[TERMINE] What did you expect ? [Zack]

Au bout d'un moment, Perle essaya de calmer ses larmes. Alors qu'elle tentait de respirer plus régulièrement pour prendre ses affaires et quitter la pièce, le tout avec la ferme intention de ne plus jamais adresser la parole à Zack, un mouvement se fit entendre dans la chambre de son ami. Il ne fallut pas beaucoup de temps à Perle pour sentir le contact chaud et rassurant des mains de Zack sur ses épaules ; puis celle de sa poitrine, qui vint se coller contre sa tête avec une douceur infinie. Perle redoubla de larmes, au contact des bras consolateurs de son ami ; car oui, si lui les avait enchaînés depuis un certain temps, elle n'était pas en reste, après tout. Perle savait très bien que jamais elle n'aurait dû se comporter de la sorte, mais la rage avait été trop profonde, la douleur trop forte pour qu'elle fasse marche arrière. Alors, en guise d'excuses, elle se contenta seulement de se recroqueviller de toutes ses forces contre Zack. Elle posa la tête au creux de son épaule et ferma les yeux, laissant les derniers résidus de son chagrin couler lentement le long de ses joues. Si Perle avait pu se voir dans un miroir, elle l'aurait fait, seulement pour vérifier si son mascara était bel et bien "waterproof" au prix où elle l'avait payé. Mais elle avait d'autres choses en tête, pour le moment. D'abord, les paroles de zack, blessantes et virulentes ; les siennes tout aussi méchantes, tout aussi désagréables. Les mots que s'étaient échangés les deux jeunes gens ne leur ressemblait pas, ni à l'un, ni à l'autre. Voilà ce que Perle ne comprenait pas. Voilà pourquoi elle avait pleuré au lieu de s'en aller, tout simplement. Si elle venait de prendre conscience que Zack comptait bien plus à ses yeux qu'elle l'imaginait, elle n'alla pas pour autant jusqu'à le dire, voire même à l'accepter. Elle venait d'ouvrir les yeux sur une vérité douloureuse qu'elle aurait dû déceler depuis bien longtemps déjà.

Elle venait de tomber amoureuse.

C'était une catastrophe. Perle n'était pas dupe, et avait déjà eu un aperçu bien précis de ce que représentait une relation amoureuse, avec ses avantages, certes ; mais aussi toute une tonne d'emmerdements qu'on avait pas en étant célibataires. Perle le savait, et elle redoutait cela. Jamais elle n'avait eu la moindre relation amoureuse, qu'elle soit courte ou longue ; la seule perspective de tomber sous le charme d'un jeune homme l'effrayait au plus haut point. La jalousie, les obligations et tout ce qui allait avec lui faisait peur, très peur. Et elle aurait donné n'importe quoi pourvu qu'elle soit en paix. Pour l'heure, ce n'était pas le cas. Ses sentiments pour Zack avaient eu le temps de mûrir en deux ans, d'évoluer, de grandir. Elle l'aimait de cet amour tendre, ni passionnel ni dévorant des premiers émois, mais une affection réfléchie et posée, cette admiration qu'elle éprouvait pour lui l'enchaînant sans qu'elle y comprenne quoi que ce soit. Les premiers amours, lui avait-on dit, étaient les plus beaux et les plus cruels à la fois ; et même si au départ elle avait ignoré cet avertissement, elle ne pouvait que le croire, à présent. Le constat se faisait sous ses yeux, alors qu'elle écoutait sagement les battements du coeur de Zack, essayant de calmer les derniers sanglots qu'il lui restait ; et elle savait que si elle voulait préserver l'amitié qu'ils entretenaient tous les deux, elle ne devrait jamais lui dire ce qu'elle ressentait. Et pourtant elle en avait cruellement envie. Ce mensonge par omission allait totalement à l'inverse de sa Promesse, celle de ne jamais mentir à personne, et de se taire pour ce faire. Mais voilà, elle parlait à Zack. Aussi lorsqu'il lui demanda pourquoi elle avait eu cette réaction, Perle se mit à réfléchir à toute vitesse, laissant son ami dans le silence pendant quelques instants.

