[Terminé] But this part, it's an another story [PV Nolan B. Pierce]

Je n’ai pas l’habitude d’être avec une fille. Ça peut vous paraître ridicule. Peut-être que certains diront que ça ne se perd pas, que c’est un peu comme le vélo. Une fois dessus on sait comment s’y prendre, les vieux réflexes reviennent toujours. Alors peut-être que ce n’est pas un oubli mais une volonté. Peut-être que je me force à ne pas aller vers une demoiselle. Je mets une frontière entre moi et les autres. Sa frontière. Son regard. Vous connaissez le fantôme de l’ex ? Cette ombre qui pèse au-dessus de votre tête et qui vous rappelle l’amour que vous lui portiez. Je crois que c’est ce fantôme qui me hante et qui me rend si nul avec la jolie Lila.
Mais ce n’est pas tout. Il y a quelque chose dans son regard qui me perturbe. C’est comme si je l’avais déjà croisée sans pour autant savoir où et quand. Comme si je la connaissais alors que je suis certain de n’avoir jamais entendu le son de sa voix.
Dix-huit ans, voilà son âge. Je ne l’aurais pas deviné du premier coup d’œil. Je n’aurais pas pu savoir. Je comprends tous les serveurs qui se font arnaquer. Mais bon, certains ne disent rien, c’est toujours de l’argent en plus. Je sais que lorsque j’ai un contrat dans un bar, j’ai tendance à respecter les consignes du chef. S’il veut que je sois strict, je le suis. S’il ne me dit rien en particulier, je laisse couler. Je ne fais pas mon chieur à demander des cartes d’identité. Et même quand je le fais, je connais très bien les techniques pour en avoir une fausse. Moi-même j’ai fait partie du club de fraudeurs. Pas étonnant, si ?

Lila lève le bras pour interpeler le barman. Je finis ma bière tandis que l’homme arrive. Il l’observe un instant alors qu’elle lui commande un gin. Je l’observe discrètement. Je n’ai pas l’impression qu’elle s’amuse vraiment avec moi. Je suis là pour lui offrir des verres, voilà tout. J’ai même l’impression que je la fais plus chier qu’autre chose. Je soupire un peu en essayant de trouver une solution pour me montrer plus agréable. Je ne sais pas y faire, je ne suis pas d’humeur mais je peux au moins tenter de faire un effort. Que veut-elle ? Que je la drague ouvertement, que je lui passe une main sur les cuisses en lui susurrant des mots d’où à l’oreille. Elle me giflerait. Je l’insulterai comme le plus beau des machos. Et ensuite ? Ça apporte quoi tout ça ? Je ne suis pas ce genre de mec et si elle veut vraiment être traitée comme un objet alors elle est tombée sur la mauvaise personne. Je respecte les femmes, ce qu’elles sont, ce qu’elles font. Je suis le genre de personne qui dit qu’il y a une femme derrière tous les grands hommes. Je n’ai pas trouvé la mienne. Je l’ai cru. Je l’ai sincèrement cru. J’étais prêt à tout pour elle. Je lui aurais confié ma vie s’il le fallait. Mais je me suis planté. Ça ne change rien. Je suis tombée sur la mauvaise. Même si je crois toujours que nous sommes faits pour être ensemble. Je dois me faire une raison. Mais pour rien au monde je laisserais tomber mes valeurs. Ce à quoi je crois passe avant tout le reste.
Le serveur demande à voir la carte d’identité de Lila. Elle me jette un coup d’œil complice et je souris. Je ne m’étonne pas de la scène qui suit. La demoiselle tend une carte d’identité et joue à merveille la comédie. Le soupire parfaitement placé au bon moment, sans exagération. Le regard las et fatigué. La main ne tremble pas. C’est parfait. Si parfait que l’homme s’incline. « Merci, pardon pour le dérangement, et pour vous monsieur ? » « Un whisky, sec. » Je souris à mon tour et l’observe s’éloigner vers le bar.

