Pourrais-je dépunaiser tes ailes ? [Cassie Lyfeld]

Pourrais-je dépunaiser tes ailes ?

Sienna fonçait droit devant elle, sans se poser de question. Une brise venait de l'horizon, de la mer et lui soufflait doucement sur le visage. Elle ne voyait que l'Océan, là, en face d'elle. Le temps aurait put s'arrêter, elle aurait pu rester comme ça, à courir vers l'eau jusqu'à la fin des temps. Elle finit néanmoins par arriver dans l'eau et entendit Cassie pousser un petit cri. Ça la fit sourire et elle la regarda, amusée. Pour sa part, Sienna avait l'impression d'avoir laissé tout ce à quoi elle pensait, tout ce qui lui avait tourné dans les tête ces derniers jours, sur la plage avec ses vêtements. Et, à la mine heureuse de son amie, elle se doutait que c'était pareil pour elle. Ce genre de moment où tout ce qu'on pouvait faire c'était plonger tête la première dans le présent, sans penser à rien d'autre, elle adorait ça. Bien sûr, il ne fallait pas en abuser, pour ne pas se couper du monde. Mais une fois de temps en temps, c'était paradisiaque.

Comme l'eau était très agréable, elles continuèrent à courir jusqu'à ce qu'elles n'aient plus pieds. Cassie en profita pour se mouiller les cheveux et Sienna plongea en canard pour aller toucher le sol avec la paume de ses mains. Pourquoi aimait elle faire ça ? Mystère. Peut-être, simplement, ne l'avait elle pas fait assez souvent quand elle avait l'âge de le faire. Et puis comme ça, ça lui permettait de checker où était le sol, ce qui était toujours rassurant. Même si elle n'avait absolument pas peur de la mer ou des créatures qu'elle renfermait, elle se rappelait bien de la fois où elle s'était endormie sur un matelas gonflable... A son réveil, la plage avait presque disparut. Ça lui avait fait une sacrée nage contre courant pour revenir. Si elle n'avait pas eu la bonne forme physique qu'elle a encore aujourd'hui, elle n'aurait peut-être pas réussis à revenir sur la plage. Et si elle devait compter sur ses parents pour venir la chercher, elle n'était pas rendu. Du coup, elle se méfiait un tout petit peu. Comme pour tout quoi. A force de ne compter que sur soi-même, on développe quelques petites habitudes maniaques. Quoi qu'il en soit, elle revint rapidement à la surface, sourire aux lèvres.

Son sourire s'élargit quand elle croisa le regard de Cassie. La jeune anglaise avait l'air heureuse et c'était communicatif. Surtout que ce n'était pas tous les jours que Sienna la voyait avec une telle expression de bonheur sur le visage. Vraiment, ça faisait plaisir à voir. Elle se disait donc, qu'à défaut de lui avoir parlé de sa maigreur ou de son apparente addiction à la beuh, elle avait fait beaucoup mieux : elle l'avait fait rire. Ça valait tout l'or du monde et elle était bien contente du résultat. De quoi parlaient elles avant de plonger ? Est-ce que ça avait de l'importance ?

- J'en sais rien, haha. Mais maintenant qu'on est là, avec personne pour nous écouter, je pense que c'est l'heure des Gossips ! Commençons par le plus important : un homme dans ta vie ?  

Elle lui offrit un sourire doux. Il n'y avait personne en vue, le vent soufflait doucement et le bruit des vagues finirait certainement par couvrir le son de leurs voix. On pouvait donc parler de tout ici sans se faire entendre par des oreilles indiscrètes. Mais ce n'était pas pour autant que Sienna allait essayer de faire parler Cassie de « sujets graves », elle s'était rendue compte que ce n'était pas vraiment la bonne approche. Si un jour elle voulait lui parler, elle le ferait. Il n'était pas difficile de comprendre que Sienna était là pour elle.

Mais c'est alors que l'anglaise battit des pieds pour lui envoyer de l'eau à la figure. Dans une fausse moue contrariée, Sienna lui lança un regard perçant mais amusé.

- Ne crois pas que tu va t'en sortir comme ça.  

