And I Will Try To Fix You || Edward TERMINÉ

Dans ma chambre, Bluberry ajoute un nouveau commentaire sur la propreté du lieu. Je sais que je me suis laissé aller. « A vos ordres, chef ! » Je lance cette phrase suite à son petit commentaire. Je le ferais. Je le promets. Je vais arrêter de laisser la maison se dégrader. Ce n’est pas comme cela que ma mère aurait voulu me voir habiter la villa familiale. Je changerai tout ça. Promis. Je le ferais.
Blu attrape un tee-shirt que je lui propose. Elle commence à déboutonner doucement sa chemise. Cette scène aurait pu être assez érotique. Vous savez, la fille qui se déshabille sensuellement devant un homme pour se changer innocemment. Ce n’aurait pas été mon amie, j’aurais sans doute eu du mal à résister. Mais avec tout ce que nous avons vécu, j’arrive à faire une différence entre Blu et n’importe quelle fille. Elle est plus qu’un tas de chaire qui m’attire. C’est une amie, une fille que je veux protéger. C’est une véritable amie et je ne retomberai pas dans le piège. Je ne me laisserai plus aller avec elle. C’est pourquoi cette scène ne me fait absolument aucun effet. Évidemment j’ai une petite pensée à ce que j’aurais pu faire si ce n’était pas mon amie… Son corps est simplement parfait, il faut l’avouer ! Mais c’est tout et ça en restera là !

« Sûrement parce qu’il sera loin de te plaire, mais comme tu insistes ! » Alors comme ça, Nathan n’est pas un garçon que je vais aimer… Cette remarque m’intrigue. Je me demande bien pourquoi Blu pense qu’il ne va pas me plaire. Qu’est-ce qui peut lui faire dire ça ? Je n’ai pourtant pas l’impression d’être quelqu’un de borné. J’accepte tout le monde. Je ne suis pas du genre à avoir des critères. Mais c’est vrai que je souhaite le meilleur pour Bluberry. Si elle est en couple, elle doit l’être avec quelqu’un qui la respecte. Je pense que c’est le point le plus important. Elle mérite d’être respectée et aimée pour ce qu’elle ait. Si elle pense que je n’aimerai pas Nathan... Cela veut-il dire qu’il ne la respecte pas ? Dans ce cas, oui il risque d’y avoir quelques problèmes entre lui et moi. J’irais même lui rendre une petite visite pour mettre les points sur les i.
Mon amie rajoute ensuite : « Il s’appelle tout Nathan McCoy, c’est le chef des Pi Sigma, il est en Senior lui aussi et c’est le mec de la fête des SM, tu sais, avec mon défi… Est-ce que vous avez toutes les informations voulues, inspecteur Bird ? » Inspecteur Bird… C’est plutôt pas mal comme nom pour une bonne vieille série policière. J’aime bien… Mais bon, là n’est pas la question. Un Pi Sigma… Je comprends mieux pourquoi il risque de ne pas me plaire. Ces mecs se disent coureurs de jupon. Ils ont une sacrée réputation. Ils passent leur temps en compagnie de demoiselle. Il paraît même qu’ils se lancent des concours pour savoir qui couche avec le plus de nanas… Je trouve qu’ils n’ont pas vraiment de valeurs. Ils traitent les femmes comme du bétail, de la chaire à consommer au plus vite… Et en plus, ce fameux Nathan est leur chef. Le chef des coureurs de jupon… Le plus dangereux ? Je trouve ça louche. Ce genre de mecs ne sont-ils pas censés ne pas se mettre en couple ?
C’est un Senior, ce qui veut dire qu’il va passer à l’université l’année prochaine. Je me demande dans quelle branche il va aller. Je risque de le croiser sur le campus, ça peut toujours être intéressant à voir…

Mais je ne dis rien. Si Bluberry est heureuse à ses côtés, c’est qu’il y a une bonne raison. Elle semble épanouie et loin d’être déprimée. Elle rit et sourit. Elle a l’air bien dans sa peau et ses baskets. Ce mec ne sera sans doute pas mon meilleur ami, mais s’il peut rendre Blu heureuse, c’est le principal. C’est tout ce que je lui souhaite….
J’hoche la tête et lui réponds : « Je crois que j’ai assez d’information… J’irais contacter mes sources sûres pour trouver plus de renseignements. » J’ai toujours rêvé de jouer les inspecteurs… Alors je rentre dans le rôle en plaisantant. Non, mais franchement, Inspecteur Bird ça déchire tout ! Il faudrait peut-être que je change mes plans d’avenir pour me tourner dans la police. En plus c’est un métier qui me correspond. Je serais toujours en mouvement, je verrais de nouveau visage, mon sérieux me sera utile. C’est plutôt un comble, non ? Un Sigma Mu qui pense à devenir flic… Je trouve ça drôle. Mais même s’il est fort peu probable que j’arrive à faire carrière dans ce domaine, je me promets de me renseigner.

