ça bulle ? [PV Ilyès] TERMINE

Comme il pouvait s’y attendre, Cassie était mal à l’aise à l’annonce d’Ilyès. Comme beaucoup. Le jeune homme avait l’habitude, même si ça avait tendance à l’agacer à la longue. Enfin, ça dépendait aussi de la réaction. Là, elle se contentait de le montrer sur son visage et ce n’était pas quelque chose de très violent. Pourtant, il remarque que ça l’affectait quand même assez, que de parler de la mort de quelqu’un. Elle devait avoir connu un décès douloureux dans sa famille, sans doute. Leurs plats arrivèrent et la jeune fille fit quelque chose à laquelle son camarade ne s’attendait pas vraiment.

- Désolée pour ta perte. J’ai connu la même chose il y a quelques années, mais je n’ai pas réellement réagit comme toi.

Si elle savait ! Si maintenant, tout avait l’air d’aller bien, ça n’en avait pas toujours été le cas. Il avait été très bas, tellement qu’il avait cru qu’il ne pourrait jamais remonter. S’il avait réussi, ce n’était pas grâce à sa force mental, puisqu’elle était totalement détruite, mais grâce à celle de quelqu’un d’autre. Il tenait à cœur de faire la même chose. Parce qu’il y avait tellement de personnes dans le besoin et dans la solitude. C’était sa vision des choses.
Le garçon ne fit cependant pas de commentaire, parce qu’il aurait été mal venu. Cassie lui souhaita bon appétit et il fit de même. Il l’observa un instant, elle n’avait plus l’air d’avoir très faim. Il la comprenait. Comme elle l’avait déjà fait, elle changea de sujet. Docile, il laissa faire sans rien dire, il avait déjà assez fait de dégâts pour aujourd’hui en lui rappelant des souvenirs qui semblaient mauvais pour elle.

- Alors ton plat est comment ?

Ilyès trouvait son plat très bon. Depuis quelques temps, il avait retrouvé son appétit et sa joie de vivre, qui le caractérisaient depuis plus d’un an, presque deux. Parler de sa meilleure amie ne le dérangeait plus tant que ça. En fait, ça dépendait des jours. Mais là, c’était plutôt un bon jour. Trop chaud, mais un bon jour.

- C’est délicieux. Le tien aussi je suppose ?

En tous les cas, il allait noter quelque part dans un coin de sa tête le nom du restaurant, il pouvait toujours revenir. Le repas se déroula sans incident, le garçon faisant attention à ce qu’il disait. Pour une fois, il ne débita pas 150 paroles à la seconde, ce qui était plutôt rare pour lui. Malgré tout, il avait passé un bon après-midi et une bonne soirée. Quand ils eurent fini, il paya la note -après tout, il l’avait invitée- et ils sortirent du bâtiment. A l’extérieur, le temps s’était rafraichit, même si la température était encore très élevée. Une légère brise soufflait. Il n’avait aucune idée d’où elle habitait, mais il ne voulait pas la laisser partir comme ça. Légèrement timide, craignant de se faire rejeté, il la regarda et lui proposa :

- Je te donne quand même mon numéro de téléphone, tu veux bien ?

Après accord de la part de la jeune fille, il saisit le téléphone qu’elle lui tendait pour y entrer son numéro. Si elle voulait le contacter, elle n’avait plus qu’à envoyer un message.

- Si tu as besoin d’aide, n’oublie pas, c’est quand tu veux Cassie.

Quelqu’un pour discuter, pour passer un bon moment, ou simplement une présence. Certains ne demandaient pas la lune pour être aidés, et il suffisait de leur donner ce qui leur convenait pour qu’ils soient mieux. Les deux adolescents se séparèrent donc là. Ilyès espérait qu’elle allait mieux et qu’elle n’hésiterait pas à l’appeler ou à lui envoyer un sms. Il rentra dans son appartement froid et vide, mais il s’en fichait. Rien que pour une soirée, il avait eu l’impression d’avoir été utile à quelqu’un. C’était déjà bien à ses yeux.

- C’est sur un autre continent.

Ce fut la seule réponse qu’il obtint à sa question. Sur un autre continent. Clairement, elle était bien heureuse de ne plus être chez elle. Ilyès se demandait pourquoi. Lui, justement, dès son arrivée ici, il aurait voulu retourner à New-York. Bon, maintenant, il ne voudrait pas bouger. Parce qu’il avait sa vie à Miami, ses amis et bien plus encore. Ses amours, ses cours, qu’il comptait enfin suivre. Tout quoi, ou presque. Il avait aussi beaucoup perdu et beaucoup changé. C’était ainsi, c’était la vie. Cassie finit quand même par rajouter quelque chose.

- Mon père voulait me mettre en pension et il m’a laissé choisir.

Au moins, elle avait eu le choix de l’endroit, c’était déjà ça. Lui, il n’avait rien choisi du tout. Ni la ville, ni son appartement trop grand et trop froid à son gout. Il n’avait rien demandé et il s’était retrouvé ici. Ça ne l’avait pas enchanté mais il avait fait avec et finalement, il se plaisait bien à Wynwood. Ça n’avait pas toujours été simple, mais c’était normal. Tout ne pouvait pas être rose.
La jeune fille devint alors un peu plus bavarde, retournant même la question.

- Et toi Ilyès, que fait tu ici à Miami ?

Elle s’intéressait ou elle voulait juste le faire parler de lui pour éviter de parler d’elle ? Typique comme comportement. Il avait déjà été bénévole dans une association d’écoute à la personne à New-York. Beaucoup fonctionnaient sur ce principe. Questionner pour ne pas avoir à répondre. Et aussi pour en apprendre un peu plus, et avoir confiance. Parce que c’était quand même très important. Il ne savait pas vraiment quoi lui répondre. Ça ne le dérangeait pas de parler de son passé mais il doutait que ça intéresse réellement la jolie demoiselle. Tant pis, il fit quand même un résumé rapide, en triturant sa fourchette et en évitant d’abord le regard de sa camarade.

