«
Long et dur est le chemin qui de l'enfer conduit à la lumièreSouviens-toi, souviens-toi de ce onze de septembre. De ses poudres et sa conspiration. Souviens-toi de ce jour, souviens-t-en.
À l'oubli, je ne peux me résoudre. »
Le 18 août 1995, Brooklyn, New York.
♦Bonheur
Radieuse. C'était une belle et radieuse journée d'été. Radieuse comme le soleil et la chaleur que ce dernier causait, s'abattant sur la Grande Pomme tel une chape de plomb. Radieux, comme le sourire de Leelah Elizabeth Butler, jeune femme de 26 ans. Ses cheveux étaient ternes, et sa peau pâle. Mais son sourire en disait long sur son bonheur. Elle avait quitté le travail quelques heures auparavant. Elle n'y retournerait plus avant de longs mois. Son job lui manquerait, c'était sur. Mais l'évènement à venir était tellement plus beau, qu'elle s'en passerait volontiers.
Allongée de tout son long sur ce qui ressemblait à un lit d'hôpital, elle contemplait, émerveillée, les images qu'affichait l’échographe à sa droite. Dessus, on pouvait y voir une petite masse claire, gesticulant doucement dans un fond sombre. Il s'agissait d'un bébé. Son bébé. Celui qu'elle allait mettre au monde dans quelques mois. L'enfant qu'elle chérirait toute sa vie.
Émue, elle se tourna vers l'homme à sa gauche. Ce dernier lui tenait la main, et paraissait tout autant émoustillé qu'elle.
Son mari s'appelait Marlon Butler. C'était un grand homme, au visage angélique, les yeux foncés et les cheveux d'un brun des plus banal. Ses traits étaient fins, et l'émotion qui semblait l'avoir envahit quelques minutes plus tôt créait chez une lui une fossette gracieuse. Lui aussi avait les larmes aux yeux.
- Regardez votre bébé, dit tendrement la sage femme.
Vous voulez connaître le sexe ? - Oh, eh bien ... euh ... commença la jeune mère, perdant subitement tout ses moyens.
- Oui, nous voulons savoir ! s'écria le père, excité à l'idée de savoir quel sera le sexe de leurs premier enfant.
- Très bien ... C'est une petite fille ! ajouta la médecin, quelques secondes plus tard.
Vous êtes content ?
- Oui oui, de toutes façons, le principal, c'est qu'il vienne en bonne san...- C'est pas croyable ...La médecin venait de les couper. Elle fixait désormais son ordinateur d'un air intrigué et étrange. Puis soudain, elle lâcha un petit cris et émit un léger rire. Les deux jeunes parents, perplexe, se regardèrent l'air de dire "qu'est-ce qu'il se passe ?"
- Tenez-vous bien mais je crois qu'il y a un deuxième bébé ! - Un deuxième ... QUOI ?!Mais la jeune femme avait raison. Déplaçant son outil tout le long du ventre déjà rond de Leelah, elle s'arrêta net lorsqu'une nouvelle masse blanche apparut sur l'écran.
- OUI ! regardez-bien ! Il s'agit d'un deuxième bébé ! Vous portez des jumeaux, madame !
Et c'est ... un petit garçon ! Vous voilà avec un petit garçon et une petite fille ! Si c'est pas merveilleux comme nouvelle ! Les deux jeunes parents, ne croyant pas à leurs bonheurs, s’étreignirent alors. Ils allaient devenir parents de deux jumeaux, un garçon et une fille. La vie leurs souriait définitivement. À leurs risques et périls.
Le 26 octobre 2000, Bronx, New York.
Calm before Storm ♥
« ET QUEL COUP ! QUEL COUP DE BATTE DU NUMÉRO 16 DES YANKEES ! UN COUP QUI ASSURE PRESQUE LA VICTOIRE FINAL. »Un stade de baseball. Une foule, immense et déchaînée, qui hurle à s'en casser la voix. D'innombrables supporters au comportement féroce, primitif, animal. Les Yankees étaient sur le point de gagner les World Series, autrement dit le championnat américain. Une victoire hors norme, une performance incroyable. Tous les supporters criaient, chantaient, tapaient dans leurs mains.
Et au milieu de tout ça, une famille. Une belle famille. L'une des plus soudée qui soit. À gauche, un homme, le père, porte une petite fille sur ses épaules. L'un comme l'autre crie à s'en casser la voix. La petite fille, survoltée, tape dans ses mains et agite ses bras. La famille Butler venait souvent assister à des match de baseball. C'était un peu la tradition, le dimanche. Au milieu, une femme, tout sourire. Leelah Butler n'était peut-être pas aussi excitée que le reste de sa famille, mais elle n'en était pas moins heureuse. Elle pensait seulement qu'il y avait des comportements à ne pas avoir. Après tout, ce n'était que du sport.