Je reprends mon sérieux et souris à mon amie. « Bon… Sans rire. Si jamais il te fait souffrir ou qu’il te fait de mal…Tu m’appelles. Je serais toujours là pour te protéger. » C’est mon côté grand-frère qui ressort. Je n’ai jamais eu de petite sœur mais Blu a peu à peu pris cette place. Je ne sais pas si quelqu’un d’autre serait là pour elle s’il lui arrivait quelque chose. Je ne veux pas qu’elle soit seule. Et puis je sais me battre… Ça peut toujours être utile vis-à-vis d’un de ces prétentieux Pi Sigma.

« Bon et maintenant je vais prendre ma revanche… Sache que si je perdais c’était pour ne pas te blesser… Les femmes sont si susceptibles ! » Je dis ça d’un air angélique, presque enfantin. Je cours alors retrouver ma télécommande pour démarrer une nouvelle partie. Et cette fois-ci, pas question de lui laisser une longueur d’avance !

C’est comme ça qu’on prend soin de ses amis… On est là au bon moment. On sait quand il faut parler et quand il faut se taire. On se fait des promesses. On reste ensemble dans les moments difficiles.
En une après-midi, Bluberry  a su me faire bouger. Elle m’a un peu sauvée si on peut dire ça… Elle a réussi à me faire oublier l’accident durant quelques heures. C’est ça, ce que font les vrais amis.

The End

Que la partie commence ! Trois… Deux… Un… C’est parti ! Je la laisse prendre l’avantage. Je souris. Mes doigts s’activent sur la manette mais ils restent assez lents. J’observe Bluberry du coin de l’œil et remarque son petit sourire. Ça fait du bien de se contenter de ces petits plaisirs simples. J’ai l’impression que ça fait un siècle que nous ne nous sommes pas retrouvés ainsi tous les deux. Et pourtant… Pourtant cela ne fait que deux mois. Deux mois… Huit semaines… Tout ça à cause d’une grave erreur. C’est dommage qu’on ait tous les deux perdus de vue ce qui faisait notre relation. Nous avions oublié ces petites choses qui rendent notre lien plus fort. Un simple truc comme deux manettes. Il ne nous fallait qu’une télé, des sodas et des hamburgers pour passer des après-midi délicieuses. Comment avons-nous pu oublier ça ? Notre relation fonctionne grâce à la simplicité. Nous ne sommes pas faits pour avoir plus que ça. Nous sommes amis. Des amis qui se comprennent, qui s’amusent et qui ne se prennent pas la tête. Voilà ce à quoi nous aurions dû penser lorsque nous étions ensemble dans les toilettes du lycée.
Alors que j’observe Bluberry, celle-ci lève les bras en l’air. Elle vient de marquer son deuxième but alors que la partie ne vient que de commencer. Ok… Elle est plus forte que je n’ai pu l’imaginer. En plus de ça, je suis déconcentré… Par conséquent ces buts ne comptent pas vraiment. Ils ne sont que la preuve que j’attendais pour montrer les griffes. « Qu’est-ce qui t’arrive fillette ? » me dit-elle pour me narguer. Elle me cherche. Elle va me trouver ! Alors qu’elle fait de grand geste de victoire, elle renverse son verre. Bravo ! Qui sait qui va devoir nettoyer tout ça, hein ?
Au début, je me dis que ce n’est rien, je me concentre sur le jeu. Puis, je m’aperçois qu’elle est préoccupée par le liquide tombé sur ses vêtements. J’ai la possibilité de marquer un but sans qu’elle ne le remarque. Je pourrais rattraper son avance ni vu ni connu… Sauf que… Sauf que ce ne serait pas très gentleman tout ça ! Ce ne serait pas correct de profiter de son inattention pour prendre l’avantage…

Je soupire et pause ma manette sur la petite table du salon. Je pivote alors sur le canapé pour faire face à Bluberry. Je n’avais pas remarqué mais elle ne s’est pas loupée avec son verre ! Elle en a partout sur sa chemise blanche à carreaux.
« Eum… ça te dérangerait de me prêter un truc pour me changer ? Ma chemise me colle à la peau. » J’hausse un sourcil tandis qu’elle m’offre un petit regard adorable. Elle rit légèrement et je lui réponds : « Tout ça été calculé en fait… Tu voulais retirer ta chemise ! Cette séduction ne marchera pas ! » Je lui fais un clin d’œil et sourit.
Je dis cela sous le ton de l’humour. Quand on connait ce qui s’est passé entre nous, cela pourrait paraître déplacé. Mais je veux prouver à Bluberry que j’ai évolué. Je peux rire de ce que nous avons vécu car je suis mature et que je l’assume. Je ne vais pas faire comme si cela ne s’était jamais produit. Au contraire, on peut en rire et passer à autre chose ! Je me lève du canapé. « Tu veux un t-shirt ? J’dois avoir ça… Viens si tu veux… » Je marche en direction de ma chambre où j’ouvre ma penderie. Entre les costumes, les jeans, les chemises et les pulls se trouve toute une pile de-t-shirt. Je sais pertinemment qu’ils ne vont pas lui aller. Du coup j’en sors un et aussi une chemise blanche. Elle pourra ainsi choisir. « Pourquoi t’as évité les questions sur Nathan tout à l’heure ? Je déconne pas… ou presque pas… quand je dis que je veux tout savoir ! »