- Ma meilleure amie est morte ya quelques temps. Après de longs mois, je m’en suis remis, et j’ai décidé d’être joyeux, d’aider les autres. Mes parents sont des êtres cupides qui n’hésitent pas à écraser les autres pour réussir. Je ne suis pas comme eux.

Il finit par relever les yeux. Souvent, ça mettait mal à l’aise. Peut-être qu’avec ça, elle comprendrait un peu mieux pourquoi il lui avait dit que ses cachets, ce n’était pas bon. Il était passé par là. Et ça ne l’avait pas aidé. Loin de là …
Et puis, il détestait sa classe sociale. L’argent montait à la tête. Il corrompait n’importe qui et il avait croisé assez de personne pour le constater. Il avouait que ça pouvait servir, mais il ne l’aimait pas plus que ça. Il continua simplement sur sa lancée.

- Alors, ils m’ont envoyé ici. Pour eux, à Wynwood, ya que des gosses de riches, imbus de leur personne. Ils pensent que je vais me mêler à tout ça et que je vais devenir comme eux. Ça ne m’intéresse pas.

Ça ne l’avait jamais intéressé et ça ne l’intéresserait jamais. C’était comme ça. En fait, quitter New-York avait été une bonne chose. Il ne voulait pas y retourner. Pas pour le moment. C’était aussi un peu pour ça qu’il n’avait pas dit à ses parents qu’il avait raté son année. Ils s’en fichaient. Il n’avait pas de frère ou de sœur, pas d’autre famille là-bas, plus d’ami. Et aussi, il ne voulait pas croiser Joaquin. La ville était grande, mais on tombe toujours sur ceux que l’on ne veut pas voir. Il ne le détestait pas mais tellement de choses s’étaient produites dans sa vie depuis quelques temps qu’il préférait éviter.
Ilyès espérait ne pas l’avoir mise mal à l’aise avec ses paroles. Parfois, quand il était direct, ça ne passait pas. Il se souvenait encore de la tête de Liberty quand il lui avait dit, comme ça, qu’Eléonore était morte. Ce n’était sans doute pas la seule à avoir une telle réaction. Le jeune homme se tut ensuite. De toute façon, il n’était pas obligé de parler et il ne voulait pas insister auprès de la jeune fille. Si elle avait d’autres questions, elle pouvait les poser. Mais lui, il allait stopper là pour ce soir. Ils avaient tout le temps de discuter et de se connaître, puisqu’ils se retrouvaient à la rentrée. A moins qu’ils agissent comme de simples inconnus l’un envers l’autre. Ça restait à voir.

- J’n’en parle pas un mot, mais j’aime beaucoup leur cuisine.

Ilyès sourit. Lui non plus ne parlait pas italien, mais ce n’était pas important. Tous les deux partants pour ce restaurant, ils entrèrent et attendirent que quelqu’un vienne les chercher pour les mener à une table. Ils s’installèrent donc tous les deux, face à face, et on leur apporta les menus. Le jeune homme étendit sa jambe, parce qu’elle le faisait encore légèrement souffrir, et porta son attention sur la carte qu’il venait d’ouvrir. En fait, il ne savait pas vraiment quoi choisir. Tout avait l’air bon et on avait envie de gouter à la totalité de ce qui était proposé.

- Tu sais ce que tu vas prendre ?

- A vrai dire, pas encore. Tout à l’air délicieux ! Et toi, tu as choisis ?

Il n’eut pas le loisir de se repencher sur la question quand le serveur arriva pour l’apéritif. Cassie prit une eau gazeuse mais à voir sa tête, elle aurait préféré autre chose. Le jeune homme décida de ne rien prendre, juste de l’eau plate. Il se souvenait encore de la dernière fois où il avait bu. Enfin plutôt, justement, il ne se souvenait pas. Il ne savait toujours pas ce qu’il y avait eu avec Inaya et maintenant, il ne voulait plus y penser. Même s’il n’y avait pas eu que l’alcool ce soir-là, tous ses autres problèmes aussi, il ne voulait pas retenter l’expérience, et encore moins en public. Le serveur retourna en cuisine, pour aller chercher leur carafe et le verre de la demoiselle. Ainsi, ça leur laissait aussi le temps de réfléchir à ce qu’ils désiraient manger. Dans le silence, Ilyès inspecta toutes les voies qui s’offraient à lui. Il finit cependant par pencher vers un risotto au saumon fumé. Il n’avait pas réellement l’habitude de ces petits restaurants en fait. Il n’était pas de ce monde. Lui, il connaissait les cinq fourchettes alignées et la note à un grand nombre de chiffre. L’ambiance plutôt froide et riche de ces endroits, ceux que ses parents aimaient. Mais lui, il n’appréciait pas toutes ces mondanités, il ne s’y sentait pas bien. Il fallait être bien habillé, se tenir droit, être poli, et surtout, être hypocrite. Il détestait. Si ses parents savaient ce qu’il faisait ici ! Ils l’avaient envoyé ici pour qu’il arrête de « gâcher » sa vie à New-York, en aidant plus qu’en suivant ses cours. Finalement, il n’y avait pas de meilleur résultat ici. Il avait eu un accident, ils ne s’étaient pas inquiétés. Il ne leur avait pas dit qu’il avait été en couple, parce que tant que ce n’était pas une fille de bonne famille, ils s’en fichaient. S’ils savaient qu’il était sorti avec un homme ! Et que, même si c’était terminé avec lui, ça ne l’était pas avec d’autres. Il ne leur avait pas parlé de son redoublement. Tant qu’il leur disait que tout allait bien, tout allait bien. C’était comme ça que ça marchait chez lui. C’était pathétique.
Le jeune homme secoua la tête, revenant au sujet qui l’intéressait. Le serveur venait déjà prendre leur commande, en même temps que de leur apporter leurs boissons.

