Jeremiah, Elizabeth : La rencontre

♠ Tu t’assois à côté d’elle, mais tu attends le moment où elle se jettera sur toi pour se venger. Tu attends qu’elle se relève, ramasse ses affaires et fuie le plus loin de toi. Pour s’éloigner du monstre qui s’est éveillé en toi, ce monstre que tu t’évertues à cacher depuis des années. Mais rien de tout ça n’arrive. Non, elle reste près de toi, comme si tes doigts n’avaient pas marqué sa peau blanche, comme si tu n’avais pas ressenti le désir puissant de la tuer, de mettre fin à ses jours. Comme si c’était fréquent, qu’elle se faisait étrangler tous les jours.

Elle te parle, tu ne l’écoutes pas. Il n’y a rien d’autre dans tes pensées que la réaction malsaine de la jeune fille. Tu le sais, tu n’es pas un modèle de normalité, tu n’es pas la personne la plus prévisible du monde. Mais elle. Cette folle reste à côté de toi, elle te parle comme à un ami alors que tu viens… tu viens de l’étrangler. Sa voix te parvient, lointaine, tu ne fais même pas attention à ce qu’elle dit. Tu te lèves soudainement, la coupant au milieu d’une phrase. Alors qu’elle lève les yeux vers toi, tu la coupes au milieu d’une phrase.

– Je n’ai pas envie de te connaître, et je n’ai pas envie que tu me connaisses. Tu es étrange. J’hésite entre de la candeur, de la gentillesse ou de la stupidité. Je viens d’essayer de t’étrangler, et ça m’a fait un bien fou. Je ne suis pas normal. Mais toi, qui reste ici à me parler après ce qu’il vient de se passer, c’est au-delà de l’anormalité. C’est malsain, c’est glauque. Tu es malsaine et glauque, et je n’ai pas envie de passer une minute de plus auprès de toi. Ce n’est pas une réaction normale, tu aurais dû me frapper, partir, appeler quelqu’un, me faire bouffer du sable jusqu’à ce je meurs étouffé. Ca, c’est une réaction normale.

Tu ramasses tes affaires et commence à t’éloigner. Au bout de quelques pas, tu t’arrêtes et la regarde.

– Bonne soirée, Elizabeth.

Puis tu reprends ta route sans te retourner.

♠ Tu n’as fait que quelques pas dans le sable tiède, et sa voix agresse de nouveaux tes tympans. Pitié, faites-là taire. Tu pensais pouvoir fuir, rentrer chez toi et retrouver le confort du silence qui emplit ton appartement. Car c’est tout ce dont tu as besoin, du silence, et de la solitude. Rester éloigné de tous ces parasites qui virevoltent autour de toi, qui violent ton espace vital, t’épuisent. Tu t’arrêtes au son de sa voix et attend le moment propice pour mettre fin à cette discussion vaine.

– Ton comportement. C’est ton comportement qui me dit que tu veux que je te touche, te caresse, t’embrasse. Tout, dans ton attitude, crie « prend-moi ». Tu es une traînée, et n’essaie pas de faire passer ça pour une philosophie de vie. Tu es une pute, c’est tout. Et tu es la seule à te dévoiler, parce que c’est une autre façon de se mettre à nu. Je ne me met pas à nu, que ce soit littéralement ou non, devant n’importe qui.

Tu ne t’es même pas retourné, tes yeux sont restés fixés au sol, le sable ayant plus d’intérêt pour toi que cette horripilante fille. Mais ses ongles s’enfoncent subitement dans ta chair, elle s’agrippe à ta taille, te force à te retourner. Tu te mords la lèvre inférieure pour ne pas laisser échapper le moindre signe de souffrance, et tu lui fais face, attendant la sentence. Tu attends la gifle, les cris, les larmes, les coups. Mais rien de tout ça n’arrive, ce ne sont que des mots t’assaillent. Plus son discours avance, plus tu te laisses envahir par la colère. Elle connaît les types comme toi ? Mais que connaît-elle de toi, cette truie ? Tu fermes les poings, te griffant les paumes avec tes ongles, tu te retiens pour ne pas la frapper, pour rester calme. Mais tu as chaud, tu as tellement chaud et sommeil, tu n’arrives pas à te contrôler. Avant que tu ne réalises, ta main droite forme un étau autour de son cou, tes doigts s’enfoncent dans sa peau pâle et tu serres, tu serres jusqu’à ce que les jointures de tes phalanges blanchissent, jusqu’à ce que la pute cherche de l’air, qu’elle suffoque. Et subitement, tu relâches. Tu abaisses ta main et laisse tomber Elizabeth dans le sable. La violence, ce n’est pas pour toi. Tu ne comprends pas, tu ne te souviens pas d’avoir tendu le bras, d’avoir eu l’envie de lui faire du mal. Que s’est-il passé ?
Tu la regardes, toujours au sol, reprenant son souffle.

