This is a story of boy meets girl, but you should know upfront, this is not a love story. || Felindra

Parfois on souhaite que la vie s’arrête un court instant. On veut profiter de chacune seconde et ne pas les laisser nous glisser entre les doigts. C’est impossible de stopper le cours du temps. Et pourtant on ose le souhaiter. Parce que nous ne sommes que des êtres humains. Des petites âmes sans force ni pouvoir dans ce monde trop immense pour nous. Notre costume n’est pas à notre taille. Nous avons beaucoup trop de responsabilités. L’avenir de la planète est entre vos mains, nous annonce les médias presque tous les jours. Deux petites mains, d’une quinzaine de centimètres, peuvent sauver une planète entière ? Alors c’est normal d’avoir peur, de se sentir ridiculement petit. C’est juste de vouloir lâcher pris et de refuser les étiquettes collées sur nos fronts. On ferme les yeux, un court instant, et on s’évade le plus loin possible.
Ce soir, c’est ce que j’ai fait avec ma belle Luna. Je suis parti dans un autre monde. Mon de féérie et de mystère. Monde de beauté et de simplicité. Il n’y a aucune prise de tête. Au contraire, nous nous laissons guider par le flot de la vie, par nos envies, nos rêves, nos désirs enfouis. Je ne suis pas un prince charmant. Je couche avec pas mal de filles. Je ne sais souvent plus leur prénom au réveil. Je bois trop. Je suis égoïste et sans doute un peu irresponsable. Je suis un grand gamin qui joue un peu trop à la console et n’a pas ouvert de livre depuis ses douze ans. Je suis loin d’être parfait. Je suis lâche et faible. Je suis un humain… Mais ce soir, je me permets d’oublier tout ça. Je me permets d’être quelqu’un d’autre. Il ne s’agit pas de donner un faux nom comme ce que je faisais lors de mon voyage autour du monde. Non… Je suis quelqu’un d’autre en étant ce que je suis réellement. Vous me suivez ? Ce soir, je suis le vrai Edward, celui caché derrière toutes ses apparences. Mes gestes, mes mots, mes actes… Ils n’ont jamais été aussi sincères qu’aujourd’hui. J’ai l’impression de me redécouvrir. J’ouvre enfin les yeux et je me vois. Je suis là, avec une charmante demoiselle dans mes bras. Son visage se penche vers le ciel. Je me moque de savoir si je pourrais la tenir ainsi pendant longtemps. Puisque tout ce qui compte c’est cet éclat sur son visage. Cette sorte de bonheur incandescent. J’ai envie d’appuyer sur pause. Que cette goutte d’eau reste figée dans les airs. Que le visage de la belle continue de m’émerveiller.

Mais c’est impossible. Alors je me contente de profiter sincère, de déguster chacune des secondes. Je me délecte de cet instant. Je mémorise la lumière, le bruit et surtout mes sensations.
Puis Luna reprend la parole pour répondre à ma question : « Et bien… C’était mon Disney préféré… Et là, j’ai l’impression d’être un enfant de neuf ans… là avec toi…» Régresser en enfance… C’est peut-être ça la clé. Même si je n’ai pas l’impression d’être forcément un enfant… J’ai la vision d’un homme, mon passé derrière moi qui me fait réfléchir différemment. Cependant, j’agis librement, sans calcul et arrière-pensée. C’est ça qui nous fait croire que nous sommes des enfants. Eux, ne pensent pas aux conséquences. Ils ne réfléchissent pas et agissent comme bon leur semble. Ce soir, j’ai laissé mon cœur parler avant ma tête. Mes gestes furent plus rapides que ma pensée. Alors ouais… C’est une sorte de retour en enfance… Mais pas complètement.
« Je suis heureux d’avoir fait le choix de venir te voir ce soir… Toi la mystérieuse demoiselle dans le coin de la salle…»

