Une discussion Chamberlain s'impose (Iude ♥)

Il y a un instant de silence avant que Marissa ne réagisse à ce que je viens de dire. Je pense savoir ce qu’elle ressent. En réalité j’en suis certain. Mais peut-être ai-je un moins bon fond qu’elle. Peut-être que si j’ai fini par accepter c’est simplement parce que je ne suis pas bon. Je n’aurais pensé un jour, que je classerai les gens en deux catégories et que je me mettrai de l’autre côté que celui de ma sœur. Non, c’était stupide. Le bien et le mal sont des notions que je n’ai jamais approuvées. Alors pourquoi ai-je cette sensation de ne pas avoir été normal. Je n’arrive même pas à calmer convenablement ma sœur. A la faire se sentir mieux. Un minimum plus légère.
Maissa se redresse et passe la main sur son visage afin d’effacer ses dernières larmes. Je fixe mon regard sur elle et suis attentif.

Elle me lance, dans une tirade pleine de conviction qu’elle veut faire quelque chose. Elle veut agir, revenir sur les faits et se sentir plus utile. C’est comme une demande de pardon. Je comprends exactement ce qu’elle désire faire. Un hommage. En fait c’est ce que tout le monde devrait vouloir faire. La plupart des familles de la ville se recueillissent dans leur coin. Mais la douleur est grande. Elle est partout. Il faut arrêter de vouloir se cacher pour pleurer. Il faut partager. On devrait toujours penser aux autres avant nous même. On devrait partager nos craintes, nos peines, nos angoisses. Le tout pour pouvoir se soutenir. Rendre hommage… Je sais déjà ce que l’on pourrait faire.
Mais je n’ai pas le temps de répondre. Enfin… J’aurais très bien plus. Mais une image me revient à l’esprit. Immédiatement. Sans que je puisse la combattre. D’abord c’est l’eau. Une immense flaque d’eau. Ou plutôt un étang crée en quelques secondes. De l’eau… Encore et encore. Je fais le rapprochement à un autre moment de ma vie. J’essaye de chasser les souvenirs, de revenir à la réalité, de regarder Mari mais ça reste. C’est là. La culpabilité, la tristesse, la haine, la peur, les regrets… Beaucoup de choses. Je dis avoir fini par accepter. Mais c’est faux. Je m’en veux toujours. J’ai dit à Marissa de relever la tête, de ne pas avoir le droit de se morfondre… Mais je n’en suis même pas capable. Je me cache derrière des apparences. Comme dans ce foyer à jouer le sauveur sûr de lui. Tout ça parce que j’en ai déjà vécu. Tout ça parce que j’ai eu la chance d’habiter à Miami, dans ce foutu golfe du Mexique ! Mais je n’étais pas mieux que les autres ! Je me cachais… Je suis terriblement contradictoire. Intérieurement en tout cas. Et puis, le dernier ouragan dont je me souviens dater de cinq ans. Je me souviens de la peur qu’on avait eue. Enfin, il y en a eu d’autres mais ils n’avaient jamais été aussi forts ou bien nous n’étions pas là. Les parents prenaient toujours leurs précautions. Comme s’ils tenaient réellement à ne pas perdre leur héritage !
Je me rappelle donc de toute cette eau, des bruits de casse et la peur… J’étais encore un gamin, on s’était enfermés dans le sous-sol car il n’y avait pas de fenêtre. La lumière avait clignoté avant de s’éteindre complètement en nous laissant dans le noir, la peur et le froid.

Marissa revient dans sa position initiale me tirant ainsi de ma rêverie. Enfin, si on peut appeler cela ainsi ! « J'ai eu tellement peur... j'ai pas arrêté de penser à toi... » Je lui caresse les cheveux. Ils sont doux. Puis je viens déposer un petit baiser puis un deuxième avec de fermer les paupières. Je ne sais pas combien j’en ai fait au final. Ça devait être ridicule. « J’ai eu peur moi aussi. » Ça ne ressemble pas au Jude que tout le monde connait de dire ça. Mais je suis un être humain, j’ai des faiblesses. Marissa le sait. Elle n’aurait, de toute façon, pas cru le contraire. « J’aurais souhaité être avec toi. Je me suis senti coupé du monde. Enfin, de mon monde. Il n’y a que toi qui compte vraiment.» Je suis plus que sincère. Elle est la seule et unique famille que j’ai ici à Miami. Oui, j’ai des meilleurs amis mais ils ne remplaceront ceux avec qui j’ai grandi.