– Tu ne me connais pas. Tu ne connais rien de moi, alors ne t’avise pas de me comparer encore une fois à ces hommes que tu fréquentes. Je ne suis pas comme eux. Je me fous de mon argent, je me fous des femmes, je me fous de tout. Tu as juste, je me préoccupe de mon apparence. Mais qui ne le fait pas, dans un monde où le physique est ce qu’on remarque en premier et oublie en dernier ? Et tu es bien placée pour le savoir.

Tu t’accroupis près d’elle, prenant son visage entre tes doigts, délicatement. Tu ne veux pas l’effrayer, tu ne veux plus l’étrangler.

– Pardon, je ne voulais pas te faire de mal. Je te le promets, ça n’arrivera plus. Mais ne t’avise plus de dire que tu me connais. Tu ne sais pas de quoi je suis capable.

Tu la fixes quelques instants et finis par t’asseoir près d’elle, guettant sa réaction.

♠ Elizabeth tente vainement de se justifier, mais tu n’écoutes qu’à moitié. Déjà, tes pensées se perdent, tu sens le sommeil t’envahir. Ce n’est pas de ce corps en partie dénudé dont tu as envie. Non, tu meurs de désir pour quelque chose d’absolument abstrait, impalpable. Le sommeil. Tes yeux et ton esprit te supplient de les laisser rejoindre les bras enchanteurs de Morphée, mais ton corps, faible et lâche, est irrésistiblement attiré par la jeune fille. Tu te fends d’un vague sourire, tes oreilles emplies du soliloque enflammé d’une pute qui s’ignore. Tes lèvres sèches et craquelées s’étirent encore un peu, jusqu’à faire perler une goutte de sang que tu essuies d’un coup de langue. Il n’y a rien qui te fasse plus plaisir en ce monde qu’entendre une femme se qualifier, inconsciemment, de femme-objet. A écouter Elizabeth, elle n’est que sexe et argent. Tu la laisses s’enfoncer encore un peu dans les méandres de son argumentation bancale, et reprends finalement la parole, plus épuisé que jamais.

– C’est pire. En vendant son corps, une femme est recalée au rang de bête, mais au moins, elle y gagne quelque chose. Toi qui te dis trop riche pour te prostituer, tu n’y gagnes rien. Peut-être le plaisir d’un orgasme dévastateur, mais après ? Que te reste-t-il quand l’Homme, dans sa plus grande animalité, s’est retiré ? Que te reste-t-il quand son sexe mou a déjà été remis à sa place, prêt à recharger, et que tu restes allongée, nue, pantelante et suante ?

Encore une fois, tu ne suis plus le cours de tes pensées. Elles te promènent dans le labyrinthe de ton esprit, te perdent, te récupèrent quelques mètres plus loin et se jouent de toi. Tu n’es plus maître de toi. Il faut que tu te ressaisisses, tu ne sais que trop bien où tout cela peut te mener. Tu te connais par cœur, tu sais exactement où la fatigue te conduit. Tu sais de quoi tu es capable quand tu n’as plus le contrôle du monde intérieur de Jeremiah S. Hart. Après t’être donné une petite gifle, tu te sens de nouveau capable d’assumer une conversation. Tu te ne souviens déjà presque plus de ce que tu disais, vite, il faut que tu poursuives avant que le sommeil n’emporte tes dernières réminiscences.

– Comme je suis gentil, je vais te le dire. Tout ce qu’il te reste, ma belle, c’est la honte et le dégoût de toi-même. Parce qu’un pénis rencontré quelques heures plus tôt t’a souillée de la plus impure des façons, et que tout ce qu’il te reste à faire, c’est de te rhabiller et de partir à la recherche d’une autre homme qui voudra bien se vider en toi.

Comme pour confirmer tes dires, Elizabeth s’installe à califourchon sur toi, te procurant des frissons de désir. A ce moment précis, tu te détestes de n’être qu’un Homme incapable de résister aux plaisirs charnels. Ta main toujours sur sa taille, tu te retiens de laisser le désir t’envahir. Tu te dégoûtes de la laisser te toucher ainsi, chaque millimètre de ton corps que ses doigts effleurent te brûle, et tu aimerais arracher cette peau souillée, sortir de ce corps bon à rien. Sans aucune tendresse ni attention, alors que vos visages étaient si près l’un de l’autre que ton reflet se perdait dans ses yeux, tu la repousses et la projette sur le sable. Ta peau et ton esprit sont en feu, tu as l’impression de bouillir. Tu jettes un dernier regard sur la jeune fille, oubliant vos instants de « tendresse ».