De son bras gauche, elle enlaçait son deuxième enfant, un petit garçon. Noah. Le petit se tenait sur la pointe des pieds, afin de ne louper aucune miette de cette fin de match folle. Il s'accrochait fermement à la rambarde devant lui, et souriait également. Les Yankees allait gagner le championnat ! Il rêvait de ça depuis des mois et pourtant, il restait étonnement calme. Toujours.
Rien dans sa façon de se tenir, de se comporter ainsi que dans l'expression de son visage ne laissait penser qu'au fond de lui, il bouillait. Il bouillait de bonheur. Au plus profond de lui. Ses parents n'étaient pas surprits, après tout, ils le connaissaient bien. Ils savaient qu'il était radicalement différent de Riley et de son tempérament de feu. Mais Marlon, le père, ne put s'empêcher de le faire remarquer à son fils.
« Allons Noah ! ON A GAGNE ! C'est super ! »Le petit garçon se contenta d'afficher un grand sourire et porta à nouveau son attention sur le stade. Puis, le coup de sifflet final. Les Yankees l'emportait sur leurs adversaires et gagnait donc les World Series. Noah applaudit alors, comme le reste des personnes présentes. Mais c'est tout.
Il le laissait le soin à sa famille et à la foule de crier son bonheur pour lui. Il n'était jamais très expressif.
Le 11 septembre 2001, Brooklyn, New York.
♠ Effondrement
- Lalalala, thriller ! Thriller night !Un pas en avant. Un pas en arrière. Une grimace mimant le visage d'un monstre. Celui d'un zombie, sortant de sa tombe afin de chasser, un soir de pleine lune. Des pas de danse effrénés. Une petite fille qui s'amuse.
La petite Mercedes avait toujours été plus excité que son jumeau, Noah. Elle était constamment entrain de crier, de rire, de chanter, de courir. Son homologue masculin, lui, était d'une nature calme. Il parlait rarement. Il écoutait surtout. Il riait peu, aussi. Seule sa sœur avait le don de le faire sourire. Tandis que la petite brune dansait comme une folle devant la télé et le célèbre clip « Thriller » de Michael Jackson, Noah, lui, était sagement assit sur le canapé, derrière elle, et regardait. Qu'est-ce qu'elle pouvait être exubérante comparé à lui. Mais elle le faisait rire. C'était une vraie pile électrique.
- Change de chaîne ! Mets les infos, vite !Une grande femme à l'allure forte venait de pénétrer dans la pièce, claquant au passage la porte du salon. La femme était noire, et portait une vieille robe déchirée par endroits. Ses cheveux étaient dressés en chignon au dessus de sa tête. Dans un état étrange, celle qui était en faite la nourrice des jumeaux arracha la télécommande de la main de Mercedes et changea automatiquement de chaîne.
Ce qui apparut sur l'écran de télévision n'avait rien à voir avec ce que la télé affichait quelques secondes plus tôt. Le visage maquillé de Michael Jackson, et ses divines danses avaient désormais laissé place à ce qui ressemblait à une vidéo amateur. Celle d'une ville, leurs ville.
Et au milieu de l'écran, une scène incroyable. Deux gigantesques tours, en fumée. Les reporters, horrifiés, criait à l'apocalypse.
La nourrice lâcha un cris d'horreur. Mercedes avait subitement stoppé sa danse, et regardait intriguée le téléviseur, sans comprendre ce qu'il se passait. Noah, lui, n'allait pas tarder à comprendre.
Il n'allait pas tarder à comprendre que c'est dans l'une de ces deux tours que leurs parents devaient se retrouver, ce matin même. Ni que ces deux tours, victime d'une horrible tragédie, allait bientôt s'effondrer dans un amas de débris et de désolation, coutant la vie à tout ceux qui les occupaient. Noah n'allait pas tarder à comprendre que ses parents étaient sur le point de mourir.
Il avait toujours été plus malin que sa jumelle. Elle avait l'insouciance, il avait l'intelligence. Cela avait toujours été comme ça.
Noah s'était levé du canapé pour se rapprocher le plus possible du téléviseur. Il regardait, perplexe, des gens agiter des draps, des vêtements blancs par les fenêtres. Tous ces gens qui appelaient à l'aide. Qui imploraient on-ne-sait-qui de courir les sauver, tout en sachant que c'était inutile et sans espoirs.
Noah voyait la mort face à lui.
- Dis Noah, qu'est-ce qu'il se passe ? demanda timidement la jolie Mercedes.
Tandis qu'il fixait toujours l'écran de télévision, ce dernier ne lui répondit pas immédiatement. Dans son petit esprit d'enfant, il faisait les rapprochements. Papa, maman. Tours. Effondrement. Mort. Il revoyait sa mère, ce matin-là, qui lui disait : « Je ne viendrais pas vous chercher tard, mon chéri. Je dois rejoindre papa au World Trade Center, tu te rappelles, la grande tour qu'on a vu ensemble, l'autre jour ? La plus grande, celle qui est au bout de l'île ? C'est là que maman va. Je ne vous rejoindrais pas tard. Surveilles bien ta sœur. Je t'aime »
- Noah ?! NOAH ?! insistait la jolie brunette, tirant désormais sur la manche du tee-shirt de son frère, afin d'obtenir enfin une réponse.
