[libre] Toi, moi et la solitude.

La proposition de Jasper me fit chaud au cœur et je l’ai gratifié d’un sourire, aussi sincère que le sien. Je me suis remise à regarder droit devant moi, mes jambes se balançant dans le vide.

« Et bien, les prénoms je pense que ce n’est pas bien utile, mais nos hobby et loisirs peut-être ? Par exemple quand j’ai du temps libre, je reste presque tout le temps à la ferme associative de Mme Turner, la mère d’une personne à laquelle je tenais beaucoup. Même si nous ne nous connaissions pas, nous avions une passion si forte pour les animaux et pour leur protection que cela… »

Que cela quoi ? J’avais une réelle admiration et tendresse pour Chase, il était quelqu’un d’exeptionnel et malheureusement, la mer me l’avait brutalement arraché, avant même que je ne puisse faire sa connaissance comme je le voulais.

« Sinon, je surf énormément, sans me vanter ou quoi que ce soit, j’ai un niveau de compétition national et mon entraineur pense que bientôt je pourrais passer au niveau mondial. Je risque de me faire manger toute crue mais bon, ça serait intéressant d’essayer. »

J’ai terminé par un petit rire, en contraste total avec mon désespoir présent à ma première pause. Que dire de plus ? Je ne voulais pas non plus tout raconter de moi car si je commençais, je ne m’arrêterais plus et je dirais des choses trop personnelles. Or je ne le voulais pas, je ne le pouvais pas.

« Et toi Jasper ? Parle moi de toi, comme le feraient deux personnes en cours au lieu d’écouter »

J’ai souris doucement, car c’était exactement ce que je faisais avec les nouveaux dans ma classe ou avec mes coloc, apprendre à se connaitre était la base de tout, et cela m’aurait peut être évité ces soucis avec Ivy.

 

Le silence s’était à présent installé entre nous, je n’entendais rien de plus que ma respiration, et la sienne. Le silence, comme avant qu’il n’arrive, comme toujours en réalité. Même lorsque nous parlions je me sentais seule. Sa remarque me fit regarder le sol en contre bas. Ses paroles me faisaient plus de mal que ce qu’il pouvait penser. Oui je n’étais pas très bavarde, parce que je n’avais jamais eu de don pour tenir une conversation. Je n’avais jamais su être bavarde sans savoir m’arrêter au coin du feu, et encore moins avec une personne que je ne connaissais pas. Je ne savais pas quoi dire, je ne savais pas non plus quoi raconter. J’allais passer pour une parfaite andouille en disant tout ce qui me passait par la tête mais j’allais aussi rater tout espoir de pouvoir ne serait-ce que lui parler à nouveau si je n’étais pas à la hauteur.

« Je n’ai jamais été une très grande bavarde, mis à part en cours on va dire. Sinon je n’ai pas grand-chose à dire, je ne connais pas tes centres d’intérêt, sinon nous aurions pu en parler, je ne connais pas non plus mis à part ton sport ce que tu aimes faire, je ne sais pas tout cela, mais je crois aussi que cela ne me regarde pas non ? Tout ce que je sais c’est que tu t’appelles Jasper, que tu es en Sénior A et que tu es un super sportif. Enfin tu me diras, c’est déjà pas mal. »

J’ai repris la bouteille, surprise d’avoir paré autant. C’était mes plus longs dialogues depuis le début de notre conversation, mais je ne comptais pas m’arrêter en si bon chemin. S’il voulait de la conversation, il allait en avoir, enfin j’espérais. Un léger bourdonnement si fit entendre, je devinais aisément que ce n’était rien d’autre que mon portable mais je l’ai laissé sonner. Cela ne devait pas être si important et si ça l’était, la personne n’avait qu’à laisser un message après tout. Malgré la fraicheur de la nuit, je ne ressentais nullement le froid, peut-être était-ce à cause de l’alcool que j’avais ingéré petit à petit depuis que j’étais là ? Peut-être avais-je tiré un peu plus que ce que je ne pensais sur la bouteille ? Le fait est que mon esprit commençait légèrement à être embué, en tout cas je n’avais plus aucune crainte ni appréhension aussi forte qu’au début de notre échange. Sans quoi je n’aurais jamais pu faire toute cette tirade je pense.

« C’est juste mon portable qui vibre. Cela ne doit pas être si important que cela. Sinon, tu ne penses pas que tu aurais du aller voir ta copine plutôt que de rester ici avec moi ? Je pense que ça lui aurait fait plaisir que tu sois allé la voir comme ça, même si c’est juste pour dormir… Rolala, oublies ce que je viens de dire, j’suis un peu fatiguée je crois. »

Bon sang, qu’est ce que je venais de dire ? A croire que je ne surveillais pas mes propos. Qui plus est je ne connaissais pas la copine de cet homme et je lui donnais des conseils, des conseils qui de toute façon ne pourraient qu’être appréciés par la belle en question si elle l’aimait vraiment. Pourquoi si ? Cachant ma tête dans mes mains et faisant glisser ses dernières jusqu’à ma chevelure que j’ai empoigné j’ai soupiré avant de relever la tête à nouveau. Légèrement rouge, je n’ai pu que lui murmurer.