– Il t’en faudra, des arguments, pour que je sois le prochain mâle à te souiller.

Tu te lèves et époussettes le sable qui avait élu domicile dans les creux de ton corps, prêt à faire demi-tour, espérant secrètement qu’Elizabeth trouvera les mots pour te faire rester.

♠ Alors que tes doigts caressent sa taille nue et jouent avec l’élastique de son maillot de bain, elle se rapproche de toi et t’affirme aimer le danger. Mais elle n’a pas besoin de le préciser. Tu le sais. Tu le sens, elle est comme toi, ou presque. Elizabeth n’est que ton double féminin, et tu te sens bien en sa présence. Tu ne la connais que depuis quelques minutes, et déjà tu sens quelque chose entre vous. L’amour du jeu, du risque, l’égocentrisme vous lient. Tu n’as plus qu’à tisser quelque chose d’un peu plus fort par-dessus. Une amitié ? Qui sait.

Tu t’y attends presque, et tu n’es pas surpris quand elle t’embrasse. Le contact de sa bouche contre la tienne, inhabituellement, t’apaise. Tu réponds à son baiser, toi qui normalement déteste le contact avec autrui. Toi qui normalement devient fou quand on t’embrasse sans ton consentement, là ; tu te laisses faire et te prêtes au jeu avec délectation. Vous vous éloignez, et tu sens tes lèvres s’étirer en un sourire satisfait. Le même sourire s’étend sur son visage, à quelques centimètres du tien. Sans gêne, elle t’affirme que tu embrasses bien.

– Je sais. C’est l’un de mes nombreux talents.

Dans un sourire, elle s’écarte de toi et sort de l’eau pour rejoindre le sable chaud. Tu la suis du regard, tes yeux détaillant ses courbes parfaites, avant de la rejoindre. La voyant s’allonger à même le sable, tu hésites un peu. Ce n’est pas dans tes habitudes. Jamais tu ne t’allonges quelque part où tout le monde marche, où tout le monde pose ses fesses. Le sable, c’est sale, on ne sait pas vraiment ce qui se cache dedans. Et toi, tu es trop maniaque et maniéré pour tenter l’expérience. Mais la soirée est aux nouveautés. Alors tu t’allonges près d’elle, et elle pose sa tête sur ton ventre, ses cheveux mouillés se collant contre ton corps et provoquant des frissons désagréables dans tes bras.

– Tu n’es pas trop jeune pour être mannequin de lingerie ? C’est une jolie façon de dire prostituée ?

Comme à ton habitude, tu ne mâches pas tes mots. Mais à quoi bon ? Tu dis les choses telles que tu les penses, même si elles blessent. Surtout si elles blessent. Même quand tu apprécies les personnes avec qui tu te trouves, tu ne peux t’empêcher d’être désagréable. C’est ta façon d’être, il faut toujours que tu cherches à énerver les gens. Ton jeu préféré.

♠ Vous vous regardez quelques instants, et tu profites de ce silence bienvenu. Ecouter les autres parler ne t’intéresse pas réellement, même en matière de séduction. Tu préfères les non-dits, les sous-entendus, les regards où peut se lire le désir, les lèvres qui dessinent le plaisir d’être ici. Mais la belle inconnue brise bien vite le silence, et tu ne peux te résoudre à lui en vouloir de troubler ta tranquillité. Un jeu reste un jeu, et celui que tu entames avec elle te promet de belles surprises.

– Effectivement, j’y suis.

Malgré les efforts que tu tentes de faire, parler poliment t’écorche la bouche. Elle devra se contenter des quelques mots que tu consens à lui offrir, ou bien partir. Elle regarde ta bière, l’air surpris. Contrairement à ce que tu laisses paraître, tu ne bois pas du champagne à longueur de journée. Encore moins dans un bar minable sur une plage. A bien y réfléchir, tu n’es même pas sûr qu’ils en aient. Tu te tournes vers elle et fixes ton regard dans le sien, les yeux plus froids que jamais. Mais elle ne se démonte pas, au contraire.

– Si j’avais une quelconque idée de soirée où aller, je ne serai pas ici.