Je tourne un peu sur moi-même. L’eau transperce mes vêtements. Ma chemise blanche va bientôt devenir transparente si je continue ainsi. Mais quel est le problème ?
Et alors que tout est parfait. Une lumière externe vient nous éclairer. Un intrus interrompt notre moment. J’ai dû mal à faire le rapprochement. Au bout de quelques secondes, je tourne ma tête vers la source lumineuse. Un puissant jet de lumière se jette sur nous. C’est sans doute une lampe torche, tenue par… Un gardien ! « Et merde…» « Et vous ! Qu’est-ce que vous faites là ? Sortez immédiatement où j’appelle l…» Il continue de se rapprocher tout en nous criant des menaces. Nos noms seront recueillis, nous devrons nous expliquer face au proviseur, nous aurons des problèmes… Bref il faut fuir et interrompre cette soirée si merveilleuse. « Luna, j’crois qu’il vaut mieux que l’on parte rapidement. » Mes yeux se plongent dans les siens. Je l’observe et lui parle en même temps que le gardien du parc. Il se rapproche un peu plus. « Il va falloir que l’on parte chacun de notre côté… Vas-y en première, je fais diversion. » Je lâche mon étreinte et la pose délicatement dans la fontaine. Je quitte son regard pour faire face au chasseur. Je suis la bête chassée… Mais je ne me laisserai pas faire. De toute façon, je ne peux pas me permettre d’être renvoyé ou d’avoir une mauvaise appréciation sur mes relevés…

Adieu Luna…

Mon regard fixe obstinément l’eau de la fontaine. J’ai dû mal à réaliser que ce que j’ai dit. L’ai-je vraiment dit à voix haute d’ailleurs ? Je n’espère pas… Bien que, j’aimerais me bercer d’illusions, je connais la vérité. Je l’ai prénommé Luna. Dans le fond je le pense sincèrement… Tout ce que j’ai déclaré est sincère. Et c’est justement ce qui m’inquiète. Habituellement pour draguer une fille et l’amener dans mon lit j’utilise toutes les ruses possibles. Je suis un charmeur mais c’est plus souvent mon côté rustre et mon corps qui fait la plus grande part du travail. Je ne compte jamais sur mes mots. Pourquoi ? Simplement parce que j’ai passé presque deux ans à faire le tour du monde. Je vous assure que je ne parlais pas la langue de toutes les demoiselles que j’ai pu rencontrer. Bien au contraire ! Alors je parlais le minimum, mon corps, mes sourires, mes gestes faisaient le reste.
Pourquoi ce soir ai-je agi ainsi. Je n’en sais pas le moins du monde. Ça ne me ressemble pas. Jamais je n’ai été poétique. Jamais je n’ai dit de si belles phrases… Je ne me comprends pas moi-même. Le pire dans tout cela c’est que je n’ai pas fait ça dans un but précis. Je ne veux pas à tout prix ramener cette fille dans mon lit. Je veux simplement profiter de l’instant présent. Elle est jolie, mignonne, mystérieuse, captivante, intéressante… C’est la première fois que ça me fait ça. La première fois où je n’ai aucune arrière-pensée. J’ai ouvert mon cœur à cette inconnue.

Les étoiles se reflètent dans l’eau. Elles sont captivantes. On croirait voir un tissu bleu brodé de petites taches blanches qui remue sans arrêt. Le bruit de l’eau qui coule nous envahit. Je ne l’avais pas vraiment remarqué jusqu’à présent. J’étais sans doute trop occupé, trop absorbé par le regard de la belle.
Je la sens bouger. Je ne redresse pas la tête mais je sais qu’elle est encore un peu plus près de moi. Je me demande si elle n’a pas froid. J’ai envie de la prendre dans mes bras, de sauter dans cette fontaine, de rire, de ne plus penser à rien.
« Toi tu seras Peter Pan » Mes yeux quittent l’eau pour se glisser jusqu’au visage de Luna. Un sourire s’étend sur mes lèvres. Peter Pan… Celui qui vit dans un monde merveilleux. Celui qui ne grandit jamais. Ne pas grandir… Ne pas voir les effets du temps… Ne pas affronter la mort, la douleur, la vieillesse, la maladie. Mon cœur se serre. J’aimerais tellement être Peter Pan. Je ne serais alors plus sujet à toutes ces questions qui peuplent mon esprit. Plus de peur… Plus de regrets… Plus de honte… Plus de futur à craindre…
Dans le fond, j’ai déjà essayé d’être Peter Pan. Quand j’ai pris mon billet d’avion pour le Brésil. Je suis parti, j’ai voyagé, j’ai tenté de vivre au jour le jour sans penser au futur. J’ai profité de ma jeunesse à fond. J’ai bu, j’ai connu les plaisirs de la chaire, j’ai vu des tas de merveilles, j’ai découvert de nouvelles saveurs…La vie prenait un nouveau sens. J’étais enfin libre. J’étais l’homme solitaire vivant dans son monde à part. Adolescent, sans diplôme, dilapidant l’argent familial… Mais il y a toujours quelque chose pour nous ramener au monde réel. Wendy pour Peter ? Moi c’est ma mère… Ou plutôt sa mort. Un frisson parcourt mon dos. Il glisse le long de ma colonne vertébrale. Elle n’aurait jamais cru si bien dire. Comment a-t-elle vu ça en moi ? Comment a-t-elle pu me comprendre si vite ? C’est comme si la magie avait opéré entre nous. Une étrange osmose nous unit.

