There’s no light over London today. ~ Eva

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J'ai mal au ventre. Vous savez, lorsque l'on revoit quelqu'un qu'on a pas vu depuis longtemps ? Voilà, ça. On est un peu effrayé. Surtout quand vous avez pleuré de longues minutes dans les bras de cette personne, la dernière fois que vous l'avez vue. Que vous l'avez suppliée de ne pas faire quelque chose dont vous avez déjà faire l'expérience.

J'attends. Les portes s'ouvrent, et des gens en sortent. Je scrute chaque personne attentivement. Peut-être qu'Eva a totalement changé, physiquement, pour se cacher. J'essaie de repérer un regard sombre, une masse de cheveux flamboyante, une attitude déterminée. Un truc à la Eva Esperanza, quoi. Une femme enceinte aussi, peut-être. Surtout une femme enceinte. Bon, si elle n'a pas avorté depuis la dernière fois qu'on s'est vu, ça ne devrait pas énormément se voir. Mais un petit peu quand même. Je cherche aussi peut-être une petite fille. La fille d'Eva. Je ne sais pas si elle sera là ou pas.

Et enfin, je l'aperçois. Elle me fait un signe de la main. Je lui accorde un petit sourire, même si à la vue de la situation, il n'y a pas de raison. Elle a toujours ses cheveux rouges. Par contre, elle est fatiguée. De grands cernes entourent ses yeux. Je la sens un peu fébrile. Mais, je remarque autre chose, aussi. La main qu'elle a juste sous son ventre rond. Je ne peux m'empêche de soupirer de soulagement, discrètement. Il y a au moins une bonne chose, dans toute cette histoire. Eva va avoir un bébé. Je passe une main dans mes cheveux. On va devoir s'expliquer longuement, je sens. On ne va pas se coucher de suite. Enfin, ça dépendra d'Eva. Je suppose qu'elle préférera se reposer.

Une fois à ma hauteur, la jeune maman me remercie, disant que je n'étais pas obligée de faire ça pour elle. Je n'étais pas obligée, non. Mais, ça me tenait à coeur de l'aider. Elle le valait largement.

« ça ne me dérange pas, tu sais. ça me fait plaisir de t'aider. Ah, attends, je vais prendre ton bagage. Viens, la voiture est par là. », dis-je, tout en accompagnant mes paroles de mes gestes.

On sort du hall, le vieux pot de yaourt de mon paternel nous attend tranquillement un peu plus loin. Je dépose les affaires d'Eva à l'arrière, et nous grimpons à l'intérieur. Je démarre, et nous nous éloignons de l'aéroport, silencieusement. Et le trajet le sera tout autant. Nous passons sur les routes enneigées de Londres, j'observe Eva, du coin de l'oeil. Je ne sais pas si elle dort, mais en tout cas, elle ne parle pas. Quelques minutes plus tard, nous sommes en bas de l'immeuble en briques rouges. J'invite Eva à monter les trois étages, jusqu'à ce que nous arrivons devant la grande porte de l'appartement. Je l'ouvre. Elle entre, et je la suis. Je referme.

Bon.

Je regarde ma montre. Il est environ quatre heures et demi. Eva et moi nous avançons dans le salon. Je me tourne vers elle pour qu'elle me donne sa veste que j'accroche au porte-manteau, tout comme mon cuir et mon écharpe. Je reviens vers elle, l'invite à un rapide tour de l'appartement. Comme ça, c'est fait. Enfin, nous revenons dans la pièce principale, un petit silence s'installe. Je décide de le rompre.

« Hm. Tu veux qu'on en discute tout de suite ? Ou alors tu préfères dormir un peu ? Tu veux un thé, un café ? Tu veux manger quelque chose ? », la questionnai-je.

Je me rends compte que de l'assommer de questions n'est pas forcément une bonne idée. Je passe une main dans mes longs cheveux.

« Désolée, je suis un peu nerveuse. Peu de gens passent la porte de l'appart', généralement. »

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Comment ça avait pu arriver. Comment.

