Going up the forest » ft Neal

♦ La musique résonnait toujours dans le petit habitacle de la voiture où Jeff et Neal se racontaient leur été. A entendre le récit de son ami, le Nu Zêta eut l’impression d’avoir passé un été sans intérêt. Le voyage de sa confrérie avait été annulé, la plupart de ses amis avaient quitté Miami, et il avait passé le plus clair de son temps sur la plage pour ne pas fondre sous la chaleur floridienne. Mais il n’avait pas à se plaindre, surtout pas à Jeff. Il raconta donc rapidement ses deux mois estivaux à l’Alpha, le temps qu’ils rejoignent Savanah quelques kilomètres plus loin.

Les trois amis étaient heureux d’être enfin réunis, et ça se voyait. Ca s’entendait, surtout. S’il l’avait voulu, Neal aurait été incapable de s’entendre réfléchir, entre les rire, les cris et les chants. Un sourire niais ornait son visage alors qu’il observait tour à tour Jeff et Savanah, profitant de leurs visages heureux et épanouis. Ca faisait longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé entouré de personnes qu’il aimait vraiment, et bon Dieu, ça faisait un bien fou. Le temps passait si vite en leur compagnie qu’il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser qu’ils étaient enfin arrivés. Le coucher de soleil qui peignait de reflets rouge et or les eaux calmes du lagon étendu devant eux fit oublier à l’écolo tout ce qui n’était pas la nature ou ses amis. Il se tourna vers eux, un sourire idiot scotché sous ses yeux illuminés par tant de beauté.

– Vous… vous avez vu ça ? C’est… Oh mon Dieu, c’est beau.

Mais ils étaient déjà occupés à sortir les affaires de la voiture, et Neal en fit autant, regrettant de n’avoir aucun moyen d’immortaliser le paysage. Pendant ce temps, Savanah énumérait le contenu de son sac, qui ressemblait à la valise de Mary Poppins version drugdealer. Il sourit légèrement, avant de se pencher vers ses affaires.

– T’avais prévu pour un régiment d’anciens toxicos ou quoi ?

Alors qu’il s’apprêtait à déballer son sac, Jeff fit une proposition qu’aucune personne sensée ne pourrait refuser. Il s’installa donc près de son ami, pendant que Savanah roulait elle aussi un joint. Il les regarda faire quelques minutes, puis tira une taffe sur le premier pétard tendu vers lui. Il sourit et le rendit à son propriétaire, souriant, profitant des effets relaxants de la cigarette magique. La Sigma Mu le sortit de sa torpeur en se levant et en déclarant aller chercher du bois. Neal jeta un coup d’œil autour de lui, parcourant du regard le ciel déjà sombre et les arbres alentours, qui semblaient abriter mille et une bêtes.
Il se leva précipitamment, et suivit son amie sur quelques mètres.

– Toute seule ? Mais… C’est dangereux. Y’a peut-être des ours, des loups, des vampires, des zombies… Ou même des lapins sauvages. Avec des toutes petites dents aiguisées et des yeux rouges.

Il s’arrêta subitement. Peut-être était-ce l’effet de la weed.. Non. Il n’était pas défoncé si vite. C’était juste un trouillard, un couard incroyable. Sous ses airs de dur, il avait l’âme d’une enfant de 6 ans, et ses amis le savaient très bien. Il fit demi-tour en bredouillant quelques mots dans sa barbe.

– Quoi que, si y’a des lapins enragés, je préfère rester ici et faire le feu.

Il commença à chercher des pierres pour délimiter le foyer, et se tourna vers Jeff en lui tendant une lampe de poche.

– Heu, tu ferais mieux d’y aller. Non ? Enfin.. A deux c’est mieux pour le bois.

Il sourit, presque honteux d’être effrayé d’aller chercher du bois. Mais où était passé l’aventurier tapi sous ses dreads ? « Il finira bien par refaire surface », pensa Neal en ramassant un énorme cailloux, alors que ses amis s’éloignaient.

Spoiler:

Se vider l'esprit. Ne plus penser à rien. Excepté à l'instant présent. Regarder autour de soi et constater la chance qu'on a. Cette chance d'avoir des amis qui en valent la peine. Qui te donne le sourire. Un sourire. Ce n'est, au final, rien d'autre qu'une bouche étirée affichant une rangée de dents alignées (ou non). Témoin d'un bonheur passager, il semble se faire de plus en plus rare sur le visage des hommes. Tout comme sur le visage de Jeff.