- Je vous écoute.
- Et bien, ce sera des spaghetti à la carbonara pour la demoiselle, et un risotto au saumon fumé pour moi.
- Bene.

Ilyès le remercia tandis qu’il repartait et se servit un grand verre, qu’il but d’une traite à cause de la chaleur étouffante. Même si la jolie brune ne semblait pas très bavarde, il décida de faire la discussion, parce qu’il avait quand même envie de comprendre. Elle ne semblait pas heureuse d’être là, à Miami. Etait-elle forcée, comme lui l’avait été ?

- Cassie, dis-moi, qu’est-ce qui t’amène à Wynwood ?

Il lui offrit un sourire un peu hésitant. Ce n’était pas de la curiosité malsaine. Il baissa donc légèrement les yeux et s’empressa d’ajouter :

- Si tu ne veux pas répondre, ne le fais pas hein !

Elle lui offrit un grand sourire en entendant sa proposition. Elle n’avait donc pas l’intention de la refuser ? Ilyès se retint d’étirer ses lèvres comme un con et les releva légèrement.

- Avec plaisir.

Vu que le soleil tapait dehors, elle sortit ses lunettes de soleil. Le jeune homme se dit qu’il pouvait bien faire pareil, pour éviter d’abimer ses yeux. Il récupéra sa paire et la posa sur son nez. Ils étaient fin prêts à aller chercher un coin où se poser et où ils pouvaient manger un morceau tranquillement. Cassie lui demanda s’il avait une idée de l’endroit qu’il comptait investir. En fait, il n’en savait rien du tout. Qu’y avait-il par ici ? Sans doute tout un tas de snacks et de petits restaurants de spécialités étrangères. Et puis, après tout, ils pouvaient très bien se décider en voyant les enseignes, non ? Ils n’étaient pas obligés de partir avec un choix précis en tête, comme ça, ils n’allaient pas être déçus s’ils ne trouvaient pas. Le jeune homme allait lui faire un clin d’œil mais il se souvint qu’il portait ses lunettes et qu’elle ne verrait par conséquent rien. Il afficha donc un demi-sourire.

- Aucune idée ! On trouvera bien.

Il lui présenta alors son bras, comme un homme galant, et attendit qu’elle le saisisse pour se mettre en route. Déjà, il ne voulait pas un snack normal, où l’on pouvait trouver des hamburgers et des frites pleines d’huile et de sel. Il avait l’habitude de ces repas-là, il en mangeait beaucoup il y avait quelques années, avec sa meilleure amie. Mais ce n’était pas très bon pour la santé et pour la ligne. Etant devenu sportif après, il savait qu’un truc pareil ne remplissait pas vraiment l’estomac et surtout, faisait prendre des kilos désagréables. Et puis, bon sang, un peu de changement ! Ça ne pouvait pas faire de mal. Ils marchèrent donc en silence, l’un à côté de l’autre. Ils étaient en centre-ville, il y avait du monde. Surtout par un beau temps comme celui-ci, la population voulait prendre l’air et profiter du soleil qui trônait bien haut dans le ciel.

Ils ne tardèrent pas à passer devant une enseigne brillante, parmi tant d’autres, mais qui attira l’attention d’Ilyès. Il s’approcha, toujours avec la jolie brune, pour voir de plus près. Il y avait du monde à l’intérieur, bien que l’endroit ne soit pas non plus bourré de touristes et d’habitants de Miami. L’ambiance semblait être bonne, familiale. Sur la carte, qui était affichée dehors, il put voir que c’était un restaurant italien. Apparemment, les prix n’étaient pas excessifs et le choix, assez grand. Des pâtes, des pizzas, des salades, des plats, quelques sandwich-paninis, enfin bon, de quoi les rassasier.Il se tourna vers la demoiselle.

- Italien, ça te va ?

Si elle préférait autre chose, ils pouvaient toujours continuer à chercher. Ça ne manquait pas dans le coin et ils ne tarderaient pas à trouver autre chose. De la cuisine européenne, asiatique, latine, africaine, beaucoup d’étrangers tentaient leur chance ici, attirés par le rêve américain.

Quand il lui demanda ce qu’était son talent, elle laissa échapper un léger rire. Le garçon se demanda pourquoi mais garda le silence, en attendant de voir si elle allait répondre. Elle le fit, mais du bout des lèvres. Etait-ce si dur pour elle de parler de sa vie ou y avait-il autre chose de caché derrière cette réponse courte et directe, presque comme arrachée ?

- Photographie.

Il aurait voulu lui demander de voir quelques photographies mais il ne voulait pas la brusquer. Après tout, ils ne se connaissaient pas plus que ça et elle avait l’air de ne pas aimer parler d’elle ou de ce qu’elle faisait.
Il lui avoua qu’il était un sportif, même si ce n’était pas évident au premier coup d’œil. Elle ne dit rien et ils continuèrent leur chemin tranquillement, jusqu’à arriver devant un petit poisson aux couleurs chatoyantes.

- Tu sais quelle race c’est ?

A dire vrai, il n’en avait aucune idée. Mais ça devait bien être marqué. Il chercha un petit écriteau, sur le mur, à côté de la vitre. Bingo ! Il y avait une image en plus, à côté du nom, pour être sûr que c’était bien lui. Synchiropus splendidus de son nom latin. Poisson-mandarin ou poisson-cachemire. Quelques informations étaient données. Cet animal pouvait être vendu aux particuliers mais il était difficile de s’en occuper parce qu’il avait s’adaptait mal et qu’il avait un régime spécial. En effet, il mangeait des micros crustacés, uniquement. Et plusieurs mâles ensemble ne donnaient pas bon ménage.

- C’est un poisson mandarin je crois.

