{terminé!}What the hell? [pv Adam]

Je ne sais pas vraiment ce qu’il me passe par la tête à ce moment-là. Pour pleurer, pour tout déballer. Pour m’énerver aussi. Devant un inconnu, qui pense que je suis quelqu’un d’horrible, qui plus est. Je m’en fiche de paraître pour un fou, parce que j’ai besoin de dire tout ça. Le pauvre Ki, il doit tout supporter.
Au début, il ne dit rien. Il me laisse verser mes larmes, me justifier lamentablement. Il m’écoute. Enfin, je crois. Ou peut-être attend-il la fin pour me foutre son poing dans la tronche et me mettre à la porte ? Je ne sais pas, mais je continue. J’explique Shin, et la raison de mon emportement. J’explique aussi Ayase, le fait que je ne m’entende pas avec elle, sans même savoir pourquoi. Mais là, il me répond. Ça veut dire qu’il m’écoute réellement, qu’il n’attend pas juste que la tempête se calme.

-  Heureusement qu'Aya a son petit caractère, si tu secoues toutes les filles que tu rencontres, il t'en faut une avec des reins solides et un bon aplomb, blanc!

Non, ce n’est pas vraiment dans mes habitudes. Mais oui, heureusement pour elle, elle a du répondant. Je ne relève pas le « blanc ». Après tout, je ne fais pas mieux avec « la Chinoise ». Je n’ai rien à dire, et beaucoup trop de choses à me reprocher. Je continue alors sur ma lancée, bien parti pour. Quand je m’avance, il se redresse, quittant le contact de la table. A-t-il peur ? C’est vrai que je ne dois pas être beau à voir. Je ne le suis pas en temps normal, alors là, les joues mouillées, la rage dans les yeux, négligé, ça doit être encore pire. Mais je ne lui ferai rien. Aujourd’hui, je suis bien décidé à ne pas céder à la violence physique, même si je m’énerve avec les mots. S’il y en a un des deux qui doit frapper l’autre, ce n’est sûrement pas moi.
Je finis ma « défense » la tête basse, honteux de mes actes et aussi un peu de m’être ouvert à un inconnu qui n’en a sans doute rien à faire.

-oula attends ! Moi te frapper? Je ne suis pas ce genre de mec qui réfléchit avec mes poings!

Il ne compte pas me faire payer mon comportement alors ? Enfin, pas de cette manière-là. Ça me rassure légèrement. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne m’est plus hostile. Pourtant, il me parle avec une voix douce, comme pour me rassurer.

-Ecoute, Adam. Tu as été sincère avec moi alors je vais être sincère avec toi.

Il se rassoit à la table. Je le regarde, un peu méfiant, et ne bouge pas.

- A titre personnel, je n'ai strictement rien contre toi. Et à dire vrai, tu m'apparais même comme quelqu'un de sympathique. Si je me suis emporté, c'est parce que je pensais que tu étais revenu pour emmerder Shin et en apprenant que tu étais le colocataire d'Aya, je pensais que tu avais une sorte de dent contre les asiatiques. Ce qui se passe dans votre colocation avec Aya ne me regarde en rien, Aya ne s'est jamais plainte de violence ou quoi que ce soit. Vous pouvez pas vous piffer, j'ai envie de dire ça vous regarde. Si ça vous amuse de supporter une situation désagréable au quotidien au lieu de faire un tout petit effort, c'est vous que ça regarde! Tant que je ne vois pas Aya pleurait par ta faute, tout va bien.

Moi, apparaitre comme sympathique ? C’est bien la première fois qu’on me le dit.

- Non, je veux pas encore lui faire peur, elle en a pas besoin. Et je compte pas faire pleurer Ayase, je la déteste pas à ce point. C’est juste … physique en fait, dès que je la vois, ça m’énerve. C’est difficile à … expliquer.

Il n’a pas fini ce qu’il a à me dire. Pour être sincère, j’ai l’impression qu’il va l’être jusqu’au bout.

- Concernant Shin, c'est un autre problème. C'est moi qui était au première loge, comme tu as pu le constater elle est hyper sensible et un rien la déprime.  Je sais que j'agis beaucoup trop avec elle comme un grand frère surprotecteur ou une mère poule et que ça ne devrait même pas être à moi de m'énerver mais à son copain mais je ne peux pas m'en empêcher.

Son copain ? Je ne l’ai pas vu. Il n’a même pas prit la peine de se déplacer pour « défendre » sa chérie, puisqu’elle est bien trop timide pour le faire elle-même. Au moins, elle a quelqu’un pour veiller sur elle, même si c’est son colocataire et pas son petit-ami. Je me demande si, moi, je serais capable de faire pareil. Pas avec ma colocataire, puisque ce n’est pas l’amour fou entre nous. Mais avec une autre jeune fille, sans l’effrayer. Sans doute, j’ai déjà ma petite idée.

-Ce qui m'irrite le plus, c'est que je n'arrivais pas à comprendre comment un gars pouvait en arriver à secouer Shin qui est si gentille. Tu viens de me dire que tu es... hum comment on dit en anglais? "lunatique"... ça peut expliquer la chose même si je ne peux pas te comprendre tout simplement parce que je suis différent. Il m’apparaît inconcevable d'en arriver à ce stade. D'oser toucher un cheveu de Shin, rien que d'y penser, ma tension augmente.