« Excuse moi. Franchement, je dis n’importe quoi. »

Je pensais connaitre déjà sa réponse, il me dirait que oui tout allait bien niveau sport, mais que peut être il aurait une légère douleur suite à un truc tout bête, ou alors que peut être qu’il avait une compétition importante de prévue. Côté cœur, une rupture douloureuse ou alors le calme plat mais aucune de ses deux hypothèses ne prima. Enfin si, tout se déroulait bien de son côté niveau sport mais niveau sentimental… L’effet fut comme une bombe pour moi, mon sourire ne bougea pas d’un poil alors qu’intérieurement j’avais envie de hurler, de crier et de pleurer presque. J’aurais du être heureuse pour lui mais je n’y arrivais pas, je ne cessais de me dire qu’une autre fille avait réussi à prendre la place que je convoitais, je ne pouvais pas me faire à l’idée qu’il avait trouvé une femme qu’il aimait et que cette dernière ne soit pas moi.

Après tout, après quelques secondes, je me suis calmée, je savais très bien que ce jour là allait arriver mais je me jurais en tout cas que si un jour elle le faisait souffrir j’irais lui dire deux mots. Je savais très bien également que je ne serais jamais assez bien pour être avec lui. C’était sûrement la meilleure chose qui soit que je l’ai appris de sa bouche. Voir son visage s’illuminer lorsqu’il m’en parla termina de doucher mon amertume. J’étais à présent calme et contente pour lui,le plus possible malgré les réticences de mon cœur.

« Moi ? Les choses vont super bien aussi ! Je me demande même à quand mon prochain problème, je trouve que cela fait bien longtemps que je n’ai pas eu de galères. Oui je suis un peu maso je crois »

Ai-je terminé en riant. Me relevant pour enfiler mes chaussures, je me suis étirée longuement, dénouant mes muscles engourdis avant de retourner au sol près de lui. Un personne passa dans le parc en dessous et se mit à siffler, quatre note avant que ces dernières à l’inverse résonnèrent dans le silence de la nuit. Une fille sortit de derrière un arbre et lui sauta au cou avant de partir avec cet homme main dans la main.

« Nous ne sommes pas les seuls à ne pas dormir »

Ai-je dit en souriant d’un air espiègle, envieuse devant e bonheur qui émanait du couple qui disparaissait à nouveau.

J’ai repoussé avec délicatesse le paquet de cigarette, boire oui, fumer non. Je voulais profiter de la vie, pas devenir accro au tabac ou à une quelconque substance addictive. L’alcool en était une certes mais ce n’était pas tout à fait pareil pour moi. M’arrachant à la contemplation de la lune, je le regardais alors qu’il parlait, écoutant ses paroles avec attention, savourant chacun de ses mots..

« Si les couchers de soleils sont magnifiques et que j’arrive à en faire une belle photo, je te a donnerais. »

Ai-je dis en ajoutant un clin d’œil complice à cette promesse. Je ne voulais pas trop le faire parler sur son enfance. Si ses troubles du sommeil remontaient à cette période-là, il avait du apprendre depuis à vivre avec et à s’adapter, à trouver un moyen de combattre son corps pour que sa volonté en fasse ce qu’elle veule. Eteignant mon appareil photo avant de le remettre dans sa house, je me suis arrêtée net en entendant la question. Celle à laquelle je pensais que je n’aurais pas à répondre et pourtant si. Le sort avait décidé de se jouer de moi ce soir.

Comme je n’étais absolument pas faite pour les secrets, je lui ai tout déballé, la vérité, aussi simple et banale qu’elle puisse paraître.

« Les réponses, tout comme moi ne seront pas bien intéressante mais bon, je vais quand même te le dire. Pour mon bandage au bras, une bête morsure de chien. Je suis bénévole au refuge de la mère de… Au refuge de Mme Turner. »

Ma voix se casse lors de mon hésitation et j’ai terminé cette phrase de manière plus neutre. La douleur et a détresse suintaient dans toutes les parcelles de mon corps et j’ai saisi la bouteille, tentant d’oublier… de faire fi ce ces pensées-là. Je ne pouvais pas les oublier, mais je pouvais au moins tenter de les mettre de côté, le temps que je me retrouve à nouveau seule dans mon lit, seule avec mes tracas. Jugeant qu’une explication était nécéssaire, j’ai ajoutée d’une petite voix.