« On pourrait essayer de demander la création d’un monument commémoratif. On a juste à convaincre la mairie ou même le lycée… On a un parc gigantesque. Ce serait peut-être une bonne chose. Je suis sûr qu’un projet correct pourrait être préparé. J’ai plusieurs idées… On peut aussi faire une veillée… Quelque chose sans artifice et sincère. On peut contacter des familles, acheter des fleurs, des bougies… » Si c’était ce don elle avait besoin pour se sentir mieux, alors je pourrais me montrer d’une organisation incroyable. Et surtout d’une efficacité sans comparaison ! C’est une motivation assez importante pour me faire bouger des montagnes.

Mon frère est un Ange. Un ange que -qui que ce soit- a placé dans ma famille, me l'a donné en héritage telle une pierre précieuse. Il est mon oasis dans un désert sans vie. Il est la lumière au bout du tunnel. Il est encore plus beau que tout le monde réuni, que le Ciel étoilé brillant de mille feux. Mon frère est l'être le plus exceptionnel du monde et pourtant... je ne me sens toujours pas mieux. Je me sens coupable. Coupable de ne pas être resté auprès de ce garçon, d'avoir voulu sauver ma vie au lieu de la sienne. Et s'il avait un frère, ou une soeur, une petite amie? Qu'ils étaient en train de l'attendre quelque part, se rongeant les sangs? Et si on ne retrouvait jamais son corps? Et si personne ne se souvenait de lui... Je me sentais proche de lui, comme s'il était un de mes amis, comme s'il était un de mes proches. J'avais envie de lui rendre un dernier hommage, je voulais faire tellement plus que ce que je n'avais pas osé faire lorsque nous étions dans ce bus. Il avait marmonné quelque chose, juste avant de sombré et je n'avais pas été fichue d'entendre, de comprendre ce qu'il voulait. Qui étais-je donc pour pouvoir admettre cela sans ne rien ressentir? Non, je devais retrouver ce garçon, retrouver son identité, son visage sur le panneau des disparus. Je devais prévenir sa famille, je voulais le faire. Comme si cela pouvait m'aider à me sentir mieux? Je ne le savais pas, mais je voulais le faire, oui, c'était ce que je voulais. Je ne le connaissais pas et pourtant, nous avions vécu la même chose, mais j'avais eu plus de chance que lui ce jour-là. J'avais eu la chance de ne pas être blessée, de ne pas être morte. Mais était-ce une raison pour oublier tout ceux qui étaient partis ce jour-là? Non, non, ce n'était pas possible. Je ne devais pas, je ne pouvais pas oublier toutes ces victimes, tout ces gens que je ne connaissais ni d'Eve, ni d'Adam et pourtant, je me sentais tellement proche d'eux, je voulais faire quelque chose pour eux, un geste, quelque chose. Je me redressais alors, relevant mes cheveux derrière mon crâne, j'essuyais mes larmes et je lançais à mon frère :

« Il faut que je retrouve qui il était, je veux voir sa famille, même si je ne parlerai pas, je veux les voir, voir s'il avait un frère, une soeur, une petite amie, je veux lui rendre un hommage, je ne sais pas encore comment, mais je veux, soulager la peine de ses proches, peut-être qu'ils ignorent qu'il est mort? Peut-être qu'ils cherchent son corps? Lukas, je ne veux pas rester sans rien faire, je veux faire quelque chose pour tous ces gens qui sont partis hier. Je veux pouvoir passer un moment à ne penser qu'à eux, à la chance qu'ils n'ont pas eu à ce moment là. Je veux pouvoir remercier je ne sais qui d'être toujours là, qu'on m'est laissé une chance, je veux pouvoir remercier je ne sais pas qui que tu n'ai rien non plus. Je veux le faire. Je veux le faire. »