Être blessé. C’est l’une des pires choses qui peut vous arriver. Parfois il est facile de comparer la vie à un champ de bataille. On y va avec un but, une mission, une raison d’être, des croyances, des proches. On est tous les uns à côté des autres. On s’y lance sans réfléchir. On sait comment ça se finira mais on ne connaît absolument pas le chemin que l’on empruntera. On ne sait pas qui l’on croisera. On ne sait pas qui tombera en premier. Il y a tellement d’incertitudes et en même on n’a pas peur. On y va tête la première. Durant les premiers mètres, lorsque l’on court vers le camp adverse, on est pris par l’euphorie du moment. On court sans s’arrêter, sans regarder en arrière, sans rien regretter. Puis, le premier choc se fait sentir. On se retrouve face à l’ennemi. Et alors se joue la question de vie ou de mort. Si l’on veut survivre, si l’on veut continuer d’avancer, il faut écraser tout ce qui se trouve sur notre passage. Même lui. Même cet être qui a lui aussi une vie, un but, des croyances. On se dit que c’est la bonne chose à faire. Même si une fois que l’on aura terminé avec lui, il faudra recommencer avec un autre et ce encore et encore. Jusqu’à où ? Jusqu’à ce que l’on tombe au sol. Que nos genoux s’écrasent dans la boue et que l’on constate enfin que nous avons touché le fond. C’est la fin. C’est terminé. Le combat est fini. La vie aussi… On est au sol. On est alors rien d’autre qu’un corps agonisant. On ne représente rien. Pas même un clan, ni une croyance, ni un but… On n’est qu’un corps. Plus aucun prénom. Plus aucune personnalité. On est là et on ne peut faire qu’une chose : se laisser mourir. La vie n’est pas un long fleuve tranquille. La vie c’est un combat. Un combat dans lequel on est obligé de se battre parce qu’il y aura toujours quelqu’un pour nous enfoncer, nous détrôner, nous juger, nous faire du mal. On ne peut pas rester là à attendre. Il faut prendre les armes.

Pourquoi je parle de tout ça ? Parce que j’ai croisé pour la première fois, un ennemi. Enfin, non ce n’est pas la première fois. Il s’est pointé deux fois en face de moi. Il était puissant, fort. J’ai été pris au dépourvu. J’ai eu peur. Je n’avais jamais eu à me battre avant. J’avançais dans la vie sans prendre conscience de ce qui m’entourait. Je fonçais et croquais la vie à pleine dent. Comme ce guerrier courant vers l’ennemi… Je me le suis pris de plein fouet. Je ne l’avais pas vu venir. Je n’avais pas imaginé ce que ça pourrait être avant de me retrouver en face de lui. J’ai eu vraiment peur. J’ai fui. J’ai couru à sens inverse. J’ai pris l’avion et suis parti dans tous les pays du monde. Mais on ne peut pas fuir l’ennemi éternellement. Si ce n’est pas nous qui le tuons, il nous rattrapera et le fera. Ou bien un autre viendra, encore plus fort, plus déterminé. Alors j’ai eu à l’affronter une seconde fois. Et il m’a blessé. Il m’a mis au sol. Ou plutôt à l’hôpital…

Je suis blessé. Je suis le soldat au sol. Quelqu’un va-t-il venir m’aider ? Va-t-on me porter secours ? À quoi bon ? Cela ne servirait à rien… Même guéri, je ne servirais à rien. Mon corps n’est plus qu’un amas de chaires. Mon âme est déchirée au plus profond d’elle-même. Mon ennemi est toujours en vie. Il a marqué un point. Il m’a eu. Jamais je ne pourrais le vaincre. Même avec les armes les plus puissantes au monde. Il sera toujours là, présent. Il soufflera son haleine fétide à mon oreille et hantera ma vie. Il me rappellera que je ne suis pas invisible. Il montrera au grand jour mes faiblesses. Il rira de moi et me rendra fou. Il me rappellera que grâce à lui, j’ai mis fille dans le coma.