Soupire. Le jour où j’arrive à comprendre, je fais la fête. Il a l’air de beaucoup apprécier la demoiselle en tous les cas. Je l’imite, laissant échapper d’entre mes lèvres la preuve de mon exaspération sur le sujet. Il n’a toujours pas fini. Je le fixe toujours, debout devant la table.

-Je pense que tu as suffisamment était puni pour ce que tu as fait, vu ce que tu m'as dit, je n'ai rien à ajouter. Tu n'as ni mon pardon ni mon blâme. J'espère juste que Shin pourra te pardonner car sincèrement je ne pense pas que tu sois quelqu'un de foncièrement mauvais. Alors oui, je t'en veux d'avoir martyrisé ma colocataire, oui ça ne se fait pas, oui tu as agit comme un connard, oui tu mériterais un poing dans la gueule mais merci d'avoir ramené son dessin, de t'être déplacé.

Il a totalement raison. Mais je n’en espère pas tant. Je sais que la jeune fille ne pourra pas me pardonner. Je sais que je suis un connard. Je sais que je n’ai pas à avoir le pardon de Ki. Mais je ne pense pas avoir été assez puni. Pas tant que je ne sais pas ce qu’en pense Shin. Mais en même temps,  ça va sans doute être éprouvant pour elle de me revoir, et je ne veux pas lui faire revivre ça. Après quelques instants d’hésitation, je finis par retourner m’asseoir en face du jeune homme, même si je pense que je ne vais pas y rester très longtemps, sur la chaise. Je le regarde, ne sachant pas vraiment comment formuler ma pensée.

- Je voulais vraiment m’excuser encore, et lui rendre son dessin. Mais j’avais peur qu’elle se mette encore à pleurer. J’ai hésité longtemps, j’ai failli pas venir. Je voulais vraiment pas lui faire de mal, mais j’ai pas pu me contrôler. Je veux pas forcément qu’elle me pardonne, mais qu’elle comprenne que je recommencerai pas, que je lui veux pas de mal.

Je n’ose pas vraiment continuer mais au bout de quelques secondes de silence pourtant, je continue.

- Je ferais mieux de partir maintenant, non ? Avant qu’elle arrive … Je veux pas avoir de problème, ni faire remonter de mauvais souvenirs …

Je décide aussi de lui confier autre chose. S’il ne me prends pas pour un cinglé, ça ne va pas tarder …

- Tu sais, en entrant, je t’ai trouvé sympathique. Ça m’a fait bizarre parce que personne n’est gentil avec moi. J’y ai presque cru …

Mais je ne suis pas sympathique avec les autres et de toute façon, maintenant, c’est mort. Je ne mets pas en cause sa gentille hein. Mais maintenant, plus de chance pour que je m’entende bien avec lui, même s’il ne semble pas me détester. On aurait pu devenir ami. Si je n’étais pas aussi con, si je savais me contrôler. Ce qui n’est pas le cas, malheureusement.

-Tu devrais lui demander de te tirer le portrait. C’est une toute autre approche de se percevoir à travers les yeux de quelqu’un d’autre.

Ça, je doute un jour lui demander mon portrait. Encore plus qu’elle accepte de le faire. Plus elle restera loin de moins et de mes sautes d’humeur, mieux elle sera. Elle le sait déjà et je pense que Ki ne va pas tarder à le découvrir.
Je suis un peu perdu avec toutes ses questions, mais je réponds quand même, docile. C’est même étonnant de ma part. Mais vu dans l’état dans lequel je suis, je n’ai même pas la force de contrer cette « intrusion » dans ma vie privée de la part d’un inconnu. Il souhaite me voir jouer du piano. Même si je fais une petite grimace et que ma voix n’est pas convaincue, je pense que ça n’est pas au-dessus de mes forces. Il faut bien qu’à un moment ou à un autre, je fasse partager ce que je sais faire. Lui, justement, veut partager sa cuisine, mais je refuse toujours poliment.

-Je n’insiste pas plus.  

Le sujet revient donc sur Shin, et c’est même moi qui l’amène. A croire que je veux à tout prix me faire griller. Au moins, je serai débarrassé d’un léger poids sur la conscience. Parce qu’il me restera toujours une grande part de culpabilité. Ça se voit d’ailleurs énormément. Sur mon visage, dans mes yeux, à ma voix, à ma façon de me tenir, d’agir. Tout me trahit, et je ne fais pas grand-chose pour le cacher. Je n’en ai pas envie, ni vraiment la force. Les réponses aux questions qu’il me pose surtout, et je suis persuadé que maintenant, c’est volontaire de sa part, sans vraiment m’expliquer pourquoi. Qu'il reparle de la colocation, qu’il pose des questions sur Ayase, tout quoi. Des questions sur Shin aussi. Je les évite, je me sens coincé. Lui, il m’a bien cerné. Surtout au moment où je me lève, paniqué à l’idée qu’il sache tout, qu’il est tout compris. C’est sans doute l’élément qui vient tout confirmer, qui me trahi le plus, avec ma phrase.

-T’excuser pour quoi?

Il n’a pas compris ou il veut me pousser à bout ? Je ne prends pas la peine de lui répondre. Tout ce que je veux, c’est m’échapper de ce cauchemar, en me maudissant d’y être allé.

- Je n’aurais pas dû venir … pas dû venir …

Là, j’entends ses mains frapper la table avec violence. Je sursaute. Je ne peux pas m’empêcher de le regarder à nouveau, il reste devant la table. Mais qui sait ce qu’il peut me faire à moi. J’ai presque envie qu’il me frappe aussi, parce que c’est ce que je mérite. Je sais que ce que je fais à Ayase n’est pas tolérable. Que ce que j’ai fait à Shin l’est encore moins.