Qu'allait-elle faire ? Est-ce qu'elle devait lui avouer, et risquer de perdre ce garçon qu'elle adorait tant ? Non. Non, pas directement, pas comme ça. Elle ne le pouvait pas. Alors, elle darda ses grands yeux noirs dans sa direction. Ses yeux, qui brillaient d'un éclat nouveau, un regard que Zack ne connaissait pas, et qu'elle même innovait dès lors. Ses yeux brillaient à la fois de chagrin, de regrets, mais aussi de cet amour qui avait dormi tout ce temps en elle, que sa douleur avait fait surgir, comme un diable sortant de sa boîte. La réponse que son ami attendait était là, au plus profond de sa conscience, à l'intérieur même de ce regard étrange qu'elle lui jeta, alors qu'elle s'efforçait de trouver les mots justes. Finalement, elle se décida. Elle posa sa main droite sur la joue de Zack, avec douceur, presque timidité. Et elle répondit.

"Je t'en veux... Je t'en veux parce que depuis le début, tu ne réfléchis pas... Et tu ne choisis jamais la bonne personne."

Elle posa son front contre celui de son ami, et ferma doucement les yeux.

"Je ne supporte pas que tu souffres."

Voilà. ça, c'était une nouveauté.

Au fur et à mesure que Perle parlait, les réponses de Zack se faisaient plus acerbes, plus froides, plus sèches. Il ui parlait comme jamais il lui avait parlé, mais c'était loin d'être le pire. Perle sentit son assurance flancher lorsqu'il grogna qu'il n'aurait finalement pas dû lui parler de toute cette histoire, avant de tourner les talons et de s'enfuir dans sa chambre. La jeune femme en resta estomaquée. Zack et Perle s'étaient toujours tout dit. Elle avait su pour Grace, et elle avait haï la jeune femme pour avoir fait souffrir son ami. Elle avait à présent su pour Marissa, et même si elle éprouvait une rage sanglante à l'égard de cette sombre étrangère, elle n'en ressentait pas moins une colère sourde vis à vis de Zack. Il était conscient de ses actes. S'il avait été bourré, elle aurait pu lui pardonner. Elle aurait pu comprendre que Zack ait voulu faire un peu la fête le soir de son anniversaire, et même si cela aurait été très dur à digérer pour elle, cela l'aurait moins été que dans le cas présent. Des images lui venaient en tête, des images monstrueuses de Zack et de cette fille au visage inconnu, se tortillant comme des vers sur une plage, ruisselants de sueur et couverts de sable comme un asticot se serait couvert de terre. Lorsque son ami quitta la pièce, ces images revinrent, plus fortes, plus éblouissantes et affreuses, et le choc en fut si violent qu'elle en trembla un instant d'effroi et de souffrance. Plus le temps passait, plus cette dispute s'éternisait et moins Perle savait pourquoi elle réagissait de cette manière. Une remontrance calme et posée aurait suffi pour Zack, pas un silence long de plusieurs jours puis une confrontation violente à couteaux tirés dans l'intimité de sa chambre.

Perle avait du mal à comprendre comment ils avaient fini par en arriver là.

Cette amitié si parfaite, cette proximité venait de se métamorphoser en cauchemar en un seul instant. Zack se comportait mal, et c'était la première fois que cela se produisait. Le silence demeura pour elle une déchirure telle qu'elle en resta sur place, figée, sans vraiment comprendre ce qu'il lui arrivait. Elle n'eut pas dans l'idée de prendre ses affaires et de fuir ; non, elle resta là. Fixe. D'un geste d'enfant, elle replia ses jambes contre sa poitrine, adossée contre le canapé marron, et baissa la tête. Elle avait honte. Honte de ce qu'elle avait dit, honte de sa colère, de la rage qu'elle éprouvait encore à cet instant, honte de tout ce qu'elle pouvait ressentir. Pourquoi ? Depuis combien de temps ce mot résonnait-il dans sa tête, la tranchant comme un couperet ? Depuis combien de temps se demandait-elle pourquoi, oui, pourquoi ressentait-elle autant de rage et de frustration lorsqu'elle voyait Zack en charmante compagnie ? Cela durait depuis longtemps, mais elle avait fait ce qu'elle faisait toujours ; elle avait gardé le silence. Zack n'était pas en couple, il n'avait jamais couché avec une jeune fille, et il la voyait toujours. Tout allait bien, donc. Mais la nouvelle qui s'était répandue dans son esprit avait fait des ravages irrévocables, qui l'avait poussée à rester recluse dans sa chambre, ruminant des pensées sombres, la tête pleines de questions sans réponses. Et alors qu'une fois de trop elle s'imagina la scène qui s'était déroulée sur la plage, alors qu'elle voyait son ami, nu et transpirant, entre les bras d'une petite garce qui l'étreignait avec force soupirs, la réponse vint d'elle-même, aussi froide, aussi frappante, violente et ambigüe.