« Je connaissais le fils de la propriétaire du refuge, nous étions dans la même confrérie avant que… cet accident ne survienne. Quant à mon visage, c’est une griffure de mon chat qui s’est rouverte et infectée légèrement quand je faisais du surf. Rien de bien extraordinaire comme tu peux le voir. »

Même si cette version était un peu étrange, c’était la vérité, il ne s’était rien passé de spectaculaire pour que je sois blessée. Il n’y avait rien eu de particulier pour que je sois ainsi marquée jusqu’au sang. Pas de violence à cause d’un amant trop possessif, pas d’histoire digne d’un western ou d’une série à succès, juste la vie d’une lycéenne dans un lycée ou tout le monde à ses secrets. Tentant de détourner le sujet de la conversation, j’ai tenté d’une voix enjouée et presque infantile.

« Sinon, côté sport et popularité, tout va bien pour toi je suppose ? »

L’information qu’il me donna en me disant qu’il passait souvent ici se mit immédiatement dans un coin de ma tête. Je n’étais pas prête d’oublier ce détail, je saurais donc ou le trouver à présent si je le cherchais.
La deuxième information n’était pas inintéressante non plus. S’il faisait des insomnies c’est qu’il avait probablement un problème, un traumatisme ou alors beaucoup beaucoup de stress. Savoir que cette personne que je tenais en si haute estime avait des problèmes me rendait mal à l’aise. J’aurais tellement voulu l’aider, lui servir de confidente ou quoi que ce soit d’autre mais je n’étais pas non plus totalement cruche. J’avais déjà la chance d’être aussi proche de lui et de pouvoir converser sans problèmes apparent, je devais me contenter de ce que j’avais à présent. Haussant légèrement mes épaules avant de prendre la bouteille en main pour en prendre une nouvelle gorgée, je lui ai ensuite tendue, lui proposant tout simplement d’en prendre.

« Tu en veux ? Sers toi, c’est moi qui offre. »

En entendant ma voix dénuée de toute conviction ou motivation, j’avais envie de me donner des gifles. J’étais bien la seule à ne pas être capable de dire des choses de manière intelligente et cela m’ennuyait un peu. Prenant un nouvelle inspiration, je me suis lancée dans le plus long dialogue que je ne lui ai jamais fait depuis la première fois que je lui ai adressé la parole, lui prouvant ainsi que je pouvais m’avérer loquace.

« Ecoute Jasper, je sais qu’on ne se connait pas ni rien, mais je ne pense pas que les insomnies soient quelque chose de très naturel, il doit y avoir quelque chose qui les provoquent. Enfin, si cela ne te dérange pas, je ne dirais rien de plus à ce sujet dans ce cas. C’est la première fois que je viens ici, je trouve que la vision qu’on a des lieux est particulièrement splendide, le panorama est tellement… marquant. C’est peut être stupide, mais j’aime beaucoup ce lieu. »

Terminant enfin ma phrase, j’espérais que je ne l’avais pas trop gavé avec cela, je ne voulais pas qu’il me prenne pour une asociale et pourtant quelques minutes auparavant, je m’étais promis que plus jamais on ne me prendrait pour une faible. Aurais-je lamentablement failli à ma mission ? Je crois bien que oui, et pas qu’un peu. Un sourire contrit se dessina sur mon visage, tandis que je cherchais un nouvel endroit à immortaliser avec mon appareil que je venais de reprendre. Je tentais de faire abstraction du fait que je n’étais plus seule à présent mais en sa compagnie. Je voulais paraître la plus naturelle possible mais quel était la définition du naturel, et plus particulièrement, celle qui s’appliquait à mon cas ? Si je ne le savais pas moi-même, je ne pourrais que difficilement trouver une réponse auprès d’une tierce personne.

Ayant suffisamment réfléchis pour le moment, j’ai rallumé mon appareil photo, visant cette fois ci la lune et le ciel sombre tout simplement. Cette dernière sous son premier croissant était nimbée d’un nuage qui lui donnait un côté des plus mystérieux et fascinant, exerçant sur moi une attraction irréversible.

Des espoirs oh que oui j'en avais mais parmi tous les souhaits que j'avais pu faire, aucun ne s'était réalisé au final. Après avoir immortalisé trois fois le paysage, j'ai rangé l'appareil au fond de mon sac avant de poser mes mains sur le rebord et de fermer les yeux. Allais-je sauter ? Personne ne pourrait le dire. Allais-je commettre l'irréparable ? Et si je le faisais, qui me regretterais ici ? Ma réflexion interne n'était qu'une occupation, je n'avais pas la force de sauter, je n'avais pas ce courage la. J'étais faible comme tout le monde le sait. Je n'étais qu'une faible petite chose à la merci des éléments. Une faible gamine incapable de se défendre seule. 