-AH! MAIS OUI C est tellement plus simple d‘effrayer une jeune fille sans défense! C‘est tellement plus simple de fuir face à ses responsabilités!!!

Fuir n’est pas le mot exact. Je me suis radoucit après l’avoir secouée. J’ai essayé de me montrer gentil, de discuter ! Je me suis excusé et je comptais recommencer aujourd’hui. Et puis, je ne voulais pas au départ, elle m’a surpris. Je n’ai pas pu me contrôler. Je sais que j’aurais dû plus faire attention. Mais je suis comme ça et on a déjà essayé de me faire changer. Peine perdue.

-Tu sais dans quel état de peur m’est revenu Shin? J’ai mis plusieurs semaines à lui rendre le sourire à la faire parler! Elle tremblait comme une feuille et d’ailleurs, elle n’est pas rentrée tout de suite, je m’en suis aperçu que le lendemain. Mais tu t’en tapes probablement!!!  C’est quoi ton problème HEIN? Aya maintenant Shin? T’aimes pas les  jaunes comme vous aimez tant nous appeler ici bas dans ce fumier puant se nommant l’occident! Je suis pas la douce et patiente Shin, c'est moi qui te le dis! Si tu me cherches, tu me trouveras!  

C’est une menace ? J’ai envie de lui dire « vas-y » puisque de toute façon, il en a envie, de me foutre son poing dans la tronche. Je ne me défendrai pas, je pense que je l’ai bien mérité et que c’est un châtiment correct, bien qu’un peu trop gentil d’après ce qu’il vient de me dire. Je sens sa colère, elle empli la pièce, elle me serre, elle m’empêche de bouger, aussi efficace que des liens véritables. Je ne relève pas l'insulte envers l'occident, je me tais, bien que je le regarde toujours de mes yeux apeurés et honteux.

-Si t’arrives encore à te regarder dans un miroir, ma foi ça te regarde!! T'as quoi à dire pour ta défense!!??

Ma défense ? Il attend que je me défende ? Est-ce que ça va changer quelque chose ? Je ne sais pas. Je sens vraiment la tristesse monter en moi. Une larme sur ma joue. Une autre. Plusieurs. Je ne cherche pas à les arrêter, à les cacher. Bien, si j’ai le droit de m’exprimer, autant que je le fasse. Je ne suis pas totalement ignoble.

- Tu crois que c’est simple ? Hein ? Je me serais énervé sur n’importe qui, le fait que ce soit Shin ne change rien ! Je voulais pas lui faire de mal et je sais que c’est trop tard. J’espérais …

Au fond, qu’est-ce que j’escomptais ? Je ne pourrais même pas le dire moi-même.

- J’espérais qu’elle m’en veuille … moins. C’était pas contre elle, elle m’a surpris, je veux pas jouer devant les autres, elle était là, elle a rien dit, elle a attendu avant de s’en aller, j’ai merdé, je sais.

Je parle à un rythme très saccadé. Il y a tellement de choses que j’aimerais dire, il faut que je me libère. Il faut aussi que je parle d’Ayase.

- Ma colocataire, je sais pas pourquoi je fais ça avec elle. Je sais PAS ! Mais t’en fais pas –mon ton est aussi glacial que ses yeux à l’instant- elle se défend bien. Je m’en fiche qu’elles soient jaunes, c’est tombé comme ça, c’est tout !

Mes larmes se transforment peu à peu en rage. Je n’ai jamais pu dire ce que je pensais. Parce que personne ne m’a jamais écouté. Les médecins sont bien gentils, mais tout ce qu’ils veulent entendre, c’est que tout va bien. Ça n’avance pas. Alors je ne sais pas pourquoi j’ai envie de balancer ce qui me passe par la tête à Ki, alors que je ne le connais pas. De toute façon, ça ne changera certainement pas la vision qu’il a de moi. Je m’avance un peu vers lui, je veux qu’il voie dans mes yeux que je ne mens pas. Je suis réellement déstabilisé. Et en colère. Contre moi, parce que je suis incapable de me résonner. Je le sais depuis longtemps déjà et ne je suis toujours pas fichu de ne pas me mettre le monde à dos.

- Tu crois que c’est facile de pas savoir se contrôler ? De pas pouvoir passer une soirée tranquille avec un ami parce que tu sais pas dans quel état tu seras ? NON ! Je peux rien y faire. A part vivre avec mes remords INUTILES ! Alors OUI, je sais que je suis un monstre. Il m’arrive de pas me regarder dans le miroir parce que je me dégoute. Il m’arrive aussi d’être bien dans ma peau, avec tout ce que je fais. Sauf que je suis toujours paumé, j’y comprends rien, personne n’y comprend rien, personne ne s’en donnera jamais la peine !

C’est sans doute ce qui me fait le plus de mal. À part une rare exception, aucune être dans ce monde ne supporte mes crises et mon instabilité désagréable. Même mes parents, puisqu’ils se sont débarrassé de moi en m’envoyant ici. Mon frère ne m’a jamais aimé. Le seul ami que j’avais, je ne lui parle plus depuis longtemps. A nouveau, je baisse la tête, ne pouvant plus supporter le regard de Ki. Rage et peine sont mêlées sur mon visage.

- Je suis pas excusable, j’ai aucune défense à préparer. Je voulais juste lui rendre son dessin. Refais-moi le portrait si tu veux, j’en ai rien à faire, je mérite bien plus encore. J’ai rien d’autre à dire. Je suis désolé.