ça aurait dû être moi. Putain, j'aurais tellement aimé que ce soit moi.

Les larmes que Perle retenait depuis l’aveu de Zack finirent par émerger, par petits soupirs d'abord, puis en sanglots qu'elle s'efforça de retenir. Son maquillage allait couler, bon sang. Le corps de Perle, agité de petits soubresauts, assimilait avec difficulté cette vérité tremblotante qui venait de faire surface et qui la dévorait, encore et encore. Le chagrin, la souffrance, la douleur qu'elle éprouva à cette instant fut aussi forte et mordante que ce jour là, ce jour où elle avait décidé de ne plus jamais parler dans ce monde de mensonges et de tromperie. Apparemment, cela ne suffisait pas, de se taire. Elle s'aperçut avec amertume qu'elle devrait taire cette vérité, et assumer le rôle de potiche jusqu'à la fin de ses jours, ou bien jusqu'à ce que Zack décide de l'abandonner. Ce jour était d'ailleurs arrivé, sans nul doute. Les sanglots de Perle se perdirent au milieu de ses longs cheveux, de son corps recroquevillé sur lui-même. Elle était dépassée par des évènements qui la blessaient intérieurement, des choses nouvelles qui risquaient de la ronger encore et encore, jusqu'à ce qu'un matin, elle se réveille en ayant tout oublié. Pour l'heure, elle laissa ses larmes couler, ignorant totalement son ami, adossé contre le mur sans qu'elle le voie. Pour le moment, la seule chose à laquelle elle songeait était sa peine, et rien d'autre. Pour cette fois Zack passait en second, car c'était de sa faute. Entièrement.

Des regrets mordants la prirent. Au milieu des larmes et des sanglots, elle adressa une prière muette à cet ami qu'elle venait de perdre. Viens me chercher, je t'en supplie. D'un autre côté, elle lui hurlait de rester à sa place, de ne plus bouger et d'y crever comme le connard qu'il était, ce connard qui venait de signer la fin d'un lien protecteur et doux, ce cocon dans lequel elle les avait enfermés tous les deux. Cette bulle protectrice dans laquelle elle avait su retrouver calme, sourire et confiance venait d'exploser en plein dans sa figure, lorsqu'elle s'était rendue compte que son attachement n'avait que pour seule limite cette barrière affective qu'il lui avait érigée devant la figure, en laissant l'esprit de Perle brisé en mille morceaux. Elle était faible, elle l'avait toujours été, et cela n'était pas prêt de changer. Sa faiblesse s'écoulait à travers ses larmes et elle regretta. Elle regretta cette assurance qui l'avait poussée à dire à Zack à quel point il avait changé, à quel point elle le considérait dans l'instant comme le dernier des monstres. Elle regretta cette amitié.

Finalement, tout cela ne serait pas arrivé, si Zack n'avait pas voulu d'elle comme amie.

Et voilà. Cela venait de se passer exactement de la manière que Perle craignait : dans la colère, dans la frustrations.