Je le regardais et je savais qu'il comprenait ce que je voulais dire. J'avais déjà une idée en tête quant à ce que j'allais faire. Pour le garçon, j'écumerai tous les panneaux des disparus, jusqu'à le retrouver, je déposerai mon numéro de téléphone, ou j'appellerai sa famille et je leur dirai ce qu'il s'est passé. Ensuite, j'irai sur l'océan, je déposerai des fleurs sur l'eau, je resterai là, des heures s'il le faut, jusqu'à ce que j'ai terminé de dire tout ce que je voulais dire, de remercier je ne sais pas qui, de penser à ceux qui sont partis, de penser à tout cela. Ca prendra le temps que ça me prendra, mais je tenais sincèrement à le faire. Peut-être que c'était ma façon à moi de faire mon deuil? De tourner la page? Je n'en savais strictement rien, mais je voulais simplement faire ce petit geste. Ce n'était rien, donner de son temps, donner de son âme, de ses larmes pour des personnes disparues. Non, ce n'était vraiment rien. Mais ça portait tout un sens. Profond.

Je me laissais alors tomber à nouveau contre Jude, me nichant encore une fois contre lui, j'enroulais mes jambes aux siennes avant de lui dire :

« J'ai eu tellement peur... j'ai pas arrêté de penser à toi... »

J’attends sa réponse quand une rafale de vent vient me faire frissonner. Il est glacial. Je secoue la tête, j’ai déjà trop entendu les murmures du vent hier. Je pense qu’on peut nous épargner ça aujourd’hui ! Je me détache doucement de ma petite sœur pour aller fermer les volets. J’avais voulu faire la même chose au foyer. On voit comme je m’en suis sortis ! Par chance, il n’y a plus rien qui vole dans l’air. Et ces volets nous servirons de protection. Je n’ai pas envie de voir à l’extérieur, ni que l’on nous entende. Je veux que l’on soit tous les deux. Rien que nous. L’un contre l’autre, nous rassurant. Nous aimant. Marissa eut le réflexe d’allumer une lumière pour que nous ne soyons pas complètement plongés dans le noir. Notre chambre est quand même bien ranger. Si on efface mon armoire renversée. Juste la mienne. J’ai l’impression que c’est le plus gros truc que ce bâtiment a pu subir ! Ça, les fenêtres cassées, la plus et le mélange de terre et de feuilles.

Je me dirige vers le lit de Mari et me serre contre elle. Je renifle un coup. Je ne pleure plus mais ce n’est pas son cas. Je devine qu’elle a vécu un moment traumatisant. Mon bras passe derrière ses épaules et je la serre un peu plus. Son silence en dit long. Ses larmes aussi. Je ne veux pas lui poser une nouvelle fois la question. Je sais que c’est inutile. Elle doit prendre son temps. Bizarrement, je ne suis pas heureux d’être dans cette situation, mais je me retrouve. Consolant ainsi ma sœur, je suis face au Jude que j’ai toujours été. Je ne sais si c’est une bonne chose ou non. Mais il y a un truc qui est certain : je trouverai les bons mots pour soulager Marissa. Peu importe ce qu’il lui ai vraiment arrivé. Elle a peut-être perdu un ami, elle a probablement pu voir quelque chose d’horrible se passer. Déjà, elle n’est pas dans un lit d’hôpital et je remercie le Ciel pour ça. Il n’y a que la blessure interne à soigner. Ce n’est pas la plus simple. Je ne suis pas un chirurgien dans ce domaine mais je peux tenter une opération. J’en suis capable. Il suffit d’être attentif et compréhensif.

Ma petite sœur entame alors son récit. Je sens dans sa voix que c’est difficile. Ses paroles doivent la replonger dans un tas d’images, de sensations. Je laisse tomber ma tête contre la sienne, qui est alors posée sur mon épaule.
Elle avait été dans un bus. C’est bien l’un des pires endroits ! Comme je m’y attendais, son bus s’est retourné et les vitres ont explosées. Elle a simplement perdu connaissance. Je suis tellement soulagé ! Elle aurait pu subir tellement plus de choses ! Elle aurait pu y passer ! Un bus… Mon Dieu ! Je ne crois pas en Dieu, mais là, j’ai foi en quelque chose. En fait, c’est plutôt compliqué. Je sais que ce n’est ni le destin, ni un quelconque Dieu qui lui a laissé la vie sauve. Mais je comprends enfin les gens qui veulent y croire. Parce que c’est exceptionnel et que l’on se sent obligé de remercier quelqu’un. Alors je dirais seulement que c’est une bonne étoile. Je pourrais presque m’en faire un tatouage ! Notre bonne étoile. Celle des Chamberlain. Celle qui a permis à Joshua d’être loin de tout ça, à Marissa de survivre dans une boite de ferraille et à moi de rester enfermé dans une pièce sans devenir fou. Quoi que… Je crois avoir tout de même déraillé. Même sérieusement. Mais je ne peux pas avouer cette faiblesse.