J’en ai marre. Les autres ne savent pas sur quel pied danser ? Et bien moi non plus. Ça me fatigue aussi de devoir supporter tout ça. D’être un concentré de toutes les émotions possibles. Qui je suis dans tout ça ? J’ai tellement de facettes que je ne le sais même plus. C’est pitoyable.

Je réponds à ses questions, hésitant. Oui, je connais Ayase. Non, je ne l’aime pas. Je ne suis pas sympathique avec elle. Et elle me le rend bien je crois. Sauf que je ne le précise, pas, je me contente de lui dire que je suis son colocataire. Il a déjà dû entendre parler de moi. A moins que non, mais ça m’étonnerait. Ce qui me surprend, c’est qu’il ne réagit pas plus que ça en entendant ma réponse. En même temps, il enchaine avec encore une autre question. A croire qu’il veut juste meubler le silence avec des demandes, sans accorder la moindre importance à ce que je peux dire à ce sujet.
Je lui montre alors le dessin de Shin, celui que j’ai ramassé dans la salle, près du piano. Il le prend, pour mieux l’observer. De toute façon, je suis venu ici pour lui rendre et je l’ai déjà regardé plus d’une fois.

-Un croquis…? Ô merci c’est si aimable de ta part de le ramener. Vraiment Shin va être très contente de le revoir, elle tient tellement à ses dessins. Tu en as vu d’autres d’elle? Tu sais elle a un sacré coup de crayon, une fois elle a même fait mon portrait.. J’étais vraiment surpris.

Oui, je veux bien croire qu’elle va être contente de le retrouver. Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas tout à fait sûr qu’elle soit heureuse de me revoir ou de savoir que je suis passé dans sa chambre. C’est presque comme si je suis entré de force dans son espace personnel et je ne sais pas ce qu’il m’est passé par la tête en venant ici. J’aurais très bien pu glisser le dessin sous la porte, ou demander à ma chère colocataire de le lui rendre. Au lieu de ça, j’ai tenu à me déplacer. Pourquoi ? Pour m’excuser, encore une fois, parce que je m’en veux, que je ne souhaite pas qu’elle garde la peur qu’elle a de moi. Sauf qu’il n’y a aucune chance pour que ça arrive un jour, pour qu’elle oublie tout ça. Pour qu’elle ne perde pas son sourire en me voyant. J’en viens même à penser que je suis un monstre -comme tant d’autres avant moi.
Pour le coup de crayon, j’ai pu voir qu’elle en a un bon, oui. Même si le piano n’était pas fini, et que je l’ai troublée.

- Oui, j’ai aperçu un dessin en cours. C’est très joli ce qu’elle fait.

Il me demande mon prénom et je le lui donne après quelques secondes d’hésitation. Comme si ça pouvait changer quelque chose. A ce que je sache, personne ne fait de vaudou dans cette école, et il ne m’a pas demandé une mèche de cheveux. Donc je n’ai pas à m’inquiéter. Il répète mon nom, avec un accent pas aussi marqué que celle qui partage ma chambre -et que je porte bien évidement dans mon cœur. C’est déjà un bon point pour lui. Bien qu’aujourd’hui, je ne lui aurais rien dit s’il avait écorché mon nom.

-Enchanté de faire ta connaissance!

Je suis sur le point de lui répondre de même, mais je garde le silence. Il sera enchanté jusqu’à savoir qui je suis. Je serais enchanté jusqu’à ce qu’il sache ce que j’ai fait. Encore une fois, il continue avec ses questions. A se demander s’il est flic ou s’il veut faire ma biographie ! Je supporte pourtant sans rien dire de plus. Parce que j’ai trop peur et que je suis plein de regrets, l’âme en peine. Comment peut-on s’en vouloir pour une action que l’on a faite totalement consciemment ? Surtout, je me demande quelle logique je suis. Aucune, sans doute. Je sais que je suis instable et imprévisible, c’est ce qui m’a amené à Miami. Alors bon, pourquoi encore m’étonner ? Il me demande ce qui fait que je suis chez les Alpha et je lui réponds sans détour. En ajoutant un détail que j’aurais dû garder pour moi, évidemment.

-Musicien? Tu es pianiste, c’est génial. Tu me montreras comment tu joues?

Là, je tique un peu. Je n’aime pas vraiment jouer devant les autres. C’est ce qui m’a valu de m’énerver contre Shin d’ailleurs. Mais j’essaie de changer un peu, d’être moins coincé là-dessus. Alors pourquoi pas ? Je prends encore un ton hésitant, parce que je pense que de toute façon, il ne voudra pas une fois qu’il saura pourquoi je suis réellement ici.

- Oui, si tu veux.

-Moi j’ai rencontré Shin dans la salle commune.

Oui, c’est une option aussi. Dans la salle commune. Là où on peut croiser tout le monde. Et où je n’ai pas vraiment croisé les autres membres de ma confrérie. Il s’excuse d’être trop bavard. C’est sûr qu’à côté de moi, c’est tout autre chose. Mais bon, parfois, avec moi, il faut ça pour me tirer les vers du nez. Il sourit à ce que je lui dis. Je sais que les asiatiques sont très respectueux, mais je trouve ça un peu exagéré quand même. Je me fais peut-être des idées. Mais quand même.

-Sers toi hein. N’hésites pas.

Justement, si, j’hésite. Encore une fois, je regarde l’assiette de gâteaux sans y toucher.