Et pourtant, à ce moment précis, Jeff était tout sourire. La perspective d'une soirée en pleine nature, autour d'un feu et accompagné de deux super amis donnait du baume au cœur de l'alpha psi. Le calme après la tempête. Une tempête qui lui avait paru interminable, insoluble et ô combien foudroyante. Il sentait la joie et la bonne humeur contaminer chaque parcelles de son être, chaque veines et chaque cellules de son organisme. Voilà la solution. Continuer d'avancer, croire au bonheur, encore et toujours. Et surtout, être accompagné des gens qu'on aime. Du moins, ceux qui restent ...

- L’Inde ? Carrément ? Les voyages sur un coup de tête, c’est toujours les meilleurs. Et puis, y’a jamais de mauvais moment pour partir. Si je pouvais, je partirais, et je reviendrais, juste pour pouvoir repartir. Partir, c’est le bonheur ; alors je te comprends. Et puis l’Inde, quoi. Wow, j’ai envie de dire.

- Wow, comme tu dis. C'était juste énorme ... Bon, tu te rends vite compte que ça n'a rien à voir avec les décors de rêves et tout le tralala que tu vois sur les cartes postales. Mais c'était tellement bon ... J'ai rencontré tellement de gens géniaux. Franchement, si t'en as assez de Miami, je peux que te conseiller ce pays. Pis, je crois qu'il te plairait bien ...

Oui, c'était certain. Neal et Jeff avait beaucoup de points communs. L'amour du voyage, la recherche de sensations ... et un certain goût pour le contact, le partage. La répulsion à tout ce qui était matériel, bref des vrais babas. L'Inde était un pays magnifique. Certes, il avait son lot de problèmes, et pas des moindres. Pauvreté, trafic d'enfants, prostitutions, ... Mais il régnait encore là-bas un certain style de vie, une certaine spiritualité qui avait touché Jeff. Qui lui avait redonné la force de revenir ici, à Miami, dans cet univers qu'il avait fuit, lâchement, après la mort de Leelah.

Tandis qu'ils quittaient avec joie un panorama urbain qu'ils haïssaient presque, les deux amis émirent l'idée d'appeler Savanah et de l'inviter à les rejoindre. Neal ne perdit pas de temps à la contacter via son téléphone et au grand bonheur de Jeff, cette dernière accepta leur proposition. Le Nu Zêta indiqua à Jeff le chemin à emprunter pour passer prendre Savanah et l'alpha psi s'exécuta.

- Bon et toi ? T'as fais quoi de ton été ?

Jeff venait de se rendre compte que depuis qu'ils s'étaient retrouvés, il n'avaient fait que de parler de lui ou de son voyage. Il n'aimait pas ce genre de situations car elles avaient la particularité de le mettre mal à l'aise. Et puis, c'était impoli.

Quelques minutes plus tard, ils étaient de nouveaux en route pour un campement improvisé. Rien n'avait changé, à l'exception que Savanah était désormais assise à l'arrière de la voiture. Les trois amis discutaient, chantaient, hurlaient sans fin. La joie et l'amitié avait envahit l'intérieur de la voiture et Jeff ne s'était rarement sentit aussi bien. Ou alors c'était un peu trop loin pour qu'il s'en souvienne. Soit.

Une nouvelle musique résonnait à travers les enceintes de l'habitacle, et les trois campeurs en herbe s'amusaient à chanter les paroles.

Après une bonne demi-heure de route, et désormais loin de Miami et de son agitation, ils trouvèrent un endroit à leurs goûts. C'était un endroit calme, perdu. Un champ vert, comme il y en a des millions d'autres. Tout près d'une forêt aux allures tropicales. Jeff gara sa voiture un peu plus loin et ils pouvaient désormais décharger la voiture. L'alpha psi se chargea de la tente et de la glacière. Ils s'arrêtèrent quelques mètres plus loin et installèrent tout leur attirail. L'endroit était magnifique. Face à eux se trouvait un espèce de lagon, magnifique, devant lequel on pouvait admirer un sublime couchée de soleil. On ne pouvait rêver mieux.

- Et si on se répartissait les tâches ? Quelqu'un reste ici et prépare le feu pendant que les autres vont chercher du bois ?