Les mots de Zack eurent pour seul effet de braquer un peu plus la jeune femme. Perle était d'un naturel calme et tranquille, mais sans vraiment savoir pour quelle raison, dans le cas présent elle ne supportait pas les paroles de son ami. Il y avait tellement de choses à redire dans son discours. Ses insinuations, d'abord. Peut-être que je ne te connaissais pas. Perle fronça les sourcils à l'entente de cette phrase. Perle, elle, n'avait pas changé. Elle affectionnait toujours autant l'écriture, l'isolement, et privilégiait Zack avant toute chose. S'il lui demandait de sécher, elle séchait. S'il lui demandait de sauter du haut d'une falaise, elle sauterait. Mais l'avait-il compris, cela finalement ? Et le comparer à son ami Ethan était complètement hors de propos. D'abord, Ethan était un garçon, il avait sans doute félicité son pote de ne plus être puceau ; alors que les filles comme Perle appréciaient avant tout un rapport privilégié avant tout câlin un peu plus poussé. La pétasse qui avait réussi à séduire Zack était loin, maintenant ; elle repensa alors à ce que la Voix avait dit au sujet d'une Marissa. C'était sans doute elle, cette salope qui avait osé voler ainsi une chose aussi précieuse que la virginité à un homme à peine sorti de l'adolescence. Perle savait tout cela, et ses principes étaient fondamentaux et puissants. Pour elle, Zack l'avait trahie. Tout simplement. En brisant des principes auxquels elle croyait dur comme fer. Elle voulut répondre, mais Zack balança alors son carnet sur le canapé, avec un bruit mat. Perle durcit encore plus son regard, alors qu'il reprenait inlassablement sa tirade. Une tirade qui blessa Perle au plus profond d'elle même.

Jamais elle n'avait vu Zack en colère. Du moins pas à ce point. En effet, les deux jeunes gens s'étaient toujours parfaitement entendus, et les disputes étaient rares entre eux. En général ce n'étaient que pour des broutilles, et cela passait très rapidement. Ne serais-ce que la fois précédente, lorsqu'elle avait parlé de Neal, elle n'en avait pas cru ses yeux à la vue du regard furieux de Zack ; là, il avait le même. Et ses mots étaient tranchants comme une lame. Voilà qui était totalement nouveau aux yeux de la jeune fille. Après tout, elle avait raison non ? Il s'était envoyée une nana venue de nulle part, et maintenant il lui reprochait de ne pas avoir donné de nouvelles ? Mais de qui se foutait-il ? Plus Zack parlait, plus la colère de la jeune fille prenait de l'ampleur. Elle n'allait pas hurler, non. Ce n'était pas dans son caractère. Vociférer, non plus. Pleurer, certainement pas. C'était tout ce qu'il attendait, qu'elle pleure et regrette ses paroles. Alors qu'il terminait sa litanie sur un ton provocant et furieux, Perle attrapa son carnet, son stylo, et les jeta derrière le canapé, par dessus son épaule. Terminé, ça. Elle écrabouillait la Promesse à pieds joints pour remettre Zack à sa place. Elle se leva, tremblant un peu plus, apeurée secrètement par le ton et la manière de son ami. Perle ne criait jamais. Ne s'énervait jamais. Elle n'en avait ni l'envie ni la capacité, trop complexée et rongée par la timidité pour oser élever le ton face à ceux qui s'en prenaient à elle. A ce jour, Perle était une nouvelle victime, Zack un authentique bourreau, comme ceux qu'elle avait croisé dans son collège français. Elle se mordit la lèvre, cherchant par où commencer. Elle garda cependant une distance règlementaire. Non, elle ne s'approcherait pas de lui.

"Je... Je t'ai envoyé un sms... Le soir de ton anniversaire." parvint-elle à articuler d'une voix étranglée. "Peut-être que tu l'as pas reçu... Mais je t'en ai envoyé un. Comme je le fais tous les ans."

Elle se frotta les mains, angoissée à l'idée de la confrontation qui se préparait. Elle avait horreur des disputes. Mais elle souffrait. Et il fallait régler cela, de toute manière.

"Et puis tu savais très bien que Ju... Julian et Mickaël étaient venus me voir de France, non ? Je t'avais dit que mes frères venaient, ce jour-là, et qu'ils resteraient quelques temps avec moi, alors pourquoi tu dis ça ? Pourquoi tu crois que je t'ai oublié ? Contrairement à toi, je n'ai pas changé moi. Je ne t'oublie jamais, moi."

Elle avait appuyé sur les deux "moi"; et elle sentit que l'assurance apparaissait au fil des paroles qu'elle prononçait. Elle laissa un instant le temps à sa voix de se reposer; cela paraissait idiot, mais Perle ne parlait pour ainsi dire jamais, aussi un mal de gorge arrivait très vite. Elle se racla un instant ladite gorge avant de reprendre, sur le même ton que son ami. Si elle avait trop peur de sa réaction pour oser dire des choses vraiment méchantes, elle avait néanmoins gagné suffisamment d'autorité pour lui rabattre le caquet. Du moins, c'était ce qu'elle pensait.