- Non merci, c’est gentil, mais je n’ai pas faim.

Comment pourrais-je avoir faim ? Je suis venu ici pour m’excuser, parce que je ne me sentais pas bien en repensant à tout ça. Je ne vais certainement pas m’empiffrer maintenant. C’est à mon tour de poser une question. Depuis quand il connait Shin. Il m’a dit qu’il l’avait rencontrée dans la salle commune, mais ça ne me dit pas à quelle époque.

- On va dire en gros depuis le début de l’année, jusqu’à ce qu’on apprenne qu’on va emménager en semble. Ca nous a beaucoup rapprochés surtout qu’elle est- elle aussi coréenne et ça rapproche. Mon pays me manque un peu.

Est-ce pour ça qu’ils ont été mis dans la même chambre ? Parce qu’ils viennent du même pays ? Enfin bon, c’est bizarre qu’ils ne se connaissaient pas avant, à croire que l’administration ne fait que ça. Mettre dans une même chambre deux inconnus de sexes différents. Pendant que j’y réfléchis, il y a un changement de comportement chez le jeune homme en face de moi. Il semble comprendre quelque chose, et ne pas en être très content. Sauf que je ne vois pas les signes qui me montrent que je suis désormais dans la merde. Pas encore.

-Tu m’as bien dit que tu étais le coloc d’Aya? Ça se passe bien? C’est bizarre ces colocations entre hommes et femmes. J’étais vraiment choqué en l’apprenant.

Effectivement, c’est ce que je lui ai dit. Mais sa question m’alerte un peu. Je décide de ne pas y répondre. Pour dire quoi de toute façon ? Qu’on passe notre temps à se crier dessus et que je ne supporte pas cette fille ? Et que la plupart du temps, je me fais un malin plaisir de la pousser à bout ? Autant me taire, ça vaudra mieux pour ma peau.

- C’est vrai que c’est bizarre. Je n’étais pas au courant non plus en arrivant dans la chambre.

Je sens vraiment qu’il est différent, qu’il a compris quelque chose. Que ce n’est pas bon pour moi. Il a toutes les pièces du puzzle, il vient sans doute de les assembler. Et ce qu’il a vu n’est pas forcément la meilleure des choses pour moi. Il continue avec ses questions. Mais elles ne sont plus innocentes, elles sont ciblées, elles ont un seul but : faire tomber mon masque. Celui que je ne me suis pas inventé pourtant, mais celui qui change tellement souvent qu’on ne peut se douter que c’est le même, que c’est bien le mien.

- Tu m’as dit que tu avais rencontré Shin dans une des salles ateliers? Tu la connais depuis quand? Tu sais qu'elle s'est presque fait agresser dans une salle?

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai une réaction plutôt inattendue. Et qui me trahi aux yeux de Ki. Je me lève brusquement, manquant de faire tomber la chaise sur laquelle j’étais assis. J’essaye de me soustraire à son regard, je l’évite. Pourtant, je le surveille quand même, ses pieds, pour savoir s’il s’approche de moi. J’ai peur qu’en posant mes yeux sur la porte, il en profite pour me faire sentir qu’il n’aime pas mes façons d’agir. Je ne sais pas s’il est violent ou non, je n’ai pas envie de vérifier. Pourtant, je ne sais pas ce qui me pousse à répondre à sa dernière question, même s’il est devant l’évidence que je suis au courant. Puisque c’est moi qui l’ai agressée.

- Je venais m’excuser pour … ça …

J’ai envie de pleurer, comme un môme. Parce que j’ai honte. Parce que j’ai peur. Pourtant, il avait l’air si gentil en m’ouvrant. J’ai tout foutu en l’air, avant même de savoir que j’aurais pu m’entendre avec lui. Je m’en veux, mais c’est trop tard. Bien trop tard. Je suis un monstre. Qui plus est, même pas capable d’assumer à l’instant ses actes ignobles envers une pauvre jeune fille sans défense et ne demandant qu’à dessiner tranquillement. Je sens presque déjà son point rencontrer mon visage. Mais je n’espère qu’une chose : qu’il n’en fasse rien. Qu’il trouve un autre moyen de me faire comprendre son mécontentement, plus pacifique.

- Je n’aurais pas dû venir … pas dû venir …

Je murmure plus pour moi-même, mais il peut m’entendre. Il peut saisir que, là, je regrette vraiment. A moins qu’il pense que je ne suis qu’un comédien, que je ne cherche qu’à me faire passer pour quelqu’un que je ne suis pas. Que j’invente des regrets, pour ne pas avoir d’ennuis. Mais ce n’est pas vrai, ce sont vraiment mes sentiments du moment, mon humeur véritable. Je sais que je change souvent de facette et que ce n’est pas une qualité, mais au moins, quand j’en montre une, elle fait vraiment partie de moi, au même titre que toutes les autres.

Je suis vraiment gêné de me retrouver là, face au colocataire de Shin, qui ne semble pas me connaître. Il va forcément me juger si je lui dis ce qui s’est passé, et sans doute aussi si je ne dis rien. Je lui avoue donc que j’ai quelque chose qui appartient à la demoiselle, et sous entends au passage que je suis ici pour le lui rendre. Pourtant, je ne précise pas plus, c’est trop dur pour moi. Je me retrouve sous son regard qui n’est pourtant pas inquisiteur, enfin pas pour le moment. Il me sourit même. S’il savait !

-Ah bon ? Et quoi donc ?