Alors oui, je suis blessé. Je suis à terre. Je suis faible. Je suis seul. Et pourtant… Pourtant Bluberry est là. Elle est venue me porter secours. Elle m’a trainé, m’a éloigné du champ de bataille, m’a mis à l’abri. Elle est bien là. Son regard posé sur moi me rappelle que je ne suis ni invisible, ni mort, ni seul. Alors qu’est-ce qui cloche dans ma théorie ? Moi qui croyais que l’on vivait son combat seul. On grandit, on respire, on marche, on voit, on souffre, on meurt… On fait tout ça seul. On ne vit pas pour les autres. On ne vit que sa vie. Mais j’ai oublié que le combat ne se fait pas seul contre tous. On a toujours quelqu’un à nos côtés. Aucune bataille ne s’est jouée à deux. On fait toujours parti d’un clan. Un clan qui est à nos côtés, qui vit avec nous, qui nous voit, nous aide et attend la victoire pour la fêter avec nous. On appartient à un groupe qui saura respecter notre mémoire une fois que l’on tombe au sol. On fait partie de cette équipe pour laquelle il est inconcevable de laisser mourir un camarade sans avoir tout fait pour l’aider.
Bluberry fait partie de mon clan. Elle s’est battue à mes côtés. Elle n’a pas vu mon adversaire. Elle ne sait pas que c’est lui qui a déjà réussi à faire tomber ma mère. Et en fait, je pense que ce n’est pas ce qui la préoccupe le plus. Ce qu’elle souhaite, c’est que je puisse me relever. Blessé ou pas. On s’en moque. Du moment que l’on en est capable, on ne doit pas arrêter le combat. C’est stupide de lâcher les armes et d’attendre que quelqu’un vous fauche. Il faut continuer. Jusqu’au bout. Jusqu’à la dernière seconde. Et ce, pour tous ceux qui sont tombés avant nous.


Bluberry attrape le sparadrap et en coupe un morceau avec ses dents. Mes yeux sont rivés sur elle. J’ai toujours voulu être seul et ne m’attacher à personne. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression de voir les choses différemment. Je crois que je comprends enfin. Seul, je n’y arriverai jamais. Je ne vaincrais jamais cet ennemi si je ne trouve pas un peu de soutient. L’union fait la force… C’est peut-être ça la clé de la réussite : arrêter de vivre seul et vivre pour les autres. Il n’y a qu’eux qui puissent nous porter à la victoire.
Je lui souris légèrement quand elle finit par lâcher : « Tiens ! Tout beau, tout neuf. » Si seulement elle savait… Il y a quelques secondes à peine, j’aurais répliqué qu’un pansement n’aurait pu me rendre plus beau ou même me réparer. J’aurais rétorqué que ma blessure est si profonde que rien n’aurait su la soigner. Alors que maintenant… Ce geste qu’elle a fait en m’aidant à mettre mon pansement… Ce geste m’a aidé à comprendre une chose terriblement importante. Les amis, la famille et tous les êtres qui nous entourent… Il faut arrêter de les ignorer.

La brunette sourit et s’enfonce brutalement dans le canapé. « Allez, tu vas nous chercher des soda et on se joue une partie ? » Ma tête pivote de la jeune fille, à la manette que j’ai abandonné quelques minutes plus tôt. Un sourire s’affiche sur mon visage. À une époque, on passait tous les deux beaucoup de temps à ce genre de petits plaisirs simples. Rire, regarder un match de basket, jouer à un jeu vidéo. C’était l’une des choses qui me plaisait le plus dans notre relation. J’avais ce sentiment de pouvoir tout faire avec Bluberry comme j’aurais pu le faire avec n’importe quel garçon. Je pouvais roter sans la choquer, je pouvais balancer des insultes à un joueur de football sans que cela la dérange, je pouvais boire une bière et manger des chips sans qu’elle me dise de faire attention à ma santé. Pour moi Bluberry c’était un peu comme un pote. Sauf que c’était une fille… J’ai trop souvent oublié ce détail. Et c’est d’ailleurs cet oubli qui nous a valu un quiproquo des plus théâtrales. J’aurais dû réfléchir. J’aurais dû y penser. Mais que voulez-vous ? Je n’ai jamais eu l’esprit assez ouvert.