Sans rien dire, juste mon sourire sur les lèvres, je fais glisser ma veste de costume pour la prendre dans mes mains. Si proche d’elle, je la frôle à chaque geste. « Tu as froid ? » C’est toujours ainsi que font les mecs dans les films, non ?

Et puis merde, je ne suis pas acteur. Mon sourire s’agrandit et sans réfléchir j’attrape la belle. Un bras au niveau de ses genoux, l’autre au milieu de son dos. Je la fais glisser et la tient dans mes bras. Ma veste et tomber au sol et moi je saute de l’autre côté de notre perchoir. J’ai de l’eau jusqu’aux genoux. Elle est fraiche mais j’ai vu bien pire. Je tourne sur place avec Luna dans mes bras, comme une princesse. Des éclaboussures viennent s’écraser sur nos visages. Mon rire s’échappe de ma gorge. « Pourquoi Peter Pan ? Je ne vois pas pourquoi…» J’aime bien jouer les idiots.

Il suffit d’un rien pour faire tourner une jolie histoire à un drame épouvantable. Comme quelqu’un venant briser l’univers qui se forme entre nos deux corps. Cette jeune fille et moi, nous sommes dans notre petite bulle. Rien ni personne n’a l’autorisation de venir la percer. Car tout s’effondrerait… La magie, l’ambiance, la chaleur, les sourires… Rien ne serait plus pareil. Je la verrais alors comme une petite lycéenne trop jeune pour être intéressante. Et elle se rendra soudainement compte que je ne suis qu’un football sans cerveau. On sera aveuglés par nos préjugés et on oubliera vite ce que l’on ressent à ce moment-même. Je n’en ai pas envie. Je savoure le présent comme jamais. Je le croque à pleine dent. Je le consomme. Il se consume sous mes doigts. Je n’en perds pas une miette. Mais je partage… Avec elle. Ma Luna. Mon rêve éveillé. Ma mystérieuse rencontre de la soirée.
Alors je prie vainement pour que rien ne vienne rompre l’ambiance. Une personne, un étudiant, un gardien, un croassement d’oiseau, une feuille volant au gré du vent et venant par hasard s’écrase sur ma joue. Je ne veux rien. Juste elle. Elle seule.
Elle ne semble pas être contre l’initiative que j’ai prise. Elle ne riposte pas face au prénom. Elle ne me force pas à lâcher sa main. Au contraire… La brunette garde ma main dans la sienne. Ou est-ce plutôt l’inverse ? Dans tous les cas, je sens la pression de ses doigts m’intimant de ne pas m’en aller. Alors je reste ainsi. Je ne suis pas un grand démonstratif. Dans toutes mes histoires d’amour, si on peut appeler ça comme ça, je n’ai jamais été le gars à vouloir se promener main dans la main. Je ne suis pas celui qui se colle en permanence pour réclamer un câlin. Même avec ma mère, je n’étais jamais fourré dans ses jupes, je ne passais pas des soirées dans ses bras. C’est peut-être un truc qui cloche chez moi… En fait je n’ai jamais senti le besoin de m’accrocher à quelqu’un. Je suis un grand solitaire. Pour moi, pas d’attaches sentimentales signifie vivre sereinement. C’est sans doute pourquoi j’enchaîne les conquêtes sans histoire d’amour comme fond sonore. C’est peut-être un syndrome… Vous savez, la peur des relations durables…