Est-ce que c’est nécessaire que je lui réponde ? Je n’en ai pas envie, j’en ai plutôt peur en fait. Je veux partir, retourner me terrer dans ma chambre, au moins tout le temps où j’aurais jugé que je m’en voudrais pour ce que j’ai fait. Je vois bien qu’il essaie de me mettre en confiance, mais je m’excuse comme un môme en prétextant revenir plus tard. Sauf qu’il n’est pas du même avis que moi. Il ne me connait même pas et pourtant, il est gentil avec moi ! Depuis le temps que ça ne m’est pas arrivé, je regrette déjà de savoir que ça va mal se terminer.

-Mais non, tu ne me déranges pas. Restes donc! Et puis tu n'es pas venu jusqu'ici pour rien !

Je ne le dérange pas, peut-être, mais s’il y avait eu Shin, il n’aurait pas dit la même chose. Du tout. D’ailleurs, maintenant, j’ai peur qu’elle revienne. Même s’il dit que je ne gêne pas, je suis prêt à insister pour y aller. Trouver une excuse. Je ne sais pas, « j’ai oublié que mon chien était mort » ou « en fait non, je me suis trompé d’asiatique ». Quelque chose quoi, même si ce n’est pas crédible. Sauf qu’il me prend par le bras et me force à m’asseoir dans la cuisine. Je n’oppose aucune résistance. Je n’en ai même pas la force. Il faut bien qu’à un moment ou à un autre, ça me retombe dessus. Autant que ce soit maintenant, que je ne me sois pas déplacé pour rien, comme Ki le disait.

-Fais comme chez toi.

Euh … pas vraiment non. Je ne suis pas du genre … En fait, si, totalement. Dans mes « bons » jours. Sauf qu’aujourd’hui n’est pas un bon jour. Il me demande si je veux un café ou quelque chose. Je refuse poliment d’un signe de tête. Il me raconte qu’il aime le café avec une pointe de lait. J’en ai un peu rien à faire. C’est quoi son délire de me raconter sa vie ? Mais je ne suis pas d’humeur à lui faire remarquer, alors je le laisse dire. Je le laisse faire. Il me propose même des gâteaux. Il m’attendait ou quoi ? En fait, il a mis du poison dedans, il m’a enfermé, personne ne me retrouvera. Il est au courant de tout, je suis perdu. Parano, moi ? Pas du tout ! Ou alors juste un peu. Je regarde l’assiette, légèrement suspicieux. Je préfère, là encore, refuser poliment.
Il se tourne un peu dans tous les sens et observe les alentours. Il y a des feuilles un peu partout mais je n’y avais pas prêté attention jusqu’à maintenant. Il faut dire que ce n’est pas toujours mieux chez moi, alors je ne juge pas (enfin, pas aujourd’hui quoi).


-Oups pardon ! Je donne des cours de coréen à Ayase, c'est une alpha psi, elle aussi peut-être que tu la connais ? Elle est amie avec Shin.

Là, limite, mon visage se décompose. Ayase ? Se pourrait-il qu’il y en ait plusieurs dans cette confrérie ? La probabilité tourne autour de 0. Et c’est un véritable drame pour moi. Cette fille me suit même dans la chambre de nos voisins. En même temps, entre asiatiques, ils doivent bien tous se connaître. Il m’a posé une question et je ne peux pas rester muet éternellement. Je suis bien obligé de répondre, même si je ne rentre pas dans les détails.

- Oui, je la connais. C’est ma … colocataire.

Je ne l’ai pas insultée. Je n’ai rien dit de méchant sur elle. Je suis fier de moi. Mais juste l’espace de quelques petites secondes, jusqu’à ce que le jeune homme en face de moi me pose une nouvelle question. Que je redoutais un peu, même si ce n’est pas la pire qu’il puisse me poser.

- Au faite, qu'est-ce-que tu as qui lui appartient ?

Il manquerait plus qu’il pense que je suis un menteur ! Ce n’est qu’une feuille, que quelques traits de crayon, mais je pense que c’est important pour elle. Tout comme mon piano n’est pas qu’un ensemble de simples touches. C’est pour ça que je veux tant lui rendre, en plus de m’excuser à nouveau. Je fouille mon sac en baissant la tête, ce qui me permet de « casser » le contact visuel avec Ki et en sors le croquis.

- Elle a fait tomber … ça, l’autre jour.

Je ne précise pas plus les circonstances. De toute façon, je suis presque sûr qu’il est au courant, même si je ne comprends pas pourquoi il est si gentil avec moi. Ce n’est pas normal, ce n’est pas possible. C’est inattendu.
Il me donne à nouveau son prénom, que j’ai déjà bien compris. Et là, il me demande le mien. Je trouve ça vraiment bizarre. Il a réellement l’air de ne pas savoir qui je suis. Mais je suis une star quand même ! Non, en fait, tant mieux pour moi je crois. Parce qu’entre Shin et Ayase, s’il savait, j’aurais déjà eu son poing dans mon nez. Quoi que, il n’est pas violent. Si ?
Après quelques secondes d’hésitation, je décide de lui donner quand même. De toute façon, nous sommes dans la même confrérie, nous nous reverrons forcément. Autant profiter d’un moment de calme avant une tempête qui ne saurait tarder à se pointer.

- Adam.

Est-ce que lui aussi va avoir du mal à le prononcer, comme cette … d’Ayase ? Je n’espère pas, parce que même si je suis hyper honteux et timide en ce moment-même, ça ne manquerait pas de m’énerver. Et j’ai bien du mal à me contrôler parfois. Vous pouvez même demander à Shin !