Je me lève alors du canapé pour marcher jusqu’à la cuisine. Je sors deux verres et demande à Blu : « Tu veux des glaçons ? Et euh… Tu peux sortir la deuxième manette en dessous de la télé s’te plait ? » J’ouvre le frigo à la recherche d’une bouteille de soda. Il doit normalement y en avoir une entamée quelque part… Mes yeux font toutes les étagères puis tombe sur une bouteille à moitié vide. Ou pleine, tout dépend de ce que l’on veut voir… J’en verse dans les verres et mets des glaçons pour plus de fraicheur. C’est l’une des choses essentielles quand on habite en Floride : la fraîcheur.
Je reviens au salon et m’installe à côté de mon amie. « Madame est servie ! » dis-je en posant les deux verres sur la petite table du salon. J’attrape la manette libre et remarque que Bluberry a eu le temps d’installer la deuxième. « Bon… Puisque je suis un parfait gentleman, je te laisse choisir en première ton équipe. » Un gentleman… C’est ce qui me définit le mieux, non ? Quoi vous ne trouvez pas que je ressemble à un gentleman ? J’accueille une demoiselle chez moi et lui interdit de faire le ménage, je lui sers un vers de soda dont les bulles ne sont plus vraiment présentes et je la laisse choisir son équipe de foot… C’est quand même très galant de ma part, je trouve ! Et puis j’ai souvent usé de cette tactique pour attirer des filles dans mon lit, à une époque. Je jouais le rôle du mec idéal. Mais je vous promets, que ce n’est pas ce que je fais aujourd’hui. Non… Bluberry mérite simplement tout mon respect. Elle mérite le meilleur. Cette fille est incroyable. Elle est là pour moi malgré ce que je lui ai fait subir. Elle est présente à mes côtés malgré ce que l’on peut dire de moi… Elle n’a aucune idée reçue. Elle m’a relevé, m’a aidé. Alors elle mérite un minimum de reconnaissance. « Et puis tu vas en profiter pour me raconter tout au sujet de ce… Nathan ? C’est ça ? Nathan… Il est à Wynwood ? » Je veux tout savoir sur ce mec. Nom, âge, origine, classe, famille, revenus… Comme ça, si un jour il fait du mal à Bluberry, je saurais où le trouver. Je saurais qui il est et je pourrais ainsi mieux le détruire. Parce que je ne laisserais plus personne faire du mal à ce que j’aime. C’est fini. Game over ! Vous avez face à vous un tout nouvel Edward. Un gars sur qui on peut compter. Un gars qui n’aura plus peur de s’attacher. Un gars qui n’aura pas honte de sa faiblesse et qui en fera une force.

Alors… Que la partie commence ! Je choisis à mon tour les joueurs avec qui je vais affronter mon amie. Je ne sais absolument pas si elle se débrouille bien ou non. Je vais pouvoir constater ça dans quelques secondes et j’ai vraiment hâte. Je vais sans doute la laisser gagner… Dans l’esprit gentleman évidemment. Non, je rigole ! Je vais la laisser prendre le dessus un instant. Histoire de voir si elle est douée ou non. Et j’aviserai ensuite. Si je constate qu’elle me met un but dans la première minute, je sortirais les griffes, c’est sûr ! Si elle met plus de temps et qu’elle semble un peu maladroite avec sa manette… Alors là, peut-être que je serais un peu plus clément. Je lui laisserais l’opportunité de marquer des points et de ne pas faire face au redoutable Edward. Mais ça… Je ne vais le savoir que dans quelques secondes.

Bluberry m’informe alors qu’elle allait sortir avec un garçon. Un certain Nathan… Je lui souris tendrement. C’est une bonne nouvelle. Si ce gars la traite bien, qu’il est gentil avec elle et qu’elle est heureuse… Je n’ai rien à redire, au contraire. Je souhaite tout son bonheur. Parce que c’est ce qu’elle mérite. Blu est une fille bien avec un cœur énorme. Elle mérite de rencontrer une personne à sa hauteur. Ce qui ne me définit pas du tout… Je n’aurais jamais pu être le petit-ami qu’elle aurait pu souhaiter. Je ne suis pas fait pour être en couple et encore moins avoir des relations approfondis avec qui que ce soit. Je me plais dans ma solitude et je le vis bien. J’aime être dans ma zone de confort, cette bulle que je me suis forgé avec le temps et les voyages. J’ai besoin de mon espace. J’aurais pu prétendre vouloir une relation… Mais ça n’aurait été que mensonge. J’aurais menti à Bluberry, je lui aurais donné de faux espoirs. Et je ne veux pas être la cause de sa peine, de sa détresse. C’est l’une des raisons qui me pousse à être si seul… Je ne veux pas briser le cœur de quiconque.
Elle me retourne la question. Que veut-elle que je lui dise ? Je n’ai pas changé… J’ai toujours cette peur invisible qui me bouffe de l’intérieur. Je suis toujours aussi lâche. J’ai toujours le même comportement de salauds coureur de jupons. Je continue de paraître insensible alors qu’intérieurement je crève de honte.

