Broken Biscuit [Raphaël / Nicole / Luke]

→ Alisa braqua ses yeux bleus sur Luke, un quart de seconde. Elle hurla un "NON" retentissant. Plusieurs personnes se retournèrent sur elle, mais elle semblait comme... perdue. Il n'y avait plus qu'elle et son bourreau. Luke tiqua. Comment, non ? " Non, Luke. J'ai d'autres projets. Désolée. " se reprit-elle. Même si elle avait parlé de manière plus calme, le ton de sa voix était loin d'être apaisé. C'était même plutôt tout l'inverse, on y discernait la crainte. Pauvre petite biche farouche, prise au piège, démunie face aux phares aveuglants qui lui vrillent le corps. Bientôt, très très bientôt, ses yeux apeurés se fermeraient sur le macadam, pour ne plus jamais s'ouvrir. La vie s'échapperait de son corps peu à peu, le sang se déverserait en flaques poisseuses autour de son visage, elle... Non. Elle avait dit non. Il lui faudrait encore attendre. Que pouvait-elle bien avoir à faire de plus important que de se faire tuer, hein ? Farès vint à la rescousse de sa belle, Luke tiqua à nouveau. Décidément, il n'aimait pas ce type. Dommage. " On a un travail à repasser, en philo’. Tu sais c'que c'est, la plaie. " argumenta-t-il. Les yeux de Luke étaient toujours rivés au visage d'Alisa. Il n'aimait pas cligner des yeux, ça le faisait souffrir de les garder si longtemps ouverts, mais il avait l'impression que si ses paupières se fermaient, elles emmèneraient avec elle la douce illusion d'une Milana à portée de main. Il n'avait qu'à tendre la main...

Pourquoi ne pas la fracasser, là, maintenant ? Après tout, le brun avait le nez plongé dans son tiramisu. Il n'aurait le temps de rien. Le Rho Kappa pouvait se jeter sur elle et... Non. Il serait découvert. Il voulait l'éviter. Cette besogne nécessitait qu'ils soient seuls, tous les deux. " Très bien. Je vais donc... vous laisser. " finit-il par déclarer en se tournant à nouveau vers Raphaël. Nul sourire sur son visage, à présent. Pourquoi se forcer ? Il était de très, très mauvaise humeur. Il valait mieux qu'il s'en aille. Sans quoi il risquerait de péter les plombs. Ne jamais sortir de ses gonds, au risque de le regretter. Sa main droite repoussa la tasse de quelques centimètres. Il la posa, ainsi que sa "collègue", à plat sur la table. Les pieds de sa chaise raclèrent sur le sol, insolents. Une fois debout, il adressa un petit coup d’œil au garçon. " Raphaël... On se voit en sport. Alisa... A bientôt... " menaça-t-il. Il fit doucement le tour de la table et se pencha vers la jeune femme, tétanisée. En feignant de lui déposer un baiser sur la joue, le jeune homme murmura à son oreille, rapidement. " Tu ne m'échapperas pas. " Il se redressa alors, fourra les mains dans ses poches et s'éloigna, yeux rivés au sol. D'autres occasions. Il aurait beaucoup d'autres occasions. Il trouverait sa chambre, la coincerait dans une classe, le local radio ou les douches. Qu'importe, mais il l'aurait. Le plus tôt serait le mieux, mais quelques semaines ne changeraient rien aux deux années qu'il avait passées à la traquer. Oui, il l'aurait un jour. Il l'aurait.

→ Où croyait-elle filer, comme ça ? Alisa, les yeux dans le vague, venait de partir à travers la foule. Luke tiqua, prêt à se lancer après elle pour ne pas la lâcher d'une semelle. Mais il devait se contrôler, c'était absolument nécessaire. Il serra les poings, les déserra, plusieurs fois. Du coin de l’œil, il suivait la trajectoire de la jeune femme, attentif au moindre de ses gestes, trépignant sur place comme un coureur sur la ligne de départ, juste avant le top tant attendu. Avant même que Raphaël n'ait terminé de lui dire qu'il pouvait les suivre, le Rho Kappa était déjà sur ses talons. Ils rejoignirent la blonde, assise à une table. Luke s'installa en face d'elle, les yeux rivés à son visage tétanisé. Était-elle en train d'échafauder un plan pour lui échapper ? Elle n'en aurait pas l'occasion, il la piégerait dès que le Khi Omikron les aurait lâchés. En parlant de lui... sa voix désagréable se fit à nouveau entendre. Luke n'aimait pas les obstacles. A l'instant, Raphaël en était un. " Et sinon, vous vous êtes connus comment ? Surement pas dans l’cadre d’un truc sportif, j’présume. Oh. Tu m’files le sel Alisa ? S’te plait. " La blonde ne bougea pas. Elle ne leva même pas les yeux. Jouissif. Les lèvres du brun s'étirèrent sur la droite, tandis qu'il tendait la main vers la salière. Il la fit glisser lentement vers Raphaël. Le bruit produit par le raclement était absolument atroce, grinçant... voire inquiétant. Du moins, pour une personne sur le qui-vive. Sadique, il observait la réaction d'Alisa. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'il ne daigne détacher les yeux d'elle, pour les poser sur son voisin. " C'était en Californie. Milana et moi étions très proches... si tu vois ce que je veux dire. " répondit-il au brun, avant de lui adresser l'ébauche d'un sourire.