Le soir du bal, j'avais partagé la danse la plus étrange de ma vie. La danse avec un mort. La danse avec le fantôme de ma vie. La danse qui m'avait vallu des jours et des heures entières de terreur, seule, là, quelque part, je ne sais plus où. Dans les bras d'Edgard, j'avais pleuré, tellement pleuré. Toutes les larmes de mon corps, toute la peur qui avait envahi jusqu'à la plus infime des fibres de mon être. La colère. La peur. Oui, j'avais eu trop peur de ce que cet homme représentait pour mon passé, mon présent et mon futur. J'avais songé à parler à Pollo. Mais son numéro n'était plus dans mon répertoire, allez savoir pourquoi. Celui de Lena non plus. Il ne me restait plus qu'Elsa, pour prévenir Pollo. De ne pas s'approcher de Liam. De mettre ma fille en sûreté. Liam voulait Sonata, il voulait la voir, mais jamais je ne le permettrais. Le père de Sonata est mort, il y a trois ans. Il ne peut réapparaître sous la forme d'un professeur boiteux, hargneux. Si seulement j'avais pu faire quelque chose. Mais je ne pouvais pas. Il n'y avait rien à faire pour me sauver, je devais seulement fuir, quelques temps, quelques jours. Il me sembla que m'incruster chez Elsa était assez craignos comme idée, mais je n'en avais pas de meilleure pour le moment. Alors j'avais pris le premier billet d'avion le lendemain matin, pour foncer à Londres et ne pas en repartir d'une semaine ou deux, le temps des vacances, le temps que ça se calme. Le temps que je trouve une solution pour me protéger. Pour nous protéger.

Pendant tout le trajet d'avion, nerveuse, je feuilletais des magasines en regardant un peu partout, vérifiant que personne ne m'avait suivie dans cet avion pour Londres. J'allais arriver à quatre heures du matin. J'avais prévenu Elsa de l'heure de mon départ avant de grimper dans ce grand machin en métal. Je détestais l'avion. J'avais lu dans un livre que si l'avion était capable de voler, c'était grâce à la foi des passagers. Que si l'un d'entre eux se disait "Mais, ça se peut pas qu'un aussi gros morceau de tôle vole comme ça !" pour qu'il se crashe. Et un avion, c'est à onze kilomètres de la terre bien ferme. Si bien que quand il tombe, il n'y a strictement aucune chance d'y réchapper. Alors imaginez en plus s'il tombe en plein milieu de l'océan Atlantique, ou... Bref, nerveuse, je n'avais pas été capable de rester calme pendant tout le trajet. Heureusement que Venise-Londres, c'était pas bien long, comme trajet. Lorsque l'avion se posa, j'eus comme un frisson de soulagement. Mon dieu, tout le monde y avait cru, j'étais vivante. Mais comme il faudrait que je reprenne l'avion pour Miami... Oh, non, dans les avions, je ne faisais pas la maline, loin de là. Je n'avais amené qu'un petit sac avec mes quelques affaires nécessaires à mon voyage à Venise à l'origine. Si je devais rester un peu plus longtemps, il allait falloir que j'm'achète des fringues, et comme l'Angleterre était bien l'un des pays que je ne pouvais pas encadrer... mais bon, il faudrait faire avec.

Non mais sérieux. Les anglais, je pouvais pas. Insupportable. Patrimoine à chier. Une reine au pouvoir alors que ça fait belle lurette qu'elle ne devrait plus y être. Enfin, au pouvoir ? Naaaan. Elle est juste là pour faire joli, c'est ça qui n'a pas été dit. Et puis le temps de merde, la pluie, la bruine, tout le temps, ce brouillard artificiel sur la ville chaque matins, parce qu'ils ne sont pas capable de faire attention, leur refus d'adhérer à la monnaie unique européenne, leur sale manie de se renfermer sur leur pays comme une bande de tanches, et surtout, surtout, leur bouffe. En voyage scolaire à Londres, lorsque j'avais seize ans, j'avais demandé une paëlla au restaurant. Bon, ne nous formalisons pas, je savais parfaitement qu'elle ne serait pas aussi bonne que celle de mon pays. Mais quand même. Un truc aussi dégueulasse tel que ce machin qui m'a été servi à la place de ma commande, j'aurais payé cher pour le faire analyser. C'était pas humain. Sans blague. Non, l'Angleterre, je ne pouvais pas le supporter. C'était un pays où les gens me dégoutaient, avec leurs manières, leurs cup of tea, leur manière exagérée de parler et de mépriser les étrangers. Lorsque l'un deux avait essayé de me parler dans l'avion, j'avais répondu en Espagnol, sans manquer de le fusiller du regard. Non mais. En plus. Je veux pas dire, mais il était bien aussi laid que le Prince William.