Pour éviter une nouvelle salve d'éclaboussement, elle plongea la tête sous l'eau. Une fois disparue, elle se retourna pour nager sur le ventre. Rapidement, elle passa en dessous de Cassie et l'attrapa dans ses bras pour l'entrainer avec elle sous l'eau. Mais elle la relâcha rapidement. Puisqu'elle l'avait prise par surprise, on ne savait jamais combien d'air elle avait dans les poumons. C'est fou comme ce genre de blague a tendance à perdre son caractère amusant quand l'autre à l'impression qu'il va se noyer. Elles furent donc de retour à la surface en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Sienna riait.

Pourrais-je dépunaiser tes ailes ?

Cassie réagit au quart de tour à la proposition de Sienna. A peine une demi-seconde d'hésitation pendant laquelle cette dernière put la voir regarder alternativement l'océan puis elle. Et tout de suite après, elle lui tendait le bras pour qu'elle l'aide à se relever. C'est donc ce qu'elle fit, attrapant sa main et affermissant sa prise pour pouvoir tirer en arrière et l'aider à se lever rapidement. Puis là, sous ses yeux, sans la moindre hésitation cette fois, elle put voir Cassie se déshabiller, joint coincé entre les lèvres. Si Sienna adorait ce genre de comportement fonceur et audacieux, il y avait quand même deux choses qui n'allaient pas. La première, la plus évidente, celle sur laquelle elle ne pouvait pas fermer les yeux : le fait que sa soeur de confrérie était beaucoup trop mince. Maigre, c'était le mot qu'on pouvait utiliser sans avoir peur de faire une exagération. Bien sûr, elle avait déjà remarqué qu'elle était mince mais elle avait été trompée par les vêtements, elle ne s'était pas doutée que c'était à ce point. Etait-ce maladif ? Ça le devait ! Ce n'était pas possible autrement... L'inquiétude grimpa en elle à la vitesse de l'éclair. Mais elle ne pouvait rien laisser paraître. Elle n'était pas Psychologue mais elle se rendait bien compte que faire une réflexion ne servirait à rien. A part la gêner, dans le meilleur des cas. Non vraiment, ne rien dire semblait être la meilleure chose à faire. Sans compter qu'elle ne devait pas être la seule dans l'entourage de l'Anglaise à s'être rendue compte de quelque chose. D'autres avaient déjà du faire l'erreur de le lui faire remarquer, ou quelque chose dans le genre. Oui, elle avait envie de l'aider. Mais non, elle n'allait pas faire l'erreur de foncer tête baissée comme un taureau. S'il y avait quelque chose qu'elle savait sur la jeune fille, c'était qu'il fallait y aller en douceur avec elle.

La deuxième chose, elle, était plus subtile. Il s'agissait de la façon que Cassie avait de fumer. Oh, bien sûr, Sienna ne lui jetterait pas la pierre, c'était même elle qui avait allumé le joint. Bon, d'accord, quand il s'agissait de la jeune femme qu'elle avait en face d'elle, elle avait un peu tendance à avoir des raisonnements du genre « Fais ce que je dis, pas ce que je fais ». Un peu comme un parent, si vous voulez. Mais ça mis de côté, il y avait quand même quelque chose de normal à sa façon de fumer. Elle semblait prendre le joint plus qu'à son tour et tirer dessus avec trop de ferveur. Sans compter que quand il revient enfin entre ses mains, il était presque fini. Non, non, n'allez pas me faire dire que Sienna lui en voulait ou même trouvait ça mal poli. Rien de tout ça, elle était juste légèrement inquiète que ça cache quelque chose. Il y avait fort à parier qu'elle se faisait du soucis pour rien mais l'idée que Cassie soit accroc à l'herbe lui effleura l'esprit. Elle-même était passée par là, elle savait ce que c'était. Elle se dis donc alors, qu'à défaut d'autre chose, elle allait ouvrir l'oeil. En attendant, elle ne dirait rien sur ça non plus, se contentant de terminer le joint puis de le jeter négligemment dans le sable.