-Tu es aussi un alpha Psi, je crois d'avoir entraperçu dans les couloirs mais je suis plus très sur. C'est quoi ta passion ?

Encore une question. Il était payé à la question ? Si oui, il devait être riche. Je réponds quand même, un peu plus à l’aise, sans pour autant me sentir « comme chez moi ».

- Je suis musicien. Je joue du piano. C’est dans la salle que j’ai rencontré Shin …

QUOI ? Mais pourquoi j’ai dit ça ? Je suis taré, ça doit être la seule explication. Adam, tu veux pas non plus lui dire ce que tu lui as fait ? Et avouer au passage que tu déteste ta colocataire ? Que t’as envie de lui taper dessus ? Et que t’es un pauvre type déboussolé ? Non mais je vous jure ! Je suis peut-être méchant avec moi-même, mais je le suis encore plus avec les autres. Là, c’est sûr, il m’a grillé. Il est forcément au courant. Il ne peut pas ne pas l’être. Et s’il n’a pas fait le rapprochement avant, il a désormais toutes les pièces en main pour justement me la foutre violemment dans la tronche. Surtout que je ne me défendrais même pas. Je me fais pitié tiens.

-Je suis toujours comme ça: trop bavard et curieux. Tu n'es pas obligé de répondre, si mes questions te dérangent. J'espère que Shin va pas trop tarder parce que si t'aimes le silence, tu vas être servi avec moi.

Bah moi maintenant, je n’ai plus envie qu’elle rentre. Je veux juste m’en aller mais je sais que je suis coincé, que je ne peux rien faire. Alors autant bavarder un peu, non ? Etrange de ma part, moi qui suis super anxieux d’être ici.

- Non, elles ne me dérangent pas. C’est juste que … je suis pas très causant. Enfin, pas là, je veux dire …

Et je n’aime pas spécialement le silence. Mon préféré ? Celui de ma colocataire. Après, les autres, ça ne me dérange pas qu’ils parlent. Une question me démange. Et un espoir un peu fou. Peut-être qu’il n’aime pas non plus sa colocataire et qu’il fait semblant devant moi ? Même si ça m’étonnerait. Je peux toujours lui poser des questions aussi.

- Tu la connais depuis longtemps Shin ?

Ma méthode de l’instant : ne pas y aller trop franchement. Parce que ça soulève la suspicion. Amener les choses tout doucement. Même si je ne suis pas toujours du même avis et qu’il m’arrive de foncer dans le tas tête baissée sans réfléchir. Je suis comme ça, personne ne me changera. J’attends sa réaction avec impatience et nervosité, comme s’il allait me sauter dessus à la moindre seconde pour m’arracher la tête, les dents, les boyaux, les cheveux, que sais-je encore.

Je ne sais pas quoi faire. Ça fait des jours que j’y réfléchis. Et je ne trouve pas de solution. Enfin, pas de solution acceptable. Pas à mes yeux. Je suis un peu perdu, je ne peux pourtant pas laisser les choses comme ça. Ce n’est pas qu’à cause de son dessin, mais aussi de ce que je lui ai fait. Vous suivez là ? Bon, retour en arrière.

Je n’ai jamais été quelqu’un de facile, je le sais. Je m’emporte parfois assez vite, je fais des choses que je regrette, et pourtant, sur le moment, rien ne m’arrête. C’est exactement le schéma que j’ai suivi l’autre jour. J’ai décidé, pour la première fois depuis que je suis là, d’aller jouer du piano. Voir comment était celui de l’école, si je pouvais toujours pratiquer la musique. Sauf que je n’ai pas l’habitude que quelqu’un m’écoute. Et la salle n’était pas vide, je ne l’ai pas vu. Shin, une autre Alpha se trouvait là, en train de dessiner. Ça m’a mis en colère, je me suis énervé contre elle, sans aucune raison, ou presque. Elle a même pleuré. J’ai vu tout de suite qu’elle n’était pas du genre à se dresser face à quelqu’un. Mais voilà, maintenant, je regrette. J’aimerais ne pas avoir réagi comme ça avec elle, surtout qu’elle n’a pas l’air méchante du tout. Et puis, elle a oublié un de ses dessins. Enfin, il a dû glisser pendant que je la secouais comme un prunier. Ça doit être plutôt ça. Il faudrait donc que je lui rende. Et que je m’excuse au passage. Je ne veux pas qu’elle continue à avoir peur de moi, qu’elle pense que je ne suis qu’un salop. Même si elle n’a pas tout à fait tort de penser ça.

C’est ce qui m’amène à me questionner aujourd’hui. Parce que je crains un peu sa réaction. Elle va penser que je la poursuis, que je suis là pour la martyriser à nouveau. Je ne l’ai d’ailleurs pas recroisé depuis. Ce qui est étonnant, puisque qu’il est très facile de rencontrer ses camarades de confréries dans les bâtiments. Elle va peut-être pleurer à nouveau, sauf qu’elle ne sera pas toute seule. Je ne veux pas avoir d’ennuis, mais en même temps, je ne peux pas garder son dessin. Il faut que je lui rende. Aller, plus le temps de faire demi-tour, je prends un petit sac pour y glisser la feuille, et sors de ma chambre. En plus, sa chambre est juste à côté, c’est vraiment un miracle que je ne l’ai pas vue depuis notre rencontre. Je ne jette pas un coup d’œil vers ma colocataire et claque la porte. Tant pis pour elle, pure vengeance. Elle le fait aussi, mais le matin, quand je suis encore en train de dormir. Moi, j’ai choisi l’après-midi, elle n’a pas à se plaindre. De toute façon, je ne la supporte pas. Rien que de la voir, ça m’énerve. Peut-être aussi parce qu’elle me rappelle un peu Shin, vu qu’elles sont toutes les deux asiatiques. Ça ne change rien, je n’aimerai jamais cette saleté de Chinoise.