Lentement, il se tourna à nouveau vers Alisa. A de très nombreuses reprises il avait entendu son frère l'appeler ainsi. En réalité, ... Edgard n'avait jamais voulu lui dire ce que cela signifiait, ou pourquoi il le faisait. Mais il savait que ce vieux souvenir remuerait à coup sûr la jeune femme. Des images atroces devaient la hanter, à l'instant. Lui aussi les revoyait, toutes les nuits. Il revoyait le corps sans vie de sa petite sœur. Tout était de la faute de cette vipère. Si elle avait fermé son clapet, Luke ne serait pas seul, à l'heure actuelle. Séparé des deux personnes qui comptaient le plus pour lui, le jeune homme se sentait démuni. Et tout était de sa faute. Uniquement sa faute. Il avait un regard de fou, quand il l'observait. Ses yeux s'ouvraient un peu plus fort que ceux d'une personne tout à fait normale, on pouvait y lire l'excitation, mais aussi l'envie. Hormis Alisa, personne n'aurait pu deviner à quelle perspective Luke était excité. Raphaël penserait sans doute que c'était à celle de revoir... son ex.

Luke tendit le bras, désireux de voir jusqu'où il pouvait aller. Sa main frôla celle de la blonde et il s'empara de son cappuccino. Sans rien dire, il le tira vers lui et en bu une gorgée. Il avait horreur de ça. Mais qu'importe. Il fallait qu'il juge jusqu'où allait son emprise sur elle. Il reposa la tasse sur sa coupole et se tourna vers Raphaël, qui mangeait son steak avec application. Sans doute n'avait-il pas perdu une miette de la scène. Luke lui sourit de manière parfaitement naturelle. " J'adore le cappuccino. Milana m'en préparait, avant. " Puis, se tournant à nouveau vers elle : " Alors... Que dirais-tu d'aller faire un tour, rien que toi et moi ? Nous avons tellement de choses à nous dire... Je suis sûr que Raphaël nous pardonnerait, cela fait tellement longtemps que je rêve de te revoir, Milana. " Le ton de sa voix était limpide, particulièrement doux, sucré. Peut-être un peu trop... Il bu une nouvelle gorgée, attendant la réaction de la jeune blonde.

→ Pétrifiée. Luke resserra un peu plus sa main autour du poignet de la jeune femme. Menace. Il la dominait d'une quinzaine de centimètres, mais même si cela n'avait pas été le cas, le brun aurait été le plus fort dans ce duel silencieux. Alisa ne lutta même pas. A peine l'avait-elle entre-aperçu qu'elle avait renoncé à lui tenir tête. Elle avait peur de lui. Cette sensation lui procurait une jouissance intense. Heureusement pour lui, ses émotions n'étaient visibles que de son frère jumeau. Personne n'aurait été capable de le déclarer heureux, triste ou étonné rien qu'en l'observant, lorsqu'il désirait se maitriser. IL avait gagné. Après deux ans de traque acharnée, il avait enfin gagné la partie. Le cerveau du jeune homme s'activait à une vitesse délirante. Il devait à tout prix l'entrainer hors d'ici. Plus il vrillait son regard dans le sien, et plus la russe se décomposait. Il n'avait jamais aimé cette fille. Elle le lui rendait bien. " Luke... " articula-t-elle faiblement. Naaaaaaaaaan. Le cri muet empli sa tête. Luke. Bien sûr. L'homme qu'elle avait tant aimé. Le coin droit de sa bouche se releva, presque imperceptiblement. Skinner ne pouvait pas manquer le rictus. La confirmation de son identité.