Mais là n’est pas la question ! Je me redresse pour lui faire à nouveau face tandis qu’elle fait un pas à nouveau vers moi. Je ne sais pas quoi dire. J’attends son verdict en fait… Je suis bercé dans une ambiance de suspens. Ça me ronge. J’ai bizarrement peur de son avis. Ce qu’elle pense semble si dur à deviner. Je m’accroche à nouveau dans ses yeux tandis qu’elle répond enfin : « Luna ? J’aime beaucoup.» Bon point. Elle aime. Elle apprécie même beaucoup ce prénom. Je suis heureux. Je me serais difficilement vu répondre à un « non ». Bien que ce ne soit pas la fin du monde, au moins, j’ai réussi à faire quelque chose qui lui plait. C’est déjà une bonne chose. « Mais… Pourquoi donc ? » Je souris et tourne un peu la tête. Je lève les yeux au ciel pour admire la lune un instant. Je lève le doigt dans sa direction pour que la jeune demoiselle l’observe elle aussi. « La Lune… Elle est toujours présente peu importe l'endroit où on est dans le monde. On sent sa présence mystérieuse, mystique. On ne voit que cette face-là, elle ne change pas... pourtant elle a toujours cet éclat magique quand on l’observe. Elle nous captive, nous fascine...» Mon regard lâche l’astre pour se poser sur la demoiselle. Je laisse un silence retomber avant de continuer. « T..» Je m’arrête en plein chemin. Je m’apprête vraiment à dire ça ? Je ne réfléchis pas une seconde de plus et me lance : « Tu me rappelles la Lune…» Je tourne à nouveau la tête pour regarder les étoiles se refléter dans l’eau de la fontaine mais surtout pour ne pas affronter ses yeux. Je trouve ça tellement dégoulinant ce que je viens de dire. C’est si… Romantique. Je ne suis pas un mec qui en fait des tonnes. Je ne suis pas un beau parleur. Je ne suis pas un playboy. Je ne joue pas au poète pour faire chavirer le cœur d’une belle. Je ne suis pas comme ça… Pourtant ce soir j’ai réussi à entrer contre mon gré dans ce moule. C’est pathétique, pas vrai ?

Oui, je suis un vrai gamin. J’aime marcher sur les rebords de fontaines. Entre la chute au sol ou dans l’eau. Ce n’est pas une question de vie ou de mort mais on s’amuse à y croire. On imagine qu’il y a des crocodiles d’un côté et de l’autre un gouffre sans fin. On met sur chapeau d’Indiana Jones et on part à l’aventure comme un de ces grands héros. Et comme tout aventurier, j’aurais une princesse à sauver ! Et elle est toute trouvée. Elle a de longs cheveux bruns, une robe de la même couleur et des yeux translucides comme l’eau de cette fontaine. Sauf que la princesse est soudainement prise d’une envie d’aventure elle aussi. Elle grimpe à son tour sur le rebord. Elle joue les équilibristes. Je ne sais lequel de nous deux à le plus de chances de tomber dans les crocodiles. Moi, le grand et costaud joueur de football qui sait courir, foncé dans le tas mais qui est loin d’avoir une concentration hors-pair et donc mauvais funambule. Ou bien cette demoiselle avec une tenue peu pratique pour un numéro d’équilibriste qui a la chance d’être menue et plus petite. Donc moins de prise au vent et puis… C’est connu que les filles ont plus d’équilibre et de souplesse que les garçons. Alors… Tant pis ! Comme dans tous les films d’actions, ce sera elle qui fera un fou pas et je viendrais à sa rescousse en lui attrapant la main. Ça ne vous rappelle rien tout ça ? Quand on était plus petit, ce n’était pas sur des fontaines que l’on montait, bien trop dangereux selon nos mamans ! Mais on marchait sur le bord du trottoir. Là aussi, la chute était terrible. On perdait toute crédibilité. Et puis si on dépassait sur le béton… Nul. On était complètement nul. Ça m’est arrivé de tricher plusieurs fois à ce jeu-là. Quand je tombais, je prenais un air innocent, regardais à droite puis à gauche et continuais l’air de rien. Je ne sais pourquoi c’était si important… Tout comme je ne connais pas la force mystique qui m’a poussé à marcher sur ce rebord en marbre. Qu’est-ce que je risque ? Une chute de cinquante centimètres ? Ce n’est pas la mer à boire ! Pourtant je me sens comme doté d’une grande mission. Je sens mon âme d’enfant pointer le bout de son nez. Elle me fait croire que l’enjeu de tout ça est bien plus important que n’importe quoi. Je n’ai pas bu… Ce n’est pas l’alcool qui me met dans cet état. Non, je suis au naturel. Légèrement grisé par l’adrénaline de cette fuite du bal et complètement de bonne humeur.