« Que veux-tu que je te dise ? Je me remets doucement de l’accident. Je vais sans doute retourner en cours d’ici deux à trois jours… Je ne peux pas me permettre de rater des heures de cours. Surtout en cette fin d’année… Je veux avoir tous mes acquis pour mon diplôme. »
Mon diplôme… Je vais l’avoir. Ce ne va pas être simple mais je vais y arriver. Je ne serais pas élu majeur de ma promotion, loin de là ! Mais ce sera déjà bien. Je pourrais envisager un futur… Je ne sais pas encore ce que je ferais mais… J’aimerais vraiment faire quelque chose de ma vie. Histoire que ma mère soit fière de moi. Que du Ciel elle contemple son fils avec soulagement. Je ne veux plus qu’elle s’inquiète pour moi. Je vais trouver ma voie et y arriver. Il suffit de franchir le cap. Et puis avec tous les voyages que j’ai faits… Ça me manque ce côté de ma vie. Toute l’aventure et l’inconnu me manque. Je me dis que j’aurais très bien pu repartir sur les routes et voir de nouveaux paysages. Ou… Ou je peux bosser pour faire de ces voyages un métier.

À peine ai-je terminé de lui répondre que mon amie reprend la parole. « Laisse-moi au moins m’occuper de toi ! Disons que t’es pas vraiment assez en forme pour tout faire. Tout à l’heure tu boitais et faudrait pas que tu mettes un pansement là-dessus ? » Je soupire alors que son regard me scrute et que son index pointe les plaies que j’ai sur mes hanches. « J’étais en train de me baigner… Ils étaient mouillés, tu frappais, j’ai pas eu le temps de les remettre. Et puis j’ai enlevé mon attelle tout à l’heure… Je suis pas sensé marché du tout mais ça me saoule de galérer avec des béquilles ! » Je me lève et vais chercher ma boite de compresses posé à côté de la télévision. Je prends le sparadrap, la Bétadine et retourne m’asseoir. « T’en fais pas pour moi, petite. J’ai connu pire… » C’était totalement faux. J’ai eu des sacrés matchs de foot qui ont dégénéré. Je me suis retrouvé dans des états pas possibles. Je me suis battu avec des petits-copains en colère. Mais ce n’est jamais allé aussi loin. Je préfère lui mentir. Je ne veux pas qu’elle s’inquiète pour moi. Je vais m’en sortir, je suis quelqu’un de fort. Aussi bien mentalement que physiquement. J’ai pris un coup mais ce n’est pas la fin du monde.

Je souris à Blu alors que je me mets à l’horizontale. Je fais tomber quelques gouttes du liquide marron sur mes plaies et pose immédiatement une compresse dessus. Je grimace légèrement et tente de couper un morceau de sparadrap avec mes dents. Sauf qu’entre ma main qui tient la compresse, l’autre qui tient la bouteille de Bétadine et le rouleur d’adhésif… J’ai un peu de mal à m’en sortir. Je tends le rouleau à la jolie brunette. « Mais je veux bien que tu m’aides pour ça… » Je bats des cils comme le ferait une fille qui réclame à son petit copain une robe à 200$. Et je m’empresse d’ajouter : « S’il te plaiiiiit…»

Contente de me voir. Elle est heureuse de me voir… Depuis combien de temps n’ai-je entendu sa voix ? Je pensais que tout était fini entre nous. Tout ça à cause d’une stupide erreur. Je ne voulais pas qu’il y ait de problèmes entre nous. Mais voilà, à cause d’un quiproquo nous avions perdu notre amitié. Tout ça à cause d’un stupide baiser… Et sans doute plus si tout n’avait pas pris fin à temps. Jamais je n’aurais pu penser que notre amitié aurait tourné ainsi. Bluberry a disparu de la circulation. Je savais qu’elle m’évitait. Et qu’aurais-je pu faire de plus ? Je ne savais pas quoi lui dire. Que j’étais désolé ? À quoi bon ? Nous n’aurions pas pu effacer ce moment de nos mémoires. Nous n’aurions pas pu faire comme si de rien n’était. Et puis, si elle ne voulait plus me voir je n’allais pas non plus la forcer !
Et puis, il y a un moins, j’ai appris qu’elle était partie en cure de désintoxication. Ça m’a fait un choc. Déjà de l’apprendre par un autre et puis aussi parce que je ne l’ai pas vu arriver. Je savais que Blu avait une certaine consommation de stupéfiants en tout genre… Mais je n’ai jamais pensé que ça pourrait arriver là, qu’elle aurait ce genre de problèmes d’addiction. Et ça m’a mis en pleine face une réalité difficile à avouer : même quand je prétendais être encore son ami… Je ne la connaissais pas assez. J’aurais dû savoir. J’aurais dû lui faire prendre conscience de ce problème.