Tout à sa joie d'avoir retrouvé celle qu'il avait suivie à travers de trop nombreux pays, Luke ne faisait plus attention au monde environnant. Une main posée sur son poignet le ramena à la réalité. Une voix enjouée. " Ça fait un bail ! ", déclara celle-ci. Luke resta quelques secondes de plus en position, yeux rivés à ceux d'Alisa, main serrée autour de son poignet. Quand il fut sûr et certain qu'elle savait à présent à quoi s'en tenir, il désserra lentement son étreinte. Ses yeux perçants libérèrent ceux de la jeune fille pour glisser vers son poignet, qu'il n'avait pas totalement lâché. Imprimé à même la peau, la marque de sa gourmette. Du pouce, le brun la fit lentement tourner jusqu'à apercevoir son prénom gravé dessus. Ensuite, seulement, il la lâcha. A nouveau, cette voix dérangeante. " J’savais pas que tu connaissais aussi Katina. " La main n'était plus sur son poignet, mais elle avait attendu qu'il lâche... Katina pour en faire de même. Surprotecteur, le mec ? Luke plaqua un sourire sur ses lèvres, avant de se retourner vers la personne qui l'avait dérangé en pleine capture.

" Ça alors, Raphaël ! ", salua-t-il. Dommage, il l'aimait bien, ce mec. Quoique, tout n'était pas perdu... Doucement, Luke étira sa colonne vertébrale vers le haut et se redressa. Se tenir courbé était une sale habitude qu'il avait gardée à force de rester caché derrière sa timidité. Mais maintenant qu'il venait de mettre la main sur sa russe tant espérée, il n'allait pas se laisser submerger et tout faire foirer. " Oui, Alisa et moi sommes des amis de longues dates. J'étais très surpris de la croiser ici... Je peux me joindre à vous ? " demanda-t-il ensuite poliment. Il n'adressa plus un regard à la blonde, concentré sur Raphaël. Le jeune sportif serait peut-être une pièce clé dans la mission qu'il s'était fixée... L'avenir le lui dirait.

→ Deux ans. Deux longues années de recherche, de ballotages, de déménagements... Elle était aussi insaisissable qu'un feu follet. Ses dernières investigations finirent par le mener à Miami. Y était-elle encore seulement ? On lui renseigna Wynwood High School. S'y faire accepter lui prit du temps. Trop de temps. Deux longues semaines, durant lesquelles elle aurait encore eu le temps de prendre la poudre d'escampette. Mais ça y était, il était enfin inscrit. Deux jours lui suffirent pour comprendre que celle qu'il recherchait activement y étudiait, elle aussi. Son nom figurait au tableau d'affichage, à côté du titre de Présidente du Club-Radio. Il ne se pressa pas pour la trouver, rassuré. Ce statut semblait pérenne, c'est tout ce qui comptait.

Luke marchait dans les couloirs, mains enfoncées dans les poches de son baggy, yeux rivés au sol, comme à son habitude. Il avait été admis à Wynwood le 15 novembre. En deux jours, il avait eu le temps de se familiariser avec les lieux, rencontrer quelques-uns de ses camarades de classe, également. Un particulièrement avait attiré son attention : Raphaël Farès. L'individu lui semblait sympathique, le grand brun avait donc hâte de le recroiser en cours de sport. Midi. Son estomac criait famine. Il pénétra d'un pas trainant dans la cafétéria, s'arrêta pour évaluer l'étendue des dégâts. Un type le bouscula, surpris par son arrêt subit. Il lui gueula dessus. Luke ne prit pas la peine de répondre. Il ne levait jamais les yeux quand il marchait. Jamais. Sa main droite s'extirpa de sa poche et fourragea machinalement dans ses cheveux en bataille.

Ses pupilles noisettes parcouraient la salle avec attention. Il cherchait une tête en particulier, même si au milieu de toute cette foule, c'était peu probable qu'il la trouve. Blonde, plutôt petite, de grands yeux expressifs... Une mèche de cheveux blonds attira son attention. Sa main replongea dans sa poche et il fit un pas en avant. Un seul, parce qu'après, il faut regarder le sol. Il stoppa. " Retourne-toi ", murmura-t-il à l'intention de la demoiselle, bien trop loin cependant pour qu'elle l'entende. Nouveau pas. Elle pivota sur elle-même. Oui ! Enfin ! Ses yeux lâchèrent la personne tant convoitée et se rivèrent au sol, tandis qu'il fonçait, tel un boulet de canon, vers la file d'asticots grouillant autour de la bouffe amassée là. Luke bouscula au passage plusieurs personnes qui laissèrent échapper un chapelet d'injures à son intention. Le brun, dans sa bulle, n'entendait rien, ne voyait rien d'autre que cette fille. Tout en finissant sa marche, il s'autorisa un écart. La situation était trop importante. Il leva les yeux et sortit sa main droite de sa poche. Telle une serre, elle agrippa le bras de la jeune fille. Elle était son petit lapin. Il était l'aigle qui déchiquetterait son corps sage.