Ses amis, aussi enjoués que lui, acquiescèrent. Mais avant toute choses, Jeff avait une petit idée.

- Mais avant ça, je fumerai bien un petit pétard. Pas vous ? dit-il, un sourire en coin.

Il n'attendit pas leurs réponses. Il attrapa son sac, en sortit du tabac, de la weed et des feuilles à rouler.
Ça allait être une bonne soirée. Exactement ce qu'il fallait à Jeff.

♦ Il se sentait bien. Juste, bien. Un bonheur simple et sans fioritures, un bien-être naturel, durable. Ce n’était pas le calme avant la tempête ; c’était le calme avant le calme, avant le calme, avant le calme. Le vent qui s’engouffrait par sa vitre ouverte faisait voler ses dreads, et Jeff allait tellement vite qu’il n’avait pas le temps de voir le paysage. Tant mieux. Plus vite ils iraient, plus vite ils seraient loin de la ville, et plus vite la soirée commencerait. Il se tourna vers Jeff et le dévisagea. L’entendre rire à sa blague l’avait rassuré, mais il n’aurait peut-être pas dû lui demander si tôt où il était passé.

Il se morigéna mentalement pour son manque de tact, et observa le sourire de son ami disparaître lentement, puis revenir. Moins joyeux, plus faux, plus forcé. En l’écoutant parler brièvement de son voyage, tout ce que Neal espérait était qu’il n’avait pas gâché une soirée qui n’avait pas encore commencé. Surtout avec Jeff, qui devait avoir besoin de se vider l’esprit et de penser à autre chose. Maintenant, il devait se rattraper du mieux qu’il pouvait.

– L’Inde ? Carrément ? Les voyages sur un coup de tête, c’est toujours les meilleurs. Et puis, y’a jamais de mauvais moment pour partir. Si je pouvais, je partirais, et je reviendrais, juste pour pouvoir repartir. Partir, c’est le bonheur ; alors je te comprends. Et puis l’Inde, quoi. Wow, j’ai envie de dire.

Neal fourra le mégot de sa cigarette au fond de la poche de son jean. Hors de question de le jeter par la fenêtre, c’était un des pires fléaux pour la Nature. Il sortit une nouvelle clope de son paquet, et la tapota machinalement sur le tableau de bord. Une vieille habitude, pour tasser le tabac. Il fumait trop, en ce moment plus que d’habitude. Mais chacun son vice, n’est-ce pas ? Il s’alluma sa cigarette, et recracha la fumée par le nez, observant le paysage qui courrait autour de la voiture.

– Ouais, partir, c’est l’bonheur…, dit-il en soupirant.

Lui n’était pas prêt de partir. Sans son diplôme en poche, il devait passer un an de plus ici. Il ne rêvait que de reprendre la route, de vivre au jour le jour comme il l’avait presque toujours fait. D’avoir la liberté de choisir où il allait se réveiller et s’endormir, ne pas être obligé de voir jour après jour après jour après jour les mêmes gueules, les mêmes endroits. Ouvrir les yeux et voir tous les matins la même entaille sur son plafond, la même vue depuis sa fenêtre, la même personne à ses côtés. C’était une impression continuelle de déjà-vu, qui oppressait le Nu Zêta et l’empêchait de vivre pleinement. Il fallait qu’il parte.

Jeff parla d’appeler Savanah, une de leurs amies, et Neal accepta sans réfléchir. C’était une fille simple, avec qui passait du temps était agréable. Elle était comme lui, d’une certaine façon. A la recherche de liberté, le mirage insaisissable d’une vie. Il attrapa son portable dans la poche de son jean et composa le numéro de Savanah. Il tomba directement sur sa messagerie, raccrocha, et rappela. Cette fois, au bout de trois tonalités, la voix de son amie retentit dans le combiné.

– Sav, c’est Neal. Dis, tu fais quoi là ?

Il parla quelques minutes avec la jeune fille, lui expliquant l’idée de la soirée. Il précisa aussi qu’ils tenaient vraiment à ce qu’elle les rejoigne, au cas où. Puis il raccrocha et se retourna vers Jeff, en souriant.

– Elle est ok. Faut juste qu’on passe la chercher… Elle est partie de chez elle, mais elle m’a expliqué comment aller là où elle est.