Elle lâcha alors la main d’Ilyès. Il crut qu’elle avait décidé de s’en aller mais non, elle sortit sa bouteille et en but quelques gorgées. Elle lui en proposa et il accepta de boire aussi. Ils continuèrent donc leur tour de l’aquarium. Ilyès ne posa plus vraiment de question, il l’avait assez fait comme ça et il avait compris qu’elle n’appréciait pas plus que ça. L’après-midi se termina assez rapidement et le soleil déclina doucement. La chaleur était tout de même toujours là.
En sortant, Ilyès se tourna vers Cassie. En fait, il n’avait pas envie de la laisser partir comme ça. Ils avaient passé quelques temps ensemble mais pour la suite ? Elle allait rentrer chez elle, seule, et peut-être ne pas être bien ? Le jeune homme n’avait pas envie qu’elle file et qu’il pense à ça toute la soirée. Surtout que même si elle n’était pas très bavarde, contrairement à lui, sa compagnie était agréable. Il hésitait un peu mais l’heure du repas approchait et il avait envie de le partager avec elle. Sauf qu’il avait peur qu’elle le rejette, un peu à la manière dont elle l’avait fait quand il lui avait parlé au tout début de leur rencontre. Tant pis, il se lança quand même.

- Dis … euh … ça te dirait d’aller manger un morceau … tous les deux ?

Il espérait que ça ne passerait pas pour une mauvaise technique de drague, ce n’était pas du tout son intention. La jeune fille était très jolie, mais il n’était pas intéressé. En ce moment, c’était un peu compliqué pour lui dans sa tête et il préférait laisser les choses se faire plutôt que de courir après les problèmes. Il ne l’invitait pas non plus dans un restaurant quatre étoiles, juste dans un petit établissement, avec une ambiance détendue. Si elle refusait, il n’aurait qu’à rentrer chez lui. Il savait qu’il la reverrait, puisqu’elle était dans le même lycée que lui. Mais quand même, il préférait passer la soirée en sa compagnie, pour bien lui faire comprendre qu’elle ne le dérangeait pas et qu’il souhaitait vraiment l’aider. Que ce n’était pas qu’une lubie d’un après-midi.

- Non, en effet. Je suis Anglaise.

Il ne s’était pas trompé. Remarque, ça ne le dérangeait pas plus que ça. Même s’ils n’avaient pas exactement la même façon de parler, déjà, ils n’auraient pas autant de difficulté à se parler qu’avec un non anglophone. Le jeune homme lui fit alors un petit speech sur l’école et sur la ville. Bon, ce n’était sans doute qu’une idée reçue, mais il se disait qu’il pleuvait tout le temps en Angleterre, qu’il y faisait froid et gris. Alors se retrouver sous le soleil de plomb de Miami, ça devait vraiment être déroutant pour la jeune fille.
Elle ne fit aucun commentaire quand il lui dévoila qu’il ne suivait pas les cours avec le plus grand sérieux. Elle ne posa pas de question. De toute façon, si elle voulait savoir quelque chose, ça ne le dérangeait pas de répondre. Mais elle ne semblait pas du genre à vouloir avoir toutes les informations, et surtout à les demander comme ça.

- Ça à l’air, en tout cas, je me suis déjà inscrite chez les Alpha Psi.

Ah ? C’était une artiste alors ? Ilyès se demanda quel pouvait bien être son domaine de prédilection. On associait -enfin lui surtout- les Alpha aux musiciens, mais ils n’étaient pas les seuls. Les peintres, les photographes, les danseurs, les chanteur, les sculpteurs, les personnes qui faisaient du sport artistique, enfin bon, le choix était grand. Comme chez les sportifs, ça ne se limitait pas qu’à ceux qui couraient.

- Et alors, c’est quoi ton talent ?

Il sourit en pensant à sa propre confrérie. Il était un Rho Kappa, mais à l’instant, ça ne se voyait pas trop. Un sportif incapable de marcher correctement, c’était ridicule ! Il avait tendance à en demander trop à son corps et celui-ci le lui faisait savoir, comme ce jour-là. Heureusement qu’il pouvait quand même pratiquer ses activités, sinon, il finirait cinglé ! Il avait besoin de ça pour se canaliser, pour épuiser son esprit aussi quand ça n’allait pas fort. Ça l’avait beaucoup aidé après la mort de sa meilleure amie, au même titre que Neil l’avait fait, en lui tendant la main et en lui faisant découvrir le sport en général. Pour rien au monde, il n’aurait quitté sa confrérie. Alors ce n’était pas une jambe un peu capricieuse qui allait le forcer !

- Tu vas sans doute te moquer de moi, mais je fais partie des Rho Kappa, les sportifs …

Et si un jour il ne pouvait plus du tout supporter de courir ? Il n’osait même pas y penser.
Les deux adolescents passèrent devant un bassin où un petit poisson mandarin attira le regard d’Ilyès. Il regardait le petit animal avec des yeux d’enfant, content de pouvoir se détendre un peu. Il espérait que Cassie apprécie aussi la visite, mais il n’osait pas se tourner vers elle pour vérifier. Comme si, à l’instant où ses yeux se poseraient sur elle, elle disparaitrait. Il garda donc le silence, ne sachant pas trop quoi ajouter. Ça lui arrivait très rarement, de ne plus savoir quoi dire, parce qu’il sortait tout le temps quelque chose. De débile, très souvent. Mais là, il n’avait pas envie de faire un faux pas. Encore. Parce que ça n’avait pas très bien commencé et que ça s’était un peu arrangé. La jeune brune semblait farouche et elle avait accepté plus ou moins qu’il l’aide. Elle n’était pas repartie seule dans son coin et il n’avait pas envie de la faire fuir maintenant. Il ne fallait pas qu’elle se sente forcée de répondre à ses questions ou à devoir emmagasiner toutes ses remarques.

