, répondant ainsi à mes espoirs.

« J’espérais que tu dises ça, ça serait plus sympa de cuisiner à deux ! Tu es sûre que ça ne t’ennuie pas ? » répondis-je, en craignant de l’embêter.

La chose fut convenue et je plaçai la pâte à chou, à l’aide de la poche à douille, comme indiqué sur la recette. Une fois les petites boules de pâtes placées sur la plaque à four, à intervalles assez réguliers, je me tournai vers Ayase et tapotai mon index sur ma joue.

« On se répartit les tâches, ou on fait tout toutes les deux ? » lui demandai-je.

Nous choisîmes un mode opératoire et nous mîmes au boulot. La perspective de déguster les choux avec quelqu’un plutôt que seule me mettait un peu de baume au cœur. En travaillant, je décidai de faire la conversation pour apprendre à connaître ma camarade.

« Dis-moi, Ayase… je sais que personnellement je n’aime pas qu’on me pose cette question parce que je suis black, mais : tu viens d’où ? J’ai l’impression que tu as un accent, mais je ne suis pas très douée avec ce genre de choses, alors… je demande ».

Je lui souris, sans cesser de m’occuper les mains. L’avantage d’être une femme, c’est qu’on peut faire deux choses à la fois sans problème !

« Bouge de là, Miss Gros Cul ».

La voix sifflante de Salma me parvint aux oreilles, tandis qu’elle tambourinait à la porte de notre salle de bain commune. Je sentis mes muscles se crisper sous la colère, mes doigts se figèrent autour de ma brosse à dents et mon regard changea d’expression en moins d’une seconde. Moana me manquait chaque jour un peu plus, je n’avais jamais rencontré une personne aussi désagréable que Salma. Une vraie pétasse, elle se faisait des mecs à tour de bras et le pire ? Elle passait son temps à s’en vanter auprès de toutes les autres filles, sans oublier d’ajouter au passage que moi, je ne ramenais jamais personne. Sans rire, je n’étais pas une pute ! Être au sein de cette Confrérie me pesait de plus en plus, il y avait des jours où je me demandais ce que je faisais encore là. Ayant la bouche pleine de dentifrice, je ne répondis pas à Salma, qui s’excita deux fois plus fort sur la porte. Chaque martellement de son poing contre le chambranle en bois était comme une agression qu’elle me portait à moi directement. Je n’en pouvais plus, mes nerfs étaient à vif. Je n’arrivais plus à me replonger entièrement dans mon personnage de « Rubi, la Reine des Abeilles ». Et pour cause, elle avait disparu depuis une soirée de juin, dans la laverie. Une soirée que je n’arrivais pas à me sortir de la tête, malgré la présence d’Henri à mes côtés. Mon petit ami. Un Nu Zeta. Si les filles l’apprenaient, je ne donnais pas cher de ma peau. Enfin, de ma situation sociale déjà pas mal bas, depuis le départ d’un certain coréen et l’arrivée de la Reine des Salopes. Je crachai mon dentifrice, m’essuyai la bouche et soupirai en m’observant dans le miroir. Je ne portais qu’un peu de mascara, de l’anticerne et un baume à lèvres teinté. Je n’avais même plus le goût de me maquiller comme je le faisais avant, et j’étais persuadée que Salma le remarquerait. Mes cheveux pendaient lâchement sur mes épaules. Ils m’arrivaient au milieu du dos, alors qu’ils ondulaient, et je songeais à les couper dans les jours qui venaient. Je fis tourner la clé dans la serrure et ouvris la porte. La première que je vis fut le regard haineux de ma colocataire.

« C’est pas trop tôt, t’en as mis du temps, et pour ressembler à rien en plus. Allez, pousse-toi grosse vache ».