Emportée totalement ailleurs par la nuit, je ne l'ai pas entendu venir À aucun moment je n'ai su qu'il était auprès de moi avant que je n'entende sa voix. Avant que je ne sache qu'il me parlait bien à moi et pas a une de ses amies. Ouvrant doucement les yeux comme si je sortais d'un rêve, je l'ai regardé, me demandant si je n'étais pas tout simplement en train de rêver. Il n'y avait personne autour et c'était donc bien à moi que ce salut s'adressait.  Tout d'abord sous le choc qu'il s'intéresse à moi j'ai redécouvert ma langue pour qu'un faible son en sorte. 

" Bonsoir Jasper. "

C'était tout ce que mon cerveau avait bien voulu me donner en réplique. La seule chose qui m'était parvenue à l'esprit. À présent une nouvelle question arriva, pourquoi était il ici alors qu'il devait probablement avoir mieux à faire comme dormir par exemple. Était il trop stressé pour trouver le sommeil ou pensait il à une personne en particulier pour laquelle il nourrissait des sentiments qui ne seraient jamais pour moi ? 

" Cela ne me regarde peut être pas mais que fais tu ici à cette heure ... Tu dois sûrement avoir mieux à faire que trainer ici non?"

Mon regard acier se porta avec hésitation à son visage avant que je ne détourne les yeux, me concentrant sur le sol qui se trouvait plusieurs mètres plus bas. Il était la, juste à côté de moi et je n'avais même pas le courage de le regarder plus de cinq minutes. Je semblais être définitivement sous le charme de ce parfait inconnu finalement.  

 

Le souffle de la nuit venait caresser mon visage avec douceur. Les yeux mi-clos, je savourais le doux contact du vent qui n’avait cette intensité qu’à cette hauteur. L’air frais venait envelopper mes bras nus avec douceur, apaisant même mes blessures. J’ai baissé la tête vers mon bras gauche, ou un bandage blanc partait de mon poignet et s’arrêtait au milieu de mon avant-bras. Un pansement sur ma joue venait parfaire mon allure de blessée de guerre. Je donnais un piètre tableau mais peu m’importait. A présent le regard des autres n’avait plus aucune valeur pour moi.

Personne ne saurait comment je m’étais fait cela et pourtant, c’était quelque chose de totalement anodin. Personne ne le saurait car personne ne viendrait prendre de mes nouvelles. Les choses étaient ainsi depuis bien longtemps maintenant. Les récents évènements m’avaient permis d’ouvrir les yeux et de réaliser à quel point j’étais seule. Je n’avais jamais voulu ouvrir les yeux, je n’avais cessé de me leurrer dans mes mensonges et à présent j’en payais le prix fort. J’étais seule, et encore, la solitude était un piètre adjectif pour définir mon état.

Seule sur mon toit, je comptais bien le rester. Je n’étais pas la seule à avoir essayé de trouver un peu de répit ici. Des mégots, des capsules de bouteilles, mêmes des tessons de verre en attestait le contraire. Et moi, petite blonde soumise au vent j’étais la, dans ma robe gris perle, les pieds nus dans le vide à regarder le paysage d’un air nouveau. A ma droite, ma paire de bottines ainsi que mon sac. Dans ce dernier, mon appareil photo ainsi qu’une bouteille de vodka citron. Pas particulièrement forte, ou du moins nettement moi que les vodka pures, elle faisait partie de mes boissons favorites. La bouteille n’était pas encore ouverte. Je n’avais pas en tête de me rendre ivre, je n’en voyais pas l’intérêt et passer la nuit ainsi ne me semblait pas très malin.

J’ai regardé mon portable, rien, aucune info, malgré l’heure tardive, j’ai tout de même composé son numéro. Sans grande surprise je suis tombée sur sa messagerie.

« Allô, c’est Jess. Je sais qu’il est tard et que tu vas m’en mettre plein la tête quand tu auras ce messages mais tant pis. J’espère juste que… tu me rappelleras bientôt. Je n’en peux plus d’attendre ainsi un signe de toi. Je passerais te voir ce week end, promis. A bien bientôt Drew… Tu me manques… Je suis désolée. »

Rangeant mon mobile sans regarder l’heure, je me sentais plus légère, comme si je savais que j’avais fait le bon choix en l’appelant. Sortant la bouteille du sac, j’ai souri légèrement en sentant qu’elle était encore bien fraiche. Ouvrant la bouteille, j’ai bu deux gorgées avant de la reposer près de moi, sortant mon appareil photo pour immortaliser la scène nocturne, les pieds balançant toujours dans le vide, ma frêle silhouette toujours sur le rebord de ce toit, à la merci du vent.