Renonçant à insister un peu plus, comme un boulet, il se résigna à s’éloigner sans rien ajouter. Puisqu’elle le rejetait, c’était qu’elle n’avait pas besoin de lui. Alors autant qu’il ne reste pas sur ce banc, à côté de quelqu’un qu’il avait réussi à énerver. Il s’était levé, même s’il avait encore mal, et avait fait abstraction de la douleur avant de lui adresser quelques derniers mots et de s’en aller. Il ne pensait réellement pas qu’elle allait le rattraper, parce que c’était foutu d’avance. Pourtant, la frêle jeune femme s’était faufilée parmi les autres afin de le rejoindre. Il entendit un soupir mais n’y fit pas attention, les yeux rivés sur les poissons de l’autre côté de la vitre qui se trouvait devant lui. Il y avait plein de monde de toute façon, plein de bruit, et il faisait quand même chaud.
Une main vint se glisser dans celle d’Ilyès. Il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir qui c’était. Cassie confirma sa présence en lui adressant la parole.

- Je vais à Wynwood aussi.

Ah bon ? Elle aussi était élève dans ce lycée ? C’était étonnant ! La ville était grande, et pourtant, on parvenait toujours à croiser quelqu’un qui suivait les cours dans cet établissement. C’était extraordinaire. Elle allait donc suivre les cours à la rentrée. Enfin, c’était ce qu’Ilyès devinait. Il sentit une pression sur sa main. A cet instant, il comprit qu’il avait vu juste et qu’elle avait effectivement besoin d’aide. De sa part ou de n’importe qui d’autre. Il serra alors cette main, qui ne demandait que ça. Il fit comme elle, il se concentra sur les animaux qui nageaient paisiblement.

- C’est vrai ça ? Le monde est petit !

Le jeune homme n’avait pas envie de réattaquer tout de suite sur le fait qu’elle n’allait pas bien. Elle était venue le retrouver, admettant au passage, sans le dire, qu’elle avait besoin d’aide et qu’elle acceptait la sienne. Ilyès avait donc envie d’avoir une conversation plus « légère », pour lui montrer que même s’il pouvait se montrer maladroit, il n’était pas totalement débile et rentre-dedans. Un peu plus tôt, l’accent de la jeune femme l’avait un peu surpris. Il espérait qu’elle n’ait pas de problème avec ses origines, sinon, il pouvait compter une gaffe de plus à son actif.

- Dis-moi, tu n’es pas Américaine ?

Il était plutôt dans la question détournée. Il n’aimait pas vraiment passer par quatre chemins, ce n’était pas trop son genre. Mais parfois, il valait mieux être un peu moins direct avec certaines personnes, parce qu’on sentait qu’elles en avaient besoin. Il continua de marcher tranquillement, gardant la main de Cassie dans la sienne. Ça ne le dérangeait pas. Elle voulait un peu de réconfort sans doute, un soutien. Mental, pas physique, parce que pour le coup, elle aurait choisi la mauvaise personne. Ilyès voulut alors juste dire quelque chose sur un point. Elle s’était entêtée à affirmer que c’était la chaleur qui la mettait dans cette état. Bien sûr, elle n’était pas facilement supportable. Et elle n’avait pas forcément l’habitude, ça dépendait d’où elle venait.

- Tu vas voir, Miami, c’est grand, il fait très chaud, c’est pas comme New-York, mais on s’y habitue vite.

Il venait au passage de donner une information sur lui. Il avait l’impression qu’elle n’était pas vraiment du genre à poser des questions, donc il pouvait très bien parler aussi de lui. Il n’y avait pas de raison pour qu’elle dévoile et peu sa vie et que lui ne le fasse pas. C’était un peu « donnant donnant » et lui, il aimait donner. Pour aider quelqu’un, il fallait d’abord une certaine entente, une certaine complicité, une certaine connaissance de l’autre. Pas parfaite, cela va de soi, mais tout de même. Parce que sinon, il y avait trop de méfiance, ça ne collait pas.

- Wynwood est une école très sympa, même si je t’avoue que j’ai pas trop suivi les cours cette année.

Non, lui, il avait préféré sécher parce qu’il était en béquilles, sécher parce qu’il était déprimé, sécher parce qu’il s’était fait tabasser, sécher parce qu’il n’avait pas envie de se déplacer pour être enfermé et à nouveau sécher parce qu’il était déprimé. Ce qui lui avait valu le redoublement de sa Sénior Year. L’année suivante, il était bien décidé à repartir sur de bonnes bases. Il avait toutes les vacances pour se motiver.
Il attendit en silence une réaction de la jolie brune. Il avait tendance à beaucoup parler, il le savait, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Si ça la dérangeait, elle pouvait tout à fait le dire, il ne s’en vexerait pas pour autant.

Visiblement, la jeune fille n’était pas très contente de ce qu’il lui avait dit. C’était compréhensible. A sa place, il aurait réagi comme elle. Ou peut-être pas. Le connaissant, il se serait écrasé face à l’insistance de quelqu’un d’autre et il aurait volontiers avoué tous les péchés, même ceux qu’ils n’avaient pas commis. Parce qu’il était comme ça depuis déjà deux ans, et parce que même si Noah l’aidait à moins se laisser « victimiser », il ne suivait pas forcément toujours les conseils qu’on lui donnait. En tous les cas, ça ne changeait rien, il avait réussi à mettre Cassie en boule. Bravo !

- Ecoute, je te prends pas pour un imbécile, mais si j’ai envie de parler de mes problèmes, j’ai mon psy pour ça tu comprends ?