Ces réflexions avaient étés rapides. Une ombre furtive avait du passer sur le visage de Sienna mais pas bien longtemps. A présent, elle avait retrouvé son grand sourire joyeux. Elle avait résolu qu'il valait mieux ne pas sans faire car, dans tous les cas, le maximum qu'elle pouvait faire en ce moment était passer un moment amusant avec son amie. Dans les moments de faiblesses, la plus part du temps, on a surtout besoin que les gens soient là pour nous et qu'ils agissent un minimum normalement. Que la vie ne s'arrête pas quoi. Et puis, elle n'était pas encore assez importante dans sa vie que pour commencer à lui faire la morale. Ça ferait plus de mal que de bien.

C'est donc dans un rire qu'elle se débarrassa à son tour de ses vêtements et les laissa dans le sable. Ses sous-vêtements étaient assez banals, le genre en tissus qu'on trouve chez Etam lingerie. Encore heureux, ce n'était pas ceux avec des smileys. Elle par contre, n'était pas assortie. Elle ne s'était pas doutée qu'elle se retrouverait en petite tenue et elle n'avait pas l'habitude de se prendre la tête pour rien. Elle avait donc un soutiens gorge bleu et une culotte rouge. Qu'à cela ne tienne, ça n'avait pas beaucoup d'importance. Au mieux, ça ferait rire Cassie. Et au pire, bah, au pire d'autres personnes la verraient et trouveraient qu'elle n'avait pas de style. Ce qui était franchement le cadet de ses soucis.

- Aller Sexy Girl, à trois on fonce vers la mer !

Nouveau petit rire, yeux plissés de bonheur.

 - 1... 2...

Elle n'y pas jusque trois et fonça droit devant elle. Sans oublier d'attraper le poignet de Cassie au passage. Pas moyen qu'elle laisse la moindre chance à cette dernière de se dégonfler. La mer risquait d'être pile à la bonne température alors que l'air se rafraîchissait, ce serait sûrement très agréable. Comme quoi, il y avait un temps pour penser et un temps pour foncer droit devant sans se poser de questions.

Pourrais-je dépunaiser tes ailes ?

Sa tentative pour la faire parler en lui demandant comment elle allait, ne porta pas vraiment ses fruits. En effet, Cassie lui répondit tout simplement qu'à part la chaleur, tout allait bien. Sienna lui sourit avec douceur et compassion. Bah, c'était toujours mieux que rien, comme réponse. Et puis, ce n'était pas faux non plus. On pouvait dire que l'été s'annonçait chaud. Et elle pouvait facilement imaginer que pour une anglaise comme elle, ça ne devait pas être évident tous les jours. Elle-même avait de temps en temps des bouffées de chaleur alors qu'elle était beaucoup plus habituées à ce genre de températures. Il faut dire que Miami n'était pas si loin de chez elle. Et aussi que les saisons en Amérique sont beaucoup plus marquées qu'en Europe. Ici, quand c'est l'hivers, il neige, il fait un froid de canard et quand c'est l'été, ça change du tout au tout. Bon, peut-être ne neigeait il pas à Miami, elle ne le savait pas encore. Mais à Nashville, il neigeait tous les hivers ou presque. Comme les deux villes n'étaient pas si éloignée que ça l'une de l'autre, elle ne serait pas surprise d'avoir un nouveau Noël blanc. Bref, elle s'égarait là. Ce qui ne semblait pas être si grave que ça puisque le regard de son interlocutrice était rivé sur l'Océan. Fait pour lequel elle ne pouvait absolument pas lui en vouloir, compte tenu de sa propre passion pour le grand Bleu.

Elle fit néanmoins une deuxième tentative pour la faire parler en lui demandant si elle se sentait bien à Wynwood. Cette fois, ce fut plus fructueux mais légèrement étonnant. Ainsi donc, si elle était ici, c'était justement parce que c'était très loin de chez elle. Voilà qui était intriguant. C'était peut-être assez commun, après tout elle aussi « fuyait » un peu sa famille. Mais il y avait quelque chose d'autre dans la voix de Cassie alors qu'elle disait ça. Enfin, peut-être que Sienna se faisait des films mais il lui semblait entendre une certaine dose de rancoeur. Il y avait quelque chose qu'elle haïssait, chez elle en Angleterre, c'était ce que son instinct lui disait. Du coup, elle avait envie de savoir de quoi il s'agissait, elle avait envie de lui poser pleins de questions. Seulement, elle ne voulait pas l'effrayer. Vous voyez, elle percevait vraiment Cassie comme un renard apeuré qu'il fallait apprivoiser. Comme dans l'histoire du petit prince, ce renard pourrait ensuite devenir un ami précieux. Oh, c'était sûrement une vision qui se basait trop sur les apparences, qui était trop clichée, mais c'était comme ça qu'elle le sentait. Elle était persuadée qu'elle ne le regretterait pas si elle réussissait à l'apprivoiser.