Je laisse mon amie entrer dans la maison. Tandis que je ferme la porte, je regrette déjà mon geste. Pourquoi l’ai-je faite entrer ? « Mais qu’est-ce que t’as foutu…» Et voilà ! Mon doute se confirme rapidement. Elle doit sans doute se poser pas mal de question sur l’état de la maison. Je pense que ma mère aurait eu la même réaction. Sans doute avec plus de violence. Je me retourne vers mon amie. Mon amie ? Puis-je encore dire ça ? J’ai l’impression qu’elle agit comme si rien ne s’était passé, comme si elle avait effacé les deux derniers mois.
Elle est là, souriante et reprend : « Bon, on dirait que je vais devoir m’occuper de toi ! Et compte toi chanceux d’être blessé, parce que sinon, tu ferais le ménage avec moi. » Pardon ? Elle compte vraiment faire le ménage ? Chez moi ? C’est une blague.

Sa phrase me fait comme un électrochoc. Déjà, je n’ai pas été capable d’aller vers elle pour me faire pardonner. En plus, je n’ai pas pris de ses nouvelles quand elle était partie. Et maintenant qu’on se retrouve, elle va jouer les esclaves sans que je ne dise rien ? Hors de question !
Ma mère m’aurait trainé dans la maison pour que je nettoie par mes propres moyens. Même avec une jambe cassée, une gueule de bois, une gastro, ou une rupture d’anévrisme. J’aurais astiqué moi-même le sol de toute la maison jusqu’à ce qu’il brille. Je lui aurais servi des verres, fais à manger… Je lui aurais été redevable pendant au moins un mois. Pas le droit de m’exprimer, pas le droit de sortir, pas le droit de faire trainer la moindre chaussette par terre. À moi les corvées de lessives, vaisselles, de nettoyage de la piscine, faire les courses… Ma mère ne laissait rien passer. Elle ferme mais juste. J’ai appris comment me débrouiller dans une maison grâce à elle. J’ai juste oublié mes principes les cinq derniers jours…

« Non… Non ! Il est hors de question que tu fasses le ménage chez moi. Tu es mon invitée… Tu vas t’asseoir sur le canapé et je vais m’activer pour te servir quelque chose ! » J’avance vers le salon en boitant. Je n’ai pas eu le temps de remettre mon attelle. J’enlève tout ce qui traine sur le canapé et fais signe à Bluberry de s’y asseoir. Je vais jeter ce que j’ai dans les mains à la poubelle. En revenant, je tire l’un des rideaux et ouvre la baie vitrée. « Alors… Parle-moi de toi…»

10.04.2013

« Et l’arbitre donne le coup d’envoi de ce Brésil-Argentine. C’est le début du match ! Les joueurs brésiliens prennent l’avantage. Oh ça peut être dangereux…» « Allez… Allez ! Prends ça ! C’est la passe et… BUT ! Yes ! » Mes doigts s’activent sur la manette tandis que les joueurs de football courent sur le terrain. Je joue certes contre un programme informatique mais c’est aussi bien qu’un véritable match de foot. C’est sûr ce n’est que du soccer. Pas mal de joueurs des Canonballs me taperaient sur les doigts s’ils me voyaient jouer à ça. Durant mon voyant en Europe j’ai découvert cette différence flagrante de culture sportive. Le soccer là-bas s’appelle football. Notre foot s’appelle rugby. Les règles sont différentes, les références aussi tout comme les réputations. C’est sans doute une volonté de se différencier totalement du vieux continent. On a fait nos propres règles, inventé nos jeux… J’étais triste de ne pas pouvoir jouer au baseball avec un pote rencontré en Allemagne mais j’ai appris comme pratiquer leur foot. Et dans le fond, ce n’est pas non plus un sport absurde. Il y a beaucoup moins de contacts, c’est le seul problème.
Bref. J’aime ce jeu vidéo et je ne m’en passerai pas. Surtout que je suis cloitré à la maison depuis trois jours alors il vaut mieux que je m’occupe. Il y a bien la piscine mais après trois longueurs je commence à me faire chier. J’ai envie de sortir mais je me dis que ça ne serait pas correct. Parce que si je peux sortir m’amuser, je peux très bien aller en cours. Je ne sais pas depuis quand j’ai cette conscience mais elle ne m’arrange pas ! Du coup, je n’ai pratiquement pas bougé du canapé. Je joue à des jeux vidéo. Je commande mes repas par téléphone et ne fait pas la vaisselle. Ce qui donne un résultat plutôt effrayant.