J’ai l’impression qu’elle aussi a envie de s’amuser. Elle répond à ma question par une autre question pour finalement ne pas répondre du tout. Je souris. Parfois dans cette société tout va trop vite. On rencontre quelqu’un, on apprend son nom et quelques heures plus tard nous voilà amis sur un réseau social. Et ainsi en une heure de recherche on connaît sa vie dans les moindres détails. Photos, passions, destinations, métier, études, lieu de résidence… C’est déroutant. Pourquoi ne pas revenir aux bonnes vieilles méthodes ? Du mystère, du rire, de la bonne humeur et une pointe de séduction.
Justement, la jolie brune s’avance vers moi sans rajouter un seul mot. Son silence est compensé par un regard perçant. Mes yeux s’ancrent aux siens. Ils sont si énigmatiques… Je n’en ai jamais vu d’aussi beaux. Ou bien je ne m’en souviens plus. Il faut simplement qu’ils forment un tel contraste avec l’obscurité régnant chez cette demoiselle. Elle est toute de noir vêtue et pourtant il y a cette touche de lumière. Une clarté incroyable. Je pourrais presque comparer ses pupilles au reflet froid de la lune sur l’eau de la fontaine. Me voici entouré, transpercé par deux lunes. Comme cet astre, son regard est là, clair parmi le sombre. Dans la nuit, la lune sait briller tout comme la demoiselle. Nous sommes assez proches et un silence s’installe entre nous. « Alors laisse-moi te donner un prénom. Rien que pour ce soir… » Je ne sais pas si cela va lui plaire. Et tant pis si ce n’est pas le cas ! Au pire, nous ne nous connaissons pas, je prendrais très bien n’importe quel « non ». Et puis… Ce n’est pas comme si nos vies étaient en jeu. « Laisse-moi t’appeler... Luna. » Comme la lune… Pas difficile de deviner. C’est la première chose qui m’est venu à l’esprit. Bien loin d’un simple prénom. Je fais de ce mot une sorte de totem. Elle sera ma Luna. Peu importe sa véritable identité, ce dont je me souviendrais d’elle demain c’est cette impression qu’elle a ancré en moi. Ce repère. Comme si je pourrais revoir son regard à chaque nuit quand je lèverai les yeux au ciel. Luna… C’est plutôt cliché, sans doute moche mais je trouve le symbole intéressant. Presque romantique. Qu’est-ce qui m’arrive ? Je fais quelques pas à reculons pour m’écarter un peu d’elle, je me baisse et attrape sa main pour y déposer un léger baisemain. « Si quelqu’un à quelque chose contre ce nouveau nom, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais ! » Je lui offre un grand sourire. J’attends juste de savoir si elle a quelque chose à redire. Évidemment, personne ne va débarquer pour crier que c’est inadmissible. À moins que… N’oublions pas qu’elle est ma princesse, que je dois nous sauver de la chute aux crocodiles, que je suis un héros aventurier. Par conséquent, il est fort probable de voir arriver un méchant voulant kidnapper la princesse pour l’enfermer dans un château… Alors que ce soit un petit ami jaloux, un grand frère protecteur ou bien le gardien du parc nous demandant d’évacuer les lieux… Je ne suis à l’abri de rien !