Il fut un temps, quelqu’un aurait osé me parler sur ce ton, il se serait retrouvé en moins de deux en bas de l’échelle sociale et humilié en plus du reste. Mais tout ça, c’était fini. Je n’avais plus envie de me battre. Pourquoi l’aurais-je fait ? La seule personne qui avait réussi à me toucher n’était plus là, je me sentais déprimée en permanence. Il me manquait. J’enrageais de me l’avouer, mais il me manquait et je le maudissais d’être parti sans même dire au revoir. Je comprenais pourtant qu’il l’ait fait, il n’avait aucun compte à me rendre. Nous n’étions même pas amis. Mais en faisant tomber toutes mes barrières, Ki Beom Lee avait laissé derrière lui un champs de bataille dévasté, et il m’était impossible de reconstruire mon armée. Je n’arrivais plus à me défendre et j’aspirais à autre chose qu’à la popularité.

Autre chose comme… apprendre à cuisiner ?

Je m’étais inscrite au Cooking Club, sans doute en voyant que les seuls élèves qui en faisaient partie étaient des Alpha Psi et des Khi Omikron. Il y avait aussi Nawel, la Chef des Eta Iota, mais elle n’était pas comme les autres, c’était une gentille fille. De plus, je ne l’avais encore jamais croisée au Club, ce qui tombait plutôt bien pour l’instant. Nous avions préparé avec les quelques membres le repas pour la fête des Nu Zeta, et non seulement je ne m’étais montrée désagréable avec personne, mais en plus de cela j’avais même un peu plaisanté avec le Président, Raphaël. J’avais l’impression que ces-gens là ne me jugeaient pas comme auraient pu le faire les Eta, les Pi Sigma ou certains Rho Kappa et Sigma Mu. C’était vraiment reposant.

Bref, je me poussai sur le côté et quittai la chambre que je partageais avec Salma. Vêtue d’une longue robe aux motifs bohèmes, qui mettait en valeur ma poitrine vu qu’elle était cintrée sous celle-ci, et d’une paire de sandalettes compensées en cuir brun, je traversai le bâtiment des bimbos et en sortis dans l’idée de me rendre au Cooking Club pour m’entrainer un peu. J’y arrivai un quart d’heure plus tard et ouvris les livres de recette en cherchant dans ceux-ci l’inspiration. Je portai mon choix sur une recette tirée d’un livre de pâtisserie : des petits choux exotiques. Quoi de mieux que ça pour se remonter le moral ? Je préparai les ingrédients dont j’avais besoin et commençai à suivre les instructions de livre pour réaliser la pâte. Je n’eus pas vraiment de souci… jusqu’à l’étape de la poche à douille. J’étais en train de la remplir lorsque la porte de la salle s’ouvrit sur une jeune femme que j’avais vaguement croisée mais à qui je n’avais jamais parlé. Une asiatique. Évidemment, je pensai tout de suite à la seule et unique personne aux yeux bridés que je connaissais et un voile de tristesse passa dans mon regard. Ce n’était pas le moment de se laisser déconcentrer !

« Bonjour » me dit-elle en s’approchant.

Je lui souris mais évitai de la regarder, répondant néanmoins à son salut : « Bonjour », en essayant de me montrer la plus chaleureuse possible.

Elle s’installa au plan de travail en face du mien, et je pris ma plaque à four pour essayer d’y former mes choux. Mais la poche ne voulait décidément pas coopérer, et pour cause : le bouchon de sécurité était fermé ! J’étais en train de m’escrimer dessus lorsque la voix douce de la jeune femme devant moi s’éleva à nouveau.

« Tu sembles avoir du mal, tu veux que je t'aide ? » me proposa-t-elle.

Je relevai les yeux vers elle et nous échangeâmes un sourire.

« C’est gentil, je veux bien ! C’est la première fois que j’essaye de me servir d’une poche à douille et je dois dire que j’ai un peu du mal… » répondis-je.

J’attendis qu’elle vienne me rejoindre et lui tendis l’objet du crime en lui offrant un sourire contrit.

« Je ne suis pas vraiment douée, je me suis inscrite au Cooking Club pour apprendre, alors j’essaye de m’entrainer quand j’ai le temps, pour ne pas trop désespérer Raphaël. Au fait, je m’appelle Rubi ».