Il expliqua aussi clairement que possible comment rejoindre Savanah, et augmenta le volume de la musique, laissant Bob Marley les assourdir pendant que Jeff faisait demi-tour.

– On the road again !

Plus que Neal, ce fut la joie incarnée qui pénétra à l'intérieur de l'auto de Jeff. Vous pensez probablement que c'est exagéré. Mais pas du tout. Le simple visage de Neal, son sourire franc et communicatif, son apaisement évident faisait un bien fou à l'alpha psi. Rajoutée à cela une amitié exceptionnelle, et le bonheur n'est plus très loin. Presque à portée.

« Ça fait plaisir de te voir, mec !

- Et comment ! J'ai de bonnes idées, parfois, n'est-ce pas ? » dit-il d'un air faussement fier.

Il lâcha un léger rire et à peine Neal fut correctement installé et attaché que Jeff démarra la voiture. Il était impatient de quitter le lycée, la ville, toute cette cohue, ce brouhaha ambiant. C'était comme si la nature lui tendait les bras et l'invitait à le rejoindre. Et que Jeff, comme un vulgaire aimant, se contentait d'obéir à l'attraction qui agissait sur lui. Attraction qui ne le dérangeait pas du tout. Bon, ok, il revenait tout juste d'un séjour en Inde ... mais c'était différent d'une soirée avec Neal. Encore plus en pleine nature, au milieu d'une forêt, là où on entend aucun de ces bruits parasites. Comme le grondement continue et incessant des voitures qui animaient tristement la ville de Miami. Un coin paumé. Un coin où l'on pouvait admirer les étoiles, les admirait vraiment.

L'impatience commençait à se faire ressentir dans la conduite du jeune artiste qui, une fois qu'il s'en était rendu compte, leva doucement le pied de l'accélérateur.

« Ça sera une petite soirée entre nous, alors ? Aaah, deux amis et la nature, ça fait très « Brokeback Mountain », tout ça. »

Jeff se mit à rire aux éclats. Ça, c'était drôle. C'était Neal. Il lui fallut de nombreuses secondes pour se calmer, et une fois fait, il s'essuya le coin de les yeux. Ça faisait un bout de temps qu'il n'avait pas rit comme ça, lui qui avait pourtant l'humour facile. Et ça lui faisait un bien fou.

« À ta place, j'éviterais de me tenter comme ça ! » rétorqua-t-il sur le ton de la plaisanterie.

Il ne regrettait absolument pas la proposition qu'il avait fait à Neal, il s'amusait déjà. Et ce n'était que le début. Cette soirée s'annonçait comme la meilleure depuis des semaines. Enfin, il prendrait du bon temps. Il rirait, il fumerait, il boirait, il chanterait. Tout les éléments étaient réunis pour passer la soirée qui l'aiderait sur le chemin de son deuil. Il avait déjà fait une bonne partie du chemin. Mais on oublie jamais vraiment la personne qu'on aime. Et l'on peut si vite retomber dans ses travers que parfois, on n'a même pas le temps de s'en rendre compte. Cette soirée, c'était tout ce dont il avait besoin en faite. Ou presque.

« Alors, t'étais passé où ? »

Son sourire, clairement affiché sur son visage depuis l'arrivée de Neal, disparut quelque peu. Neal venait de lui poser la question fatidique. Jeff savait que tôt ou tard, on lui demanderait où avaient-ils pu être pendant ces deux dernières semaines. Il aurait aimé ne plus parler de ce qu'il y avait derrière lui, bien qu'il avait des tonnes de choses à raconter de son séjour indien. Mais il devait à son ami de lui dire ce qu'il en était. Il afficha un sourire, légèrement plus mitigé et répondit :

« Ah... Je... Je suis parti en Inde. »

Il se tourna alors vers son ami aux dreadlocks, et constata la surprise sur son visage.

« Je sais, c'est fou ... Ce... C'était sur un coup de tête. Pis ... J'ai toujours rêvé de visiter ce pays. J'ai pensé que c'était sûrement le moment propice pour le faire ... »

Son sourire était toujours présent sur son visage fatigué, mais la tristesse semblait traverser ses yeux clairs. L'Inde. Un pays magnifique, auquel il devait beaucoup. Ses habitants, simples et ô combien magnifiques, ses rues délabrées mais qui regorgent de trésors cachés, sa culture ... Tout ça manquait déjà à Williams. Un jour, il y retournerait. Il se l'était promis. Avec Neal, pourquoi pas ?