« Ça va aller ma belle ! Je suis là, c’est passé. » Ses larmes redoublent de volume. L’entendre ainsi me fend le cœur. Je le sens qui se déchirer progressivement. Comme lorsque l’on retire tout doucement un pansement bien collé. Très bien collé.
« Il... il est... mort devant... moi... et je... n'ai rien... fait je.... suis partie.... » J’essaye de comprendre la phrase en regroupant les mots qui sont à chaque fois séparés par des sanglots. Elle avait vu un jeune homme mourir. Elle m’avait comparé à lui. Ce n’est pas une bonne chose. Mais le pire étant qu’elle s’en voulait. Elle avait une mort sur la conscience. Alors… Alors qu’elle n’y pouvait strictement rien ! Je comprends très bien ce qu’elle ressent. Pour l’avoir déjà connu. Je dépose un baissé sur le haut de son crâne et la caresse doucement. « Shht…» Je la serre toujours plus. Comme pour la ramener à la surface. J’essaye de revenir, de lui donner un peu d’oxygène. Je ne veux pas qu’elle sombre. Je ne veux pas qu’elle reste dans cette nuit terrifiante et infinie.

« Tu ne peux pas t’en vouloir Marissa. Tu as eu un réflexe humain. C’est normal. Tu ne peux rien y faire. Tu n’aurais rien pu faire de plus pour lui… Je sais que ça aurait été noble de rester lui tenir la main. Mais ta vie était en danger et on ne peut pas lutter contre nos instincts Marissa. Tu ne sais pas ce qu’il aurait pu t’arriver, si tu serais restée avec lui. »

J’essaye de ne pas penser à ma propre expérience et aussi à ne pas l’enfoncer tout en restant juste. Je ne veux pas lui mentir. Ça ne me ressemble pas.

« C’est dur, je sais. Mais tu es en vie. Pas lui. Tu t’es sauvée et tu ne peux pas rester à te morfondre… D’accord ? Tu dois relever la tête. Pour lui, pour te racheter. Tu dois te calmer et retrouver la vie. »

Les mots de Jude furent exactement ce dont l'adolescente avait besoin. D'amour. De sa part. Oui, il lui fallait de son amour, à pleine dose, à s'envoyer directement dans l'ensemble de son corps, pour pouvoir enfin le calmer, pour pouvoir enfin se sentir mieux. Se sentir entière. Même s'il n'était pas Jumeaux, il était une partie d'elle. Joshua était sa moitié, son grand-frère était comme sa coquille, son enveloppe. Sans eux, elle n'existait plus. Coincée dans ce bus, puis dans cet immeuble, l'adolescente n'avait pas cessé de penser à Jude. A espérer, à prier, pour qu'il soit à l'abri, pour qu'il soit en sécurité et non comme elle, en pleine rue. Elle avait vécu l'enfer, la damnation, durant quelques heures. Et tout ceci n'était en aucun cas supportable pour une fille de son âge. Encore traumatisée par l'Ouragan, elle ne voulait pas se décrocher de son frère. Non, être dans ses bras, tout comme avec Trevor, avait quelque chose de rassurant. Elle se sentait bien, comme si cette étreinte avait le don de la lumière sur les mauvaises choses. Ca les éloigne, ça les fait disparaître. Elle ne se sentait plus autant vulnérable. Leur chambre était dans un sale état. Vraiment. Le vent était toujours présent, soufflant dans la pièce. Jude lui demanda alors si ça allait, si elle n'avait rien.