Je n’ai pas de réponse, pas un mot, rien. La jeune brunette garde simplement son sourire. Réfléchit-elle à ce que je viens de dire ? Je n’ai qu’une envie : m’en aller avec elle. La prendre par la main et la trainer vers la sortie. Mais comment réagirait-elle ? Sans doute me prendrait-elle pour un fou. Déjà que je l’ai trainée de force sur la piste de danse. Alors si je lui prends la main et l’emmène dehors, sans connaître son nom, son âge, son opinion politique et religieux… Ça ne me dérange pas en règle générale mais cette fille est une petite lycéenne de Wynwood. Une fille qui vient sans doute d’une bonne famille. Je n’ai pas le droit d’entrer comme ça dans sa vie. Ce serait sans doute très mal vu. Et puis… Je ne veux pas qu’elle se fasse de fausses idées sur moi !
Mais ce ne fut pas moi qui l’ai surprise en agissant convulsivement. Mais elle ! Sans me dire quoi que ce soit, elle retira ses mains de mes épaules. Ai-je dis quelque chose de mauvais ? Que fait-elle ? Je la vois se baisser vers le sol. Ses mains glissent vers ses chaussures. Elle les retire sans rien ajouter. Un sourire vient s’immiscer sur mes lèvres. J’ai l’impression que nos deux esprits sont étroitement liés. Elle fait ce que je voulais qu’elle fasse. Elle agit comme j’en rêvais secrètement.
Désormais elle est beaucoup plus petite que moi. Vraiment plus petite ! Ce qui ne manque pas de me faire sourire un peu plus encore.

La main de la jeune fille glisse dans la mienne. Nous prenons alors le chemin vers la sortie. Je jette un coup d’œil sur les gens dans la salle. Tous occupés… Qui remarquera cette sortie précipitée ? Ça peut paraître vraiment louche quand on y pense bien. Un garçon et une fille qui d’abord se parlent dans un coin de la salle. Ils vont brusquement danser en étant extrêmement proche. Et finalement, les deux jeunes sortent de la salle main dans la main presque en courant. Comme si une envie pressante venait de les prendre… J’imagine très bien les rumeurs qui pourront être lancée à la suite de ce bal. Tant pis ! De toute façon, qui nous a vraiment regardés ?

Une fois la porte franchie, nous nous mettons à accélérer le pas. Moi qui la voyais de dos depuis le début, je me retrouver devant. J’accélère encore et encore. Le vent nous fouette le visage comme je l’imaginais. Il est un petit peu moins fort que dans mon imagination. L’air frais envahit mes poumons. C’est si bon ! J’aime tellement être dehors. Ça me rappelle mes deux années à vagabonder partout dans le monde. C’était si bon. Cette liberté. Cet instinct retrouvé. Ce bonheur intense retrouvé grâce à la possibilité de faire ce que l’on veut quand on le veut.
Nous courons dans le parc. L’herbe sous nos pieds défile. Elle, pieds nus, doit apprécier beaucoup plus que moi cette sensation ! Mais chaussure vernis et bien cirée ne me laisse pas vivre pleinement cette situation. Je continue d’avancer jusqu’à m’arrêter près de la fontaine du parc de Wynwood. Je garde la main de la demoiselle et la force à tourner sur elle-même. « Wouhouuu ! Ça…» Je soupire de joie. Mon sourire reste gravé sur mon visage et je me sens revivre. Depuis mon retour à Miami, je n’ai pas ressenti cela. Ça fait un bien fou ! Ça me manquait tellement ! Je pense qu’il me fallait ça pour ne pas péter un câble. Cette fille… Elle vient de m’offrir cette petite part de folie dont j’ai besoin quotidiennement. « Si je m’attendais à ça ! Woow ! » Je lâche enfin ça main. Depuis quand sommes-nous attachés l’un à l’autre ? Je ne m’en suis même pas rendu compte.
Je m’assois sur le bord de la fontaine et retire mes chaussures et chaussettes. Je monte sur le rebord et fait quelques pas. « Alors comme ça on sort avec un inconnu du bal ? Qui êtes-vous mademoiselle ? Vous me surprenez beaucoup ! » Un sourire moqueur se glisse sur mon visage. Je continue à faire plusieurs pas sur le marbre de cette fontaine en me demandant ce qu’elle pourrait bien me répondre. Me surprendra-t-elle à nouveau ?