Dès ma descente de l'avion, j'envoyais derechef un texto à Elsa. J'étais prête à dormir à l'hôtel si elle ne voulait pas venir me chercher à quatre heures du matin. C'était totalement légitime. Je soutins mon petit ventre rond, calmement. Heureusement que ce bébé était là. Sinon j'aurais pété une belle durite. Elsa serait certainement contente d'apprendre que je n'avais pas avorté. Parce que je n'avais pas pu. Mais ça, elle n'était pas obligée de le savoir.

Ce fut dans le hall que je la trouvais. Munie de mon seul bagage à main, je lui fis un signe et m'approchais d'elle. J'avais les traits tirés. Je n'avais pas dormi depuis... Deux jours, oui. Il me fallait un petit somme. Mais avant, je devais tout lui expliquer. Et surtout, la remercier.

"Salut Elsa. Merci de me laisser venir. Tu n'étais pas obligée de faire tout ça pour moi."

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THERE'S NO LIGHT OVER LONDON TODAY.

Quinze février.

Les vacances. C'est pas franchement un truc que j'aime.

Parce que je dois rentrer à Londres, tout ça. Ma bourse prend pas en charge les frais si je reste pendant les vacances, et comme j'ai pas d'autre endroit où rester, bah... je prends l'avion, et retourne à Londres. ça me fait toujours mal au ventre, mais c'est comme ça. Surtout que là, c'est la première fois que j'y retourne seule depuis que... depuis que Chase n'est plus là. Avant, on rentrait ensemble. Il avait l'appart de son père, qu'il vidait et qui lui servait un peu de maison secondaire. Je venais squatter là-bas, des fois. Mais bon. Maintenant, c'est plus possible. Il m'avait proposé de venir chez sa mère, aussi, mais... j'ose pas. Je l'ai pas vue tellement de fois, aussi. Je m'imaginais mal me pointer chez elle, comme ça, la fleur au fusil.

Donc bon. Je rentre dans le vieil appart de mon paternel. Troisième étage du bâtiment en briques rouges toutes vieilles. C'est dans le quartier de Camden Town, pas loin de Highgate Park. C'est le parc le plus éloigné du centre, et le moins connu. Et c'est mon préféré. Il n'y a pas trop de touristes, donc ça, c'est cool. En plus, le parc est sur une colline. Y a un petit étang. C'est super paisible, comme endroit. Et y a l'underground pas loin de l'appart, aussi. Nothern line. Oui, j'ai bien l'underground. Pas comme c'est américain qui disent le "Subway". Les Subway, c'est des sandwichs, bande d'ignares. En plus, vous avez un accent de merde, voilà. De toutes façons, nous, les britanniques, on est incompris.

Enfin bref. ça faisait deux jours que j'étais rentrée. J'évitais soigneusement de croiser mon père dans l'appart. En bordel, comme d'hab'. Bon, j'avais rangé un peu quand même. Je m'occupais comme je pouvais. Mon paternel sortait jamais de sa piaule. Je lui apportais sa bouffe sur un plateau, et je le posais devant sa porte. Il sortait de temps en temps, au pub, en bas de l'immeuble. Et c'était tout. Pas un mot. Dès qu'il passait près de moi, je me crispais. Je ne respirais plus. Rien que de le voir me filait la nausée. Et le regarder dans ses yeux. Ses yeux bleus, comme les miens. Je ne supportais pas non plus. C'était trop difficile. Alors, on s'ignore. On fait comme si ni l'un, ni l'autre n'existait. De toutes façons, il était presque tout le temps défoncé, alors ça ne changeait pas grand chose.