Et puis, cette phrase, qui révélait le fait que Cassie avait eu envie de s'en aller le plus loin possible de chez elle, éveillait aussi chez Sienna quelque chose qui relevait de l'inquiétude. Elle se demandait en effet par quoi elle avait bien pu passer pour en arriver à de tels sentiments. La vie avait elle été dure avec elle ? Ça expliquerait son apparence fragilité et sa timidité. Quoi qu'il en soit, ses inquiétudes s'estompèrent quand elle remarqua le grand sourire franc de sa soeur de confrérie. Car quoi qu'il aie pu se produire dans le passer, elle avait l'air heureuse aujourd'hui. C'était le principal. Bon, d'accord, ce n'était qu'un sourire. Il pouvait se cacher beaucoup de choses derrière un sourire. Mais celui-là avait l'air sincère. Il était magnifique, en tout cas. Il donnait envie d'y croire. Alors Sienna y crut.

Elle pu ensuite entendre que celle qui partageait son joint, s'ennuyait. Heureusement qu'elle ajouta que c'était à cause de ça qu'elle était venu sur la plage, sinon elle aurait pu croire que c'était en sa compagnie qu'elle s'ennuyait. Ça, ça aurait été vexant. Surtout pour une fille comme Sienna. Non pas qu'elle se soucie plus que de raison de ce que les autres pensaient d'elle, non. Ça, elle en avait généralement pas grand grand chose à faire. Par contre, il ne serait pas dis qu'on s'ennuyait avec elle, c'était hors de question. Des minutes passées à s'ennuyer étaient des minutes gâchées. A moins, bien sûr, que le but soit de prendre du temps pour réfléchir à toutes sortes de sujets personnels. Car si Sienna était active, virtuellement toujours entrain de faire quelque chose, elle était loin de sous-estimer la méditation et ses biens faits. Ce qui, quelque part ne pouvait pas vraiment être compté comme de l'ennui en fait. Du coup, non, vraiment, il n'y avait pas de place pour l'ennui dans sa vie.

Alors, même si elle savait que la remarque ne s'adressait pas à elle, elle se leva d'un bon. Si tôt debout, elle tendit la main à Cassie pour qu'elle fasse de même. Contaminée par le rire de cette dernière, c'est d'une voix rieuse qu'elle s'exprima :

- Je ne vais pas te laisser continuer à t'ennuyer, crois moi !  

En attendant qu'elle se saisisse de sa main et se lève à son tour, Sienna répondit à sa question, dans un clin d'oeil amusé :

- Disons que je suis venue rendre hommage à ma muse.  

Tout en parlant, elle eut une idée sur la façon d'annoncer à Cassie ce qui lui était passé par la tête quand elle s'était levée d'un bond :

- D'ailleurs, nous ne sommes pas dans un musée ici. On a le droit de toucher. Ça te dis une petite baignade « nocturne » ?  

On ne pouvait pas réellement dire qu'il faisait nuit car, même si le soleil venait de disparaître, il faisait encore clair. Mais ça ne durerait pas. Il ne tarderait en effet sûrement pas à faire noir comme dans un four sur la plage. Ce qui ajoutait du piment non ? Leur baignade prendrait alors un goût d'aventure, un peu comme la plus part des choses que Sienna entreprenait. La vie est un jeu pour elle.

Pourrais-je dépunaiser tes ailes ?