Neal sortit un paquet de cigarette de sa poche, en prit une pour lui et en tendit une à Jeff, qui l'accepta volontiers. Il savait que ce n'était pas très raisonnable de fumer au volant, mais ça faisait partit de ses vices.

« J'avais pensé à appeler Savanah pour lui dire de nous rejoindre, qu'en penses-tu ? » demanda-t-il sur le ton de la discussion.

C'est vrai que l'idée de passer une soirée avec son amie sigma lui avait plu également. Presque autant que pour Neal. Elle était un peu comme eux, un peu baba cool sur les bords. Et les soirées en pleine nature, à chanter, profiter, se défoncer, c'était son trip à elle aussi donc tant mieux.

Tirant une latte sur sa clope, l'alpha psi alluma alors son lecteur de CD et la chanson qui retentit fut l'une de ses favorites. À ce moment-là, Jeff ne voyait rien qui puisse venir entacher sa soirée. Elle promettait d'être parfaite. Et elle allait l'être.

♦ En bruit de fond, le fracas des vagues se jetant sur les récifs comme un prédateur sur sa proie. L’écume volait, l’air se chargeait d’arôme iodé. Les gens fuyaient la plage, tentant vainement de passer entre les gouttes de pluie. Les serviettes de plage servaient désormais de parapluies de fortune, les bikinis avaient été recouverts de robes légères et les shorts disparaissaient en courant au coin des rues.

Pourtant, la journée avait bien commencé. Trop bien commencé. La température était montée jusqu’à 38 degrés cet après-midi-là, obligeant toutes personnes sensées à s’agglutiner sur les plages. Cette ignoble chaleur, presque inhumaine, tombait sur la ville comme une chape de plomb. Il fallait être fou pour sortir de chez soi, mais les fous courraient les rues. Et Neal en faisait apparemment partie, les pieds dans le sable alors que les nuages s’amoncelaient dans le ciel devenu gris. Son torse nu exposé au vent, fouetté par la pluie, il s’était rarement senti aussi bien. Contrairement à la plupart des gens, il adorait la pluie. C’était comme une renaissance, un baptême à chaque goutte touchant sa peau. Il était lavé de tout ce qui l’angoissait, lui compressait la poitrine, l’empêchait de vivre. A chaque perle d’eau qui dévalait son corps, il se sentait un peu plus innocent. Presque libre.

Et puis, aussi vite qu’elle avait commencé, la pluie s’arrêta. Levant les yeux au ciel, Neal soupira de déception. Les nuages fuyaient déjà, poussés par le vent de l’atlantique. Un arc-en-ciel coupait le ciel en deux, comme une barrière à la pluie et aux nuages. Il ne comprendrait jamais rien au climat floridien. Le temps s’était rafraichit et une brise légère venait caresser la peau du jeune homme. Au moins, la chaleur n’était plus étouffante. Il pouvait de nouveau respirer librement, et sans difficultés.

L’appel de la mer se faisait de plus en plus fort et Neal allait y répondre avec délectation quand son téléphone sonna, quelque part dans son jean posé au sol. Il mit un peu de temps à trouver l’objet du délit, recouvert de sable. Son visage se peint de surprise quand il vit le nom de Jeff Williams s’afficher sur son écran. Mais il l’avait assez fait attendre, et répondit rapidement. Il ne regretta pas un seul instant, et quand Jeff lui proposa une soirée quelque part dans la nature, Neal accepta sans réfléchir. Ils convinrent d’un rendez-vous une demi-heure plus tard, et le Nu Zêta se dépêcha de récupérer ses affaires.

Il devait repasser par chez lui pour récupérer quelques affaires et emporter quelques petites choses. Un pack de bières, un sachet de weed et deux ou trois paquets de chips. Il savait que Jeff allait aussi prévoir de son côté, mais il n’avait pas envie de se pointer la bouche en fleur sans rien à partager avec son ami. Ami sur lequel il se posait beaucoup de questions.
Il avait disparu depuis plusieurs semaines, personne n’avait de nouvelles de lui. Neal s’était renseigné auprès des camarades de confrérie de Jeff, inquiet de ne plus voir son ami. Il avait souvent essayé de le joindre, mais ses appels restaient sans réponses. En temps normal, l’adolescent ne se serait pas inquiété. Mais il savait que la petite amie de l’Alpha était décédée, et que se remettre d’un évènement pareil pouvait être impossible.

