Enfant malade, androgyne séduit. [Nel]

Ma colère s'infiltrait dans mes veines à vitesse grand V. Ces derniers temps, il ne fallait pas parler d'Eva. Depuis qu'elle était en garde à vue, je ne pensais qu'à cela. Cette fille s'attirait toutes les emmerdes possibles et imaginables. Et franchement, ça commençait à me foutre gentiment en boule.

Alors, lorsque le jeune homme se présenta, je fis l'effort de saluer sa volonté de me changer "légèrement" les idées. En fait, j'avais un peu l'impression qu'il s'en foutait, de ma vie. Mais je fis bonne figure. Je ne dis rien, je me présenterai ensuite. Le regard qu'il me jetait me laissait parfaitement entendre que quelque chose le turlupinait, et je laissais faire, attendant patiemment qu'il ouvre la bouche. Mais ce qu'il me dit me laissa le cul par terre, si j'ose dire. En gros, l'idée était là. Tu te prends une baffe et tu te retrouve sur les fesses.

Il me dit qu'il aimerait me créer une tenue. Je levais un sourcil, étonné. Euh. Une tenue, pour moi ? En fait, c'était moi qui me les dessinais, la plupart du temps. Je n'étais pas doué en créa de tenue, mais en dessins, si. Alors, j'envoyais les croquis aux couturiers d'Italie, et tout était reproduit à l'identique. La plupart du temps, je regardais de vieilles revues musicales, sur les compositeurs du XVIIIème siècle, les gravures, et je m'en inspirais. Voilà pourquoi j'étais aussi étrange aux yeux des autres... j'avais trois siècles de retard sur les autres, esthétiquement parlant. Mais aux slims de gay ou aux baguys de gros beaufs, eh bien, j'avais trouvé mon juste milieu : des collants blancs, culotte noires, le plus souvent, et des vestes de toutes les couleurs, chemises à jabots, dentelle... sans oublier mes perruques, que j'aimais personnaliser. Je détèstais mes cheveux roux. Il fallait bien que je les planque avec autre chose qu'une casquette. Je me rappelle que j'avais dû faire un tour chez les surveillants à mon arrivée à Wynwood... on m'avait demandé de quitter mon heu "couvre chef" dans l'enceinte du bâtiment. Je les avais traités d'abrutis. La perruque, ce n'est pas un couvre chef... C'est un art. Bref, j'observais le dénommé Nel avec circonspection. Si on en jugeait sa propre tenue vestimentaire... j'étais loin de lui faire confiance, si on peut dire. Mais bon. Pourquoi pas!

"Heu... En principe c'est moi qui dessine mes vêtements, mais pourquoi pas. Si je peux t'aider pour quelque chose... même si la mode, c'est vraiment pas mon truc ? Je suis compositeur de musique. Un artiste aussi, en quelque sorte."

J'eus un petit rire. Oubliée, Eva. Oubliée, la pelletée de cons qui se foutaient de moi dans les couloirs.

"Moi c'est Ezio. Ezio Cavalli."

Accent Italien à la con.

Certes, il avait un style étrange, quand même. Il s'habillait comme une nana, c'était quelque chose de trop étrange pour un sempiternel hétérosexuel de ma tempe. Cependant, lorsqu'il s'approcha, je n’eus pas le moindre mouvement de recul. Il m'intriguait, c'était aussi simple que cela. Il m'intriguait vraiment beaucoup.

Il observa avec un certain respect la finition de mes vêtements, la manière dont ils avaient été confectionnés, à l'ancienne, à la main. Je payais leur importation la peau du cul, et m'achetais un nouvel ensemble tous les mois. Alors heureusement qu'il n'y avait pas un accroc à mes affaires. Je ne l'aurais pas supporté. Beaucoup de gens ne supportaient pas de voir la manière dont j'étais attiffé, trop différent des autres. Le jeune homme, face à moi, semblait un peu dans mon cas, lui aussi, mais c'était incomparable. Lui, c'était... une demi-fille ? J'avais toujours été fasciné par les androgynes. Par ce qui les poussait à prendre ce mode de vie. Dans leur tête, ils étaient des femmes. Et ils se comportaient comme. Un rire un peu trop aigu, cette manière de parler aux hommes, de les observer, c'était purement féminin. Et moi, j'étais touché par l'attention que portait ce jeune homme à mes affaires. Me complimenter, ça marchait toujours. La plaisanterie qu'il lâcha me fit sourire. Un humoristique en plus ! On pouvait dire que je n'étais pas tombé sur le dernier des cons.