"Bien sûr que tu te plains de ne pas être dans mes affaires. Si j'avais couché avec Neal, qu'est-ce que tu aurais dit, à ton avis ? Reprends-toi Zack, je ne suis pas la pétasse que tu as sauté, encore moins un chien à qui tu donnerais des coups de pied dans une ruelle. Tu veux que je te rappelle le cinéma que tu m'as fait lorsque j'ai dit qu'un garçon m'intéressait ? Et il ne s'est rien passé, vois-tu. Alors que toi tu te l'es tapée cette nana, sans penser ni aux MST, ni aux complications futures, et pire encore, t'as fait ça avec la première fille qui passait. Chez moi, ça salit une réputation."

Elle prit une dernière inspiration. Elle en aurait besoin, afin de balancer sa dernière phrase.

"Et tu sais quoi ? Quand tu me parle sur ce ton, oui, je pourrais te prendre pour le dernier des connards."

Une rougeur violente monta aux joues de Perle. Elle regretta immédiatement ce qu'elle venait de dire.

Si Perle savait qu'elle devrait mettre les choses au point, elle savait également que la chose serait loin d'être aisée.

Car même si Zack était son ami le plus fidèle et le plus cher, Perle savait parfaitement que malgré le rapprochement et la forte amitié qui les liait, elle ne pouvait se permettre de lui dire franchement tout ce qu'elle avait sur le coeur. D'abord, parce que son éducation faisait qu'elle n'oserait sans doute jamais le faire : ensuite parce que ce qu'elle s'apprêtait à lui dire était totalement déplacé, et que cela ne la concernait pas du tout. Après tout, c'était un grand garçon, et elle n'était pas sa mère, alors pourquoi s'était-elle sentie aussi trahie par l'aveu de son ami ? Une question qui demeurait encore en suspens, car Perle était sans doute trop naïve pour croire une seule seconde en ce que lui disait inlassablement son esprit ; ce qu'elle ressentait pour Zack n'avait rien d'une amitié, aussi forte fût-elle. Après tout, sa révélation l'avait chamboulé au point qu'elle avait refusé de lui parler pendant un temps, pour mettre les choses au clair dans sa petite tête ; pire encore, elle n'y était même pas parvenue. Aussi, lorsqu'elle vit son ami s'installer près d'elle, un masque de perplexité collé sur le visage, Perle ressentit une honte la transpercer de part en part. Jamais elle n'avait fait cela. Elle avait toujours été présente pour Zack, au même titre qu'il l'avait été avec elle. Deux ans auparavant, elle s'était sentie intriguée et amusée par ce jeune Khi qui passait tout son temps à étudier au lieu de fréquenter une bande de copains comme le voudrait l'âge con... Et il en était de même pour elle, qui au lieu de blablater chiffons en cours avec les filles de sa confrérie, s'isolait au calme pour écrire tranquillement ou étudier avec le même acharnement que son ami.

Pour autant, elle n'avait pas choisi sa confrérie par hasard. Car même si elle était de nature timide, naïve et peureuse, elle savait que son culte de l'apparence ferait tâche au milieu de ces intellos qui se maquillaient rapidement le matin histoire de se rafraîchir le visage et passaient le reste de leur temps à se bousiller les yeux derrière un écran d'ordinateur. Elle avait choisi les Eta parce que son amour pour les cosmétiques passait bien avant les livres et les cahiers, même si ces derniers étaient en numéro deux de sa liste. Boursière, il lui faudrait réussir pour obtenir un diplôme, et montrer à sa famille que sans mentir, on pouvait tout à fait réussir dans la vie. Elle avait rencontré Zack de cette manière. Leur timidité et leur enfermement les avait peu à peu rapprochés, puis l'idée de Perle était venue peu après, et elle s'était tournée vers le premier avec qui il aurait été très avantageux de faire tourner son petit business. Elle prenait les risques, il s'occupait du reste. Le tout leur rapportait de l'argent, et c'était aussi bien comme ça. Voilà à quoi la jeune femme songeait en observant son ami s'installer tranquillement dans sa chambre. Au bout du compte, ils s'étaient découverts des intérêts communs et un caractère similaire qui les avaient rapprochés. Perle ignorait comment cette amitié s'était soudée, puisque cela s'était fait dans le temps et tout naturellement ; à ce jour, elle ne s'imaginait pas Wynwood sans lui, tout simplement.