Bien sûr, qu’il comprenait. Mais pour lui, le psy n’était pas la meilleure des solutions. Bien sûr, il pouvait aider. Mais certains étaient incompétents. A espérer que ce ne soit pas le cas pour la jeune fille. Pour Ilyès, les psys étaient des êtres mystérieux, difficile à comprendre. Bien sûr, ils écoutaient ce qu’on avait à leur dire. Mais ils ne commentaient que très rarement, laissant leurs patients un peu dans le flou. En tout cas, c’était l’image qu’il lui restait. Pour lui, ce n’était pas un spécialiste qui l’avait aidé. Justement, ça avait renforcé son sentiment de solitude. C’était une personne qui lui avait ouvert les yeux, un jeune homme de son âge. Pas un vieux barbu caché derrière ses lunettes, ne laissant échapper qu’un son de temps à autres. Le jeune homme ne répondit pas, même s’il avait bien comprit.
Elle se pencha vers lui pour ajouter quelque chose, pas vraiment sur le ton de la sympathie.

- Et je me moque que tu es venu me parler par hasard ou non. C’est très aimable à toi de t’inquiéter de mon état mais ça va, mon seul problème là de suite c’est que j’ai choisi le mauvais endroit aux Etats-Unis pour m’installer. Il fait, beaucoup, beaucoup trop chaud.

Elle semblait fermée à toute discussion et à toute aide. C’était sans doute peine perdue. Ça ne servait à rien qu’Ilyès reste là, à vouloir lui parler. Etre assis à côté d’une inconnue, ça ne le dérangeait pas. Mais vu comment ça avait commencé et l’ambiance qu’il y avait, autant ne pas continuer. Il inspira avant de se lever lentement. Il jeta un rapide coup d’œil à la jeune fille derrière lui.

- Avant d’arriver à Wynnwood, j’étais comme toi. J’aurais pu ne plus être là si je n’avais eu personne pour me tendre la main…

Il ne savait pas vraiment pourquoi il évoquait ça. Déjà, elle ne connaissait sans doute pas l’école. Et puis, elle s’en fichait totalement, elle n’avait pas besoin d’entendre ça. Pourtant, c’était à regret qu’il s’en allait. Il avait l’impression d’avoir été inutile. Il espérait sincèrement que son seul problème était la chaleur, même s’il n’y croyait pas trop. Il était sans doute trop méfiant, il voulait aider et il voyait donc sans doute des ennuis là où il n’y en avait pas. C’était à n’y rien comprendre, parce qu’il ne savait pas pourquoi il agissait comme ça.
Il tourna sa tête et la regarda dans les yeux quelques secondes.

- Fais attention quand même.

Il avait quand même dit ça au cas où, ça pourrait peut-être toujours servir. Même si, pour le moment, tout allait bien. Il était prêt à repartir, s’engouffrer à nouveau dans la foule, lentement et d’une démarche hasardeuse. En boitillant, ce n’était pas le top. On pouvait même penser qu’il y avait un rapport entre ce qu’il avait dit et sa santé défaillante, mais pas le moins du monde. Il prit son temps pour s’éloigner de Cassie. Pas qu’il veuille qu’elle le rattrape, puisque de toute façon elle ne le ferait pas, mais parce qu’il n’avait pas vraiment le choix. Il avait un petit pincement au cœur en pensant qu’il faisait peut-être bonne route et qu’elle était réellement en difficulté dans la vie. Mais qu’y pouvait-il ? L’aide, il fallait qu’elle soit généreusement proposée d’un côté, mais aussi acceptée de l’autre. Ça ne pouvait pas fonctionner autrement.

Pendant un instant, Ilyès cru qu’elle n’allait pas lui répondre. Même s’ils continuaient de se regarder, de s’observer, il eut l’impression qu’elle allait lui foutre un vent royal. Ce qu’elle avait tout à fait le droit de faire, puisqu’il n’était qu’un vulgaire inconnu pour elle. Surtout que le garçon pouvait plus ou moins bien voir à sa tête qu’elle n’était pas disposée à faire la causette. Pourtant, elle finit tout de même par lui répondre.

- Cassie. Et tout va bien, à part cette chaleur écrasante, c’est pour ça que je me suis réfugiée ici. Même si je n’ai rien contre les poissons, c’était surtout la clim que je visais.

Cassie. Il avait tout de même réussi à lui arracher son prénom, même s’il avait échoué à en savoir plus. Il laissa échapper un petit rire. Lui aussi était venu pour se rafraichir, même s’il pouvait tout à fait le faire à son appartement. Ou à la piscine. Ou tout autre part qu’ici.

- Enchanté Cassie.

Rapidement, la jeune fille changea de sujet. En même temps, elle n’avait déjà pas répondu vraiment à la question qu’il lui avait posée. Il faisait référence aux cachets qu’elle prenait, même si ça pouvait être n’importe quoi. Mais on ne prenait pas de médicament contre la chaleur, donc la réponse de Cassie ne correspondait pas vraiment à ce qu’il lui demandait. Tant pis. La demoiselle préféra lui poser des questions sur lui.

- Ça va ta jambe ? Tu veux un doliprane ? Ca règle tous, migraine, douleur musculaire, règle douloureuse, même si je doute que tu en aies besoin pour ce dernier problème.

Plus elle parlait, plus Ilyès était persuadé qu’elle était Anglaise. Parce qu’elle maitrisait parfaitement la langue, mais qu’elle avait cet espèce d’accent qu’il qualifiait « d’hautain ». Dans les soirées mondaines auxquelles il avait participé avec ses parents, lorsqu’il était encore à New-York, il avait appris à reconnaître plus ou moins les accents de chaque pays. Enfin, les plus importants surtout. Il hésita un instant, lui aussi, à détourner la question.

- Ça va passer. C’est gentil, mais je préfère éviter tous ces trucs chimiques.