Avant qu'elle ne lui réponde, il alla fermer les volets, afin que le vent n'entre plus. Marissa alluma alors une petite lumière et se faufila sous sa couette, qui n'avait pas trop de dégâts, d'humidité ni de débris. Elle s'allongea dans son lit, attendant que son frère la rejoigne, ce qu'il ne tarda pas à faire. Elle se colla à lui, posant sa tête sur son épaule, elle se colla davantage à lui. Il fallait à présent qu'elle lui explique ce qu'elle avait vécu hier. Un véritable enfer. L'adolescente commençait déjà à pleurer, alors qu'elle n'avait même pas commencé son récit. L'épreuve avait été trop dure et elle ne s'en remettrait pas tout de suite. Voir quelqu'un mourir devant soi et que l'on n'est pas fichu de bouger, prit par la peur, est une chose vraiment traumatisante.

« J'avais un entretient à Bay Harbor, j'y suis allée en bus. Au retour, on s'est fait surprendre par la tempête. Le bus s'est retourné, il a fait des tonneaux, la route tremblait, le bus était comme une allumette dans tourbillon de vent. Les fenêtres ont éclatés, certains passagers se sont faits éjectes. Puis y'a eu plein d'accident sur la route, je ne me souviens pas de tout. Mais quand je me suis réveillée, il faisait froid, le vent grondait, tout s'envolait, il pleuvait. Et puis... il y avait ce garçon... il devait avoir ton âge Jude... »

Les larmes envahirent les joues de l'adolescente qui se laissa submerger par sa douleur. Elle enfonça davantage son visage dans l'épaule de son frère, pleurant à chaudes larmes, laissant entendre et résonner sa tristesse. Jude essaya de la rassurer, de la calmer, mais non, c'était trop dur. Elle continua alors, parmi ses larmes bruyantes et sa voix brisée:

« Il... il est... mort devant... moi... et je... n'ai rien... fait je.... suis partie.... »

Oser avouer sa lâcheté, sa faiblesse. On dit toujours que l'on prendrait soin des gens, qu'on ferait notre possible, mais en réalité, non, on sauve sa peau. Voilà la triste vérité et la jeune Marissa en subissait la foudre. La foudre de n'être qu'une jeune humaine.

« Je suis... sortie du bus... j'ai couru et... je me suis réfugiée dans un immeuble... il y avait des gens mais... mais... j'étais toute seule et... il est mort devant moi... je revois son regard... tout le temps... »

Marissa pensait que jamais. Jamais. Elle ne se remettrait de ça. De voir un être humain, d'environ son âge, s'éteindre devant elle. Etre la seule à voir son dernier regard, pouvoir entendre ses derniers mots, être là pour ne pas qu'il meurt tout seul... Marissa ne se retenait plus, ses larmes ressemblaient à de grands cris, elle était en train d'inonder le tee-shirt de Jude, elle criait presque de douleur, alors que son frère la serrait de toutes ses forces.

Seul. J’ai eu besoin de me retrouver seul avec moi-même. J’ai une blessure à l’arcade. Un morceau de verre est venu se battre avec moi. Je peux dire qu’il a quelque peu gagné. Une bonne égratignure de huit centimètres, partant de mon front, passant par le coin de mon œil puis s’arrêtant au sommet de ma joue. J’aurais pu perdre un œil. Mais ce n’est pas le plus important. Je suis vivant. Je m’en suis sorti. Je ne sais pas vraiment comment. J’ai eu envie de tuer celui qui nous avait enfermés. Cet imbécile de gamin ! Si je le retrouve… Je pourrais sans doute être violent. Je sais que ce n’est pas le moment. Je sais qu’il y a eu de nombreux blessés, des dégâts et des morts… Mais savoir que j’ai été séparé de Marissa à cause d’un mec qui avait décidé de fermer une porte à clé… Ça me révolte ! Une fois la tempête passée, nous n’avons pas tout de suite été libéré. Mon portable n’avait pas de réseau. Puis plus de batterie… Évidemment. C’est toujours comme ça. Quand on ne pense pas pouvoir faire pire. Je n’ai pas passé une seule minute dans cet enfer sans penser à Marissa, Joshua, Cassie, Duncan et même un peu à Angie et les parents… Je ne sais pourquoi. Ça avait été éprouvant. Mes nerfs sont encore à vif. A vrai dire je n’ai pas arrêté de me ronger les ongles.
J’ai fini par laisser un message à ma petite sœur. Tout allait bien. Je n’ai pas su s’il fallait que je lui accorde ma confiance ou non. Je lui ai bien dit que j’étais en pleine forme…