L'après-Wynwood aussi, d'ailleurs.

Un long silence plana, le temps que la jeune fille écrive tout ce qu'elle avait à dire sur son carnet, qu'elle y réfléchisse, aussi. Elle se permit deux ou trois regards dérobés vers Zack, alors qu'elle s'efforçait de trouver les mots justes. Quelques ratures plus tard, les phrases étaient là, bien ancrées dans son carnet, d'une écriture brouillonne et malaisée. L'écriture de Perle reflétait sa pensée du moment, or là, elle était si perturbée qu'elle en aurait presque tremblé. Sa prestance n'était qu'apparente, et elle n'ignorait pas que Zack le savait. De toute manière, il savait toujours tout, et elle ne savait jamais rien. Finalement, elle donna le carnet à son ami, noirci de ratures.

J'avais besoin de réfléchir à ce que tu m'as dit l'autre soir. Fallait que je digère. Je ne sais pas si tu t'en rends compte, mais je me fais du souci pour toi, tu sais. Tu as beaucoup changé.

Perle baissa les yeux alors que son ami poursuivait sa lecture. Nerveuse, elle n'avait qu'une envie : s'allumer une de ses rares cigarettes. Au moins, ces saloperies avaient pour faculté de la calmer et de lui donner les idées un peu plus claires. Dans le cas présent, son esprit n'était qu'un embrouillamini de chagrin, de colère, d'interrogations en tout genre et d'incompréhensions. Elle espérait que Zack mettrait un peu les choses au clair. Il n'avait fait que coucher avec cette fille. Mais rien que le fait d'imaginer Zack dans les bras d'une autre la fit frissonner. Pourquoi ? Bon Dieu, pourquoi ?

C'est vrai quoi, avant tu avais un peu de plomb dans la cervelle, maintenant on dirait que tu as perdu tous tes neurones. D'abord tu t'inscris chez ces tarés machos de Cannonballs, tu pars en soirée pour tes dix sept ans, et finalement tu me dis que tu as couché avec une inconnue comme ça, presque normalement. Les Américains n'ont aucun principe ou quoi ? Chez moi, la virginité c'est pas le genre de truc qu'on prend à la légère. On fait ça avec quelqu'un qu'on connait, et qu'on aime. Pas à moitié bourré à la suite d'une soirée avec la première des salopes venues. Tu me déçois. Tu n'es pas la même personne que j'ai rencontré il y a deux ans.

Les mots étaient virulents, pleins d'une colère dissimulée que Perle se faisait une joie de cacher à Zack, et cela, elle y arrivait. Sa froideur apparente lui laissait le loisir tout entier de profiter allègrement de sa carapace perso ; son visage fermé en toutes circonstances, sauf lorsque Zack ou Joyce étaient là. Mais dans le cas présent, elle n'avait pas envie de rire. Elle reprit son carnet le temps d'écrire un peu plus. Sa main s'était mise à trembler. Elle avait peur. Peur de la réaction de Zack, mais aussi peur de cette histoire. Comment cela allait-il se finir ?

Je ne sais pas comment te l'expliquer. Je me suis sentie trahie. Tu m'avais juré que les filles ce n'était pas ta priorité, et tu me dis ensuite que tu as couché avec une pétasse le soir de ton anniversaire. Je n'étais même pas là, tu te rends compte ?

Elle hésita. Puis écrivit finalement la dernière phrase.

Je commence à te perdre.

Il y avait quelque chose dans le regard de Perle.

Depuis quelques jours, ce quelque chose allait et venait, s'en allait et repartait inlassablement, au fil des heures qui s'écoulaient, où elle restait seule dans sa chambre, sans communiquer avec personne. Elle devait faire un point sur ce qu'il s'était passé depuis ces quelques temps, au sein du lycée. Auparavant, tout était si simple. Il y avaient les cours. Deux trois mots échangés avec les filles de sa confrérie, au détour d'un couloir. Les longues heures d'écriture qui se prolongeaient le soir, alors que beaucoup dormaient, au sein de l'internat. Mais depuis, plusieurs choses avaient changé. Son investissement dans la confrérie, au lycée, les gens qu'elle fréquentait. Zack. Zack avait changé. Son ami n'était plus vraiment celui qu'elle avait connu deux ans plus tôt, non. Il avait acquis cette sorte de maturité étrange que beaucoup de garçons d'ici possédaient déjà, une aisance tranquille au milieu d'une foule qui s'était adaptée à lui au fil du temps. Mais Perle, dans tout cela ? Perle, elle le voyait de moins en moins. Et cela lui faisait de la peine...