- DIEU TOUT PUISSANT ! hurlait leurs nourrice.
MES PAUVRES CHÉRIS !La vieille dame s'approcha alors des jumeaux afin de les prendre dans ses bras, mais Noah l'esquiva d'un air méprisant et serra fort sa sœur contre lui.
- Papa et Maman sont au ciel, dit-il tandis que la première tour s'effondrait sous leurs yeux ébahis.
Il lui avait chuchoté ces mots dans l'oreille. Puis, il déposa un léger baiser sur sa joue.
Le 06 avril 2009, New York.
Fall ♣
« Donc, très bien. Maintenant, quelque peut me dire qu'est-ce qui constitue un atome ? M. Butler, peut-être ? »Noah fit un léger sourire. Il ne connaissait que trop bien la réponse à cette question, cette dernière était juste stupide. Il ignorait pourquoi la moitié de sa classe ne comprenait pas ce chapitre. En même temps, la moitié de ses camarades étaient des nègres ou des chicanos. Tout s'expliquait, en fait.
Il se rassit correctement sur sa chaise et dit d'une voix marmonnante :
« Un atome est constitué d'un noyau et de son nuage électronique. Les neutrons et les protons se trouvent dans le noyau, alors que les électrons se déplacent dans le nuage. Toutes ces particules forment les nucléons. Certaines sont chargés positivement, comme les protons, alors que d'autres ... »Toc toc toc.
« Oui, entrez ? - Excusez-moi Mrs McCallister, je peux vous emprunter M. Butler quelques minutes ? »Une fois que la professeur eut donné son accord, Noah se leva de sa chaise et se dirigea d'une démarche nonchalante vers la sortie. Un surveillant était venu le chercher. Avait-il fait une bêtise ? Probablement pas. Il savait comment éviter les ennuis.
Tout les élèves présent le regardèrent sortir, d'un air envieux, ignorant totalement pourquoi on avait donné le droit à LUI d'échapper à l'un des cours les plus ennuyants du programme. Mais Noah savait d'où venait le problème. Et il n'allait pas tarder à obtenir la confirmation. Il suivit silencieusement le surveillant jusqu'au bureau du proviseur. Il entra donc la pièce et y retrouva ... Ryan. Sa sœur jumelle était assise sur une chaise, devant le bureau du chef d'établissement, la mine clairement boudeuse. Son visage s’éclaircit toutefois lorsqu'elle vit son frère.
« Monsieur Butler, je vous remercie de vous joindre à nous. Et désolé de vous déranger pendant vos cours. J'entends d'ailleurs de belles choses de vos enseignants vous concernant. Dommage qu'on ne puisse pas dire la même chose avec mademoiselle, hein ? »Noah avait donc eu raison. Pour la énième fois, le proviseur l'avait fait appelé afin de raisonner sa jumelle, qui enchaînait connerie sur connerie. Ils pensaient qu'il était le seul moyen de pression sur elle, n'ayant plus de parents.
« Donc donc donc ... Ryan est suspecté d'avoir fait une bêtise. Une de plus, hein ? Nombres de ses camarades l'accusent d'avoir jeté des boules puantes dans le casier de certains élèves. Et lorsque son professeur principal lui en parlé, votre chère jumelle s'est un peu ... emballée, hein ? » dit-il, se retournant enfin vers la petite peste.
Voyant l'air interrogateur sur le visage de Noah, le vieil homme reprit :
« Peut-être que votre sœur peut nous répéter ce qu'elle a dit à celui qui a trouvé pas moins de 5 boules puantes dans son casier, ce matin ? Allez-y Riley, je suis sur que votre frère ...- Je lui ai dis que ce n'était pas moi qui avait fait ça, rétorqua-t-elle, furieuse.
Je lui ai aussi dis que l'odeur ne devait pas beaucoup le changer de son taudis de négros. - Merci, je crois que ça suffira. Les sanctions seront les suivantes, je pense que ... »Près de 30 minutes plus tard, les deux jumeaux quittèrent le bureau du proviseur et se dirigèrent vers la sortie du lycée, la sonnerie annonçant la fin des cours venait tout juste de retentir. Les couloirs étaient encore vides, et Noah ne put tenir sa langue plus longtemps.
« C'est vraiment toi qui a fait ça ? - Ouep. Et j'regrette pas. Fait juste chier qu'on m'ait choppé ... »Noah éclata de rire. Elle avait vraiment le don pour s'attirer les ennuis. Ryan ne tarda pas à le suivre. Et ils s'en allèrent, tout sourire, riant des mésaventures de l'adolescente, et fulminant sur les noirs et les hispaniques qui peuplaient ce lycée. Ils n'étaient qu'un tas de détritus.