A l’image de Cassie, il sourit, même si ce n’était pas un sourire totalement franc. Après son accident, il avait bien été obligé de prendre tout un tas de « trucs » et il n’aimait pas la désagréable impression de planer et de ne rien contrôler. Il se sentait déjà diminué un peu physiquement, pas besoin de lui retirer l’esprit qu’il lui restait. C’était pour ça qu’il n’avait jamais d’antidouleurs sur lui, ou même autre chose.
La jolie brune se redressa, adoptant une attitude de quelqu’un qui allait bien. Une attitude contrastant avec celle, presque abattue, qu’elle avait quelques minutes plus tôt. Elle le prenait pour une buse ou quoi ? Clairement, ça voulait dire « tout va bien, fiche moi la paix ». Mais Ilyès était obstiné et même s’il n’était pas con, certaines choses évidentes, il ne les voyait pas. Ou n’y accordait pas d’importance.

- Tu sais, faut pas me prendre pour un imbécile. Si je t’ai parlé, c’est pas par hasard.

Il aurait très bien pu juste s’asseoir et ne rien lui dire. Il tourna la tête pour regarder devant lui. S’il y avait effectivement un problème, il voulait l’aider. Mais insister autant, là, maintenant, ça ne se faisait pas. Il ne voulait pas la forcer à parler, même s’il n’était pas décidé à lâcher l’affaire aussi facilement. Si elle s’en allait, il n’allait pas lui courir après. Que ce soit au propre ou au figuré. Surtout qu’il n’avait aucun moyen de la recontacter, la ville était grande et elle n’était peut-être que de passage. Mais au moins, il aurait essayé, il ne serait pas resté insensible à ce qu’il lui semblait être quelqu’un en mauvaise forme.

Au départ, la jeune fille ne bougeait pas. Comme si elle n’avait pas entendu ce qu’Ilyès lui avait dit, comme s’il n’avait jamais prononcé aucun mot. En même temps, elle n’avait pas forcément envie que l’on vienne fourrer son nez dans ses affaires, surtout si le jeune homme se trompait. Il avait tiré des conclusions hâtives, parce qu’il avait l’impression de se reconnaître quelques années plus tôt. Mais rien ne lui disait qu’elle était dans le même cas que lui. A nouveau, il tenta de lui arracher une réaction. Heureusement qu’ils étaient dans un aquarium, sinon, il aurait sans doute eu du mal à faire une blague. Imaginez au cimetière ! Au moins, cette fois-ci, elle se retourna vers lui. Il l’observa rapidement, pour être sûr qu’il ne la connaissait pas. Ce qui le frappa en premier, ce fut ses yeux bleus. Magnifiques et si peu communs. Elle était brune, mince, très jolie. Mais quelque chose dans son visage la rendait un peu … triste ? Mécontente d’être dérangée ? Malgré le fait qu’elle se soit tournée vers Ilyès, elle ne lui adressa pas un seul mot.
Il pouvait clairement deviner qu’elle hésitait sur le comportement à avoir. Donc elle resta silencieuse, et il fit de même. Après tout, elle n’était pas obligée de vouloir lui répondre. Et si elle décidait de l’ignorer royalement, au moins, il aurait essayé. Il n’avait plus qu’à attendre que la douleur à sa jambe se calme un peu d’elle-même, vu qu’il n’avait pas de médicament pour l’y aider, et à reprendre son tour de l’aquarium et des poissons nageant paisiblement. Elle soupira cependant, continuant de l’observer. Etait-ce si dur pour elle de l’ignorer ? Ou de lui répondre ?

- Ouais j’ai vu, je crois que la moitié s’appelle Nemo, et l’autre Marin junior.

Ilyès arqua un sourcil, un peu surpris qu’elle essaye elle aussi de faire de l’humour. Enfin, juste ce qu’elle disait, pas comment elle le disait. Parce que de toute évidence, elle n’y avait pas mis de cœur. Bien sûr, le jeune homme comprit la référence au Monde de Némo, film d’animation sorti il y avait déjà quelques temps. A l’époque, il n’avait pas été au cinéma pour le voir. Mais quelques années plus tard, il avait visionné le dessin animé avec sa meilleure amie, qui devait surveiller son petit frère. Ils avaient bien rigolé tous les deux. Repenser à ce souvenir provoqua un pincement au cœur chez le garçon. Plus jamais il ne pourrait vivre de moments comme celui-ci avec Eléonore. Et dans sa tête, c’était toujours de sa faute. Même s’il allait mieux, même s’il avait recommencé à sourire à New-York, même s’il s’était fait une nouvelle vie ici, il se sentait toujours affreusement coupable. Il aurait bien rit à sa tentative d’humour, à peu près aussi efficace que la sienne, mais il n’en avait pas le cœur. Il fit un petit sourire timide, ne voulant pas se laisser abattre pour autant.

- Je préférais celle qui avait pas de mémoire …

Elle au moins, si elle faisait quelque chose de mal, elle ne s’en souvenait plus quelques heures, voire minutes, après. Même si ça n’était pas drôle tous les jours, c’était parfois pratique. Mais bon, il n’était pas un poisson, il ne pouvait pas effacer son passé comme ça. Il darda ses yeux brillants sur la jeune fille. Il avait l’étrange sensation qu’il devait en savoir plus et qu’il avait vu juste, qu’elle n’allait pas spécialement bien. C’était bizarre, mais étant passé par-là, il pouvait reconnaitre ceux qui avait besoin d’aide. Et pourquoi il se mit en tête de l’aider à ce moment ? Il n’en savait rien. C’était à se douter que ça n’allait pas plaire à la jolie brune. D’ailleurs, celle-ci avait un accent légèrement différent du sien, mais parlait très bien l’anglais. Ilyès ne releva pas plus que ça.

- Je m’appelle Ilyès.

Il marqua une pause. Il ne savait pas s’il devait continuer et suivre son pressentiment, se taire et laisser couler, ou s’en aller. De toute évidence, il avait encore mal, il n’était pas près de partir. Et il était incapable de garder le silence, ce type était très souvent un moulin à paroles.

- Je sais que ça me regarde pas et que je me trompe sans doute… mais ya quelque chose qui va pas ?