Mon regard vient chercher celui de Lila. Ce n’est pas bien jeune fille ! C’est passible d’une belle amende. Une mineure n’a pas le droit de boire de l’alcool. Bla bla bla et bla bla bla… Voilà le discours que tout adulte responsable se devrait de lui tenir. Sauf qu’à ce niveau, je ne suis pas une référence. Quand je repense à tout ce que j’ai pu faire… « Si jamais dans ton CV ça fait tache, dit qu’elle s’appelait Kelly ! » Le nom indiqué sur sa carte… Je secoue la tête en souriant.  « T’inquiète pour mon CV, il est déjà assez taché comme ça ! »

Le serveur revient avec nos verres. « Et sinon Kelly, tu sais à propos de notre histoire je crois que je dois t’avouer quelque chose… » J’attends qu’il reparte pour arrêter de parler. Je sais que c’est complètement débile de faire ça mais ça m’amuse. Je préfère me détendre, penser à autre chose, quitte à me faire passer pour un autre plutôt que de me prendre la tête à longueur de journée.
Je peux essayer, rien qu’un instant, de me vider la tête. Je peux passer du bon moment avec cette demoiselle un brin hors de contrôle.

Minable. Tu n’es qu’un petit minable qui n’a rien à faire ici ! J’entends tellement souvent ça voix. Je revois son regard noir me méprisant de toute sa hauteur. Je ne suis qu’un pauvre type ne valant pas le quart de ce qu’elle méritait. Je n’avais rien à faire ici. Je n’avais rien à faire à Miami, dans leur maison, avec elle… Oui j’ai fait de la taule. Oui, je n’ai pas l’éducation parfaite. Oui, je n’ai pas d’économie et encore moins d’héritage. Mais ça veut dire que je ne le mérite pas ? Je ne mérite pas de continuer mes études ? Je dois rester là à m’enfoncer dans les clichés ? La preuve, j’suis dans un bar comme il aurait pu l’imaginer. Je suis sûr qu’il me voit finir alcoolique et dépendant à je ne sais quelle substance. Aujourd’hui, j’ai pas envie de lui prouver le contraire. Aujourd’hui, j’en ai marre de me battre. Je dois prouver à tout le monde que je ne suis pas ce que l’on pense de moi. Tous les jours je dois prouver que j’ai des qualités, que je ne suis pas qu’un minable petit voyou de bas étage. On me demande de rentrer dans le puzzle. On me dicte mes faits et gestes à longueur de journée. Ne fais pas si ... Ne fais pas ça… Et quoi que je fasse de toute manière on ne verra que de la manière dont ils m’imaginent.
Alors merde ! Ce soir je ne ferais aucun effort. Ce soir je ne ferais pas attention à ma consommation d’alcool. Ce soir, si j’ai envie de tirer sur un joint, je le ferais sans remord. Si j’ai envie d’être un salop et de me taper toutes les meufs possibles… Et ben merde ! Je le ferais ! J’en ai tellement mal de faire attention à tout.

« Si un jour je dois mourir, c’est qu’il en était décidé ainsi. Alors je ne compte pas me priver de quoi que ce soit dans la peur d’un destin qui me parait inévitable. Nous sommes tous destiné à une fin, c’est ainsi, profiter de la vie est déjà assez prenant pour qu’on s’embête à éviter le futur. Tu ne penses pas ? » J’hoche la tête et avale une gorgée d’alcool. « Bonne philosophie de vie. » J’approuve ce qu’elle vient de dire, dans son intégralité. En fait ça colle avec ce que je viens de penser. J’ai pris l’habitude en sortant de taule de me cantonner à mes bonnes résolutions. Je me suis promis d’arrêter le flot de connerie qui rythmait ma vie. Du coup, j’ai finalement arrêté de vivre… Je sais que si je reprends mon ancien train de vie, je retournerai en prison. Je sais aussi que ça ne m’apportera pas de plaisir. Mais ce soir, je n’arrête pas de penser à elle. Je revois son visage. J’entends sa voix murmurer des mots à mon oreille. Je revois les courbures de son écriture. Et tout ça… Ça me donne la nausée.
Alors rien que pour un soir… Ça n’a rien de mal ?