Sienna sentit quelqu'un s'approcher d'elle avant de voir qu'il s'agissait de Cassie. C'est pourquoi elle commença à arquer un sourcils réprobateur quand elle sentit la personne qui venait de la rejoindre lui prendre son joint des mains. Ce n'était pas qu'elle ne voulait pas partager avec une inconnue mais surtout qu'elle n'aimait pas vraiment qu'on se permette ce genre de libertés avec elle sans même avoir échangé le moindre mot. Son expression faciale changea néanmoins du tout au tout quand elle se rendit compte que c'était Cassie qui était à côté d'elle. Ses traits s'adoucirent, son regard devint tendre et ses lèvres s'étirèrent. Il y avait quelque chose chez la jeune femme qui lui faisait cet effet là. Au delà du fait qu'elle avait un visage d'ange très agréable à regarder, il y avait une dimension émotionnelle. On pouvait en effet assez facilement sentir chez elle une certaine fragilité, ce qui éveillait des instincts maternels chez Sienna. Pourtant, la fille assise à côté d'elle dans le sable avait le même âge, ou presque. Comme quoi, l'âge, ça ne veut jamais vraiment dire grand chose.

Quoi qu'il en soit, Sienna se contenta de regarder Cassie tirer sur le joint en silence, une expression douce sur le visage. Elle ne savait pas qu'elle était accroc à l'herbe. Elle s'en serait voulu, sinon. Elle-même ne fumait qu'occasionnellement, pour se détendre ou en soirée. Elle se savait capable d'arrêter à n'importe quel moment. Elle se disait que si elle avait su se sevrer une fois de toutes ces substances, elle saurait recommencer. Du moins, tant qu'elle ne retombait pas dans l'excès, tant qu'elle n'essayait pas d'échapper à la vie et à la réalité par ce biais. Mine de rien, si elle avait appris quelque chose, c'était que la réalité finissait toujours pas vous rattraper. Et pas toujours de la façon la plus douce. C'est pourquoi, quand elle avait envie de s'échapper, elle peignait. Ou dessinait, ou chantait. Ou même écrivait. Que des choses saines qu'on lui aurait apprise si elle avait été en rehab mais qu'elle avait du apprendre seule, refusant d'avouer à ses parents qu'elle avait besoin d'aide. Elle ne voulait pas de leur aide.

Mais elle ne pensait pas à tout ça. Elle profitait simplement du fait d'être assise en silence à côté d'une de ses soeurs de confrérie. La voix de la belle jeune femme se mêla au bruit des vagues quand elle rompit le silence pour lui demander comment elle allait. Le sourire de Sienna s'élargit. Elle sentait bien que Cassie avait un peu de mal à être à l'aise avec les gens et elle comprit bien que c'était une tentative pour engager la conversation. Aussi, elle comptait bien faire tout ce qu'elle pouvait pour qu'elle se sente bien avec elle.

 - Moi ça va très bien, je suis contente que quelqu'un vienne mettre fin à ma solitude.

Nouveau sourire doux. Elle tira ensuite à son tour dur le joint, sentant la fumée venir lui bruler les poumons dans une douleur presque agréable.

- Et toi, comment tu te sens ?

Elle se demandait si cette simple question retournée suffirait à la faire parler ou non. Sûrement pas. Peut-être que le mien serait qu'elle-même se confie pour lui montrer qu'il n'y avait pas de soucis, qu'elle pouvait lui faire confiance. Mais elle ne voulait surtout pas la brusquer. Cassie lui apparaissait comme un renard sauvage qui n'attendait que d'être apprivoisé mais qui pourrait s'enfuir au moindre geste brusque. Sans qu'elle puisse expliquer pourquoi Sienna avait envie de se rapprocher d'elle, elle avait envie qu'elle lui raconte sa vie.

Pour être sûre de la faire parler, elle ajouta donc :

 - Qu'est-ce qui t'a fais choisir Wynwood ? Tu te plais ici ?

Là, peut-être qu'elle allait trouver qu'elle la pressait trop de questions. Mais c'était un risque à courir.

Pourrais-je dépunaiser tes ailes ?