C’est faux. Je me sens mal. J’ai ce putain de vide dans mon cœur. C’est peut-être à cause de cet ouragan. Avoir été enfermé avec Isabelle, Kaylee et Scott n’a pas arrangé les choses. Je les ai protégés. Ils n’y connaissaient rien. J’ai vu leurs regards pleins de détresse. J’ai dû prendre les choses en main, les rassurer. J’ai dû me montrer ferme, comme toujours. C’est peut-être ça mon problème. Je n’ai jamais su montrer mes sentiments. J’ai eu peur. Vraiment. J’en avais déjà traversé. Mais là… C’était différent. Je n’étais pas avec ceux que j’aime. Je n’avais aucun moyen de communication. On a beau dire ce que l’on veut, nous ne sommes pas reliés par un lien magique avec les personnes de notre cœur. J’ai cherché, j’ai essayé de trouver un petit pincement. Mais rien. Je ne pouvais savoir s’ils étaient en danger, s’ils agonisaient, s’ils mourraient, s’ils étaient protégés… Rien. Pas le moindre signe. Juste le regard perdu d’Isabelle qui disait m’aimer. Et les mains tremblantes de Kaylee qui me rend si particulier… J’étais coincés avec elles et j’ai beau les adorer, leurs présences n’étaient d’aucune utilité. J’ai souhaité partir. Mais je ne pouvais pas. J’ai désiré fuir. J’ai voulu crier, frapper, tuer. J’étais en colère. Je me suis senti mal. Je…

Une fois qu’on nous a ouvert, je suis parti dans mon coin. Je ne pouvais parler à personne. J’étais devenu l’homme muet qui déambule dans les couloirs. Celui à la barbe mal rasée, à la mine usée, du sang séché sur le visage, aux pieds trainants, les mains coincées dans les poches et le regard bloqué sur le sol. Je n’ai pas pu rentrer voir Marissa tout de suite. J’avais trop peur. On est sortis tard de notre enfer. Le soleil s’était déjà couché. Largement même. Mes yeux étaient cernés et je n’avais pas la moindre envie de rentrer dans ma chambre pour dormir. Alors je me suis gavé de café. Cassie m’a appelé et on a discuté. J’ai refusé de dormir chez elle. Je lui ai bien fait comprendre que je devais rester seul. Avec moi-même. Pour comprendre. Mon cœur, mes envies, mes désirs et tous ses visages que j’avais peur de ne plus jamais revoir… A ce moment-là, je n’avais pas la moindre idée du nombre de blessé. Je suis restée un moment à penser à Kaylee. Son regard, son sourire, ses rires durant sa nage avec les dauphins… J’étais heureux qu’elle soit toujours là. J’avais beau dire que mon cœur était dur comme de la pierre, en réalité je suis mou. Complètement affaibli par mes sens. C’est un constat difficile à accepter quand on base ses relations sur la distance et la méfiance. J’ai accepté trop de personnes dans ma vie. Et maintenant j’en paie le coup. Je suis pris au piège. Je suis faible. Je ne veux pas voir des gens partir. J’aime. Et je veux aimer.

J’ai fini par m’endormir. Je ne sais même plus où car à peine mes paupières ouvertes, je suis parti en direction du bâtiment de ma confrérie. J’ai passé une courte nuit à déambuler, boire et penser. Une larme éphémère s’était même permis de rouler sur ma joue. Une seule. Pas plus. Ce moment de solitude m’a permis de reprendre confiance en moi. De reconstruire ma carapace. Ce n’est peut-être pas la bonne solution. Mais pour l’instant je n’ai pas trouvé d’autres moyens.
Je marche tranquillement. Lentement. Mes yeux se perdent dans les débris. Je ressens un pincement dans mon cœur que j’essaye d’effacer. Je ne veux plus rien sentir. Je ne veux plus avoir peur. Je ne veux pas souffrir.

J’arrive dans la chambre que j’occupe avec Marissa. La fenêtre est cassée en milliers de morceaux répandus sur le sol. Les meubles sont tombés, il y a des vêtements, des papiers un peu partout. De la boue, des branches d’arbres et de l’humidité aussi. C’est catastrophique. Mes yeux se posent sur une photo au sol. Mari’, Josh’ et moi dans Central Park. Une photo qu’on avait faite durant un week-end là-bas. C’était d’ailleurs à cette même période que Joshua m’avait confié pour la première fois, qu’il voulait partir dans cette ville. Comme un secret honteux.
Le morceau de papier glacé est ondulé, abîmé mais nos sourires y restent intacts. Ma mâchoire se crispe. J’aurais dû aller voir Marissa. Même si au fond, je sais qu’il fallait que je me reconstruise avant tout chose. Si j’étais allé voir ma sœur dans l’état dans lequel j’étais hier… Je l’aurais plus faite flipper qu’autre chose !