Si ma mère débarquait aujourd’hui à la maison, elle ferait sans doute une syncope. Quand on pousse les grandes portes de la villa, on entend des bruits étranges venant du fond de la baraque. Des cris de bêtes, de la musique et une forte odeur de renfermé. Puis, quand on se rapproche des bruits et qu’on arrive dans la fameuse pièce, on se retrouve face au chaos. Un mec en boxer est étalé sur le canapé une manette à la main. Des boites de pizzas et de nourriture chinoise trainent au sol et sur la petite table en verre. Deux tasses vides de café reposent également sur le meuble transparent ainsi que des canettes de soda et des bouteilles en plastique. Trois ou quatre bières vidées de tout alcool agonisent au sol. Mais il y en a sans doute d’autres un peu mieux cachées. Les rideaux sont tirés et une forte odeur de renfermé pique le nez. Bref. Ça sent l’homme et ça mérite un bon coup de nettoyage. Mais surtout il faut faire bouger cette baleine échouée sur le canapé.

Il faudrait que je me bouge. Pas énormément, mais un peu quand même. J’pourrais aller faire un peu de sport ou bien me baigner. Ne serait-ce qu’ouvrir la fenêtre serait un grand pas ! J’éteins la console et me lève difficile du canapé. Une main dans le caleçon, j’avance dans la maison. Je suis seul, j’en profite, pas de chichi ! Je peux me gratter, péter, roter etc… personne ne me dira rien ! Je soupire un instant. J’ai tellement la flemme ! Un passage rapidement devant l’un des nombreux miroirs de la maison m’a montré ce à quoi je ressemble. Une barbe de trois jours envahit mon visage, mes yeux sont rougis et j’ai presque l’impression d’avoir un peu perdu de ma condition physique. Un large pansement recouvre entièrement mes cotes gauches et j’ai une attelle au niveau du genou droit. Plusieurs cicatrices et bleus recouvrent l’intégralité de mon corps. Voilà près d’une semaine qu’a eue lieu l’accident. Selon les médecins je m’en suis vraiment bien sorti. Ils auraient aimé que je reste en fauteuil roulant deux semaines au moins et que je ne pose pas ma jambe au sol. Ce que je ne fais absolument pas. Je n’ai pas envie d’être un assisté incapable de se débrouiller. En plus seul à la villa, je n’aurais pu rien faire ! Il y a trop de marches, trop de pièces, des portes pas forcément assez grandes. J’aurais bien aimé avoir une petite infirmière pour prendre soin de moi, si vous voyez ce que je veux dire.

Je me retrouve finalement devant le frigo, l’ouvre et constate avec désolation qu’il est complètement vide. Il y a un pauvre yaourt, un bout de fromage, deux bouteilles de soda et une d’eau et une de lait, un reste de pâtes en train de moisir. Appétissant ! Je prends la bouteille d’eau et en bois de longues gorgées.
Finalement je me décide à aller dans la piscine. L’eau me rafraichira à nager ne pourra faire que du bien à mes membres endoloris.

Alors que je fais plusieurs allers retours dans l’eau j’entends quelqu’un frapper à la porte. « C’quoi ce bordel ? » Je n’attends personne, je n’ai pas commandé de bouffe, je n’ai pas dérangé les voisins, je n’attends pas la visite de mon oncle. Qui peut donc être en train de frapper ? J’attends un instant, histoire de voir si ce n’est pas qu’une illusion. « Et puis merde ! Faut toujours que ça tombe au mauvais moment ! » J’avais préalablement retiré mes pansements avant d’entrer dans l’eau. Je suis donc trempé, une serviette autour du cou, et blessé de partout. J’avance dans la maison jusqu’à la porte et l’ouvre et soupirant.

Mes yeux tombent alors sur une charmante créature. « Blu ! Mais qu’est-ce que tu fous là ? » La dernière fois que je l’ai vu ça devait être… Y a au moins deux mois ! Je crois même que c’était suite à l’histoire des toilettes. J’ai été con ce jour-là. On s’est un peu embrouillé entre nos envies, nos sentiments et ce que l’on ressent réellement l’un pour l’autre. Je n’ai jamais eu l’occasion de lui reparler et je pensais en vérité qu’elle ne pouvait plus me voir en peinture. Et puis… J’ai appris qu’elle était partie en cure de désintoxication. Ça m’avait surpris. Ça m’a surtout montré à quel point nous nous étions éloignés. Et puis depuis je n’ai eu aucune nouvelle et je dois avouer que je n’ai pas cherché à en avoir non plus. C’est quand même con tout ça. On aurait discuté et peut-être que tout serait rentré dans l’autre.

Enfin, voilà, elle est là dans un mini short plus sexe que jamais, des lunettes de soleil et un look qui lui correspond tout à fait. Elle n’a pas vraiment changé et c’est une bonne chose. J’espère que ça cure a été efficace. Sinon… Maintenant que je sais qu’elle a eu ce genre de problèmes, j’y serais beaucoup plus attentif.
« Viens, entre ! » dis-je en me reprenant aussitôt. « Je vais pas te laisser sur le pas de la porte ! » Je m’apprête à lui faire une bise mais je me retiens. Je suis quand même un peu trempé…