Elle finit à peine de se présenter, et déjà elle se déshabille et court vers l’eau. Tu hausses un sourcil, surpris. Toutes les américaines sont-elles dévergondées comme celle-ci ? A crier sur tous les toits qu’elle est mannequin pour lingerie et se dévêtir devant un inconnu. Tu pourrais bien être un tueur fou à la recherche de sa prochaine victime. Un jour, elle rencontrera un homme qui lui fera du mal, et tu ne te gêneras pas pour la gratifier d’un « tu l’as cherché ». Ton regard la suit un instant, tu vois son corps disparaître sous les flots. Tout doucement, tu retires ta chemise et ton pantalon, que tu plies parfaitement avant de les poser sur le sable. Il est encore chaud sous tes pieds nus, et tu te dépêche de rejoindre la jeune femme.
Arrivé à son niveau, tu prends sa main dans la tienne et en approche ta bouche, dans un baisemain cérémonieux.

– Enchanté, Elizabeth. Moi, c’est Jeremiah, étudiant et rentier.

Tu n’as jamais caché ta richesse, elle fait partie de toi, elle te définit. Dans un autre monde, une autre vie, où tu n’aurais pas autant d’argent, tu ne serais pas toi. Jeremiah Steven Hart serait quelqu’un de totalement différent. Peut-être fréquentable. Tu te rapproches un peu d’elle, tes mains posées sur sa taille fine.

– Tu agis de cette façon avec tous les hommes que tu rencontres ? Ce n’est pas très prudent.

Ton sourire se fait plus doux, alors que tu joues distraitement avec l’eau. La situation t’amuses, finalement.

♠ Une fois n’est pas coutume, ton choix de la journée s’est porté sur la plage. Tu n’as pas foulé le sable depuis plusieurs années, et la mer d’Angleterre ne se prête pas assez à la baignade pour toi. Etre à Miami est la meilleure des excuses que tu aurais pu trouver pour mettre les pieds à l’eau, et tu en profites allègrement. Tu compares ton corps à celui des autres baigneurs, et sa pâleur saute aux yeux. Peut-être aurais-tu dû profiter du soleil floridien plus tôt. Pour te fondre dans la masse, ne pas te faire remarquer. L’eau et le soleil te caressent la peau, et tu te sens incroyablement bien. Comme si tout ce qui te traversait l’esprit en continu, qui t’empêche de réfléchir, était parti en vacances. Du repos, enfin, tu en avais tellement besoin. Tu nages jusqu’à t’épuiser, te vider de tes forces. Quand tu regagnes ta serviette, étendue au soleil, plusieurs heures se sont écoulées. Tu te sèches rapidement, observant les personnes autour de toi. Il ne te fallut pas longtemps pour décider de quitter la plage pour partir à la recherche de quelqu’un qui mériterait ton intérêt.

Sans réfléchir, tu te diriges vers le bar de la plage, où plusieurs personnes font la queue devant le stand de glaces. Toi, tu préfères t’installer au comptoir, et tu commandes une limonade que tu sirotes en observant les autres clients. Alors que tu penses à partir, une jeune femme s’installe non loin de toi et commande une Piña Colada. Tu regardes ton verre de limonade déjà vide, et commande une bière. Ce n’est pas de ton rang, mais c’est ton péché mignon, le seul travers que tu t’autorises. Quelques minutes passent, puis la nouvelle venue t’adresse enfin la parole. Sans détours, ni gêne ou pudeur, elle t’affirme que tu es mignon. Mignon ? Ce n’est pas le premier mot qui te serait venu à l’esprit si l’on te demandait de te décrire. Tu souris, la regardes dans les yeux.

– Je sais.

Tu la dévisages sans retenue, ton regard parcourant son corps parfait, son visage angélique. En temps normal, tu n’aurais pas cherché à discuter avec une fille qui t’aborde de cette façon, mais elle est belle, et tu es un homme. Toi aussi, tu as des faiblesses, et les femmes en font partie. Alors tu lui offres le sourire le plus séducteur que tu puisses faire, mais tes yeux sont toujours froids, calculateurs. En quelques secondes, tu essaies de te faire une idée du déroulement de la soirée.

– Tu n’es pas laide non plus.

Elle est sûre d’elle, peut-être même un peu trop, et cela a tendance à t’agacer. Tu n’as pas envie de lui offrir le plaisir de succomber à ses charmes en quelques minutes, il faut qu’elle se batte un peu. Sans lutte, la séduction n’a aucun intérêt. Tu ne lui diras pas ce qu’elle veut entendre. Tu ne lui diras pas qu’elle est magnifique et que son assurance est séduisante. Tu lui commandes une seconde Piña Colada, alors que la première n’est pas encore terminée. Tu es prévoyant. Tu n’as pas l’intention de la laisser partir de sitôt, et si il faut lui payer à boire pour la retenir, tu le feras sans problèmes.