Elle rajoute alors : « Je suis venue parce que je m’ennuyais là où j’étais, et que les bars y a rien de mieux pour passer le temps. Les barmans oublient souvent que je n’ai pas vingt et un ans, autant en profiter ! Au fait, je m’appelle Lila, je commence à désespérer que tu me le demandes. C’est mon égo qui en prend un coup là ! Tu as un nom où faut-il que je continue de t’appeler beau gosse ? » Elle s’ennuyait là où elle était… C’est une bonne raison et je dois avouer que c’est un peu mon cas à moi aussi. Par contre ce qui me choque légèrement c’est l’aveu qu’elle fait par la suite. Elle n’a pas la majorité… Du coup je me sens un peu perdu. Elle a quel âge au juste ? Franchement… Jamais je n’aurais deviné qu’elle était mineure. On ne devine pas l’âge des personnes en les observant trente secondes. Sous le choc, je n’arrive pas à répondre de suite. Elle en profite pour enchaîner en se présentant. Lila… C’est mignon comme prénom. « Désolé, je manque de galanterie… Ça fait longtemps que je n’ai pas été avec une fille alors… » Je soupire en secouant la tête. Avec Ana tout avait été plus simple. Je ne sais plus ce que c’est que de se montrer sous son meilleur jour face à une demoiselle. « Moi c’est Nolan… Mais mon égo apprécie vraiment quand tu m’appelles beau gosse… » Je souris et bois une nouvelle gorgée. Je ne suis pas particulièrement fan des grands instants de drague. Je ne suis pas vraiment le genre de mec à profiter de son physique pour mettre des filles dans son lit. « T’as vraiment pas vingt et un ans ? Parce que du coup… Ça fait tomber tous mes plans… Abus sur mineure, j’voudrais pas tenter l’coup ! Ça fait mauvais genre sur le CV. J’pense que j’en ai déjà assez sur le mien. Mais bon tu l’as dit… Faut savoir profiter de l’instant présent ! » Je secoue la tête en souriant. Qu’est-ce que je fous ici ? M’éclater ? Je ne sais même pas comment tenir une conversation naturelle avec une fille tout en étant sobre. « Mais t’as raison d’en profiter. Je ferais sûrement la même chose… Un bar comparé à un endroit ennuyeux… C’est bien plus sympa ! T’es une habituée ? »

Y a des personnes que l’on croise un jour et puis on les oublie vite. On voit des milliers de visages. Comment tous les retenir ? Parfois il ne suffit pas d’avoir un lien avec un individu pour que celui vous marque à jamais. Et parallèlement, on finit souvent par oublier des personnes auxquelles on tenait quelques années plus tôt. Pourquoi retenir un visage plutôt qu’un autre ? Quel élément fait la différence ? Comment savoir à l’avance si telle personne nous marquera et réciproquement si on l’oubliera dans la minute ?
Parce que… Ça me perturbe. Cette fille j’ai le profond sentiment de l’avoir déjà vu. Je ne sais ni où, ni comment, ni quand mais il y a quelque chose qui me fait dire que je l’ai déjà vu. Je ne sais pas si c’est son regard… À première vue, j’ai directement pensé à ma mère. Je trouve ça glauque. Je suis sûr que ce n’est pas ça. Pourtant son visage me rappelle étrangement celui de ma camée de mère. Mais j’ai sûrement dû la croiser avant la taule. J’ai dû la rencontrer dans un bar comme celui-ci ou dans une rue. Peut-être que j’étais trop bourré pour me souvenir exactement d’elle et de notre rencontre… Ou bien c’est bien la première fois que nous nous croisons.
Pourquoi ma mère ? Pourquoi me fait-elle penser à elle ? Ce n’est pas normal de trouver une fille extrêmement sexy et de trouver qu’elle ressemble à celle qui nous a mis au monde. Je suis partagé entre deux émotions et c’est carrément flippant. Alors j’essaye d’oublier et de faire comme si de rien n’était. Je vais arrêter de réfléchir sur ce qu’elle est, ce qui nous relie et je vais simplement me détendre. Après tout, je suis venu ici pour ça et pas pour me poser des tas de questions ! C’est dingue comme ma mère peut ruiner ma vie tout en étant morte. J’espère qu’elle brûle au moins aux enfers. Parce qu’elle a réussi à gâcher chaque instant de ma vie, même les plus simples.