J’entends un bruit dans mon dos, automatiquement, tel un robot, je pivote. C’est elle. Elle va bien. Elle respire. Je peux voir son corps bouger au rythme des inspirations. Je sens mon cœur battre un peu plus fort. Foutu organe ! Je n’ai pas le temps d’articuler le moindre mot qu’elle se jette dans mes bras.
Je suis heureux. Tellement. Ce n’est pas un rêve. Je la sens bien, là, contre moi. Je n’arrive pas à respirer tellement elle m’oppresse mais je m’en fous totalement. Au contraire. Si c’était possible je lui demanderai de serrer encore plus. Des larmes montent à mes yeux. Je les retiens. Mais c’est trop fort pour moi. On a toujours tout vécu ensemble. Main dans la main. Chamberlain pour toujours. J’ai déjà failli la perdre avec cette tentative de suicide. Et maintenant ça. Cet ouragan ! Je n’accepterai pas une seule autre chose ! Plus jamais ! Marissa doit vivre. Si j’avais pu, je serais allé lui servir de couverture hier. J’aurais tout pris pour elle. J’aurais risqué ma vie. J’ai même pensé à sauter par la fenêtre du foyer pour la rejoindre. Je mourrais pour elle. Pour eux. Les jumeaux. Comme des enfants. Bien plus qu’un frère et une sœur. Putain je suis heureux… « Câlin… » Ce n’est qu’un petit mot. Un simple mot. Il n’est pas fort. Il est sorti difficilement de ma gorge. Et il entraine de nombreuses larmes. « Marissa. Putain si tu savais. J’ai pas besoin d’ça pour te dire que j’t’aime. Mais là…» J’aurais dû être avec elle. J’aurais dû la protéger. Ça a toujours été mon rôle. C’est ce qui me définit. Le mec froid, manipulateur qui ne s’attache à personne, sauf certaines rares personnes qu’il protègera jusqu’à sa dernière heure. C’est moi ça ! Et hier j’ai été le type coincé qui ne peut absolument rien faire à part attendre et aider des inconnus en leur donnant un peu de sa personne, de son amour… Merde ! J’en ai marre ! La vie se joue de moi. Je fais n’importe quoi. Je ne sais même plus comment agir. Je ne sais pas ce qui est le plus normal des deux. Je ne sais plus qui je suis, ce que je suis sensé faire et comment agir.

« Tu n’as rien ?»

Parce que mon frère, c'est toute ma vie. Parce que sans lui, je ne serai pas là, je ne serai pas ce que je suis devenue. Parce que pour moi, il est tout ce que je suis, tout ce que j'ai et tout ce que je voudrais un jour être.

Nous sommes le Mardi 5 Juin 2012, le lendemain de l'Ouragan meurtrier et dévastateur. Trevor a passé toute la fin de la journée avec moi, ne voulant pas me laisser seule et je dois avouer que je n'avais pas vraiment envie qu'il me laisse. Pourquoi? Parce que je me sentais rassurée avec lui, parce que je me sentais bien, malgré tout ce climat d'horreur. Parce Jude n'était pas là, qu'il n'est pas rentré dormir, que j'ai juste reçu un sms, après tous mes coups de fils, me disant qu'il allait bien, mais qu'il ne rentrerait que demain matin. Il s'était très inquiété pour moi, mais je lui avais dis que ça allait, que je n'étais pas seule. Que nous parlerions de tout cela une fois qu'il rentrera. Ma nuit a été tout simplement affreuse. Je ne voulais pas dormir toute seule. Mais même avec ça, je n'ai pas réussi à me sentir assez calme pour bien dormir. Alors vers six heures du matin, j'étais en train de déambuler dans les allées des bâtiments des confréries. Telle une ombre, parmi les dégâts, les épaves, les morceaux de bâtiment qui jonchaient le sol. Beaucoup d'arbres étaient cassés, beaucoup de choses avaient été détruites. J'avais vu quelqu'un mourir sous mes yeux et dès que mon regard se posait sur quelque chose, je revoyais cette image, dès qu'il faisait noir, je revoyais cette image, dès que je voyais quelqu'un, je le voyais mourir. C'était affreux, destabilisant, morbide. Ca me fatiguais. La journée d'hier avait été horrible, mais en même temps magnifique. Comment qualifier cette journée? J'avais les choses les plus terribles de ma vie et en même temps, j'avais vécu l'un des meilleurs moments de mon existence... Trevor.