Etrangement, l’idée que Jeff puisse se suicider de l’avait jamais effleuré. Son ami était fort, du moins c’est ce qu’il aimait à penser. Il n’imaginait pas Jeff baisser les bras. Quand on perd l’être aimé, tout devient cauchemardesque. Respirer arrache la gorge, l’oxygène déchire les poumons, le moindre pas fait donne l’impression de traverser un champ de mines. Mais Jeff… Neal pensait qu’il était plus fort que ça. Qu’il transformerait sa détresse en force, que l’amour qu’il portait à Leelah lui donnerait la force de se lever tous les matins et d’avancer.

Et en le voyant arriver, au volant de sa voiture, Neal sut qu’il avait raison. Les traits de Jeff étaient tirés, mais ses yeux semblaient presque… apaisés. Comme s’il avait compris quelque chose, qu’il avait atteint un point culminant dans ses émotions, le point de non-retour de sa connaissance de lui-même. Le jeune homme sourit en voyant le visage de son ami éclairé d’un léger sourire. Un instant, il eut peur de ne pas savoir quoi lui dire.

Et puis, en ouvrant la porte, il n’eut plus besoin de se creuser la tête. Il savait ce qu’il dirait, comment il serait. Naturel. C’était le mot. Il fallait qu’il agisse avec son ami comme il l’avait toujours fait, sans pitié ni condescendance, mais en respectant son deuil. Il déposa ses affaires à l’arrière de la voiture, puis ouvrit la portière passager avant de s’engouffrer dans l’habitacle.

- Ca fait plaisir de te voir, mec !

C’était la pure vérité. Les moments qu’il passait avec Jeff lui avaient manqué ces derniers temps, notamment leurs escapades dans la nature. Il était bien parti avec Olive, mais ça n’était pas la même chose, même si il aimait énormément la jeune fille. C’était plus simple avec Jeff, presque plus naturel.

– Ca sera une petite soirée entre nous, alors ? Aaah, deux amis et la nature, ça fait très « Brokeback Mountain », tout ça.

Il se tourna en souriant vers son ami, se demandant s’il avait réussi à le dérider un peu. Même s’il ne pourrait pas aider Jeff sur le long terme, il espérait pouvoir lui faire oublier son malheur quelques instants.

– Alors, t’étais passé où ?

S’emparant d’une cigarette, il en proposa une à Jeff, en attendant qu’il lui réponde. S’il voulait bien lever le mystère sur sa disparition momentanée.

HRP:

C'était probablement le début de quelque chose de nouveau. Jeff venait à peine de rentrer à Miami. Voilà déjà plusieurs semaines qu'il avait quitté la ville floridienne pour l'Inde, en quête de changement, de quelque chose d'autre. Il avait toujours rêvé de visiter ce pays, d'y rencontrer ses habitants. C'était désormais chose faite. Et ces jours passés au pays de Gandhi lui avait fait le plus grand bien. Du bien. Dans cet océan morose et déprimant. Il le savait, son voyage en Inde avait été un passage obligatoire. Obligatoire s'il souhaitait remonter la pente. Et affronter cette épreuve. Cette terrible épreuve. La pire qu'il soit.

En peu de temps, il avait tout perdu. Il l'avait perdu, elle. À tout jamais. Il avait pensé ne jamais se relever de ça. Il avait probablement raison. Peut-être était-ce trop dur. Peut-être ne passerait-il jamais vraiment à autre chose. Peut-être finirait-il par la suivre de son plein gré. Mais non. Étrangement, l'Inde lui avait apporté un second souffle. Un infime souffle, un souffle inespéré. Mais suffisant pour qu'il tienne le coup.

Il se sentait coupable. Elle n'était plus là, elle était partie pour de bon. Et lui, continuait de vivre sa vie. Comme si de rien n'était. Il mangeait, fumait, se douchait. Comme si rien n'avait changé. Il se dégoutait lui-même parfois. Puis, il comprenait. Il comprenait que la vie continuait. Coûte que coûte. Qu'il devait être fort. Qu'il devait vivre pour elle. Être heureux. Jamais il ne l'oublierait. Jamais il n'oublierait tous ces moments de bonheur qu'ils avaient pu partagés. Les plus beaux. Jamais il n'oublierait leurs rencontres. Ce terrain de basket, ce ballon qui avait finit dans la figure de cette jeune fille, cette jolie fille. Jamais il n'oublierait leurs soirées sur la plage de Los Angeles. Leurs feu de camps, leurs virées nocturnes. Leurs premiers baisers. Leurs premières fois. Leurs promesses. Et plus que tout, ce bébé qu'elle avait porté ...