« Bon dans ce cas je n’aimerai pas blesser, ou flatter ton égo d’homme galant. Mais je te laisse payer la première tournée. » Je souris. En même temps, ça tombe sous le sens. Je ne vais pas la rejeter encore une fois. Et puis je pense que c’est toujours bon genre de payer la première tournée. Ça me fait bizarre de me faire ainsi accoster par une fille. Je suis habitué aux regards coquins, aux petits sourires en coin… Mais je ne tombe jamais dans ces vices-là. Je ne suis pas un modèle de vertu, ça c’est sûr. Mais en matière de femmes… Disons que je ne suis pas encore prêt à recommencer. La plaie est encore ouverte et je ne sais pas si c’est une très bonne idée d’enfoncer des épines dedans. Je préfère rester loin de toutes ces histoires. Je vis très bien mon célibat. Enfin… J’ai réussi à accepter cette nouvelle situation. N’étant pas du genre à enchaîner les conquêtes et encore moins à vouloir me recaser tout de suite… Je préfère prendre mon temps et me focaliser sur mes études avant les filles.
Je vais faire une exception ce soir. Tout d’abord parce que cette demoiselle semble très… Comment dire ? Elle a une façon d’être que j’adore. Elle n’a pas l’air de se prendre la tête et encore moins de trop réfléchir. Comme elle l’a dit, elle n’a rien de commun avec la plupart des filles que j’ai déjà rencontrées et encore moins avec Anabella… Et puis cette fille attise ma curiosité. Elle a ce truc qui me fait dire que je dois rester un peu avec elle. Je ne sais pas encore ce que c’est et pourquoi je ressens ça en sa présence mais je compte bien le découvrir.

Je m’occupe des commandes alors que la blonde finit par me demander : « Alors qu’est-ce qu’un garçon sexy, tatoué aux allures de bad boy fait ici tout seul ? » Bonne question ! Comment dire ? Je suis venu me détendre après une entrevue avec mon contrôleur judiciaire. Je suis venu pour me vider la tête et arrêter de penser à elle et à toutes les merdes de ma vie. Je passe une main dans mes cheveux, soupire et plante mon regard dans le sien. « J’attendais qu’une magnifique blonde pousse les portes pour qu’enfin ma journée trouve un sens. » Je rigole doucement. C’est tellement cliché. « Désolé, ça ne me va absolument pas le rôle du gros lourd qui sort des phrases bateaux. J’suis venu pour me vider la tête. Et toi ? T’as pas peur d’aller vers les gens comme ça… T’sais pas, je pourrais être un dangereux criminel. » Moi, grand tueur en série adorant les 3% de blondes qu’il y a en Floride. Je suis un tel psychopathe que mon but est de les éradiquer de l’État en les tuant des pires façons qu’il puisse exister.

Je remarque ma bière et en boit une gorgée. Quand je pense que cette inconnue me voit comme un tatoué aux allures de bad boy… Quoi ? Cette étiquette doit me coller toute ma vie ? Je n’en ai pas honte. Surtout que dans sa bouche ça n’a pas l’air négatif. C’est juste que l’on me l’a beaucoup répété il y a quelque temps. J’entends encore sa voix grave et méprisante me traitant de minable.