Lorsqu'il se plia en avant, se plaignant d'un repas de la veille, j'y vis un comportement purement féminin. Un mec, quand il a mal au ventre, il va se plaindre à sa copine, mais il ne met jamais le moindre pied chez le toubib. Même moi, je n'y serais pas allé, si ce n'était pas l'arcade de Sonata, qui était en jeu. D'ailleurs, les cris s'étaient calmés. Je supposais que l'infirmière avait essuyé le sang dans les yeux de la petite. Sonata n'avait vraiment pas de veine. Victime d'un braquage, spectatrice de la mort d'un bon nombre de personne, dont une, causée par sa propre mère, puis voir cette dernière partir en prison... il ne lui restait plus que Requiem. Et elle s'y attachait comme personne ne pourrait jamais s'attacher à un chien. Ce dernier le lui rendait bien, d'ailleurs.

Lorsqu'il me demanda si Sonata était ma fille, mon sourire se figea, et je me raidis brusquement. Non, ce n'était pas ma fille. Et j'aurais autant préféré que ce soit la mienne, plutôt que l'enfant de la salope qui lui servait de mère. Rien que d'y penser, j'avais envie de donner un coup de poing dans la bagnole de Lancelot Perez. Je répondis, un peu trop sèchement, peut-être.

"Non. C'est la fille d'une ancienne d'ici. Elle est en prison. Pour meurtres en série."

Je me surpris même à sourire.

"Elle va finir sur la chaise électrique, et cette gamine va retourner à l'orphelinat, retour à l'envoyeur. ça sera la deuxième fois qu'elle abandonne son enfant. Elle a tué une nana au cours d'un braquage, dans la banque de Miami. T'en as peut-être entendu parler, ça a circulé aux informations mondiales. Sonata a été témoin de plusieurs meurtres. Là elle vient de se péter l'arcade, c'est comme si on venait de lui tirer dessus, tu vois."

Pourquoi je disais tout ça à un parfait inconnu, moi ? Bah. Il était peut-être temps de vider mon sac, après tout.

"Cette nana, c'est une conne. Elle ne mérite pas d'avoir une enfant aussi mignonne. Et le pire, c'est qu'elle va en pondre un deuxième."

Je fronçais les sourcils. J'étais en colère. Dire que cette femme, je l'aimais.

"Je la hais."

Heu. Bon. J'mattendais à tout sauf à ça, en fait.

Face à moi, la gonzesse que je croyais refaite des pieds à la tête, prétentieuse et possédant autant de cerveau qu'un vulgaire pois-chiche se leva violemment. Bon, jusque là, logique. Je venais de l'insulter, après tout. Ses yeux jetaient des éclairs, mais dans le fond je constatais qu'elle ne fit que se défendre face à mon agression. Attendant l'explosion de cris aigus, je croisais les bras...
... Et les décroisais aussitôt, pris d'une surprise monumentale.
De la bouche de cette jeune fille venait de sortir... UNE VOIX DE MEC ??
Incroyable. Les travelo, ça existait encore. Et ce... Mec ? En était la preuve vivante. Il tenait tout de la femme, mais sa voix grave laissait entendre l'inverse. Je l'entendis me crier après, mais les mots glissèrent sur moi, comme de l'eau sur le plumage d'un oiseau. J'étais complètement interdit par ce que je venais de découvrir. Au sein de mon école, un type était déguisé en nana, et je supposais ne pas avoir été le premier à confondre entre les deux. Mais le moment de surprise passée, je fronçais le nez. Bon. Okay. C'était un mec déguisé en fille. Mais quitte à se travestir, autant avoir un peu de bon goût...

Je l'entendis me dire qu'il allait me faire bouffer ma perruque. Je pouffais. Avec son 1m20 les bras levé, et ces derniers qui étaient aussi maigres qu'un éthiopien, j'avais du mal à y croire. Mais il corrigea ses dires, et j'en fus surpris. Il parlait... de la qualité de ma perruque ? Oh. Ben, ça me faisait plaisir. Il avait au moins un peu de goût pour constater que je ne sortais pas cette oeuvre d'art d'une boutique de farces et attrapes. Alors toute la surprise, tout l'étonnement, toute la tension que j'avais accumulé depuis lors, se relâcha d'un coup. Je fixais encore un peu l'androgyne avec un air effaré...

Puis éclatais d'un rire tonitruant. Non ! J'y croyais pas ! Un type déguisé en gonzesse me complimente sur la facture de ma perruque, en plein milieu de l'infirmerie ! J'entendais Sonata pleurer encore un peu, je supposais que l'infirmière lui mettait de l'alcool, sur sa plaie. Lorsque cette dame m'avait demandé où était la maman, j'avais répondu avec flegme "En taule." Je ne savais pas si elle m'avait cru. Mais là... là la situation était vraiment cocace. Quelques minutes passèrent, des minutes interminables où je me tordais littéralement de rire, à n'en plus pouvoir. Puis je repris mes esprits. L'observais un instant, bégayais.