Trevor Seyton. Oui. Juste lui, cet homme, fort, rassurant, magnifiquement beau. Nous ne nous étions vu qu'une après midi et pourtant.. c'était comme un coup de foudre. On se plaisait, les moments passés ensemble étaient de vrais moments de bonheur, de pureté. Je pouvais être moi-même, je me sentais bien avec lui, je me sentais rassurée. Comme s'il construisait une bulle autour de nous, nous protégeant des impacts néfastes de la vie. Oui, il me plaisait, un léger sourire se dessina sur mes lèvres, j'avais envie d'être avec lui... Oui, juste avec lui, comme hier soir. Oh les joies d'un premier amour. J'avais une cigarette dans la main, je la fumais lentement, tandis que je marchais parmi cette allée. Je ne fumais que de temps en temps, normalement en soirée, mais là, j'avais eu envie de fumer. Pourquoi? Je n'en savais rien, mais juste ce matin. J'avais juste envie de ça. Je m'arrêtais quelques minutes sur un gros débris de béton, regardant alors ce triste spectacle qui s'offrait à moi. L’apocalypse. Comme quand je suis sortie de ce bus, quand j'ai quitté l'immeuble après la tempête. Je ne reconnaissais plus rien, tout avait été détruit. Alors quoi? A quoi allait ressembler la vie à présent? A un éternel combat? Pour remettre la ville sur pied, les habitants traumatisés allaient devoir survivre, malgré les morts, les maisons détruites... J'eus une pensée pour maman et papa, où étaient-ils durant l'accident? Comment allaient-ils? Je n'avais pas eu de nouvelle.

Je termina ma cigarette, que je jetais par terre. Il n'y avait plus de poubelle, plus de propreté, ce n'était plus qu'un monde à refaire. J'étais las, fatiguée, à bout et en même temps que mon coeur était attaché à des maux horribles, je sentais qu'il avait un brin de légèreté, du nom de Trevor. Je me remis alors en marche de notre bâtiment écologique, l'un des seuls à avoir tenu bon lors de la tempête. J'entrais, tout le monde dormait encore. Enfin tout le monde, beaucoup était repartit chez eux juste après l'Ouragan, certain était partit dormir ailleurs... Mais moi, non. Je montais à l'étage et alors que j'ouvrais la porte de notre chambre, je vis que Jude était là, debout, entre nos deux lits. Je sentis les larmes envahir mes yeux, mes joues. Mon frère était là, vivant, devant moi. C'était tout ce qu'il me fallait. Je me jetais alors contre lui, en larmes. Je m'accrochais à lui de toutes mes forces, voulant sincèrement sentir son corps contre le miens, je n'étais pas en train de rêver hein?

« Jude... Jude... tu vas bien... j'ai eu tellement peur... où étais-tu? »

J'avais eu peur pour mon frère, plus que pour n'importe qui d'autre. Jude, c'était Jude. C'était toute ma vie. Personne ne pouvait arriver à la cheville de mon grand frère. Lui & Josh' étaient mes deux trésors, ma vie sans eux ne valait pas la peine de la vivre. Je m'accrochais toujours à lui, heureuse de pouvoir être contre mon frère. C'était tout ce qu'il me fallait. Le sentir bien vivant, ici, et dire que j'aurai pu ne jamais connaître ce moment. S'il lui était arrivé quelque chose... Je revis le garçon mourant devant moi, non, Jude ne pouvait pas mourir, il n'en avait pas le droit. Je crois que je n'avais jamais serré quelqu'un de cette façon contre moi. Mes deux bras se rejoignaient largement, je le serrai assez fort, mais j'en avais besoin. J'avais eu tellement peur. Tout mais pas lui. Pas eux.