Bien sûr, et elle allait lui confier sa vie comme ça ? Il faudrait peut-être redescendre sur Terre. L’espoir fait vivre, mais à trop espérer sans rien recevoir, on finit par mourir déçu. Il ne restait plus qu’à attendre, pour savoir si la jeune fille s’énervait beaucoup, ou juste un peu.

Toute la journée, Ilyès avait souri. Il avait eu le cœur léger. L’envie de s’amuser, de profiter du soleil. Il se sentait peu à peu renaitre, lui qui n’avait pas été joyeux depuis longtemps. Il s’était levé de bonne heure, pour une fois, et avait pris sa douche presque en sifflotant. Heureusement qu’il vivait seul dans un appartement, sinon, on aurait pu le prendre pour un fou. Il avait mis un jean simple, un t-shirt noir et sa paire de lunettes de soleil sur le nez. Une fois prêt, il était allé à la confrérie, avec une simple idée en tête. Passer un petit moment avec Dexter. Il n’avait pas encore l’habitude de se rendre là-bas, mais il appréciait de pouvoir se mêler aux autres sportifs. Enfin bon, ce qui était sûr, c’était qu’il était encore de meilleure humeur en repartant.
Le soleil tapait fort. Ce qui était normal en cette saison. Sauf qu’il n’avait pas vraiment envie de rester dessous, pour se faire brûler ou avoir trop chaud. Et il n'avait pas envie non plus de rester enfermé chez lui. Il fallait donc un endroit frais, ou il pouvait se promener à sa guise. La piscine ? Pas vraiment. Avec tous ces enfants qui couraient dans tous les sens. Même si ça ne le dérangeait pas d’être seul, il n’avait pas spécialement envie de se retrouver au milieu de toutes ces familles. Magasins climatisés ? Il n’avait pas envie d’acheter et encore moins de profiter comme ça. Il voulait quelque chose pour l’occuper vraiment, lui qui était habitué ces derniers temps à se laisser couler. Il s’était baladé un peu en ville, dans l’espoir de trouver assez rapidement un endroit où se terrer pour le reste de l’après-midi. Il ne tarda pas à se retrouver devant l’aquarium. Il n’y était jamais entré. Même s’il était seul, ça lui disait bien d’aller y faire un tour. Il ne devait pas être l’unique personne à avoir eu cette idée, il y avait pas mal de monde. Et puis, il pourrait se faufiler partout. Il alla donc s’acheter un ticket d’entrée et pénétra dans le bâtiment.

Une vague de fraicheur l’atteignit et il soupira d’aise. Il commença alors à se faire un chemin parmi les autres, qui déambulaient un peu partout devant les vitres. Il y avait des poissons de toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les tailles. Le jeune homme retrouva son âme d’enfant et se pressa lui aussi contre les parois pour les observer nager tranquillement. Il piétina beaucoup, ne pouvant faire que des petits pas dans la foule assez compacte par endroit. Très rapidement, il eut mal à sa jambe. Cette satanée jambe (HRP : il a fait une mauvaise chute plus jeune et il a eu un accident de voiture à son arrivée à WHS). Parfois, elle le laissait tranquille, donc il pouvait continuer à pratiquer son sport. Mais quand il forçait trop, il le sentait passer. Il fallait donc qu’il s’asseye. Il repéra une place libre, à côté d’une jeune fille qu’il ne connaissait pas. Il allait se diriger vers le banc quand il suspendit son geste. Elle sortit une bouteille et une boite de médicaments de son sac et en prit plusieurs cachets. Elle ferma les yeux, comme une droguée venant de prendre sa dose. Ça lui rappelait légèrement quelque chose.
Il se revoyait quelques années plus tôt, après la mort de sa meilleure amie. D’abord effondré, se reprochant sans cesse de l’accident. Puis, devant le médecin, qui lui disait de prendre des cachets. Des antidépresseurs. De la saleté, si vous voulez son avis maintenant. Il était heureux de ne plus en avoir besoin, de ne plus en dépendre. De pouvoir sourire à la seule vue des autres. Tout simplement en voyant le soleil se lever ou des amoureux courir sur la plage. Ça n’avait pas l’air d’être le cas de la jeune fille. Il hésita un instant avant d’aller s’asseoir et alla finalement poser ses fesses sur le banc. Il regarda d’abord devant lui, étirant sa jambe, qui le faisait souffrir. Elle aussi avait la jambe agitée. A cause de ses cachets ou d’une autre douleur ? Ilyès n’en savait rien. Il se retint un instant, ne voulant pas troubler ou déranger la demoiselle. Sauf qu’il ne put le faire que quelques minutes. C’était Ilyès après tout.

- Je suis pas sûr que ça soit très bon, ça.

Il ne s’était pas retourné vers elle mais elle ne pouvait pas se tromper. C’était bien à la brune qu’il s’adressait. Et si elle n’était pas bête, elle avait déjà deviné de quoi il parlait. Malgré le fait qu’elle semblait être mieux, elle ne souriait pas plus que ça et il avait bien vu la tristesse sur son visage avant de venir s’installer. Et la spécialité du Rho Kappa était l’humour, même s’il n’était pas toujours de bon gout.

- Si tu veux, il y a aussi les poissons clowns là-bas.

Non, ce n’était pas drôle. Mais c’était tout ce qu’il avait trouvé pour engager la conversation. Il n’avait pas envie de la laisser comme ça, parce qu’il savait plus ou moins ce que c’était que d’être obligé de prendre des cachets, même s’il ne savait pas pourquoi elle, le faisait. Il ne la connaissait pas, il ne savait pas ce qu’il s’était passé dans sa vie. il s’était tout de même permis de venir lui parler. Il ne la jugeait pas, loin de là, il espérait qu’elle ne le prenne pas comme ça. Il continua de regarder devant lui, les yeux un peu perdus dans le nombre de personnes qui passaient.