C'était idiot. Il était bien trop sentimental. Et nostalgique aussi. Mais comment ne pas l'être. Elle n'existait plus. Sauf dans ses souvenirs. Et dans son cœur, au plus profond de lui-même. Il ne lui restait que ça d'elle. Rien que ça. C'était insignifiant. Mais il n'avait que ça.

Il avait sentit un léger pincement au cœur lorsqu'il avait pénétré à l'intérieur de l'aéroport de Miami. Il repensa à la première fois qu'il l'avait traversé. Ça paraissait déjà si loin ... Il était venu plein d'espoir, d'ambitions.

À peine avait-il quitté l'aéroport qu'il sauta dans un taxi qui le déposa à Wynwood. Il n'était pas spécialement heureux d'y remettre les pieds. Mais c'était supportable. Si étrangement et délicieusement supportable. Il n'entra même pas dans le lycée, ni dans le bâtiment des Alpha, sa confrérie. Il l'avait déserté un petit moment, les autres devaient se demander ce qu'il foutait ... D'autant plus qu'il n'avait donné aucune nouvelle. Il était partit comme ça, sur un coup de tête.

Il traversa le parking du campus et reconnut au loin sa voiture. Elle se trouvait exactement là où il l'avait laissé la dernière fois. Il stoppa sa marche. Puis, il s'assit sur un banc et sortit une cigarette. Il avait beau avoir connu du changement, son addiction à la nicotine était toujours là. Il devait avoir l'air stupide, seul, perdu dans ses pensées, assit sur ce banc à fumer une clope. Peut-être n'osait-il pas entrer ? Il ne tenait vraiment pas à rentrer à l'internat ce soir. Ainsi qu'à recommencer la vie banale du parfait étudiant. Même si c'était les vacances. D'ailleurs, heureusement. Car sinon, il aurait séché au moins deux semaines de cours ... Il avait réussit à avoir son diplôme et irait, l'année prochaine, à l'université. Comme quoi tout est possible.

Mais où pouvait-il bien aller à part l'internat ? Chez lui, à New York ? Hors de question. Los Angeles ? Pareil. Trop de souvenirs. C'est alors que lui vint l'idée d'une soirée et nuit en pleine nature. À l'ancienne, autour d'un feu de camp, avec des marshmallow, une guitare et de la weed. Oui, ça c'était une bonne idée. Mais seul ? Il pensa presque instantanément à Neal. C'était un ami à lui, un bon ami. Et lui aussi appréciait particulièrement ces rendez-vous en pleine nature. C'était un de leurs nombreux points communs.

Oui, c'était décidé, il allait proposer à Neal une soirée tente. C'était ça, la meilleure solution.

Contre son gré, il se dirigea donc vers le bâtiment de sa confrérie. Il tenta d'être discret et vérifia soigneusement à chaque angle de couloirs que personne n'était là et le verrait. Il arriva donc ni vu ni connu à sa chambre. C'était le bordel. Comme d'habitude. Il ne souhaitait pas s'y attarder. Il attrapa sa guitare acoustique, ses clés de voitures ainsi que son téléphone et quitta le bâtiment aussitôt.

Une fois dehors, il appela son ami qui, au plus grand plaisir du blond, accepta sa proposition avec plaisir. Parfait. Jeff lui donna rendez-vous dans 30 minutes devant le lycée et profita de ce temps libre pour aller faire quelques courses pour la soirée. Il revint le coffre chargé de sandwiches en tout genre, de marshmallows, de canette de bierre et autres alcools. Tout, en définitif, pour passer une bonne soirée. Il venait d'arriver devant le grand et imposant portail de Wynwood High School. Il aperçut son ami Neal au loin puis klaxonna pour lui montrer qu'il était là. Il lui fit un signe de la main et son ami se dirigea vers lui.

Jeff esquissa un grand sourire quand il le vit, et ce minuscule effort lui tira la peau du visage. Il avait perdu l'habitude de sourire ces derniers temps.