L'appartement n'avait pas changé, en tous cas. L'imposante porte d'entrée était toujours aussi lourde à pousser. Il y avait toujours le mini placard à chaussures, et le petit muret qui permettait de voir la cuisine, en entrant. On voyait directement le salon. Le vieux fauteuil rouge, un peu défraîchi, le canapé blanc, un peu défoncé. La petite table en bois, la vieille télé. Les deux trois cadres au mur, le téléphone. La cuisine, elle, était un peu petite. Elle était directement adjacente au salon, sans mur, ni rien. Un petit comptoir avec des tabourets, pour manger, un vieux mini-frigo, un lavabo, une vieille cuisinière, des placards, une cafetière, un plan de travail, et voilà. Ensuite, t'avais le long couloir. Première porte à gauche, la chambre du paternel. Puis, la porte un peu plus loin à droite, c'était celle de ma chambre. Et au fond, la salle de bains, puis les chiottes. C'était pas grand chose, mais bon.

Et cette nuit, je n'arrive pas à dormir, comme d'habitude. Le nuit, Chase vient me torturer, encore. J'hallucine qu'il est là, parfois. Quand je regarde la télé, ou que je cuisine. J'ai l'impression qu'il vient s'asseoir à côté de moi, ou alors qu'il regarde par dessus mon épaule. Des fois, il me parle. Il dit qu'il me manque. Puis s'en va. Et cette nuit là, je ne dors pas. Allongée dans mon lit, regardant le plafond. Enfin, mon lit... Un vieux clic-clac, quoi. Le réveil sur la pile de bouquins, et de partition indique qu'il était plus de deux heures du matin. Et mon portable vibre. Tiens. Je regarde. Je lis. « Eva ». ça, c'est rare. Suffisamment rare pour que je m'en inquiète. J'ouvre le SMS. Et quelques minutes plus tard, je suis debout. Eva arrive d'Italie. Son avion part à trois heures, de Venise. Elle sera vers quatre heures ici. Liam est à Wynwood. Elle s'est enfuie. Et elle cherche un refuge. Et moi, qui admire cette femme, mère d'une petite gamine adorable, blessée par l'amour, je lui en ai proposé un, de refuge. Bon, bien sûr, c'est pas le Ritz. Mais c'est toujours mieux que rien. Et c'est plus humain qu'un hôtel, aussi.

Je quitte mon vieux short, et mon tee-shirt dix fois trop grand. Hop, je saute dans la douche, et j'en ressors habillée d'un vieux pull gris, et d'un jean un peu troué aux genoux. Il fait froid à Londres, ces temps-ci. Il y a même un peu de neige, dehors. ça, ça m'avait manqué, à Miami. La neige. Je prends mon Eastpack qui me suit partout, et fourre des trucs importants, dedans. Papier d'identité, fric, iPod, bombe lacrymo... Oui, parce que Londres, à quatre heures du matin, c'est pas l'endroit le plus sûr du monde. J'enfile mon cuir rouge, une grande écharpe une paire de mitaine en laine. Je vérifie que je n'ai rien oublié. Il est déjà trois heures et demi. Je prends les clefs, tout est fermé, et je descends. Pas de métro. Trop dangereux. Je prends la veille voiture de mon père, et démarre. Direction London City Airport. Et une fois arrivée, j'entre dans le grand aéroport.

Je consulte les tableaux. Le vol d'Eva est annoncé à l'heure. Tant mieux. Je vais au hall indiqué, et j'attends, un peu inquiète. ça fait un moment que je n'ai pas vue Eva. La dernière fois, elle était enceinte. Est-ce qu'elle l'est toujours ? Est-elle avec Sonata ? Moi, je n'ai pas changé. J'ai toujours mes cernes, je suis toujours un peu maigre, et un peu fragile. Ah, j'ai une cicatrice sur la joue, aussi. Ouais, parce que j'ai défoncé le piano de la salle de musique à coups de batte de baseball. Mais ça, c'est encore autre chose. J'ai une frange, aussi. Mes cheveux ont poussé. Je passe mes doigts dedans. Je me mords la lèvre, toujours inquiète. Mon portable vibre. Eva est arrivée, il est quatre heures cinq.