Je traverse alors le couloir pour aller devant sa porte. Et si elle n’était pas là ? Si je tombais sur sa colocataire ? Si elle me claquait la porte au nez ? Je suis nerveux. J’hésite, je suis prêt à retourner d’où je viens. Je suis un con, qui attend sans rien faire devant une simple porte. Je lève le bras et frappe énergiquement, toujours anxieux. J’attends alors quelques secondes que quelqu’un vienne m’ouvrir. En voyant le battant pivoter, j’ai presque envie de baisser la tête, honteux. Mais ce qui m’en empêche, c’est la personne qui se trouve en face de moi. Je me perds alors dans mes pensées, me demandant réellement si je ne me suis pas trompé. Pourtant, je suis sûr que je suis à la bonne porte. Un détail me saute aux yeux. Encore un asiatique ? Je ne suis pas raciste mais là, je ne suis pas vraiment à l’aise. Entre Shin, Ayase -ma charmante colocataire- et lui. Même Takanori, mon collègue au restaurant (et accessoirement un professeur du lycée). Ils ont décidé de tous ses regrouper ici ou quoi ? Enfin, ce n’est pas trop grave. Tant qu’ils ne viennent pas m’embêter et qu’ils ne sont pas tous comme l’horrible jeune fille qui partage ma chambre.

-Bonjour tu dois être Ethan. Enchanté je suis son colocataire Ki. Je suis désolé mais Shin n'est pas là pour le moment.

Ethan ? Non, ce n’est pas moi. Il attendait cet Ethan alors ? Je ne sais pas, tout ce que je sais, c’est que j’arque un sourcil, surpris. Et puis, je sens un peu d’hostilité dans sa voix, malgré une gentillesse que je pense feinte. C’est moi ou il n’aime pas celui qu’il croit que je suis ? Enfin, ce n’est pas mes affaires de toute façon, je m’en fiche un peu, je ne le connais même pas. Je l’ai peut-être déjà croisé, mais je n’y ai pas accordé beaucoup d’importance. Il a une certaine prestance je trouve. Il me dévisage un peu mais je ne dis rien, je fais un peu la même chose.

-Tu n'es pas Ethan? Je me suis trompé?

Oui, tu t’es trompé. Tu vois bien ça à ma tête quand même ! Je confirme sans rien dire, un peu gêné. Déjà, j’étais inquiet à l’idée de revoir Shin, qu’elle me craigne encore, mais là, je tombe carrément sur son colocataire. S’il me posait des questions ? Qu’est-ce que je vais lui répondre ? « Oui, alors je suis le type qui a failli frapper ta colocataire parce qu’elle était dans une salle et que ça me plaisait pas. Enchanté ! Maintenant, je veux lui rendre son dessin parce que j’ai décidé de plus être méchant. Ça te dit de boire un verre ? ». Le truc le plus crédible au monde quoi.

-Oh pardon! Entre donc!

Il s’écarte pour me laisser passer. Je suis prêt à lui répondre que je repasserai plus tard, que ce n’est pas grave si son amie n’est pas là, mais je n’ai pas le choix, il me pousse à aller dans la pièce. Oulah, je le sens déjà mal. Qu’est-ce qu’il va faire de moi ? Est-ce qu’il est au courant ? Visiblement non, mais il pourrait très bien faire semblant, pour me tendre un piège. Qui vient de se refermer sur moi, en même temps que la porte de leur chambre.

-Tu es venu voir Shin, je suppose puisque je ne te connais pas. Elle devrait pas tarder. Tu lui veux quoi?

Je crois que c’est le moment où je suis censé me faire dessus. Comment expliquer ce comportement si hésitant, comparé à celui que j’ai eu avec Shin ? Je ne sais pas, c’est comme ça. Je suis timide, je baisse la tête, honteux. Je triture la lanière de mon sac, où se trouve l’objet à cause duquel je me trouve ici. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je ne suis pas obligé de tout lui dire après tout. Il est peut-être encore temps de m’en aller. Je reviendrai plus tard, si j’en ai le courage. Je bredouille, comme un enfant pris en faute.

- Je … j’ai quelque chose qui … lui appartient …

Oui, et accessoirement, je l’ai fait pleurer, l’ai secouée dans tous les sens, ai fait tomber son carnet, lui ai crié dessus, l’ai obligée à répondre à mes questions. Je l’ai terrorisée en somme et je me pointe aujourd’hui comme une fleur, espérant qu’elle me pardonne ne serait-ce qu’un petit peu. Peut-être qu’elle n’acceptera même pas de récupérer son croquis. C’est une très mauvaise idée d’être venu finalement. Je garde la tête vers le sol et continue de me rendre ridicule avec mes excuses minables.

- Je … je crois que je vais repasser … plus tard.

Je suis prêt à m’en aller, à faire demi-tour, mais rien n’est aussi simple et je pense que j’ai attisé quelque peu sa curiosité. Va-t-il me laisser partir tranquillement ? Ça serait bien trop évident !