Mais depuis quelques jours, c'était bien plus que cela qu'elle éprouvait.

Elle y avait réfléchi toute la journée. Isolée dans sa chambre, ne sortant que pour aller déjeuner, elle avait d'abord travaillé avec acharnement, puis elle avait écrit. Et réfléchi. Mûrement réfléchi. Ce que Zack lui avait dit au bal avait laissé une profonde blessure là où elle n'aurait jamais imaginé en avoir une. Après tout, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ? C'était un grand garçon, il faisait ce qu'il voulait. Elle n'avait aucun droit sur lui, puisqu'elle était son amie et non sa copine ; pourtant ce sentiment de crainte qu'elle avait éprouvé, cette rage, ils étaient bien réels tous les deux. Elle lui en voulait, alors qu'elle n'avait aucune raison d'être en colère contre lui ; pour autant, elle n'avait répondu à aucun message ni appels ni mails ou skype depuis le soir du bal. Elle avait choisi la solitude, le confort de sa chambre et le cocon réconfortant de l'isolement pour pouvoir songer un instant à ce qu'il se passait dans sa petite tête. La jalousie. Elle était jalouse. Elle avait toujours su qu'elle voulait Zack pour elle toute seule, sans jamais se l'avouer, de peur de briser l'une des rares amitiés qu'elle était parvenue à nouer, incluant dans sa bulle cet ami qu'elle adorait et chérissait. Pour autant, elle le sentait filer entre ses doigts sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Pour Perle, c'était une angoisse permanente. Possessive à l'extrême, elle allait même jusqu'à se dire qu'il lui faudrait enfermer son ami dans une cage dorée et ne jamais le laisser s'enfuir.

Perle souffrait. C'était rare chez elle. Mais là, elle souffrait.

Alors, elle finit par se lever, et prit le chemin de la chambre de son ami. Elle savait où elle se trouvait, pour s'y être rendue assez fréquemment. La chambre de Zack était un endroit douillet, coquet. Perle s'y rendait lorsque la colocataire de son ami était absente, pour passer du temps avec lui, rien que tous les deux. Comme elle l'appréciait. Rien qu'elle et lui, faisant leurs devoirs ensemble, jouant à des jeux de société, faisant leurs petites combines personnelles à but purement lucratif... La jeune fille réprima une grimace attristée lorsqu'elle ouvrit la porte, sans frapper. Ce qu'elle avait l'habitude de faire, d'ailleurs. Le soir tombait sur Miami, donnant au ciel des couleurs élégantes par la fenêtre de la chambre. Perle fit comme chez elle, et s'assit sur le grand canapé marron, cherchant son carnet dans sa sacoche. Lorsque Zack rentrerait, elle lui poserait la question. Elle lui demanderait. Elle était son amie, elle pouvait tout entendre après tout, non ? Ou presque, du moins. Car malgré ces quelques jours de réflexion, elle n'était pas parvenue à mettre le doigt sur le pourquoi du comment. Pourquoi était-elle aussi peinée pour une banale histoire de fesse, comme on en voyait régulièrement à Wynwood. Pourquoi avait-elle décidé d'ignorer son ami alors qu'il n'avait fait que lui confier ses secrets, comme ils l'avaient toujours fait depuis deux ans. Perle n'avait pas de réponse. Elle avait juste pris conscience de sa jalousie et de son égoïsme ; et c'était déjà suffisant pour elle.

Lorsque la porte s'ouvrit devant Zack, Perle avait déjà rédigé quelques mots sur son carnet. Elle laissa à son ami le temps de la saluer, de s'installer, de déposer ses affaires. Enfin, lorsque ce fut chose faite, elle consentit à tendre le carnet dans la direction de l'Omikron. Peu de choses y étaient écrites.

Il faut qu'on parle.