"Pardon... j'tavais... HAHAHA ! J't'avais pris... Pour... HAHAHA PUTAIIIN !!"

Je m'essuyais les yeux, j'en pleurais de rire. Un peu comme lorsqu'Isy m'avait demandé d'où je sortais mes vêtements. Ce n'était pas de la moquerie, seulement un rire que je ne pouvais pas contrôler. Et ça me faisait du bien. Bon sang oui, vraiment, du bien.

"Ma perruque... et mes fringues... Importation française, fabrication italienne. C'est de la haute couture. Tu as l'oeil, en tout cas... pour quelqu'un qui s'est fait teindre les cheveux en blond platinasse." Lui dis-je en riant. Encore une fois, il pouvait le prendre comme il voulait. Mais moi, j'étais de meilleure humeur. De nettement meilleure humeur.

"Et l'emperruqué, il t'emmerde." lui dis-je avec un sourire, en lui tendant chaleureusement la main.

Fantôme.

En l'espace de si peu de temps, je n'étais devenu qu'un fantôme. Moi, qui respirais chaque jour la joie de vivre, la sorcière avait empoisonné ma nourriture pour me transformer en bête stupide, agressive et nerveuse. Je ne sortais plus, ne mangeais plus, ne dormais plus. Ma rencontre avec Isobel avait été plaisante, mais je ne l'avais pas revue depuis, et finalement, même si cette fille portait la gentillesse sur sa tête, cela ne me manquait pas. J'avais Sonata comme occupation première, depuis deux jours qu'Eva était en garde à vue, et la pauvre enfant mangeait à peine ce que je lui rapportais du réfectoire ou de la caféteria. Elle me demandait sans cesse quand sa maman allait revenir. Je songeais un moment à ce qu'il s'était passé là-bas, au commissariat. Avant de franchir la porte du parloir avec la petite, j'avais entendu des hurlements. Les cris tonitruants d'Eva, mêlés à ceux de mon ennemi, Lancelot Perez. La petite, qui avait déboulé, pour serrer sa mère dans ses bras. Lancelot, qui était là, en lui jetant des regards haineux. Eva avait refusé de me dire ce qu'elle avait fait. Mais moi, j'avais parfaitement bien deviné. Et je me mis presque à comprendre les regards plein de mépris de mon rival. Je me mis à la détester. De tout mon coeur. Elle, et ses mensonges, ses fausses promesses, ses faux semblants. Moi aussi, je me méprisais, d'être tombé sous le charme de cette sorcière. Mais je comptais bien y remédier. Parfaitement.

Marchant dans les couloirs avec Sonata, je songeais qu'il allait falloir que je fasse quelque chose pour le chien, par contre. Ils étaient interdits à Wynwood, et un bas-rouge dans une chambre, c'était dur à planquer. Requiem devait se tenir tranquille, or il aboyait au moindre éloignement de Sonata. Obligé de l'enfermer dans la salle de bain avec son eau et sa bouffe pour emmener la petite puce manger une glace. Je n'avais rien contre Sonata. Cette petite beauté n'y était pour rien si sa mère n'était qu'une salope.

Sauf qu'elle se mit à courir. Qu'elle tomba. Tête la première. Et que son arcade s'ouvrit. L'enfant se mit à pleurer. Depuis le braquage, elle ne supportait plus la vue du sang, or le sien, elle en avait su les yeux, qui coulait à petits filets depuis son sourcil gauche. Je me précipitais vers elle, lui donnais un mouchoir. Rien à faire. Elle pleurait toujours autant. Les autres élèves, qui me regardaient déjà assez étrangement au vu de mon style vestimentaire, se mirent à rire en me voyant éponger le sang d'une enfant de trois ans qui hurlait "LÂCHE MOI ! JE VEUX MAMAN !" sur son arcade sourcillière, en plein milieu de la pause midi. Bon, eh bien, je n'avais pas la choix. Il allait falloir que je la conduise à l'infirmerie. Je la pris donc dans mes bras, gesticulant et hurlant, et lui intimais de se calmer si elle ne voulait pas que je l'assome. ça ne fit qu'empirer, malheureusement.

Le temps que l'infirmière s'occupe de l'enfant sanglotante, je me posais dans la salle d'attente. Je constatais que je n'étais pas seul. Il y avait une fille, là. Un peu étrange. Une blonde provocante. Oh mon dieu, pas encore une de ces bimbos débiles... celles-ci, je ne pouvais pas les supporter. Mais c'est qu'elle me fixait en plus ! Agacé par les récents évènements, à bout de nerfs, je croisais les bras, avec un air qui me faisait pas mal penser à mon amie, d'ailleurs.

"J'ai une tronche de steak bien frais ou tu me regarde juste pour me faire chier ?"

ça, c'était fait.