J’ai l’impression d’être un lion en cage. Fais si, fais ça ! Souris ! Ne mens pas ! Sois gentil, ne mords pas. On me donne ma petite dose de viande habituelle et moi je dois me contenter de rugir quand on me le demande et de faire ma gueule le reste du temps. Il ne faut surtout pas passer la patte hors de la cage mais quand on te demande de sauter dans le cerceau, tu ne peux pas refuser sinon tu te prends des coups de fouet. Et si par malheur tu es un peu têtu et que tu t’en moques de recevoir toutes les punitions possibles et inimaginables alors on se débarrasse de toi dès que possible. On te laisse dans un coin ou bien on fait en sorte que tu meurs. Vous voyez où je veux en venir ? Le système qui règne dans notre société n’a aucune pitié. On se moque de savoir ce que sera ta vie plus tard. À partir du moment où tu es dans le système tu n’as plus l’autorisation d’en ressortir. Nous sommes surveillés à la loupe en performance. Le moindre faux pas… Et hop ! On te saute dessus. La société ne veut pas de délinquance. Elle souhaite avoir de bons petits soldats à ses ordres. Elle nous dresse dès notre enfance, elle nous apprend à obéir. Tu iras l’école jusqu’à seize ans, tu t’assiéras sur ses chaises et même si tu as envie de partir, tu seras un gentil élève et tu écouteras les leçons jusqu’à la fin de ta journée. On nous donne un emploi du temps pour que l’on soit constamment obligé de faire quelque chose de structuré. La société ne veut pas de délinquance et pourtant elle la crée.
C’est à cause de cette société de merde que je me suis retrouvé dans des familles d’accueil ne pensant qu’au fric qu’ils allaient pouvoir toucher. C’est à cause de cette société si j’ai été séparé de l’unique famille qu’il me restait. C’est à cause de cette société que ma mère s’achetait de la drogue avant de payer ses factures. C’est à cause de cette société que je me suis retrouvé à fréquenter les mauvaises personnes. C’est à cause de cette société qu’en sortant de la prison, on est loin d’avoir envie de se remettre dans le droit chemin. Pourquoi ? Vous voulez vraiment savoir pourquoi ? Vous croyez franchement que c’est le paradis de sortir de prison ? On se retrouve du jour au lendemain à la rue. On nous donne une soit disant liberté. Cette liberté… Elle est fausse. Parce qu’à chaque instant, on est surveillé. On nous regarde. Et ce qui est pire dans tout ça, c’est que notre vie ne peut pas s’améliorer. Tout le monde nous regarde du mauvais œil. On est stigmatisé, mis à l’écart, critiqué. Dès qu’il y a un problème, on se retourne vers nous pour nous pointer du doigt. Ce sont eux les coupables ! Mais non… Non on n’est pas coupables ! On est juste humains ! On a commis des erreurs. Oui mais qui n’en a pas fait ! Ce mec qui fait travailler des gamins de six ans dans une usine en Chine pour tremper du tissu dans des produits chimiques et moins coupable qu’un adolescent ayant fait un braquage ? Oui je ne suis pas tout rose. Je ne suis pas l’exemple même de la pureté et de la bienveillance. Oui je parle mal, j’ai des tatouages, j’ai consommé pas mal de produits illicites, j’ai même pointé une arme sur une bonne femme. Je faisais tout pour avoir un peu de fric… Vous savez pourquoi ? Parce qu’on vit dans une société de consommation. Une société dans laquelle on ne peut vivre sans un minimum d’argent. Sinon on est mis à l’écart, on ne peut se payer de médecins, on ne colle pas au modèle qu’on nous sert dans les films et publicités. Alors s’enchainent une multitude d’autres inégalités. Tu n’as pas de fric, tu ne peux pas te payer d’essence, donc tu n’as pas de voiture, alors tu ne peux avoir cet emploi. Par conséquent sans se poste, tu n’as toujours pas d’argent… Et ainsi de suite. Quelle société pourrie !

Oui, je suis de mauvaise humeur. C’est un peu l’état dans lequel je suis après chacune de mes visites chez mon cher agent de probation. Je ressasse sans arrêt ses pensées négatives envers la société dans laquelle je vis. J’aime être différent. J’adore le fait d’être à part. Oui, je ne pourrais jamais vivre comme je le souhaite mais tant pis. Au moins j’ai encore ma conscience. Je sais ce que c’est que d’avoir à subir des injustices et de galérer pour s’en sortir. Mais c’est décidé, j’aurais mon diplôme et je ferais quelque chose de ma vie. Lorsque j’aurais ma maison, ma famille, ma voiture, mon loyer et mon travail… Je ne serais toujours pas modelé par la société. Je serais encore à part. Jamais je ne me laisserai influencer. J’aurais toutes ses choses pour aller narguer tous ceux qui n’ont pas cru en moi. J’irais voir toutes les familles indignes qui m’ont accueilli. J’irais devant mon ancien collège où le proviseur me disait que je n’étais qu’un raté fils d’une… Je n’ose même pas répéter les noms qu’il utilisait pour qualifier ma mère. Je veux avoir des enfants pour ne jamais commettre les mêmes erreurs que celle que ma mère a faite et que je m’apprêtais à faire à mon tour. Mon séjour en prison m’a aidé à ouvrir les yeux sur ce que je vis et ce que je fais. Maintenant je me focalise sur ma haine envers ces grands personnages à la tête du monde qui rythment nos vies et nos pensées. J’ai également comme but d’avoir mon diplôme et de trouver enfin un emploi convenable. J’adorerai finir par être mon propre boss. Pouvoir enfin prendre mes propres décisions et ne jamais être surveillé quotidiennement…