Comme tous les soirs, le soleil se couchait sur Miami. Les journées étant de plus en plus longues, il était assez tard. Sienna avait passé une journée tranquille à peindre dans l'une des salles du bâtiment des Alpha Psi. Elle avait peint l'océan de mémoire pendant de longues heures et maintenant, elle venait lui faire face, assise sur le sable. Elle avait toujours éprouvé une sorte de fascination presque mystique pour le grand bleu. Sûrement parce qu'il renfermait tellement de mystères. Beaucoup de légendes se passaient sur l'eau. Sans parler des histoires de pirates. Toutes ces histoires, elle en avait entendu parler par son père. A défaut d'avoir une enfance semblable à celle de tous les autres remplis de Disney, elle avait du se contenter des légendes de son paternel. Ainsi, elle ne connaissait de la Petite Sirène que la version qui terminait mal. Il y avait aussi des légendes beaucoup plus vieilles, comme l'Enéide. Nolan Cassady, son père, était fasciné par cette histoire là. Sienna ferma les yeux alors que des images d'horreur, des images de la mort de Didon déferlaient dans son esprit. Elle ne l'avait jamais dis à son père mais cette histoire lui faisait peur, elle voyait les flammes qui dévoraient Didon sans qu'elle ne meurt alors qu'elle était abandonnée par son amant, le coeur littéralement déchiré par son épée.

Sienna secoua la tête et reporta son regard sur l'océan. Il était calme ce soir et le flux des vagues était apaisant. Elle essaya de ne pas penser à ses parents ou à son enfance. Ce n'était pas son genre de se laisser rattraper par ce genre de choses. Du moins, c'était ce qu'elle se disait. Elle ne voulait pas se lamenter. Ses parents n'en avaient pas étés mais ça faisait partie du passé. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien y faire ? Rien du tout. Elle avait su surmonter ça et devenir une jeune femme indépendante et sûre d'elle. Au final, elle ne manquait de rien. Elle venait même de se faire accepter dans l'un des plus prestigieux lycée d'Amérique ! Non vraiment, elle n'avait pas à s'en faire pour le futur. On pouvait dire qu'elle avait réussis à aller de l'avant.

Son sourire réapparut sur son visage comme s'il ne l'avait jamais quitté alors qu'un petit vent doux venait jouer dans ses cheveux. La vie était belle, la vie était libre. Elle était jeune. Ces pensées étaient grisantes. Depuis toujours elle avait pu faire ce qu'elle voulait de la vie. Dans sa jeunesse, cette liberté vertigineuse l'avait déstabilisée. Parce qu'il peut être difficile de faire face à la vie dans sa forme brute. Elle s'était légèrement brûlé les ailes en tombant dans les drogues, l'alcool et les mauvaises fréquentations. C'était des erreurs qu'elle ne referaient pas et qui, tout compte fait, lui avaient été plutôt bénéfiques. Ça lui avait en effet ouvert les yeux et elle s'était rendue compte que sa vie, sa liberté, elle y tenait. Et depuis lors, elle vivait au jour le jour, faisant ce qu'elle voulait mais surtout : ce qui lui passait par la tête. Il n'y avait pas grand chose pour l'arrêter. « Ma Liberté s'arrête là où commence celle des autres » était l'une des seules règles qu'elle respectait scrupuleusement. Et encore, il lui arrivait d'empiéter sur la liberté de ses amis mais seulement quand elle pensait que c'était pour leur bien.

Quoi qu'il en soit, la jeune femme était assise sur la plage, regardant la mer et fumant un joint. Une habitude qu'elle avait plus ou moins reprise depuis qu'elle était arrivée à Miami. Un petit peu à cause de la fois où elle et Lila avaient volé l'herbe d'un type au parc. Et aussi un petit peu « à cause » d'Alma, une de ses bonnes amies avec qui elle partageait un joint de temps à autre. Elle se rassurait en se disant qu'elle n'était pas accroc. Et par le fait que ce n'était pas une drogue dure. Un peu d'herbe, qu'est-ce que c'était par rapport au LSD et au MDMA ? Pas grand chose. Et ça ne pouvait pas lui faire trop de mal, un de temps en temps. Malgré que les examens soient finis depuis un moment et que l'été était de plus en plus présent, Sienna était seule sur son petit coin de plage. Ce n'était pas pour lui déplaire et elle profita du calme tant qu'elle le pouvait. C'était rare que la plage du Lycée ne soit pas envahie par des fêtards. Par contre, si elle affectionnait le calme, elle n'aimait pas trop la solitude et se surprit à espérer que quelqu'un la rejoigne.