Je soupire en pénétrant dans un bar. J’ai besoin d’un petit remontant. Je bois beaucoup moins qu’avant. Je ne fume qu’occasionnellement et ne consomme plus rien d’illégal. Je me suis rangé. Enfin… J’essaye. Je n’ai pas perdu certains contacts. La prison est un lieu de rencontre et parfois dans le bon sens du terme…
Je m’appuie sur le bar et appelle un serveur pour lui commander une bière. Je n’étais jamais venu ici auparavant. Mes yeux verts glissent dans la salle. Mon regard tombe alors sur des tables de billard. Je souris et m’y avance, la bière à la main. J’adore ce jeu. Je suis loin d’être un expert mais il faut avouer que je me débrouille plutôt pas mal. J’attrape l’une des queues à disposition et commence une partie avec l’un des gars déjà prêt à jouer.
Nous jouons tous les deux. Mes pensées s’échappent à mon contrôle et je commence enfin à me détendre. C’est peut-être l’effet de la bière ou les vapeurs de cigarettes qui me font cet effet mais c’est vraiment agréable. Je finis même par gagner la partie. Je sers la main à Mike, mon adversaire. Pendant la partie nous nous sommes rendu compte que nous avions la même montre et la conversation est partie de là. On a parlé tatouages… Les miens, à moitié visible grâce à mon tee-shirt noir, ont été source de discussion. Adresses de tatoueur, idée, envie, projet, goût et finalement études, sport… Je dois avouer que c’est toujours bien de parler à des inconnus sans se soucier de ce qu’ils peuvent penser de nous et surtout en étant soi-même un inconnu. Mon Curriculum Vite n’est pas inscrit sur ma tête. Alors Mike, fils d’ingénieur, ne s’est même pas posé la question de savoir si j’étais un ex-tolard ou non. Et ça, parfois, c’est juste une délivrance.

Je bois une gorgée de ma bière lorsqu’une fille s’approche de la table. Elle attrape l’une des queues et me dit : « Je prends la gagne ! » Quoi ? Mademoiselle ose me défier ? Mon regard glisse sur son corps alors qu’elle s’approche de moi. Elle porte un petit jean usé comme le mien et son débardeur noir met en valeur les formes de son corps. Mes yeux remontent jusqu’à tomber sur son visage. C’est à ce moment précis que je sentis un léger pincement dans mon cœur. Je ne savais pas trop pourquoi… C’est juste que son regard… Il me trouble. « À moins que tu n'aies peur de perdre contre une fille ? » Elle veut définitivement jouer avec moi. Au sens strict mais pas seulement. Elle a cette petite intonation dans sa voix. Ce ton que l’on offre à une personne que l’on drague ouvertement. Elle me nargue et son regard me trouble toujours autant. Je ne sais pas pourquoi mais elle me fait penser à ma mère. Je ne me souviens plus beaucoup d’elle mais j’ai toujours gardé l’une de ses photos avec. Une photo prise à la naissance de ma petite sœur. On était tous les trois à l’hôpital. Maman tenait le bébé dans les bras, elle était fatiguée et pale mais un sourire avait étiré ses lèvres. Et moi j’étais juste à côté sur la pointe des pieds à regarder d’un drôle d’œil ce petit être. Cette photo m’a toujours fait sourire. C’était la seule chose à laquelle je pouvais me raccrocher dans les pires moments. C’était aussi le symbole de mon ancienne vie, celle où m’a mère n’était pas vue comme une droguée mais comme une mère.

«Je vais être obligé de perdre pour que tu aies ta fierté intacte… Les filles ont toujours besoin de gagner. Galanterie oblige… Alors est-ce que ça en vaut vraiment la peine de jouer ? Tu gagneras, tu diras que je suis nul et fanfaronnera, je dirais que je t’ai laissé gagner. » Mon regard n’a pas quitté ses yeux. Ma voix reste poser, un peu roque et calme. Je souris et bois à nouveau un peu de bière. «Non… Je préfère franchement boire un verre plus tranquillement. Surtout si je peux être en bonne compagnie. »